A Cabin on the cliff - Sean @ Braxton

Absorbé par la contemplation de la photo mouvante, Braxton scruta ses anciens visages disparus et ne fut tiré que par un des instincts qu’on ne s’explique pas toujours. Tournant la tête vers celui dont le minois n’avait rien à voir avec le bébé gazouillant sur les photos, il s'aperçut du teint blême. Sean répondait, distant, puis décampa comme un lapin vers la cuisine. Braxton comprit que son fils rendait son dernier déjeuner dans l'évier. Le père acoura, laissant seuls les piles de photo au sol et fixa avec inquiétude le dos cambré de son fils au-dessus de la céramique.

Sean se tourna vers lui, ou plutôt vers le placard à photo, plus blanc qu’un linge. Pestant contre son sort d’amnésique, la façade que son fils essaya de tenir face à lui le mit plus mal à l’aise que l’évocation de cette défaite face à la magie.

“Vraiment ?” demanda Braxton. Il essaya aussi, de sourire à son fils, et y parvint, au moins aussi piètrement que lui.

C’est alors que l'œil de l’ex aurore repéra la trace de sang séché sous le nez de Sean. Une goutte carmin commença à rouler vers ses lèvres.

"Tu as…” Il lui fit comprendre d’un signe la présence du sang.

L’expression de Braxton fondit comme neige au soleil et l’air inquiet.

Ce n’était pas normal.

Il s’était rapproché davantage et observa mine de rien la forme et la couleur des pupilles de Sean. Guettant le moindre signe qui mènerait à embranchement d’hypothèses où son esprit perdrait.

“Est-ce que ça va…?” demanda-t-il, avec un ton qu’il tenait de sa femme. Il avait posé ses mains sur ses épaules, un pli inquiet plissé sur son front.  "Tu devrais t’asseoir…" recommanda-t-il à son fils, ne le perdant pas une seconde des yeux. Il attrapa un de ces torchons de cuisine jaunes poussins à fleurs bleues et le passin à Sean, sans se défaire de son air concerné.

“Je me demande si c’était une bonne idée…” souffla-t-il en prenant la température de son fils à son front, parlant à voix basse avant tout pour lui-même.  

Un doute, un soupçon surgit, Braxton fut soudain sincèrement incertain du sort jeté à son fils. Qu’avait-il fait ? Avait-il fait plus qu’oublietter son fils ce soir-là ? souffla une voix en son fort intérieur. Braxton fut livide à son tour.

"Pardon." s'excusa-t-il brutalement, comme s'il avait heurté son fils au détour de la cuisine, en dépit de leur deux corps immobiles.

Sean fut embarrassé de voir son père blêmir et s’inquiéter devant son état. Voilà bien la dernière chose qu’il avait souhaité. Braxton semblait remettre en question toute son initiative, jetant des coups d’œil craintif vers le placard à photo comme s’il ne recelait rien d’autre qu’un monstre capable d’avaler son fils. Quand il s’excusa, Sean perçut dans ses pupilles brunes un tel élan de désespoir qu’il en fut ébranlé.

Le pâle soleil d’été écossais répandait timidement ses rayons jusque dans la cuisine, s’invitant chez eux comme attiré par cette étrange atmosphère. Il illuminait son père d’un éclairage nouveau, réduisant à néant ce fossé que les années avaient pu créer entre eux. Braxton lui apparaissait ce matin d’une telle vulnérabilité qu’il en prenait son fils par surprise, le laissant pantois.

Sean comprenait que celui qu’il avait longtemps pris pour son père : un Langue-de-Plomb stoïque, peu loquace, imperméable aux sorts et épreuves de la vie n’était qu’une chimère qu’il avait sans doute en partie créée sur ses fantasmes de gamin. Voir aujourd’hui son visage aussi usé que les meubles patinés qui habillaient la pièce fut comme une révélation. La voix de Braxton tremblait légèrement quand il lui parlait, et l’ondulation qu’il créait finissait de détruire les vestiges du mur qui les séparait.

- C’est pas grave, reprit Sean avec un sourire cette fois-ci beaucoup plus naturel, alors qu’il osait poser lentement sa main sur l’épaule de son père pour le rassurer. Je cherchais à tout prix à me souvenir, mais, c’est pas grave – répéta-t-il.

Le jeune Clearwater suivit le regard de son père jusqu’au placard et aux photos éparpillées au sol. Quelques instants auparavant, il lui racontait des pans de sa jeunesse, des rêves réalisés, ou différés puis perdus ; des moments de silence qui dénotaient de la souffrance muette qui avaient fait de lui le sorcier qu’il était. Tout cela était extrêmement plus précieux que sa propre mémoire.

- Je veux bien que tu continues à me raconter… Oui, oui je m’assoie…

Acceptant la pression de son père, Sean pris place sur la chaise en bois à l’assise de paille pliée par le temps. Dans la vulnérabilité de Braxton, il avait trouvé un nouveau respect pour lui. Cette force de la nature qui avait résisté contre vents et tempêtes délaissant ses propres peurs et insécurités pour protéger sa famille à sa manière continuait à l’intimider et à l’impressionner. Et pourtant, il sentait au fond de lui un profond sentiment de connexion qu’aucun sort d’Oubliette n’aurait pu effacer. Braxton n’était pas seulement son père. Il était un être humain qui naviguait dans la complexité qui faisait sa vie – gardant toujours le cap, sans jamais se détourner de la lumière du phare.

Rempli d’un mélange de compassion et d’amour, Sean avait pris une décision. Cet été serait différent. Il aspirait à un lien plus profond avec son père. Le jeune sorcier passerait le mois avec lui, non pas comme un père et un fils, mais comme deux individus partageant un voyage – explorant leurs centres d’intérêt communs, entamant toutes ces conversations qu’ils avaient toujours remises à plus tard.

- Demain, après-demain, et les autres jours… Tu me raconteras tout, d’accord ?

Sean souriait à son père sans jamais lâcher son regard, alors que le soleil se réverbérait sur les tommettes du sol, éclairant la promesse d’un été de renouveau.