[OS] Barn yr Gofannon

Quelque part dans les terres de Gorsedd

Il l'avait suivi jusqu'à un petit renfoncement sombre et humide, un peu hagard, porté par le tintement régulier et étrange qui résonnait dans sa tête. Le frôlement doux des guêtres qu'il avait trouvées près du petit feu de camp lui faisait oublier sa peau meurtrie. Pourtant, l'instant d'avant, recroquevillé dans un coin, un peu à part de  @Brynn Gwent et de ses fauves, Sheraz avait lutté pour ne pas se laisser consumer par l'agonie. En silence, gêné par le froid autant que par la brûlure qui lui dévorait encore les jambes, il avait cherché en lui l'oblivion salvateur, sans jamais s'en rapprocher.

En écartant un rideau de mousses ligneuses, il s'aperçut que l'endroit où il se rendait était encore plus noir que le trou de la gueunaude et une odeur familière sans vraiment l'être, bien loin de exhalaisons méphitiques qui le hanteraient probablement pour toute sa vie, le prit aux naseaux. Il n'aurait su dire exactement. Ça sentait le feu. L'odeur rauque et impeccable du métal fondu. Ça sentait aussi l'humus, la terre détrempée par la pluie et la pierre sèche. C'était une ambiance indéfinissable dans laquelle Sheraz s'enfonçait, à bout de volonté. Il en avait oublié l'épuisement. L'idée ridicule de fermer les yeux sur le monde des horreurs de Brynn Gwelt comme on aurait fermé une écluse.

Sans s'en  rendre compte, Sheraz retournait à la matrice noire et aveugle dont on disait que l'homme était né. A l'origine de lui-même, en quelque sorte. Sous ses doigts, la paroi  convulsait en grosses veines rudes et raboteuses qui courraient, piégeuses, sous ses pas mal assurés. Il ne trébucha pourtant pas, comme si l'esprit singulier qui l'enveloppait estimait bon de lui faire grâce d'une énième humiliation. Bientôt, il faisait une chaleur étouffante et le martèlement frappait, de plus en plus puissant et régulier, au cœur même de sa cervelle si bien qu'il croyait voir des flashs lumineux percer les ténèbres tout en attribuant le phénomène à une aura migraineuse des plus déplaisantes. Désarçonné, le jeune sorcier se sentit vaciller, porté par la mécanique spontanée de ses jambes vers un je ne sais quoi dont la seule vibration était en train de le broyer.


« Que tu sois arrivé jusqu'à moi sans même savoir qui tu es est un petit miracle en soi, Anwar »

Le jeune homme plissa le front, la vision troublée par la chaleur écrasante. Était-il en train de rêver ? Dans ce qui semblait être purement et simplement un brasier rugissant, la silhouette d'un mastodonte se découpait, noire et imposante. Ses yeux brillants comme deux tisons étaient braqués sur la petite silhouette frêle du sorcier, le perçant jusqu'à l'âme.

« Qu'est-ce que ça veut dire ? Arjouna ? »

Au fin fond du Pays de Galles, l'idée d'une épopée indienne faisait tâche plus qu'autre chose et il n'avait pas la moindre notion de gallois. Un rire tonitruant ébranla la croûte de l'humus qui leur offrait ce curieux abri in utero.

« Anwar, Lumière parmi les lumières. J'aurais cru que tu n'aurais pas oublié cela. »

Le jeune homme sentit sa volonté s'ébranler. De quoi parlait-on au juste ? Les sens sémantiques semblaient lui échapper là où les sens physiques s'étouffaient, submergés par la puissance des impressions.

« Je suis Sher-»

Les mots séchèrent littéralement dans sa gorge et au même moment l'âtre gigantesque ronfla, soufflant une gerbe de petites braisettes à son visage. Sheraz ferma les yeux, se protégeant de son avant-bras mais il ne sentit pas le petit picotement des brûlures comme il s'y était attendu.

« Tu es un changelin et de la plus mauvaise affaire. », tonna le colosse, « Les hommes n'ont jamais rien entendu à la pratique des fae de toute manière. Ils convoitent les choses qui les dépassent et passent ce qui est digne d'admiration sans avoir rien vu. Tu couves en toi les braises du meilleur comme du pire, mais tu as le coeur pur car tel est le nom qui te fut donné à la naissance,Anwar, le plus lumineux. »

Le sol semblait littéralement se dérober sous les pieds de Sheraz, comme animé d'une vie propre et dévorante. Sa naissance. Voilà un mot qui l'agitait plus encore que les projets diaboliques d'une gueunaude. Intérieurement, Sheraz brûlait. La colère. La peur. Le doute. La curiosité.

« Il y a dans le monde d'en-dessus des choses qui menacent le fondement même de notre existence. »
« Qu'attendez-vous de moi ? » demanda le jeune homme d'un ton plus ferme qu'il ne l'aurait attendu.
« Tu chéris un art noble, Anwar Mais cultivé dans la mauvaise tête il aurait tôt fait de raser le moindre arbre à fées pour ériger des villes à sa gloire et éventrer la terre pour se nourrir de sa magie. Une promesse, voilà ce que j'attends de toi. »
« Une promesse ? Mais quelle promesse ? »

Sa voix semblait se perdre dans un immense qui n'avait aucun sens, aucune mesure rationnelle dans le terrier où il était descendu.

« Tu le comprendras de toi même, en temps voulu. Promets-tu Anwar ? »

Ces mots vibrèrent en lui comme un énième coup du marteau sur l'enclume. Sheraz sourcilla. Comment aurait-il pu s'engager à tenir une promesse dont il ignorait tout ? Mais la question se refusait à passer ses lèvres.

« Je ne sais même pas qui vous êtes ! »

Un rire terrible coupa court à toute envie de se récrier d'avantage.
« Tu ne sais même pas qui tu es. Il faudra que tu cesses de te rejeter si tu veux un jour te retrouver Anwar. Ce soit-disant talent, ta malédiction... n'aurait dû être qu'un détail sans importance. »
« J'aimerai que vous ayez raison... », curieusement cette fois le message était sans équivoque à ses oreilles. Sheraz détourna un instant le regard des deux braises qui le fixait dans cet immense visage noir, « Mais c'est bien loin d'en être un. C'est un détail qui me pourrit la vie. »
« Seulement si tu le laisses se mettre entre Sheraz et Anwar... ce n'est pas de ton don de métamorphomage dont tu as peur, c'est de ta propre histoire... Me fais-tu cette promesse... »