Requiem pour les Roses

« Il n'a pas survécu. Je suis désolée. »

Ana acquiesça, silencieuse. On avait confié à l'infirmière Prunille la difficile tâche de la surveillance. Ca n'était pas un cas habituel et l'anglais n'avait eu aucun mal à déceler l'angoisse derrière les traits de chérubin de l'infirmière. C'était comme si son image si charmante et lumineuse était elle aussi atteinte par la flétrissure.

Broadwick avait été admis deux jours après elle. Il avait été pris d'une quinte inquiétante. C'est tout ce qu'Oswin avait pu lui dire. Pour Ana, le diagnostic était presque évident, quand bien même elle n'avait aucune notion de médicomagie. Elle connaissait bien les plantes.

« J'aimerai... voir le corps si - »
« Non. Impossible. », l'infirmière avait coupé court, d'une voix blanche, un peu pincée. Elle s'excusa d'un sourire maladroit. Ca n'était pas une mauvaise personne. « Vos deux cas sont traités avec la plus grande prudence. Tant que nous ne saurons pas exactement... vous comprenez... »
« Je comprends. Mieux vaut ne prendre aucun risque, vous avez raison. »

A nouveau, un sourire emprunté en guise d'excuse. L'infirmière s'éclipsa, sans doute trop heureuse de quitter la pièce malgré son sens du devoir plus élevé que la moyenne.

Ana soupira. Dans la suite hospitalière où son nom l'avait isolée, elle trônait au fond de son lit comme une Ophélie suspendu entre la vie et la mort. L'éclat rose thé de son teint avait fané, lui laissant le visage blême et les traits tirés. Elle n'arrivait toujours pas à poser les yeux sur son bras droit. Elle n'avait pourtant pas hésité un instant. L'ordre était sorti de sa bouche, cinglant comme un fouet démoniaque. Coupez. Olenna avait eu comme une hésitation. Peut-être l'horreur et le désespoir dans les prunelles bleues de Miss Souvorov avait suffit à provoquer un électrochoc. Il s'en était fallu de rien. Un vulgaire sortilège de premier cycle. Sa main de baguette contre la vie sauve. Du fond de ce lit ridiculement luxueux pour l'hôpital de Ste Mangouste, Ana, amère, n'aurait encore su dire si ce choix avait été le meilleur. Elle ne se souvenait pas avoir souffert. Elle se rappelait juste cette conscience de l'autre dans son propre corps. L'idée de la contamination. Ce n'était qu'au moment de la perte que la douleur l'avait transcendée, au point de lui faire perdre connaissance.

A son réveil, quelques savants pontes de l'hôpital s'étaient penchés sur son cas. L'oeil sévère de Lady Grey les avaient rendu jacassiers et alors ils s'étaient répandus en dissertations médicales et théories de la terreur sur ses draps diaphanes. Etait-ce bien de la soie d'araignée tisse-rêve ? Il y avait quelque chose d'absurde à tout cela. Quelque chose qui l'avait fait se murer dans le silence tandis que sa mère veillait à ce qu'on s'occupe d'elle avant tout autre chose.  

Ana s'était prêté au jeu des examens et il y en aurait d'autres désormais. Elle avait répondu aux questions avec exactement le degré de précision attendu, sans apparemment s'émouvoir de grand chose.

Lilith avait disparu trop vite, persuadée de devoir exercer ce si désagréable pouvoir de persuasion dont elle avait le secret sur les pauvres âmes de cet hôpital. Alexandr et Andras étaient à l'étranger, prévenus de la situation et prêts à rentrer par le premier portoloin mais les atermoiements administratifs du Comité International des Sorciers leur faisait comme un fil à la patte.

Et maintenant, l'infirmière Prunille était partie elle aussi.

Un petit silence dans cette chaotique partition qui avait débuté en plein coeur de l'IDEM.


« Dr Popplewell ? Je voudrais vous parler du cas Broadwick
», chuchota l'infirmière Prunille, persuadée d'être discrète.

Ledit Popplewell se retourna, un sourcil sévèrement arqué sur le visage. Visiblement il ne s'attendait pas à ce qu'une petite infirmière sans grade ne vienne l'interroger, elle aussi, sur le cas de Lord Broadwick... ou ce qu'il en restait. Ici, à la banque d'accueil de l'hôpital.

Le visage de l'éminent médicomage s'empourpra. Sans doute trop plein de lui-même, il s'apprêtait à déborder quand...

MADE BY @ICE AND FIRE.

Le pas sinistre du corbeau résonnait dans le boyau qui s’enfonçait jusqu’aux Portes du Département des Mystères. Les journées avaient commencé à rallonger et bientôt, même lui n’en voyait plus la fin. Il lui semblait que chaque jour n’était qu’un enchevêtrement d’obstacles, de casse-têtes, et si cela lui plaisait pour la gymnastique intellectuelle, il commençait à étouffer. Il n’aurait su dire si les bâtons dans les roues des vieux briscards du département étaient le plus dur à supporter, mais ça n’aidait en rien ses affaires et quand bien même ils pensaient tous qu’il faisait ça pour gagner du galon, James ne le faisait jamais que pour s’occuper l’esprit.
Fuir Ana Souvorov était un plan infaillible, puisqu’on ne peut faire du mal à ce qu’on ne peut toucher après tout. Dans le cas de la jeune femme, ne pas la voir ne pouvait que le torturer, mais il s’y était habitué, à cette douleur du myocarde. Il l’avait dressé comme on dompte ses mauvais côtés, comme il avait fini par étouffer tranquillement ses humeurs, pour ne plus être que ce fonctionnaire grimaçant que @Fergus Clearwater ne manquait pas de venir ennuyer à l’occasion.

C’est en passant devant Carth Harker que James marqua une pause. Le petit nouveau lisait la dernière du Petit Chicaneur et on affichait sur la première page les images d’une intervention d’ampleur. Un accident. James tendit la main pour relever le plis du papier qui cachait le titre, et son visage se tordit un peu, dans une expression étrange qu’on ne lui connaissait pas.


Les yeux verts-bleus de James se levèrent pour regarder Carth qui n’eut pas besoin de réfléchir pour comprendre ce que l’ancien serpentard voulait. Harker souleva les épaules, nonchalant.

« T’es pas au courant ? Y a eu un problème dans le labo’ de recherche botanique de l’IDEM. J’crois que c’est Jabber qu’a été dépêché là-bas. » Carth tendit finalement le journal à Grey : « Les contaminés ont été envoyé à Sainte-Mangouste. »

James attrapa, un peu trop fébrile pour être lui-même, le journal qu’il plia en deux pour mieux lire l’article. On put voir nettement les rares couleurs être chassés de son visage.


« Non, je suis désolée, vous ne pouvez pas, vous n’avez pas l’autorisation. Dr Popplewell n’accepte aucune visite, le temps de finaliser les examens de Miss Souvorov. »

James frappa un grand coup sur le comptoir, faisant exploser de par l’instabilité de sa magie les deux vases qui le décoraient, ce qui fit sursauter la pauvre petite dame de l’accueil. Ses mains serrés sur sa baguette, son regard avait un quelque chose d’un peu fou, et il dut faire une pause de quelques secondes pour respirer profondément et chasser le serpent dévorant son cœur à pleine bouche.

Ce n’est pas ce qu’elle voudrait, lui soufflait sa conscience.
Mais elle est toute seule, continuait le serpent.

James desserra doucement ses mains, retirant sa main du rebord de bois, avant d’inspirer profondément.

« Excusez-moi, je… je me suis emporté » articula difficilement James, réparant au passage les deux vases. Derrière lui, la sécurité venait tout juste d’arriver, ce qui fit penser au Grey qu’elle n’était pas extrêmement efficace. S’il l’avait vraiment voulu, combien aurait-il pu tuer avant qu’elle n’arrive ? La pensée fugace fut chassée. Il lui fallait quelque chose et il allait revenir avec.


Jabber n’avait pas été très aimable, mais James avait réussi à se montrer convainquant – et diplomate. Ça allait  lui valoir quelques journées de planque pour le compte de Jabber, mais dans la vie, on ne pouvait pas tout avoir : une autorisation du Ministère et ses soirées, les deux ensemble étaient antinomiques, même.

Arrivé à l’accueil, il n’avait pas manqué de brandir le document qu’il n’avait pas la veille. A cela ils ne pourraient rien, même si tout le monde dans cette pièce savait la véritable nature de ce papier. C’était pour ce genre de chose que le département des Mystères était mal vu sans doute, pour ces passe-droits qu’ils s’octroyaient quand ils le voulaient, pour cette liberté liberticide qu’ils possédaient afin de s’assurer du bien commun.

Ce n’était pas le bien commun qu’il était venu voir, mais bien sa cousine. Le reste du monde pouvait bien brûler si cela pouvait permettre à Ana d’être toujours, d’être heureuse – d’être toujours heureuse.

Tel un corbeau traînant sa mauvaise carcasse, James passa dans les couloirs, brandissant à quiconque lui demandait son petit papier tout frais et signé. Il se mit seulement à ralentir en surprenant une infirmière venant de sortir de ce qui s’apparentait à une chambre sous haute sécurité (à en juger par le nombre incalculable de sortilèges de protection à l’extérieur).

Il eut une grimace en entendant le nom de Broadwick, non sans se rappeler de la conversation qu’il avait eu avec Ana quelques mois auparavant. Son regard changea, et pendant quelques instants, il se demanda s’il ne devait pas d’abord se renseigner – et mener l’enquête que Jabber prenait avec beaucoup de hauteur – ou s’il devait absolument voir Ana, si c’était vraiment aussi grave que ç’en avait l’air de l’extérieur.

Arrivé assez proche, James sortit le mandat d’enquête estampillé par le Département des Mystères avant même qu’on ne lui demande, et continua :
« James Grey, agent du Ministère. J’ai repris le dossier il y a à peine quelques heures. Est-ce qu’il est possible d’interroger les individus ? Broadwick ? »

Broadwick.
James ignorait qu’il était mort, mais il valait presque mieux pour tout le monde qu’il le soit.

tw : mort, parasite végétal, description "graphique"

Anthony Popplewell n'était pas le genre à se laisser distraire ou intimider. C'était un homme, grand de stature, qui aimait à entretenir une impeccable moustache morse et s'enorgueillissait tout autant de l'expertise avec laquelle il traitait chaque cas. On ne devenait pas chef de service en faisant des ronds de jambes. Mais il fallait bien admettre que les patients envoyés par l'IDEM le poussait à dépasser les limites de sa connaissance, principalement parce qu'on ignorait tout de l'origine exacte du mal. Miss Souvorov avait été une source d'informations précieuses à plus d'un titre mais il fallait se rendre à l'évidence, à défaut d'une étude poussée, on ne pouvait avancer qu'à tâtons sur le cas de ce parasite...

Alors évidemment, se voir agiter sous le nez l'autorisation estampillée Département des Mystères ? Il n'en fallait pas plus pour irriter le medicomage. Que dire de l'allure du gratte-papier qui portait sur sa figure toute la suffisance de son soit disant sang pur. Curieusement, la ressemblance avec sa jeune patiente estropiée le poussa tout de même à le lire - au moins en travers - ce bout de papier.

« James Grey ? Vous me prenez pour un veau-de-lune de deux jours ? », pouffa-t-il. Au moins la mère de la patiente avait eu la transparence d'essayer de le menacer pour obtenir un laisser passer. Elle n'avait rien obtenu de plus que ce que le protocole de vigilance autorisait mais il fallait dire qu'à côté de ça, elle s'était faite la maîtresse toute catégorie pour obtenir des traitements de faveur pour sa fille. Il pouvait comprendre et puis, ça n'entravait en rien son travail de médecin. « Vous êtes qui ? Un demi-frère ? Un cousin ? Peu importe. Il va vous falloir un peu plus qu'un petit coup de tampon si vous souhaitez vraiment vous entretenir avec Lord Broadwick... »

Irrité mais joueur, le médicomage ouvrit la marche sans invitation. Ils prirent le premier ascenseur runique sur la droite puis descendirent, semblait-il à n'en plus finir, jusqu'à une aile étonnamment silencieuse de l'hôpital. Là, le médicomage tira de sa poche un petit carnet de secours qu'il se mit à feuilleter. Arrivé à la page recherché, il en extirpa une sorte de touffe algoïde violacée qui agitait ses tentacules en signe de protestation. Puis, sans autre forme de procès, il jugea bon de la projeter d'un coup de baguette au visage de son agaçant visiteur.

Aussitôt, l'algue enlaça le visage du jeune homme de ses tentacules collants et râpeux pour venir se fixer totalement sur son nez et sa bouche, promettant un étouffement des plus efficaces. Mais contre toutes attentes, après quelques secondes, on pouvait entendre la respiration de James Grey à travers cet étrange dispositif, en un long râle sifflant.

Dissimulant son hilarité, le bon docteur Popplewell se para du même accessoire avant de pousser la porte d'une petite pièce sans fenêtre.

« Lord Broadwick n'a pas survécu à ses mésaventures, je le crains. J'ose espéré que vous êtes au fait que la nécromancie ne fait pas partie des procédures autorisées, quel que soit le cachet. »

Pour autant, soucieux d'aller au fond des choses, il invita le jeune homme à entrer à sa suite, éclairant la pièce d'un coup de baguette adroit. Sur une table, placée au centre de la pièce, une silhouette aux contours indistincts. Noircie de part en part, comme calcinée. Il suffisait d'approcher pour s'apercevoir que ce n'était pas le résultat du feu mais plutôt d'une forme d'étrange pourriture grise et acide qui avait recouvert ou plutôt rongé tout le corps pour ne laisser qu'un amas de feutrage noirâtre et bourgeonnant.

On distinguait encore l'ossature par endroit. La mâchoire dressée dans un sourire ridicule au milieu de tout cela. Quelques objets de valeur, très certainement en or, dont le poids faisait justement s'émietter une phalange juste sous leur nez.

« Contamination aéroportée. Le patient a - d'après son propre rapport - été atteint par un jet de spores défensives en pleine figure. Mais il a tout de même fallu quatre jours pour que les premiers symptômes de décomposition ne se déclarent. Ensuite, ça a été la Bérézina. J'ai une quinzaine de suspects tout droit sortis de l'IDEM en quarantaine là-haut qui ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés. Quarante ans de carrière, je n'ai jamais été à ce point dans l'impasse. On ne sait même pas à quoi on s'expose pour tout vous dire. »

Finalement, le professionnalisme avait pris le pas sur les indélicatesses au protocole. Le Dr Popplewell obersait pour la cent millième fois la dépouille dévorée par cette attaque cryptomagique hors du commun. Il avait suffi de quelques heures. Quelques heures où tout le service s'était épuiser à brasser de l'air tandis que ce parasite dévoreur de chair se chargeait du cas de Broadwick. Une sale affaire...

MADE BY @ICE AND FIRE.

Un sourire narquois se dessina sur le visage pâle de James Grey. Le prendre pour un imbécile, sans doute pas, mais l’administratif avait ça de bien que cela lui donnait certains droits – certains privilèges. C’était bien la première fois qu’il faisait preuve d’à ce point de népotisme, alors il se le pardonnerait bien.
« Un cousin » répondit avec un sourire en demi-teinte le jeune homme, comprenant que le Dr Popplewell ne pouvait pas aller outre la décision du Ministère mais que cela ne lui plaisait pas pour autant. Aurait-ce était mieux avec Jabber ?

James leva un sourcil interrogateur quand le médecin parla de Broadwick. Qu’est-ce qu’il devait en déduire ? Qu’il en avait perdu sa langue et tous ses beaux mots ? Ça lui apprendra à se pavaner comme un paon, tiens, pensa le Grey, alors qu’il se mit à talonner le médecin, le suivant comme s’il avait pu être son ombre. Il s’arrêta aussi sec, jetant un regard à Popplewell qui s’amusait à asticoter ce qui ressemblait – aux yeux du langue-de-plomb – à un… poulpe gélatineux ? Curieux choix de compagnon, mais qui était-il pour juger ? Un silence passa, où James releva les yeux sur le médicomage, sans se douter une seule seconde de ce qui allait suivre.
Il eut bien sûr un geste de recul et sa main se leva, dans une moue écœurée par la chose, mais ce fut trop tard et déjà l’algue violette enroulait ses tentacules autour de son visage comme pour y déposer un baiser. Outre le fait que la chose était divinement écœurante, l’intrusion de la chose sur sa peau tira à James une nausée affreuse. Il ne mit pas longtemps à comprendre l’étrange stratagème et s’il aurait préféré que Popplewell ne lui explique le process en amont, il ne pouvait pas vraiment lui en tenir compte.
Lui-même s’était invité, avec son petit papier. C’était tout ce qu’on récoltait à venir ici, et soudainement, James comprenait Jabber qui évitait soigneusement de venir ici. Lui avait des gosses, ce que Grey n’avait pas – encore.

Popplewell fit la même, avec moins de drame. James ne put résister à faire de nouveau la même mine dégoûtée, car si ce qui se passait sur le visage du médecin était ce qui était sur le sien… Il détourna le regard, un instant, se demandant ce qu’il y avait de drôle en lui, à ce point d’être écœuré qu’on lui touche le visage – et la bouche surtout – alors qu’il enfonçait ses mains, parfois jusqu’à ses avant-bras, dans des cadavres encore chauds pour en récupérer des objets plus insolites les uns que les autres.
Etait-ce là la limite de ce qu’il pouvait endurer ou juste la conséquence d’un souhait chaste et pur qu’il aurait fait jadis et auquel il se serait tenu pieusement ? La pensée le quitta alors que Popplewell reprenait.

A la mention de nécromancie, James ne pipa mot. Son regard glissa vers la salle dans laquelle ils entraient tous les deux comme un seul homme.

Broadwick était donc mort.

La vision du cadavre étendue, sale et abîmé, ne lui plut pas autant qu’il l’aurait cru. James comprit que ce sentiment un peu amer ne venait ni de sa mort, ni de ce qu’il avait fait à Ana, mais bien du fait qu’il n’avait pas pu participer activement à son calvaire. Il en ressentait une sorte d’impuissance âcre, de frustration étrange. Son regard passa sur chaque cavité, chaque creux causé par ce qui avait dû rongé ou enfoncé sa chair.

Broadwick était mort.
Avait-il protégé Ana dans son dernier soupir ?
Au moins aurait-il été utile à ça.

Et si Ana était abîmée ?
Un frisson désagréable remonta l’échine de James, dans un sentiment d’urgence implacable, presque suffoquant. Il sentit une sueur froide lui chatouilla les reins alors que Popplewell reprenait d’un ton scientifique et pragmatique. Un professionnalisme à toute épreuve, sans doute.

Cela piqua la curiosité du Grey, dont l’esprit mit de côté un petit instant Ana, la douce Ana. Il n’avait rien dit quand il lui avait dit qu’il était son cousin. Popplewell ne serait pas passé à côté, pas vrai ?

Le langue-de-plomb observa calmement le cadavre, dont il ne reconnaissait aucun trait, seulement ce qui avait été jadis une enveloppe.

« On dirait une chrysalide », posa simplement James en regardant de plus près l’étrange position de l’homme, ses os éclatés, ses chairs bourgeonnantes.

Il repensa aux mots d’Ana, à sa longue dissertation sur ce qui devait être son grand moment, sa grande découverte. Une plante qui prend la forme d’un cerf blanc, comme dans les légendes. Et si c’était une plante ? Mais elle se comporte comme un animal. Elle en a la forme, et elle…

James fronça doucement les sourcils.

Contamination aéroportée.

« Et s’il s’agissait d’une façon pour lui de se reproduire ? Certaines fleurs ont la forme de papillon ou sécrètent une odeur particulière, de sucre ou de miel, dans le seul but de pouvoir se reproduire. Ana m’a parlé de cette fleur-cerf si particulière. Ce cerf blanc, on le retrouve beaucoup dans la littérature… Et si.. Et si son but était d’attirer des hommes ou des femmes assez proches de lui pour pouvoir seulement se reproduire ? »

James eut un moment d’arrêt, avant de finalement secouer la tête.

« Non… C’est assez pessimiste comme vision des choses. Peut-être n’a-t-elle simplement pas apprécié la brusquerie de ce Monsieur Broadwick qui ne sait pas s’entendre dire non. Le Département des Mystères prendra probablement des échantillons pour faire analyser tout ça. »

Son regard passa une nouvelle fois sur l’entièreté du cadavre. James eut un moment de silence, avant de froncer les sourcils en réalisant que si Broadwick était dans les environs, alors... Il jeta un regard à Popplewell.

« Est-ce que Miss Souvorov va bien ? »

tw : mort, parasite végétal, description "graphique"

« Du moment que vous ne m'envoyez pas votre équipe après, je m'en lave les mains. Enfin, il y aura sûrement des autorisations et protocoles si vous souhaitez sortir quoique ce soit de cette pièce. Je vous laisse volontiers la paperasse. »

Il en aurait bien assez à faire de son côté pour documenter tout cela et encore, s'il entre temps il trouvait le moyen d'éviter aux autres le sort de Broadwick, il n'aurait pas complètement perdu son temps. Il devait tout de même reconnaître qu'il avait rarement l'occasion d'être à ce point sorti de sa zone de confort. Quelque part c'était très stimulant pour quelqu'un de son pedigree.

« A mon avis c'est plus complexe que ça. Dans le cas de Broadwick j'écarterai l'hypothèse de la reproduction. D'après Miss Souvorov, nous avons plutôt affaire à une forme de parasite végétal complexe, comme un lichen ou un champignon pour faire simple. Le rapport de Broadwick et le cas de votre cousine laissent supputer une capacité de colonisation par contact physique direct. Ici je crois que c'était plutôt une réponse défensive très... agressive. »

A cet instant précis, il se passa quelque chose sur le visage de l'agent du Ministère que même l'algue filtrante ne pouvait masquer. Popplewell tiqua sans mot dire derrière sa moustache morse.

C'était bien là le plus difficile finalement. Prendre en charge les dommages collatéraux. Ceux qui n'étaient pas en danger de mort immédiat mais dont l'inquiétude galopante rôdait sournoisement, attendant le moindre doute, le moindre faux pas. Qu'aurait-il pu dire de rassurant à ce stade ? Sans doute rien.

« C'est une question à laquelle je ne saurais répondre pour l'instant. », il pinça les lèvres sérieusement, les bras croisés derrière son dos, tout en revenant sur leurs pas, signe qu'il n'y avait à son sens plus rien à voir ici, « Nous la surveillons de près, particulièrement parce qu'aucun des autres n'a été exposé au contact direct. Ses constantes sont stables mais sous sortilège de Loture, donc difficile à ce stade d'en tirer des conclusions, d'autant que les deux tentatives de reconstruire un membre sain ont échoué. C'est le genre de choses qui n'encourage guère à garder le moral. Pas plus que l'isolement d'ailleurs. »

Tout à coup, il s'interrompit, reportant son attention longuement sur le visage de James Grey en même temps qu'il le libérait de l’auxiliaire de filtration aux tentacules râpeux. Un bref instant, un vilain doute le pris, mais il balaya l'idée ridicule que ce James Grey ne fut pas déjà au courant par le menu de ce qu'il était arrivé à sa cousine. Ce devait forcément être dans les minutes du rapport du premier langue de plomb.

MADE BY @ICE AND FIRE.

James pencha la tête, écoutant avec une attention presque servile le docteur Popplewell. Ses yeux ne se décrochaient pas de la carcasse, assimilant petit à petit la chose. Les mots auraient dû lui tirer des frissons désagréables, mais l’esprit de James réussissait sans grande peine à compartimenter les informations. Ils alimentaient ses hypothèses et il les analysait comme s’il n’en résultait pas la mort d’un homme. Ses bras se croisèrent finalement, alors qu’à l’idée que cette réaction agressive ait pu amoché Ana le traversait.
Il réalisait que dans la précipitation, il n’avait pas même pris le temps de lire le rapport de Jabber, imaginant sans mal qu’il avait noté tout ce qui l’avait intéressé mais qu’il devrait gratter pour avoir un peu plus de matière, notamment sur les témoins.

Contamination aéroportée.
Colonisation par contact physique direct.
Réponse défensive très agressive.

Dans sa poitrine, James sentit son propre coeur se serrer, comprenant avec une lenteur certaine qu’Ana Souvorov n’était pas seulement une témoin du drame. Elle était peut-être, à ce moment-là, le drame même de sa vie. Tentant de ne pas écouter la frustration ou l’anxiété grimpante, James suivit le docteur Popplewell jusqu’à l’extérieur de la morgue condamnée.

...deux tentatives de reconstruire un membre sain ont échoué...

James Grey resta de marbre, comme il avait appris à si bien le faire, à être si dur, si guindé dans son petit costume taillé sur mesure de mains de fées. Son visage, pourtant, marquait une fissure, un petit tressautement du sourcil droit. Même s’il ne le voulait pas, son air affichait qu’il ne savait rien de tout ça, qu’il ne l’avait pas lu, mais il gardait cette drôle de posture, comme si tout lui coulait dessus et qu’il devait analyser s’il était bon de se fâcher - contre la vie, ici, contre le destin cruel - ou non.

« Je vois. Rien d’encourageant. »
Répéter faisait presque partie de sa catharsis, une façon de s’approprier qu’il n’y aurait peut-être plus jamais d’Ana toute entière, mais une Ana rabotée d’un petit membre sain. Est-ce qu’une Ana rabotée serait bien moins aimable ? L’idée ne le traversa pas une seule seconde. Au lieu de ça, d’un empressement tangible, la voix sifflotant du serpent poursuivit :
« J’aimerais la voir. Je sais que c’est dangereux, mais elle doit mourir d’ennui. »
Et moi, je mourrais de ne pas la voir.
« Je promet de me plier servilement à tout ce qu’il faut de vos processus pour éviter la contamination, j’ai l’habitude avec tout ce que l’on a de dangereux dans mon département, je veux -- non, je dois au moins lui remonter le moral, si on ne veut pas qu’elle abandonne. »
Ou qu’elle l’abandonne, lui ?

Il aurait pu plaidé sa cause pendant des heures entières, Popplewell l’aurait entendu jusqu’à ne plus pouvoir discerner la réalité de l’illusion, jusqu’à l’entendre lui demander « je veux la voir » même quand James aurait gardé les lèvres fermées.

Au lieu de ça, ses pas le menèrent jusqu’à devant la chambre où l’infirmière Prunille le guettait d’un œil circonspect, se demandant sans doute pourquoi on entrait dans cette chambre quand elle-même ne le faisait que pour rendre honneur à son uniforme et à son serment. On l’enveloppa, bien comme il faut, comme un colis incroyablement fragile, et puis James entra, non sans une certaine fébrilité dans les doigts.

Il eut un temps, et puis quand finalement il passa la tête au travers du cadre de la porte, il la remarqua presque aussitôt là, assise dans son grand lit blanc, le teint aussi pâle ou presque que la couleur des draps.

La porte se referma derrière lui, en lui annonçant qu’il n’avait que vingt minutes devant lui.

Vingt, c’était trop peu.
Vingt, c’est ce qu’il lui aurait fallu pour la sauver s’il avait été là.

Du coin de la pièce, James la fixa quelques secondes, les bras un peu mous, la volonté à genoux. Ses yeux ne virent pas tout de suite le bandage et ce membre sain manquant, au lieu de ça il vit d’abord Ana Souvorov, fatiguée et la mine hasardeuse. Il sentit l’envie furieuse de la prendre dans ses bras et de lui dire tout ce qu’il lui avait toujours dit et qu’elle avait toujours refusé d’entendre, mais il se sentit bête et immature de penser que c’était l’endroit et le moment.

Au lieu de ça, ses yeux glissèrent lentement sur son torse, où il vit que la respiration de Miss Souvorov était aussi lente et douloureuse que la sienne. Plus loin, il comprit que le pansement ne dissimulait que du vide et qu’elle y avait laissé plus qu’il avait bien voulu le croire, ou l’espérer. S’il aurait dû se dire que c’était bien triste puisque c’était sur sa baguette qu’elle faisait une croix, son esprit le premier se fit seulement la réflexion peinée qu’elle avait été si belle à tenir cette mandragore-enfant contre son sein avec cette main délicate, et que c’était elle qu’on avait arraché.

C’était l’enfant, la baguette, la main, qu’on avait arraché.

Avec une lenteur extrême, James avança puis s’arrêta, le visage mortifié. On aurait pu croire que c’était de la découvrir amoindrie, vulnérable ou encore et surtout désormais handicapée par cette blessure, mais au lieu de ça, ses premiers mots furent :

« Je suis tellement désolé. »

Ses poings se serrèrent, puisqu’il savait qu’on lui avait interdit de l’approcher plus que de raison, et encore plus de la toucher d’une quelconque façon, mais c’était bien tout ce qu’il avait envie de faire - d’avaler d’une seule et grande enjambée la distance entre lui et elle et de la serrer contre lui, jusqu’à la faire disparaître sous ses ailes, dans un endroit sombre certes mais où jamais rien ne la blesserait.

« Je suis tellement désolé Ana, », reprit-il une seconde fois, la voix chevrotante et rageuse à la fois, « si j’avais été là, il... tu... »

Broadwick -- pensa-t-il, sentant son coeur s’emballait dans sa poitrine.
Fallait-il qu’il le relève sous la forme d’un vilain inferi pour sentir seulement le plaisir de saccager son corps ?

Non.
Il cherchait seulement des responsables.

Ses épaules tombèrent plus bas encore, se rendant soudainement compte qu’au final, le seul imbécile ici c’était bien lui. Lui qui proclamait et ne vivait bientôt plus que pour l’aimer et qui, après tout, n’avait pas été là quand elle avait eu le plus besoin de lui.

tw : mort, parasite végétal, description "graphique"

Il n'avait guère fallu pour obtenir l'aval de Popplewell. Peut-être un trémolo de l'âme avait-il sonné à son oreille comme le signe qu'il ne lui coûtait pas grand chose d'accéder à cette requête, venant d'un agent du Ministère, quant bien même elle tintait plus comme une faveur à titre personnel que comme un effet corolaire de la mission d'enquête du jeune homme. Il le laissa pourtant dérouler le fil de sa supplique - car au choix des mots, on ne pouvait guère appeler cela autrement - avant de répondre :

« Mourir d'ennui ? Mh je pense que vous connaissez votre cousine mieux que moi... »

Un curieux animal que cette Mademoiselle Souvrorov. Quant on parvenait à faire abstraction de sa mère et de la kyrielle de privilèges qu'elle avait obtenue pour sa fille, il fallait dire qu'elle avait quelque chose de presque sympathique. Sa seule demande à elle avait été qu'on lui mette à disposition un calepin et une plume à papotte puisque, d'une part elle avait une écriture en main gauche parfaitement épouvantable selon ses propres dires, d'autre part, si elle escomptait faire voyager ses petits papiers, il n'était pas question qu'elle y touche. A vrai dire, elle avait volontiers partagé ses réflexions avec le reste de l'équipe de Popplewell, tous spécialisés dans les plantes magiques. Si ça n'avait pas fait des miracles, elle avait malgré tout contribué à sa petite mesure à ce qu'aucun autre patient ne trouve l'horrible mort qui avait dévoré Broadwick. Pour l'instant. Ana Souvorov n'était pas le genre de femme pour lequel on pouvait réellement se prendre d'affection. Elle avait cette éducation de la vieille noblesse anglaise qui la rendrait par trop inaccessible, sans doute malgré elle, et il fallait dire qu'en sa position actuelle, elle ne faisait probablement rien pour nouer des amitiés.

« Moi je la trouve plutôt... agitée à vrai dire pour quelqu'un qui devrait être au repos constant. Si vous trouvez le mot juste pour faire passer cette idée, vous aurez toute ma gratitude. En plus de lui remonter le moral, ça va sans dire. »


Au bruit de son pas, son coeur se serra. S'il y avait une personne qu'elle s'était attendue à voir et dont elle n'osait soutenir le regard, c'était bien James Grey. Non qu'elle eut craint un quelconque ascendant de sa part. Elle avait depuis longtemps compris la réciprocité de ce genre d'effets entre eux. Mais elle redoutait son regard. Y lire de la pitié, un vague remous d'horreur sur son visage impassible... c'eut été trop à ce moment-là.  Ses fines lèvres livides se pressèrent l'une contre l'autre. Sa gorge se serra. Le regard obstinément porté à l'oblique, fuyant mais fier. Tout à coup, comme il l'observait de l'autre bout de la pièce, elle se sentait complètement envahie par cette absence encore trop peu familière. Envahie par le deuil encore tout frais de son membre sacrifié à sa survie. Il fit quelques pas vers elle et, juste comme il suspendait, elle releva vers lui ses prunelles bleues qui, fichées dans ce visage émaciée et gris, semblaient seules porter l'étincelle piquante de la vie. Une petite flamme froide et orgueilleuse, pâle ombre de ce qu'était Ana Souvorov.

Ses mots la cueillirent dans son lit d'hôpital. Elle cilla, rattrapant avec l'élégance de son rang un petit sanglot dans sa voix. Une note en bémol, teintée de regrets autant que de soulagement.

« Moi je suis heureuse que tu ne l'aies pas été... », répondit-elle d'une voix blanche.

Projeter l'horreur d'une telle situation lui faisait presque oublier la sienne. Elle était heureuse en effet, la plus heureuse du monde, que James Grey n'ait pas été là ce jour-là, car assurément, il aurait été dans la compagnie de Lord Broadwick et à n'en point douter, dans le même état que lui aujourd'hui. Elle ne pouvait donc que plier et reconnaître qu'elle n'avait pas à pleurer cette perte-là.

« Ne sois pas désolé, je t'en prie. », commanda-t-elle d'un ton un peu plus péremptoire qu'elle ne l'aurait vraiment voulu. C'était qu'elle ne pouvait pas le laisser s'abîmer dans les regrets.

Ses iris bleus le caressaient d'un regard doux malgré l'épuisement. Elle avait sans doute eu tord de tirer sur la corde mais il lui semblait que rien ne devait échapper à la plume, tant que les souvenirs étaient encore frais, tant que les idées étaient encore lucides. Mais en sa présence à lui, il n'y avait jamais rien de lucide et tout ce dont elle avait envie s'était de se laisser aller contre son épaule et de pleurer.

Elle n'en ferait rien.

Lui non plus.

MADE BY @ICE AND FIRE.

Ana, si froide, si impérieuse, réduite dans son grand lit blanc d’hôpital. La vision était horrifique pour James. S’il n’avait jamais frôlé la possibilité que ce fusse un de ses épouvantards, peut-être venait-il de le transformer à son insu. Il baissa finalement les yeux, non pas parce qu’il la trouvait moins attrayante ou pour dissimuler une quelconque pitié, mais pour se rendre compte de la profondeur de son chagrin. Ses doigts blanchirent, se faisant la réflexion que s’il venait la prendre dans ses bras, les médecins finiraient bien vite par le réprimander et qu’il ne pourrait plus venir la voir.

Au lieu de ça, il releva le visage vers elle avec un étrange sourire forcé, maigre sur ses lippes claires. Si le docteur Popplewell avait raison, c’était peut-être ses derniers instants avec elle. C’était peut-être la dernière fois qu’il la voyait, et si elle devait le contaminer à son tour, en avait-il vraiment quelque chose à faire puisqu’il n’avait jamais vu sa propre existence que dans le prisme de la sienne ?

N’importe qui aurait été effrayé de ses propres pensées, mais James s’y complaisait. Il y trouvait tout ce que son âme romantique pouvait offrir ; un peu de rondeur et une tendresse inattendue.

« Tu as raison, si j’avais été là, je ne serais plus, mais j’aurai aimé mourir pour toi. »

Un sourire simple passa sur le visage du Grey, qui ne se défaisait pas de cette aura sinistre et à la fois si séduisante. Il glissa un œil jusqu’à la porte, dont il se doutait à la manière dont elle se fermait que si l’intérieur était espionné, aucun son n’en sortait, privilégiant le secret et épargnant le voisinage des cris potentiels que l’on avait à cet étage.

« Je n’ai pas plus de vingt minutes d’après le docteur Popplewell. Je doute qu’il m’en laisse une de plus. Mais je reviendrais, aussi souvent que je le peux. » Il n’avait guère de temps dans son agenda mais il s’en ferait, même s’il devait pour ça prendre sur ses rares heures de sommeil. « Je reviendrais jusqu’à que tu sortes, si tu me le permets. Je pourrais te faire la lecture, ou simplement t’écouter, si tu veux me parler. Le docteur Popplewell dit qu’il faut que tu te reposes, alors pas d’agitation jusqu’à que tu ne sois rentrée à la maison. »

Parce qu’il ne pouvait en être autrement.
Ana Souvorov retournerait dans le nid, comme tous les Grey amochés par la vie, et s’il lui fallait un valet toute sa vie pour enfiler sa cape, il lui laisserait volontiers faire usage de ses mains comme elle le désire, pour tout ce qu’elle désire.

Quand les vingt minutes furent passées, James sortit avec un tiraillement au niveau du cœur qu'il étouffa avec un peu de mal, avec beaucoup d'espoir.

tw : mort, parasite végétal, description "graphique"

Il n'y avait sans doute rien de plus romantique que cette idée de mourir pour elle. La phrase lui fit l'effet d'une caresse à l'âme quand bien même elle était d'une infinie tristesse. Etait là tout ce qu'ils ne pourraient jamais se donner ? De la tristesse. Elle se rappelait aussi de la passion, ce feu dévorant qu'elle avait systématiquement fui ou douché de ses orages. Il l'avait bien fallu mais le faudrait-il toujours ? Et si tout prenait fin dans l'instant, fallait-il l'emporter avec elle ? Non, certainement pas.

« Et quelle punition s'eut été pour moi de continuer de vivre pour le constater... »

Elle n'employait pas ce mot - punition - au hasard. Ils se connaissaient trop bien pour qu'il n'y voit pas là une forme de mea culpa. Combien de fois l'avait-elle blessé à mort pour mieux préserver un semblant d'apparence ? Elle ne pouvait le nier.

Sans attendre, il lui contait ce qu'il ferait ensemble dans sa prison aseptisée et ça la lui rendait plus belle. Il suffisait de poser ses yeux sur lui, d'entendre le son de sa voix à son oreille, même dénué de mot, et son esprit s'emplissait de cette présence jumelle, douce, aimante et pudique. Elle oubliait le reste. Elle oubliait Popplewell et ses mesures de surveillance intolérantes. Le lui laisserait-il pour autant de fois qu'il le voudrait bien ? Mieux valait ne pas trop y penser, de peur de défaire ce petit quelque chose qui s'animait en James Grey quand déjà en pensée, il la portait sur ses épaules jusqu'à la liberté.

Elle ne dit rien, écoutant un doux sourire aux lèvres et finalement, sans s'en rendre compte, elle s'endormit.

MADE BY @ICE AND FIRE.