Old Venom

Le conseil d’administration était exceptionnellement réuni, et si Brynn en avait déjà entendu parler, elle ne se serait jamais attendue à se retrouver là, sur le banc des accusés, les lèvres parfaitement serrées l’une contre l’autre, avec cette sensation nauséeuse. Comme si tout son être s’échappait d’elle. Pourquoi était-elle ici d’abord ? Sa mémoire s’emmêlait les pinceaux et elle sentait la griffe froide de la vieille Oiche le long de sa colonne, lui rappelant toujours avec plus d’horreur sa présence à l’intérieur.
Pourquoi était-elle ici ? La question lui revenait, alors qu’elle baissait légèrement la tête, distraite un instant. Sa main était vide, mais Brynn se rappelait de la sensation qu’avait été de serrer la tête de ce pinçon-lion céruléen entre ses doigts. Si forts. Si longtemps. Elle avait bien entendu  @Siobhán G. K. Almadovar  derrière elle lui hurlait d’arrêter, ou encore le regard de cette pauvre Eira Konstantine, mais même à plusieurs, ils n’avaient su la déloger.

Le craquement de l'os avait indiqué qu'elle avait réussi son méfait, de la même façon que le sang avait fini par dégouliner sur ses doigts. L'oiseau avait été vulnérable, trop petit pour se défendre, et quand enfin elle avait daigné relâcher sa prise, malmenée par ses camarades, la créature était étendue morte sur le sol, les griffes de la Gwent rougis et tâchés d'un mélange gras et poisseux.

Elle avait alors cligné des yeux, sentit une sueur froide lui glissait le long du dos et quand enfin elle avait repris ses esprits, il n’y avait eu que le regard dégoûté de ses camarades, quelques pleurs en fond et enfin, le regard intransigeant du professeur. @Luke Korrigan était arrivé dans la minute, averti par l’attroupement spectaculaire autour de l’enclos. Tout le monde avait vu Brynn Gwent, défenseuse des animaux, mettre à mort le jeune oiseau entre ses doigts, jusqu’à que son crâne n’explose. La scène était odieuse, le crime insupportable, et l’odeur du sang pourtant lui avait soudainement paru… agréable.

« Mademoiselle Gwent ! »

Brynn releva les yeux, l’air un peu hagard, comme tentant de se reconnecter à la réalité et à ce qui était visiblement son tribunal. Sur les bancs à droite, deux jeunes élèves témoins de la scène, et @Sheraz Mahal, dont elle ne savait pas trop pourquoi il était là.

Branwen, sa mère, n’avait pas pu sortir. Le contexte actuel était compliqué, et de par sa promesse aux fées, elle n’aurait osé sortir un pied du Bosquet. A la place, Owain Gwent, son oncle et héritier de la famille, s’évertuait à faire comprendre au Conseil d’administration de Poudlard que la jeune fille avait été touché par un mal inconnu, mais qu’on y travaillerait (qui était ce on ? pensa Brynn), qu’on trouverait des solutions (encore ce on, se moqua silencieusement Brynn), et qu’on en sortirait plus fort (mais ne l’était-elle pas déjà ?).

La jeune fille cligna des yeux, alors que @Luke Korrigan prenait finalement la parole en la regardant. Cette fois il n’était plus question de passer par Owain ou un autre. Les Korrigan étaient une famille-amie des Cynfeirdd. Les Gwent étaient les alliés des Cynfeirdd.

Qu’est-ce qui pouvait bien arriver de pire ou de grave ?

« Il ne va rien se passer. Korrigan va trouver quelque chose. Ils ne peuvent pas te virer alors que tu as toujours été une élève modèle. »

Brynn observait d’un œil vide les deux portes, fermées comme si rien n’avait pu y pénétrer. Est-ce si grave de se retrouver dans sa situation ? Que risquait-elle exactement ? Elle baissa de nouveau les yeux sur sa main vide, qu’elle serra avant de l’ouvrir à nouveau. La sensation était toujours présente, obsédante ou presque.

La jeune sorcière releva le nez seulement quand la voix de Luke Korrigan la cueillit. Elle l’observa, pensant qu’il lui livrerait le verdict sans plus de cérémonie, mais lui aussi avait l’air de vouloir échanger. Brynn n’avait pourtant pas grand chose à dire. Calmement elle se leva, faisant signe à Owain d’attendre. Elle n’avait jamais eu besoin de personne pour décider de la trajectoire de sa vie, et encore moins aujourd’hui.

Elle suivit le nouveau Directeur jusque dans son bureau, s’installant sans mot dire à la chaise au milieu de celles qu’il lui avait désigné. Bryn n’avait jamais été très bavarde ou bravache, mais ce jour-là plus que d’ordinaire, elle était étrangement sage et à l’écoute.

Aussi elle ne moufta pas quand Luke lui donna le verdict du Conseil d’administration. Une partie d’elle s’en serait peut-être émue, mais elle ne l’entendit pas. Au lieu de ça, quelque part, elle se sentait soudainement libre de faire autrement, de faire à sa façon. De rentrer au Domaine et de chercher une façon de guérir le mal qui courrait le long de ses veines, dans les remous de son sang. Elle y retrouverait @Viper Saito, elle n’en doutait pas. Ou peut-être devrait-elle aussi le chasser, le temps que cette pulsion en elle se taise définitivement ?

Brynn cligna des yeux, relevant son regard vert clair sur le Korrigan, hochant la tête docilement pour montrer qu’elle avait bien écouté et compris. Une thérapie - une seconde chance. Cela était gentil, probablement généreux dans la position de Luke, mais la jeune sorcière ne se sentait pas plus bénie par la situation que ça. C’était tout à l’honneur de Luke d’avoir réussi en revanche à faire plier l’avis général. Elle eut un petit sourire désolé pour lui. Tous ses efforts pour du vent.

« C’est très gentil. Je vais devoir me poser, avant de faire quoi que ce soit. Je comprends pourquoi il est nécessaire de m’exclure. »

Elle se tordit les doigts, pensant que ce serait fini, mais le Directeur continuait de la fixer. Elle plissa à son tour son regard, comprenant que si elle avait eu sa discussion avec le chef de l’établissement, c’était avec un tout autre Korrigan qu’elle allait devoir échanger.

Un sourire pâle peignit les lippes de la jeune fille, alors que ses pensées allaient à la vieille Oiche, puis à @Sheraz Mahal et @Viper Saito. Elle détourna pudiquement le regard sur un tableau qui affichait une licorne endormie, l’air un peu renfermé.

« Ce n’était pas moi, et pourtant, c’était bien ma main. Peut-on alors dire que ce n’était pas moi, Monsieur Korrigan ? » Elle eut une petite moue, avant de hausser doucement les épaules. « Quand bien même j’aurai un souci, je ne veux pas que ça s’ébruite davantage, et encore moins voir des rebouteuses ou des charlatans frappaient à la porte de mon domaine. Surtout pas en ce moment, avec la Confédération... »

Allait-elle pouvoir se cacher à Gorsedd ou allait-elle devoir vivoter dans une de ses zones magiques ? Elle savait qu’Owain avait en horreur l’idée de quitter le Gwent, aussi ils avaient fini par acheter un petit bout de terre à Loustry Ste Chaspoule, reliée par une armoire sans fond jusqu’à Caerwent. Une solution peu commune, et quiconque osait imaginer que cela manquait de sécurité ne savait pas quel était la puissance de cette famille d’enchanteur.

« Je vous ai écouté, et désormais j’ai besoin de réfléchir un peu. De savoir ce que je vais faire. Mais ça, je dois le faire seule, Monsieur Korrigan. » Elle eut un sourire forcé : « Vous le savez mieux que moi : il y a des choses qu’il faut faire seul. »

Un silence passa, avant que l’ancienne préfête ne reprenne, cette fois prise d’une certaine hésitation quant à la formulation. Elle n’était peut-être pas l’élève la plus sociable, et maintenant qu’elle avait cette fameuse réputation elle n’imaginait pas tenir un pot de départ, aussi elle souffla :

« Est-ce que je dois partir sur le champs ? »

Owain attendait dehors, ça n’aurait posé aucune question logistique.
Pourquoi le demandait-elle sur ce ton, comme si ça allait lui manquer ?

« Ce n’était pas vraiment ma main, enfin, c’était ma main, mais », Brynn eut un moment de trouble, où elle ne sut pas comment expliquer exactement cette sensation, parce qu’elle ne pouvait pas dire que c’était tout à fait sa main et seulement sa main qui l’avait voulu. Elle y avait pris un certain plaisir, et peut-être que si elle avait voulu résister – vraiment – peut-être que ce petit pinçon-lion ne serait jamais… mort ? Elle détourna finalement le regard, l’air honteux et penaud. Cela ne faisait que la conforter dans ce qu’elle s’était dit à ce moment-là. Partir loin d’ici était la meilleure des choses à faire. Pour tout le monde.

Elle demanda si elle devait partir sur le champ, mais contre toute attente, Korrigan lui donna encore sept jours pour faire ce qu’elle avait à faire. La jeune fille releva les yeux sur lui, se demandant si elle avait vraiment quelque chose de plus à faire à Poudlard. Des amis ? Pas vraiment. Depuis que @Viper Saito était parti, elle n’avait pas vraiment cherché à s’en faire d’autres, et depuis personne n’avait vraiment trouvé grâce à ses yeux. Elle parlait bien évidemment à tous les serpentards puisqu’elle était depuis plus le décès d’Ulysse Dunn leur seul préfète, mais qu’est-ce qu’ils allaient dire ou penser maintenant ? L’idée de les saluer avant de quitter l’école était tout au plus saugrenue.

Brynn allait renâcler du nez quand Luke reprenait par un vieux proverbe qu’elle ne connaissait pas. Il dut le sentir car il se reprit aussitôt.

La petite blonde baissa les yeux, l’air un peu sinistre soudainement.

« Et si ça ne peut pas être réparé ? Est-ce qu’il ne vaut mieux pas l’ignorer ? »

La jeune Gwent se demandait ce que ça serait que d’être maudite à tout jamais. De sentir cette langueur dans le muscle, cette pulsion jusque sur les bouts de ses doigts. A comparaison, la peau de loup de Viper lui semblait bien moins cruelle. Si vraiment elle avait été maudite par la vieille Oiche, une seule chose pouvait la sauver, et c’eut été de la tuer. La tuer revenait à abolir toute loi, aussi primitive fut-elle, dans le Bosquet et de remettre sur la table le vieux pacte de Branwen et des fées.

Tout ça car elle avait voulu sauvé @Sheraz Mahal.

Est-ce qu’elle le regrettait ? Pas vraiment, non. Il ne l’aurait jamais suivi si elle n’avait pas tant cherché à rejoindre Viper Saito en retrouvant son porte-au-près dans la forêt interdite, et le porte-au-près n’aurait jamais déconné si Poudlard n’avait pas renforcé ses mesures de sécurité lorsqu’ils avaient fermés leurs portes en les cloîtrant à l’intérieur.

Il n’y a pas de coupable, pensa Brynn, juste une succession de causes et de conséquences. Elle était au bout de la chaîne et elle pouvait en sentir la lourdeur, le froid glacial de l’acier qui tranche. Peut-être ne pouvait-elle pas être réparée, mais était-ce si grave que ça ? Il y avait bien des choses qu’elle ignorait, et aucune ne la blessait de par leur absence, à commencer par l’identité de son père.

Brynn releva une nouvelle fois les yeux sur Luke alors qu’il lui posait l’ultime question. Elle surprit le regard de tous les tableaux sur elle, le poids de leur jugement, de leurs iris implacables. Peut-être y avait-il un ancêtre ou une vieille arrière-grand-mère là-dedans, s’étouffant de l’humiliation qu’elle causait à son nom. La jeune Gwent fronça doucement les sourcils, l’air soudainement agacé.

« Jamais. »

Elle se redressa un peu dans sa chaise, les mains posées sur ses genoux, les épaules tendues sous son chemisier blanc.

« J’ai toujours pris soin des créatures magiques. J’ai toujours fait attention à ne pas troubler, par ma présence ou mes actes, le fragile cycle de la nature. Je ne voulais pas le faire, mais je l’ai fait. Je me déteste de l’avoir fait, et en même temps, ce serait mentir de dire que pendant quelques toutes petites secondes, je n’ai pas eu envie de serrer plus fort. »

Brynn ferma les yeux un instant, sa respiration soudainement plus courte, l’air plus fébrile et troublé. Elle rouvrit finalement les yeux, ébranlée par le trop plein d’émotions pour un petit être qui d’ordinaire était si lisse et indifférent au reste du monde.

« Je suis désolée, Monsieur Korrigan. C’était la première fois, et c’est arrivé à Poudlard, devant tout le monde. »

Owain Gwent devait ruminer sévèrement derrière la porte. Elle espérait juste que Branwen ne prenne pas trop mal la nouvelle…

Médicomage, examens…

Brynn resta un instant silencieuse alors qu’un malaise s’installait chez elle. Une envie de fuir soudainement, ou de se cacher. Elle ne savait pas exactement pourquoi, car elle aurait dû être la première à sauter sur l’occasion de se guérir, mais la peur s’instilla en elle aussi pernicieuse que les vilaines griffes de la vieille Oiche. Elle sentit sa gorge se serrer alors qu’elle jetait un regard vers la porte, priant secrètement qu’Owain Gwent ne vienne la prendre et ne la ramène non pas à Caer Gwent mais à Gorsedd. Là-bas elle pourrait se cacher dans le silence des frondaisons, disparaître dans les bosquets épais.

Elle ravala sa salive difficilement, les mots de Luke Korrigan s’enfonçant en elle comme dans un lac d’encre. Dans chaque bulle elle imaginait la même scène, ses doigts s’enrouler autour de la gorge de Myrddin pour le faire taire définitivement, ses doigts s’enfonçaient dans les yeux de @Viper Saito pour seulement sentir son sang chaud. La vision lui donna la nausée mais Brynn ne cilla pas. Elle se souvenait sans mal la sensation impérieuse qui l’avait presque faite mourir ce soir-là, quand elle s’était pressée toute offerte contre ses crocs dans le désir tenace de sentir ses griffes dans son ventre.

La vieille Oiche avait bien réussi son coup, pensa Brynn, si tant est que c’était bien de sa faute et non pas une folie de sa part. Peut-être était-elle simplement folle ?

« Je verrais bien » articula-t-elle, en attrapant doucement son dossier scolaire.

Un petit sourire réussit malgré tout à naviguer sur ses lèvres en entendant l’anecdote. C’est vrai que les gardes n’étaient pas très malins, mais le pire, c’était encore ce fichu petit troll que son grand-père Arawn gardait encore et toujours. Il rendait si difficile et si pénible le passage du pont se rendant jusqu’à Caer Gwent qu’il avait finalement assez peu de visite, et Brynn soupçonnait que ce ne soit le but.

« Je suis certaine que mon oncle sera ravi de vous voir » souffla Brynn.
« Je sais que @Maeve Cynfeirdd y a été récemment invitée. Vous ne devriez même pas avoir à écraser la tête de qui que ce soit. »

Un sourire fin, qui s’effaça doucement alors que Brynn se levait, le dossier sous le bras.

« Merci pour votre soutient, Monsieur Korrigan. »

Ce n’était pas la promesse de s’en sortir qu’elle lui faisait, car elle-même ignorait ce que ça signifiait, mais elle devait lui reconnaître une ténacité que peu aurait eu. Si ce n’était pour l’amitié entre leurs familles, c’était au moins parce que Luke Korrigan était un bon directeur, Brynn n’en doutait pas.

Elle le salua poliment d’un petit signe de la tête et finalement s’en alla, raccompagnée jusqu’à la porte et remise aux mains d’un Owain Gwent dont le visage s’effondra, pâle, en voyant le dossier dans les mains de sa nièce. Il fronça presque aussitôt les sourcils, prêt à en venir aux menaces, mais Brynn leva la main pour l’interrompre.

« C’est le mieux pour le moment, je crois. »

Owain eut une petite moue dubitative.

« On verra ce qu’en disent ta mère et Bran… » souffla finalement Owain.

Il avança pour saluer Luke Korrigan car s’il lui en tenait quelque peu rigueur, il n’oubliait pas la politesse pour autant, et finalement talonna Brynn qui s’en irait le soir même, sans un au revoir, sans un à plus tard.

A la façon du serpent sur le sol, Brynn n’avait fait aucun bruit le jour où elle était partie, si bien que le lendemain, on se demanda même où était parti la préfète de Serpentard.