When the Party’s Over

When the Party’s Over

ft   @Ruben Yard   

03 juin 2023

Si ses deux sœurs aimaient particulièrement les champs de blé dans lesquelles elles avaient passé une grande partie de leur enfance, Ashlyn avait toujours eu plus de retenue. La brise carressait les brins ici et là, à hauteur de ses doigts qui glissaient sur les épis encore verts. Elle repensait à la première fois où elle était venue ici. Haley Laskaris, sa mère, était désemparée.
Elle la revoyait avec ses grosses larmes au bord des yeux qu’Artashir ne reviendrait pas - qu’il ne reviendrait plus. Qu’elle avait besoin d’eux, de leur aide, parce qu’au-delà du fait qu’ils étaient des loups-garous, Haley Laskaris était surtout brisée. Ce n’était pas une demande d’aide parce que ses trois petites filles étaient en danger de mort, c’était un appel à l’aide d’une femme venant de perdre son âme-soeur.

Un soupire passa les lèvres de la jeune femme.

Ce n’était pas habituel pour Ashlyn de mettre autant de temps à traverser cette parcelle qui donnait sur le chemin de la maison des Yard, mais ce soir-là, elle avait l’hésitation grinçante, ce petit quelque chose au fond du coeur qui la poussait à regretter quand une autre part lui indiquait qu’elle avait fait tout ce qu’elle avait pu. Qu’elle avait fait le bien, tout comme son père l’aurait fait avant elle. Qui pouvait la juger ?

Ashlyn baissa les yeux, s’arrêtant sur le chemin, se demandant si Ruben Yard était bien là ce soir. C’était le seul vers qui elle s’était tournée, bien avant sa propre mère, bien avant ses propres sœurs. Peut-être parce qu’il avait toujours été ce frère qu’elle n’avait jamais eu, que cet amour tendre qu’elle lui portait lui faisait miroiter qu’il la comprendrait - qu’il l’excuserait, là où elle-même ne s’excusait pas.

Si elle avait mordu un peu moins fort, si elle avait été un peu plus forte, peut-être que... Peut-être que ça se serait passé différemment ? Mais ce n’était pas le cas.

Ses épaules se firent plus lourdes en se rendant compte que quoi qu’elle puisse ressentir ou dire, plus rien ne changerait la donne. @Dâriush Aslan portait dans ses veines la force ancestrale des loups Laskaris. Elle avait éveillé en lui l’étincelle d’une nouvelle force, et leur lien allait se renforcer si elle le laissait faire, si elle entretenait cette tendresse maternelle à son égard. Un nouveau soupire passa ses lèvres avant de glisser un regard sur la fin du chemin.

La silhouette qui était apparue tout là-bas, et qu’elle voyait pourtant avec précision, lui tira un sourire radieux, comme si elle voyait l’aurore après une nuit trop longue. Les cheveux défaits et l’air fatigué, Ashlyn reprit sa marche, se frayant un chemin au travers du blé pour se rapprocher de la silhouette qui s’était mise aussi en route vers elle. Pour se rejoindre quelque part au milieu du champ, dans un crépuscule embrasant la couleur de jade des épis immatures.

Quand elle arriva à distance de lui, Ashlyn s’arrêta pour le regarder. Elle n’était pas aussi lumineuse que d’ordinaire, son sourire ne s’étirait pas d’une oreille à une autre, pas plus que son rire bruyant ne résonnait partout dans le domaine des Yard. Elle était étonnement silencieuse, fixant le visage de Ruben, cherchant une façon de le dire, d’apporter ce qui la tourmentait et qu’elle n’arrivait pas à formuler.

Après un long instant, la louve s’humecta les lèvres avant de lâcher :

« Désolée, je débarque comme ça, sans prévenir... », un petit rire ennuyé passa ses lèvres, alors qu’elle jetait au même moment un regard vers les bâtisses. @Glenn Yard n’était pas sorti voir ce qui se passait. Il avait dû reconnaître son odeur et laisser Ruben gérer son amie. « Mais tu me manquais. »

Elle eut un petit sourire plus chafouin cette fois, plissant les yeux à la façon d’un renard.

« Tu m’invites à boire un verre ? Si tu as le temps pour ta vieille amie qui est absolument assoiffée... », souffla Ashlyn, toujours avec ce sourire énigmatique des gens qui ont l’esprit occupé à quelque chose mais n’en dise rien.

La journée avait été chaude, presque trop chaude pour travailler. Ruben avait aidé les ouvriers avec le nouveau projet de vignoble, à nettoyer ce que le benjamin considérait être un champ de bataille. Alors que la journée avait progressée, le jeune Yard avait intérieurement maudit son frère à de nombreuses reprises quant à sa nouvelle acquisition, se demandant pourquoi il n’avait pas plutôt opté pour leur bâtir une piscine. Même si Ruben avait lui-même approuvé l’idée du vignoble, et qu’il y voyait encore une bonne idée, le travail manuel par une journée chaude avait une facilité à faire ressortir les regrets.

Heureusement, ils avaient bien progressé, et l’air s’était rafraîchi au cours de la soirée, le gardien des clés retrouvant vite sa bonne humeur lorsqu’on lui offrit une glace. Il discutait amicalement avec Midge, l’une des femmes qui l’avait aidé pendant une partie de l’après-midi, mâchonnant sur le bâton de bois de sa glace qu’il avait gobé aussi vite que si il l’avait aspiré.
Le vent frais du soir apporta aussi avec lui un parfum familier, une silhouette facilement reconnaissable qui traversait ses champs pour la millième fois. Ruben n’eut pas besoin d’attendre qu’elle s’approche pour savoir exactement de qui il s’agissait, et n’attendit pas une seule seconde pour venir à sa rencontre.

Le silence de la jeune femme le frappa avant tout le reste.

Le jeune Yard n’a jamais été connu comme le plus observateur des hommes, parfois incapable de déceler les subtilités d’une pièce bondée, le léger changement d’un sourire authentique et celui d’un regard embarrassé. Mais Ruben connaît trop bien Ashlyn, depuis beaucoup trop longtemps, pour ne pas remarquer son énergie différente.
Fut-elle venue avec une toute autre attitude, il l’aurait chargé comme un bélier, et hissé son corps en entier sur son épaule avec un grand rire alors qu’elle se débattait pour être remise au sol. La lourdeur que semblait porter Ashlyn écrasait aussi le Yard, troublé de ne pas voir son amie au sommet de sa forme, pris de court.

“J’ai toujours du temps pour toi.” lui répondit-il, adoptant la même douceur qu’elle.
Elle suggéra un verre, et Ruben se surprit à avoir peur. Ce n’était pas une demande hors de l’ordinaire, mais l’aura qu’elle dégageait était différente que leur visite au pub du coin.

“...mais c’est moi qui conduis.” Il aimait l’ironie, il aimait parler d’engins alors que sa ferme n’en accueillait aucun, se plaignant souvent d’être utilisé pour la besogne au même titre qu’une machine. C’est peut-être parce qu’il avait remarqué son air fatigué qu’il décida, justement, de faire comme d’habitude. Il s’approcha d’elle avec son grand sourire espiègle, Ashlyn pouvant déjà le voir venir à des kilomètres à la ronde. Il se pencha et aggripa ses jambes, la hissant sans efforts sur son épaule avant de sprinter jusqu’à l'établi.

Il la déposa à nouveau au sol à quelques mètres de marche de la grange, toujours avec ce même sourire, cet éclat de rire dans les yeux. Dans sa poitrine, cependant, l’appréhension grandissait. Ashlyn l’inquiétait. Il pénétra à l’intérieur des portes déjà grandes ouvertes, laissant s’échapper le parfum du foin et du bois au bénéfice d’un vent frais.
“Je sais que mon frère à une bonne bouteille cachée quelque part ici…” dit-il en grimpant sur l’établi pour y fouiller les étagères du haut, y renversant presque une boîte à outil au passage. Les Yard, particulièrement Ruben, avaient cette propension à oublier l’utilité de leurs baguettes. “Whisky écossais vieilli 15 ans!” s’exclama Ruben en lisant l’étiquette sur la bouteille. “Et moi qui me ruine à boire la pisse de chien qu’ils me servent au Golden Hops…  Glenn cache tous les bons trucs ici.” (@Glenn Yard) Ruben ne s’arrêta pas à l’idée que l’item avait probablement été volontairement caché à cause de lui. Il ne trouva pas les verres, mais songea que ce n’était qu’un accessoire. Il sauta de l’atelier plein de poussière de bois et rejoignit son amie, heureux de sa trouvaille.

Pointant la montagne de balles qui s’élevait jusqu’au toit, la lumière orangée d’un soleil couchant laissant paraître la montée presque céleste.
“Tu veux qu’on grimpe jusqu’en haut du grenier à foin?” suggéra-t-il. Comme quand ils étaient petits. Ruben avait toujours aimé escalader les balles pour se hisser jusqu’au sommet, caché dans un lit de paille, un château secret où ils pouvaient se détendre sans être aperçus. Même si la détente passait désormais plutôt à travers un whisky échangé à même la bouteille plutôt que par des boîtes de jus de fruit, le plaisir de se prélasser dans le fort de foin était le même.

“J’ai toujours du temps pour toi.”

Ashlynn lui jeta un petit regard qui aurait très bien pu être accompagné d’un petit « aw », mais elle se retint, car ce n’était pas dans ses habitudes. Malgré tout, dans la détresse générale, c’était au moins quelque chose à laquelle elle pouvait se raccrocher. Ruben serait toujours là. Elle n’en avait jamais douté, mais l’angoisse avait bien vite fait de perturber ses certitudes les plus intimes. Maintenant qu’elle était un de ces monstres mordeurs, avait-elle toujours le droit de s’accrocher à leur amitié ? Elle eut à peine le temps de finir sa réflexion qu’il lui jetait le regard qui signifiait beaucoup.

La louve eut à peine le temps d’écarquiller les yeux et de tendre ses mains en avant que le Yard l’agrippait et la soulevait déjà. Un rire sincère et franc passa les lèvres de la Laskaris qui remuait, tantôt à cause du mouvement de la course, tantôt parce qu’elle remuait elle-même, tanguant dangereusement mais sans jamais tomber.

Le soulagement ne se fit voir que lorsque ses deux pieds touchèrent le sol. Elle eut un petit rire rémanent, lui jetant un regard espiègle en retour. Pendant quelques minutes, elle en aurait presque oublié la raison de sa venue. Son sourire s’effondra un peu, quoi qu’il resta poliment accroché à ses lèvres.

Ashlynn suivit Ruben comme si elle avait été son ombre – et elle l’avait été pratiquement toute leur enfance, jamais très loin du cadet des Yard quand il s’agissait de faire des conneries sur conneries. De petites conneries cependant, jamais des très grosses. De celles qui font rires quand on les raconte plus tard.

« Glenn cache souvent des bouteilles ? »
La question, pas si innocente que ça, tira un long et fin sourire à la louve. Se moquer de l’aîné était devenu un sport national, même si à bien y réfléchir, tout le monde en prenait un peu pour son grade. Ce n’était jamais méchant, juste piquant, comme le sont deux petits électrons laissés libres. En bas de l’établi, Ashlynn ressemblait à une gamine – le genre qui tend les outils à son père quand ce dernier est perché, ou plutôt un raton-laveur qui attend qu’une croquette tombe. Ses sens à l’affût, elle imaginait @Glenn Yard les intercepter et secouer les puces du cadet. Elle n’aurait quant à elle qu’à avoir un petit sourire stupide et mettre ça sur le fait que c’était de la faute de Ruben si elle se retrouvait ici. C’était plutôt faux, et Ruben ne manquerait pas de s’égosiller en retour, mais c’était comme ça qu’ils avaient toujours fonctionné. Il n’y avait aucune raison pour que ça change, pas vrai ?

« Si tu y arrives à grimper avec ton gros corps là » se moqua la louve. Elle ne manqua d’ailleurs pas de bondir bien en avance, escaladant avec une certaine souplesse les balles, non sans donner un petit coup de pieds ou de marcher sur la main du Yard qui tentait bien de passer devant elle – tout en étant piégé, car la seconde main tenait la bouteille bien précieuse. Un petit rire plus tard, Ashlynn terminait en haut, première mais de peu, avant de tomber dos au sol, les bras en croix, essoufflée.

« Ca fait une éternité que j’étais pas venue jusqu’ici » conclut-elle, non sans une petite nostalgie. Elle ramena vers elle ses deux mains, ses yeux brillants alors qu’elle observait la lune presque pleine. Si d’ordinaire elle se sentait pleine d’énergie en pleine montée lunaire, ses sentiments étaient aussi beaucoup plus brouillons, beaucoup plus chaotiques. L’agacement, la colère, la rancœur.
Des sentiments qu’elle n’avait pas l’habitude de contenir, elle qui était si solaire, si libre.

Ashlynn se redressa, assise en tailleur tout en haut des ballots, n’ayant pas oublié qu’il y avait du whisky de 15 ans d’âge à la clé.

« La paille sent bon, j’en déduis que toi non plus tu n’étais pas venu ici depuis un certain temps », piqua-t-elle, non sans un sourire fier de sa blague.