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« le passé est un prologue » william shakespeare | eurion
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FICHE DE PERSO
Lorsque Juliet pénètre dans le Chaudron Baveur ce soir-là, elle est à mille lieux de se douter qu’elle l’y trouverait, lui, parmi tous les autres. Dans sa table de statistiques tout à fait personnelle, la probabilité qu’elle croise son ex-mari à la Tête de Sanglier – où elle ne se rend jamais – est plus élevée.
Et pourtant, alors qu’elle pousse la porte de l’auberge située côté sorcier, elle tombe nez-à-nez avec Eurion, Eurion MacGregor, son si horripilant et détesté confrère, sa bête noire, sa némésis, la seule personne au monde à qui elle n’a jamais pu adresser la parole sans s’énerver. Et c’est dire à quel point leurs relations étaient tendues, elle qui a toujours été d’un abord facile et chaleureux, invitant la sympathie même aux plus grognons, et parvenant, souvent, à apaiser ses patients de son seul sourire plein de soleil.
C’avait été comme s’il était immunisé à son charme naturel, et comme si lui était la seule chose à laquelle elle était allergique. Sa seule présence l’avait rendue dingue. Son attitude, son regard, le ton de sa voix, tout chez lui déclenchait chez elle des instincts primaires dont elle n’avait pas l’habitude, car l’agacement, l’irritation et la colère ne lui étaient pas familières. Il avait été le seul à les lui inspirer, même au plus haut de sa carrière de préfète de Poufsouffle, alors qu’elle gueulait plus fort que les autres pour faire entendre la voix de sa maison.
Même son ex-mari, une fois sa trahison découverte, ne lui avait pas suscité de tels sentiments.
« Docteur Cynfeirdd ? » fut la seule chose qui sortit de sa gorge alors qu’ils se faisaient face sur le pas de la porte.
Et il y a ce souvenir qui tourne dans sa tête : cet instant où il avait débarqué en salle de pause tel un ouragan et l’avait épinglée d’un regard incandescent, avant de déclamé, avec un aplomb brutal et féroce, « si j’apprends que son mari est à Sainte-Mangouste, je lui défonce la gueule pour t’avoir trompée », d’une soudaine et étonnante familiarité, avant de repartir dans le même mouvement en claquant la porte. Le silence abasourdi qui avait succédé sa sortie avait été particulièrement retentissant, alors que le personnel présent échangeait des regards interloqués et qu’elle, elle restait figée, son café à la main, le regard rivé sur la porte de la salle de repos.
La rumeur sur une relation plus intime entre eux, alors que la relation qu’ils avaient réellement avait déjà un statut de légende tant elle faisait parler d’elle, avait déjà enflé et pris de nouvelles proportions lorsqu’elle avait quitté l’hôpital à la fin de sa garde.
Et puis, petit à petit, elle avait cessé de faire attention à ces dit-on, jusqu’à ne plus rien entendre, car elle n’avait plus été en capacité d’entendre quoi que ce soit. Elle l’avait laissé peu à peu prendre les patients des urgences sans qu’elle ne s’y oppose, et avait raréfié ses visites à son service pour lui faire part de son opinion. Lui-même avait fini par ne plus rien susciter en elle. Jusqu’à tout cesser.
Trois ans s’étaient écoulés depuis son départ de Sainte-Mangouste et son déménagement hors de Londres, elle n’avait plus repensé ni à lui, ni à cet unique coup d’éclat dans la salle de garde, qui différait de leurs prises de bec coutumières. Elle ne s’en était pas vraiment donné l’occasion. Elle avait eu tout un tas d’autres choses à traiter, à penser, à gérer, et s’était volontairement noyée dans à peu près tout ce qui ne lui faisait pas penser à son ancienne vie.
Alors, tomber sur Eurion à l’improviste lui faisait un choc certain. Car tout remontait d’un bloc, avec la force d’une lame de fond.
Juliet n’était pas préparée à cela.
Plusieurs secondes s’écoulent alors qu’ils se regardent en chien de faïence et qu’elle se rappelle qu’elle n’a jamais été en mesure de déchiffrer son regard. Il avait toujours eu cet ombre dans les prunelles qui le rendait abrupt, un peu inquiétant peut-être. Elle, elle est un livre ouvert, elle le sait, elle sait qu’il doit voir la surprise et l’émotion brutale au fond de ses yeux. Elle fait une tête de moins que lui, il l’écrase par sa seule présence.
« Excusez-moi. » Juliet revient brutalement à elle et se retourne. Quelqu’un l’observe avec défiance.
« Oh, pardon. » Prise au piège entre Eurion et la personne postée derrière elle, elle doit choisir entre entrer, ou s’effacer pour laisser passer. Son ancien confrère fait le choix pour elle en reculant, lui laissant le passage pour entrer. Confuse, Juliet s’exécute. L’autre maronne un « merci » bougonnant en passant entre eux.
Le médecin ne l’a pas lâchée du regard.
A l’époque, elle ne l’aurait jamais laissé faire sans riposter, parce qu’elle ne supportait pas qu’il l’observe de la sorte ; aujourd’hui, elle se sent prise au dépourvu – presque prise au piège.
Ce n’est pas un fantôme. Reprends-toi. Il porte pourtant tellement de signification dans son histoire. « Bonjour », lâche-t-elle finalement. « Je ne m’attendais pas à vous voir. » C’a toujours été elle qui devait briser le silence lorsqu’ils se tombaient dessus à l’hôpital. Même pour se saluer. Si elle avait été quelqu’un d’autre, elle l’aurait peut-être planté là sans plus de cérémonie, plutôt que d’essayer de s’en sortir avec les banalités d’usage pour ne pas être impolie. Or, Juliet n’était pas de ces personnes qui ne se soucient pas de la bienséance. Aussi était-elle coincée jusqu’à ce qu’au moins, il lui réponde.
Peu à peu, son trouble s’apaise. Ses réminiscences d’une ancienne époque cessent de tourbillonner dans sa tête, comme des feuilles mortes prises dans une brise, et se déposent lentement sur le sol froid de sa mémoire. Elle croise les bras sur son torse, cherchant à s’en envelopper. Elle soutient le regard d’Eurion. Ils sont dans le coin juste à côté de la porte d’entrée, là où le client les a forcés à bouger, et sont plantés comme des piquets, étranges aux yeux des autres attablés. Elle a conscience qu’ils ont l’air bizarre, à s’observer, mais elle attend qu’il réponde pour s’esquiver.
Mais il ne répond pas. Pas tout de suite. Il l’observe, encore. Qu’est-ce qu’il y a ? Ses sourcils se froncent légèrement.
Dans son esprit, un lointain écho. « Si j’apprends que son mari est à Sainte-Mangouste, je lui défonce la gueule pour t’avoir trompée »,
@Eurion Cynfeirdd
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FICHE DE PERSO
LE PASSÉ EST UN PROLOGUE
5 août 2023 | londres moldu | @Juliet Marshall
Le Chaudron Baveur n’était pas le plus agréable des endroits où boire. Eurion n’aimait pas particulièrement leur choix d’alcools, il trouvait leurs prix trop chers, et l’ambiance désagréable, du moins c’est ce qu’il pestait à qui voulait bien l’entendre. Mais le Chaudron Baveur avait bien ses avantages, le premier étant sa localisation: situé au centre du coeur des commerces sorciers, Eurion devait admettre qu’il était bien plus facile de rejoindre qui que ce soit au Chaudron Baveur plutôt que n’importe quel autre bar sorcier caché des moldus londoniens. Il était le premier à tomber dans le panneau, se gratifiant lui-même avec un verre après avoir fait quelques achats au Chemin de Traverse. Ce soir-là, il avait fait un crochet à l’auberge après avoir commandé quelques nouvelles encyclopédies chez Fleury & Botts, tenté par un whisky pour lequel il finirait inévitablement par regretter. Mais Eurion n’était pas quelqu’un qui apprenait rapidement de ses erreurs.
De cette soirée, il ne s'attendait à rien. Et certainement pas à la possibilité de croiser un fantôme. Alors qu’il s’appétait à quitter l’auberge avec un arrière-goût de whisky décevant, il tomba face à face avec son ancienne collègue. Un visage de son passé, et bien qu'il aurait aimé affirmer qu'il s'agissait d'un visage oublié, c'était loin d'être le cas: ses traits étaient gravés dans sa mémoire dans une moue perpétuelle.
Eurion n’était pas du genre à se rappeler des choses qu’il disait, le genre d’homme qui considère avoir raison la majorité du temps et qui ne questionne pas sa place dans la société. Il se rappelait encore moins les choses dites sous le coup de la colère. C’est pourquoi il ne repensait plus à cette réaction viscérale qu’il avait eue dans la salle des employés de Ste-Mangouste. Du venin craché à l’égard de l’ex-mari de la sorcière, Eurion avait réagit presque comme si il s’agissait d’une insulte personnelle, probablement pour avoir trop longtemps partagé son propre amour avec d’autres hommes. Il avait tant essayé d’accepter son métier, mais Eurion n’était pas assez fort. C’était injuste, pour son ancien amour, cette incapacité d’Eurion de l’accepter.
Marqué à vie par cette relation, aujourd’hui, écœuré face à toute forme d’infidélité, il avait mal digéré la bévue du mari de sa collègue, lorsque la nouvelle était parvenue à ses oreilles, ne souhaitant pas ce sort même à sa pire ennemie, ce que Juliet avait été, en quelque sorte.
“Vous?” répéta-t-il, agacé. La ligne est fine entre l’amour et la haine, c’est peut-être pourquoi les marques de politesse sont très vite abandonnées lorsque la colère prend le dessus. “Je t’en pris. Ne me vouvoie pas.” Le vouvoiement employé par la femme le choquait, comme un rappel qu’ils étaient redevenus des étrangers, plus des collègues. “Je ne m’attendais pas à te voir non plus. Trois ans.”
La présence de Juliet était déroutante, et une partie de lui était en colère. La voir lui rappelait tous ces enfantillages qu’elle avait causés, elle et ses protocoles, sa petite voix aigue qui le réprimandait pour tout. Un fléau sous forme de sorcière, et Eurion n’avait plus l’habitude de ressentir cette amertume qui, fut une époque, était presque quotidienne. Un reflux d’émotions qu’il n’avait plus eu la chance de déverser depuis le départ soudain de la femme.
Bloquée entre la porte et lui, le Cynfeirdd l’observa un instant. Eurion le savait, elle était trop polie pour l’envoyer valser. Et d’une certaine façon, il était heureux de prendre avantage de cette hésitation, de prendre le contrôle de la situation pour enfin avoir les réponses qu’il n’avait pas réussi à trouver durant les trois dernières années.
“Où est-ce que tu es allée?” Sa voix est cassante.
Il avait fini par oublier l’absence, délaisser cette partie manquante dans l’hôpital, certes, il y avait toujours ces questions qui - il pensait - seraient pour toujours sans réponse. Eurion n’était pas le genre d’homme qui aimait être laissé en plan, sans nouvelle. Même si Juliet ne lui avait jamais rien dû, Eurion lui en voulait pour tous ces questionnements que son départ avait généré. Il lui en voulait pour l'inquiétudes qu’il avait eu en l’imaginant de retour au bras de ce mari infidèle.
Mais, malgré son ressentiment, il ne voulait pas la faire fuir. Il avait cuvé ces questionnements si longtemps, il ne pouvait pas la laisser partir encore une fois sans réponse. Il se força à prendre un air plus détendu, assouplissant le froncement à son front. “Je pensais que tu avais quitté l’Angleterre.” affirma-t-il, reculant d’un pas enfin pour lui laisser l’espace, l’invitant à entrer, espérant que cela suffirait pour démontrer une certaine ouverture de sa part.
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FICHE DE PERSO
- Spoiler:
- Par avance pardon pour le changement de temps utilisé pour cette réponse mais je crois que je ne sais plus écrire au passé/imparfait, donc me revoici au présent Au temps pour la cohérence !
Il n’a pas changé. De l’impatience, de la hargne, une pointe de condescendance ; l’éclat féroce dans ses prunelles alors qu’il la dévisagea, sa voix bourrue alors qu’il lui intime l’ordre de le tutoyer, alors qu’il la questionne brutalement sans se demander un seul instant s’il est légitime à la questionner de la sorte. Comme si les réponses qu’il attend lui étaient dues.
Comme à l’époque, Juliet est piquée au vif. Ses joues s’empourprent, les traits de sa figure s’incisent comme des lames de couteau alors que son expression se durcit, l’œil vire à l’orage. La jeune femme ne fait peur à personne lorsqu’on la croise au détour d’une rue, et même en colère, elle n’en impose pas naturellement. Pour autant, il n’est pas avisé de s’essayer à la confronter aux confins de sa bonne pâte de personnalité.
De toute évidence, Eurion en a fait son sport national.
« Je vous demande pardon ? » claque-t-elle d’une voix sèche dont elle n’a pas l’habitude – ni elle, ni ses interlocuteurs. Sauf lui. Evidemment. Elle maintient le vouvoiement, parce que s’il a toujours insisté pour qu’il la tutoie au cœur de leurs échanges houleux, elle s’en est bien gardée, à la fois parce que ce n’était pas dans sa nature de faire preuve de familiarité avec qui elle n’avait aucun atome crochu – a fortiori quand ils ne s’entendent pas du tout – mais également parce qu’elle avait très vite compris que ça le rendait à moitié fou. Elle aussi pouvait faire preuve de fourberie quand elle était poussée dans ses retranchements. « En quoi cela vous regarde-t-il ? »
En quoi, oui ? En quoi, à l’époque, ses cornes et son divorce l’avaient concerné pour qu’il débarque dans la salle de repos avec sa mise en garde presque folle furieuse, et en quoi, désormais, sa disparition des couloirs de l’hôpital et de Londres dans sa généralité le concernait maintenant ? Il lui avait presque craché que cela faisait trois ans que c’était arrivé. Comme un reproche. Comme une blessure, à son âme, son ego, à quoi ?
Juliet ne sait pas ce qui la surprend au point de ne plus percevoir l’auberge et ses clients autour d’elle. Il n’y a plus qu’Eurion qui lui fait face et la domine d’une tête, ses yeux tempétueux et le ton acerbe de sa langue. Elle-même ne sent plus que ses entrailles qui bouillonnent.
Elle n’a jamais été ainsi. Elle n’a jamais ressenti aussi intensément des émotions aussi sourdes et brûlantes. Elle ne sait pas trop ce qu’elle ressent, d’ailleurs. Elle ne l’identifie pas. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle a envie de mordre. De le mordre. Pour qui se prenait-il ?!
Il y a alors un vrai déferlement. Comme si une digue avait cédé.
Juliet n’a jamais hurlé après la trahison de celui qu’elle avait considéré comme l’homme de sa vie. Elle ne s’était jamais mise en colère. A peine avait-elle pleuré. Au contraire, elle s’était sentie telle une coquille vide, un trou béant à la place de la poitrine, un abysse sans fond et froid. Elle avait assisté à sa lente chute, comme spectatrice d’elle-même, lors de son divorce, de son déménagement, de ses heures de travail dans lesquelles elle s’était jetée à corps perdu sans même s’en rendre compte. Elle avait croisé pendant des mois son reflet dans le miroir en se reconnaissant à peine, et elle se souvient n’en avoir rien eu à faire.
Quand elle était partie à Poudlard, il y avait comme une sensation de soulagement, mais rien de plus. Elle avait ensuite connu une douceur de vivre qui lui avait permis de reprendre contact avec elle-même.
Jamais elle ne s’était énervée.
Jamais.
Eurion a pourtant adouci son ton, mais elle n’entend plus que le bourdonnement dans ses oreilles.
« Je croyais que j’étais la personne la plus chiante qu’il vous ait été donné de connaître ? Une gamine arrogante, une vipère insupportable, une verrue purulente ou, votre préféré je crois, une sainte-nitouche mal-baisée ? » Elle en avait entendu des vertes et des pas mûres, et pas directement de lui. Parfois, c’était rapporté par ceux qui travaillaient avec Eurion et qui l’aurait entendu tenir des propos déplacés à son sujet. A cet instant, elle se fiche de savoir si tout cela était vraiment sorti de sa bouche, sauf les qualifications de « gamine » et de « vipère », puisqu’il les avait tenues directement devant elle. « J’ai plutôt eu tendance à croire que vous avez organisé une fête lorsque vous vous êtes rendu compte que j’étais partie. Je vois d’ici les banderoles et les petits fanions dans votre service, où, enfin, vous avez pu vous emparer de tous les patients que vous vouliez aux urgences, sans qu’une vieille mégère, comme vous me l’avez déjà dit, une harpie aussi, je m’en souviens aussi vous voyez – la misogynie à mon égard était un talent, n’est-ce pas ? – ne vienne vous hurler dessus parce que vous lui auriez volé ses patients ! » Elle se reprend d’un coup sec avant d’en dire davantage.
Elle a la respiration courte. Tout ce qu’elle avait dit était sorti de sa bouche avant même qu’elle ne s’en rende vraiment compte. Pour autant, elle ne le regrette pas. Eurion ne méritait sans doute pas qu’elle s’en prenne à lui de la sorte. Et ce n’était sans doute pas ainsi que leur rencontre inopinée aurait dû tourner. Elle aurait dû lui répondre froidement et s’en aller, retourner au Chemin de Traverse et rentrer chez elle par le premier portoloin, oublier le médecin. Oublier ce qui était un écho de son passé douloureux. Reprendre le chemin de la vie qu’elle avait choisi il y a trois ans.
Elle ne l’a pas fait.
Juliet, après plusieurs secondes de silence, détourne le regard. Elle ne s’énervait jamais. Jamais ainsi. Elle passe une main dans ses cheveux, nerveuse.
« Merde, je ne sais pas comment vous faites pour me faire sortir de mes gonds. » Elle s’interrompt. « Et en plus vous me faites jurer. Je ne jure jamais. »
Comme à l’époque, Juliet est piquée au vif. Ses joues s’empourprent, les traits de sa figure s’incisent comme des lames de couteau alors que son expression se durcit, l’œil vire à l’orage. La jeune femme ne fait peur à personne lorsqu’on la croise au détour d’une rue, et même en colère, elle n’en impose pas naturellement. Pour autant, il n’est pas avisé de s’essayer à la confronter aux confins de sa bonne pâte de personnalité.
De toute évidence, Eurion en a fait son sport national.
« Je vous demande pardon ? » claque-t-elle d’une voix sèche dont elle n’a pas l’habitude – ni elle, ni ses interlocuteurs. Sauf lui. Evidemment. Elle maintient le vouvoiement, parce que s’il a toujours insisté pour qu’il la tutoie au cœur de leurs échanges houleux, elle s’en est bien gardée, à la fois parce que ce n’était pas dans sa nature de faire preuve de familiarité avec qui elle n’avait aucun atome crochu – a fortiori quand ils ne s’entendent pas du tout – mais également parce qu’elle avait très vite compris que ça le rendait à moitié fou. Elle aussi pouvait faire preuve de fourberie quand elle était poussée dans ses retranchements. « En quoi cela vous regarde-t-il ? »
En quoi, oui ? En quoi, à l’époque, ses cornes et son divorce l’avaient concerné pour qu’il débarque dans la salle de repos avec sa mise en garde presque folle furieuse, et en quoi, désormais, sa disparition des couloirs de l’hôpital et de Londres dans sa généralité le concernait maintenant ? Il lui avait presque craché que cela faisait trois ans que c’était arrivé. Comme un reproche. Comme une blessure, à son âme, son ego, à quoi ?
Juliet ne sait pas ce qui la surprend au point de ne plus percevoir l’auberge et ses clients autour d’elle. Il n’y a plus qu’Eurion qui lui fait face et la domine d’une tête, ses yeux tempétueux et le ton acerbe de sa langue. Elle-même ne sent plus que ses entrailles qui bouillonnent.
Elle n’a jamais été ainsi. Elle n’a jamais ressenti aussi intensément des émotions aussi sourdes et brûlantes. Elle ne sait pas trop ce qu’elle ressent, d’ailleurs. Elle ne l’identifie pas. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle a envie de mordre. De le mordre. Pour qui se prenait-il ?!
Il y a alors un vrai déferlement. Comme si une digue avait cédé.
Juliet n’a jamais hurlé après la trahison de celui qu’elle avait considéré comme l’homme de sa vie. Elle ne s’était jamais mise en colère. A peine avait-elle pleuré. Au contraire, elle s’était sentie telle une coquille vide, un trou béant à la place de la poitrine, un abysse sans fond et froid. Elle avait assisté à sa lente chute, comme spectatrice d’elle-même, lors de son divorce, de son déménagement, de ses heures de travail dans lesquelles elle s’était jetée à corps perdu sans même s’en rendre compte. Elle avait croisé pendant des mois son reflet dans le miroir en se reconnaissant à peine, et elle se souvient n’en avoir rien eu à faire.
Quand elle était partie à Poudlard, il y avait comme une sensation de soulagement, mais rien de plus. Elle avait ensuite connu une douceur de vivre qui lui avait permis de reprendre contact avec elle-même.
Jamais elle ne s’était énervée.
Jamais.
Eurion a pourtant adouci son ton, mais elle n’entend plus que le bourdonnement dans ses oreilles.
« Je croyais que j’étais la personne la plus chiante qu’il vous ait été donné de connaître ? Une gamine arrogante, une vipère insupportable, une verrue purulente ou, votre préféré je crois, une sainte-nitouche mal-baisée ? » Elle en avait entendu des vertes et des pas mûres, et pas directement de lui. Parfois, c’était rapporté par ceux qui travaillaient avec Eurion et qui l’aurait entendu tenir des propos déplacés à son sujet. A cet instant, elle se fiche de savoir si tout cela était vraiment sorti de sa bouche, sauf les qualifications de « gamine » et de « vipère », puisqu’il les avait tenues directement devant elle. « J’ai plutôt eu tendance à croire que vous avez organisé une fête lorsque vous vous êtes rendu compte que j’étais partie. Je vois d’ici les banderoles et les petits fanions dans votre service, où, enfin, vous avez pu vous emparer de tous les patients que vous vouliez aux urgences, sans qu’une vieille mégère, comme vous me l’avez déjà dit, une harpie aussi, je m’en souviens aussi vous voyez – la misogynie à mon égard était un talent, n’est-ce pas ? – ne vienne vous hurler dessus parce que vous lui auriez volé ses patients ! » Elle se reprend d’un coup sec avant d’en dire davantage.
Elle a la respiration courte. Tout ce qu’elle avait dit était sorti de sa bouche avant même qu’elle ne s’en rende vraiment compte. Pour autant, elle ne le regrette pas. Eurion ne méritait sans doute pas qu’elle s’en prenne à lui de la sorte. Et ce n’était sans doute pas ainsi que leur rencontre inopinée aurait dû tourner. Elle aurait dû lui répondre froidement et s’en aller, retourner au Chemin de Traverse et rentrer chez elle par le premier portoloin, oublier le médecin. Oublier ce qui était un écho de son passé douloureux. Reprendre le chemin de la vie qu’elle avait choisi il y a trois ans.
Elle ne l’a pas fait.
Juliet, après plusieurs secondes de silence, détourne le regard. Elle ne s’énervait jamais. Jamais ainsi. Elle passe une main dans ses cheveux, nerveuse.
« Merde, je ne sais pas comment vous faites pour me faire sortir de mes gonds. » Elle s’interrompt. « Et en plus vous me faites jurer. Je ne jure jamais. »
@Eurion Cynfeirdd
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