Build That Wall

@Noma Karma & @Nott Tyrfing | Musique | 10.09.23

L’appartement de fonction était ridiculement petit.
Nott n’y avait jamais fait attention, car jusque-là elle avait principalement dormi au bureau, ne rentrant que pour se changer – si tant est que ça avait un vrai intérêt en tant que métamorphomage – mais ce soir, en rentrant, c’est la chose qui l’avait frappée.

Elle n’avait guère réfléchi en janvier quand on lui avait dit de remplacer @Gabriel Standford au pied levé. Elle avait à peine regardé les propositions ministérielles, en prenant le seul qui n’était pas très loin d’un quartier calme, moldu, en se disant que là-bas au moins elle ne croiserait jamais un seul collègue.

Assise dans le fond de son canapé, un verre à la main, elle pencha la tête d’un air songeur.

Je devrais prendre un fléreur.

L’idée était saugrenue, d’autant qu’elle n’était jamais chez elle, mais alors peut-être qu’elle pourrait l’emmener au bureau ? C’est sûr que les gars se moqueraient… Vieille fille et avec un chat en prime. Quel tableau, Nott Tyrfing. Un petit rire passa sur ses lèvres alors qu’à moitié ivre elle rejetait sa tête en arrière, ses yeux glissants sur les murs blancs.

Il n’y avait aucune photo. C’était plus froid encore qu’une chambre d’hôpital, mais en même temps, qui affichait ? Cet enfoiré d’Ebenezer Grimm ? Sa famille complètement tarée ? Elle bailla, jetant un œil à son verre qui venait de vider de la moitié sans qu’elle ne s’en rende compte. Impossible de savoir si c’était parce qu’elle venait de boire sans faire attention ou peut-être qu’elle avait renversé quelque chose quelque part…

La décision soudaine de la Confédération lui promettait encore des jours de travail acharné où les heures s’enchaînaient sans se compter. La dernière décision en date était de recruter un chef de projet dans le cadre de la reconstruction des défenses, mais la direction prenait son temps car elle voulait un gars en particulier. A côté de ça, elle avait déjà l’identité et le nom du chef d’équipe envoyé par la Confédération quelque part sur son bureau.
Tout s’enchaînait et se bousculait, sauf elle, ce soir, sur ce canapé de cuir froid, le regard perdu sur le plafond de son appartement.

Son appartement… ça sonnait presque faux.


Dimanche matin, l’air était frais, presque trop. Pinçant sa cigarette moldue entre ses lèvres, Nott roula des épaules pour s’emmitoufler dans son gilet avant de le fermer jusqu’en haut.

Peau-de-chagrin était revenue, comme elle revenait souvent, et dans son gilet trop grand et trop long, on aurait presque dit une adolescente après une soirée un peu arrosée. Avançant le long du trottoir, Nott appréciait avec un sourire charmé la volupté du matin, le silence de la rue où rien ne bouge, rien ne se passe. C’était peut-être seulement le calme avant la tempête, mais l’auror qui n’avait plus rien d’une auror, pas même le badge, appréciait cette accalmie.

Elle eut le temps de finir sa clope avant d’arriver à une petite épicerie qui était ouverte 24/24 et 7/7. Une chose que Nott ne concevait pas mais qui lui avait sauvé la vie une ou deux fois depuis son emménagement. Elle entra calmement, salua de la main le vendeur. En tant que sang-mêlée, Nott n’était pas si dépaysée que ça par les us des non sorciers. A vraie dire, elle avait longtemps grandi sans rien utiliser de sa magie, parce qu’en Norvège, les voleurs-de-peau n’étaient pas bien vus. Seule avec sa grand-mère au milieu de la montagne, elle avait vécu recluse, cachée, jusqu’à qu’un maître de Russie ne vienne la prendre sous son aile. Une époque qui lui paraissait lointaine, pour ne pas dire floue désormais.

Nott flâna quelques secondes dans les rayons, sans rien prendre, sauf une bouteille de whisky sur laquelle se trouvait un petit dispositif qu’elle imaginait être une sécurité. Elle fit le chemin inverse, attrapant cette fois une boîte de gâteau au hasard des étagères et puis une bouteille de lait, pour finir par se diriger vers les caisses.

Dans la queue, un vieux monsieur faisait la discussion avec le caissier. Nott jeta un coup d’œil l’air de rien vers l’extérieur, où la pluie avait commencé à tomber. Elle se fit la réflexion qu’elle n’avait pas prise de parapluie. L’air un peu ennuyé elle reporta son attention sur le gamin entre elle et le vieillard. Le petit jeune tendit juste à ce moment-là sa main pour venir subtiliser le portefeuille que venait tout juste de remettre en place le vieux, avant de saluer rapidement le caissier et de partir avec un sourire coupable.

Nott fronça doucement les sourcils, et bien que ce fût interdit par les lois, elle leva discrètement la main et d’un léger tour de passe-passe (en réalité un wingardium leviosa informulé), le portefeuille s’échappa des mains du garçon pour s’étaler sur le sol, juste devant le vieux qui peinait à sortir. Ce dernier eut un petit moment d’incompréhension, avant de tapoter sa fesse gauche et de se rendre compte que son bien n’y était plus. Il eut un petit rire, secoua la tête et finalement se pencha pour le récupérer, sous le regard ahuri du pauvre garçon.

La sorcière eut un petit sourire satisfait avant de tourner la tête vers l’homme derrière elle. Elle sursauta sur place en voyant le visage de Noma Karma la fixant en retour, et comprit très rapidement qu’il avait vu ce qu’elle venait de faire. Elle posa son index sur ses lèvres, l'air de dire chut, et finalement tourna le dos, priant pour que les trois autres clients devant elle ne se bougent.

Quelques jours juste après la taule que se prenait le Ministère devant la Confédération, devant Noma Karma mis à pieds pas plus tard que le dimanche d'avant, et par la cheffe du bureau des aurors, c’était bien sa veine…

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10 SEPTEMBRE 2023, LONDRES MOLDU.

Les yeux fixés sur le plafond, Noma observait les phares des rares voitures dessiner les contours du mobilier urbain sur les murs de son appart miteux. Il se retourna dans son lit, enfouit le nez dans l'oreiller d'où il inspira les effluves diffuses de son shampoing et de son dentifrice mentholé. Ses draps avaient glissé comme bien souvent en été quand la chaleur s'immisçait entre les murs craquelés, soulevant son t-shirt en coton délavé, au groupe dépassé et rétro au possible. Contre ses jambes, à mi-chemin entre ses mollets superposés et sa veste déposée à la va-vite au retour d'une soirée bien arrosée, dans l'empressement d'une douche brûlante, quelques plumes se soulevaient dans une respiration entêtante. Les bras empêtrés dans les coussins, les doigts emmêlés sous le traversin, il ferma de nouveau les yeux, espérant recueillir les muscles crispés qui l'avaient fait couler dans le matelas à son retour.

Il se (re)tourna encore, bousculant d'un coup involontaire le pied d'une lampe, qui s'en alla changer de place en sautant sur le parquet dans le bris d'une ampoule se fracassant à même le sol. Le coude sur ses paupières, il vacilla sur le dos en un soupir qui déchargea toute la frustration d'une semaine à ne rien faire, à tourner en rond tel un animal en cage. Les lèvres pincées d'une grimace, le regard de l'insulaire balaya la maigre surface de ce taudis, son colocataire à plume ne semblait pas avoir été dérangé par ce remue-ménage. La tête enveloppée dans un nuage de coton, les tympans a découvert, il percevait désormais au travers du double vitrage, les cris des fêtards de son quartier écumant le pavé. Les avances éméchées de ces alcooliques occasionnels apostrophant une fille pas très réglo à l'embouchure de la ruelle comprimée de ces grilles métalliques trouées par les rats et les animaux errants.  

Il regretta son coup d’œil aussitôt cédé. Sa paume fébrile essuya ses derniers espoirs et d'un coup franc, il bascula le restant de son couvre-lit pour se réveiller d'un chauffage défaillant sur les jambes dénudées. Un frisson parcouru la chair recouvrant sa colonne puis remonta jusqu'à l'échine en un baiser mortellement glacé. Les mâchoires serrés, il attrapa au vol son short qu'il avait plié sur la chaise en osier près de sa table de nuit. Le nœud bouclé, il s'osa à poser ses talons sur le sol hostile. En quelques pas, il vérifia la température frôlant une prédiction météo extérieure, sur son radiateur. Il repoussa la fin voile de toile lui barrant l'accès à la baie vitrée striée de carrés symétriques et le panorama le déconcerta autant que son incapacité à dormir un soir de garde. Sur le trottoir, assise les jambes écartées, une fille fumait sa clope une bouteille de spiritueux enveloppé d'un sac de papier à côté d'elle.

Si lui redoutait un mal de tête des excès de la veille, une fatigue ou un vertige le forçant à se rallonger, il priait Merlin pour une heure, voir même deux de repos, lorsqu'il fit volte face pour attraper de quoi lui redonner le moral. Ôtant le film plastique, l'hawaïen cala son bâtonnet de bois entre ses dents, ses élans acidulés parfumant ses papilles d'un met réconfortant. Dans le claquement de sa carcasse sagement étirée, il inspecta cette chambre qu'une créature semblait avoir retourné par ennui. Elle n'était pas grande, pas vraiment petite non plus. Un rectangle ouvert sur un placard à double pans, deux larges fenêtres aux volets roulants, un matelas sur un sommier épousant les briques rustiques et authentiques encadrant la pièce. Un bureau juste en face accueillit ses paumes pour qu'il puisse enfiler ses baskets. Fouillant sur les cintres pendant dans un ordre précis, d'entre les quelques chemises et pull sobres de sa garde-robe, il daigna en attraper un à capuche sans motifs ni distinction.

Passant devant son oiseau de paradis, son auriculaire gratifia la nuque du volatile d'une caresse tendresse. ❝Ulu je sors, t'as besoin d'un truc ? ❞ Un ton nasillard trompant la fatigue, Karma passa son index dans l'anneau d'un porte-clefs pendant dans l'entrée, qu'il ne tarda à faire jongler entre ses doigts en un tintement désagréable, mais qui avait le mérite de le garder éveillé. Le mis au ban avait besoin de courir, de renflouer un solde d'optimisme frôlant une non-valeur. Finir de se fatiguer pour grappiller les lueurs du jour jusqu'au lendemain et la promesse d'un retour à la normal. ❝Nono, ramène à Ulu le cocotier et la vache ! ❞ Hurlant à gosier déployée, le Grand Éclectus jactait sur le sac de frappe dépoussiéré où il avait élu domicile depuis que son colocataire s'en servait de distraction journalière. Les clés tombant dans les poches de son demi-pantalon baisant le bas de ses cuisses, sa suçacide au bec, l'insulaire glissa sa baguette dans une pochette cousue à même sa manche. ❝Reçu 5/5, à toute mon vieux ! ❞ Et ainsi l'appartement se ferma sur le chant de son compagnon de route.


C'était comme remonter le temps, comme revenir des années en arrière -avec quelques rides en plus et des problèmes surchargeant des épaules droites et crispées par le grain de l'adeversité. Porté par la nostalgie, Karma se laissa aller à un sourire fugace, alors que ses enjambées s'allongeaient en une course du diable à travers la vieille Londres endormie. Dans son sillage, il laissa la grisaille de ses préoccupations se déformée sur le miroir de vitres, s'engouffrer entre ces portes laissées entrouvertes pour espérer domper la fraîcheur d'une sorgue. Exhalant de cette sortie solitaire, il ne croisa pas âme qui vive, hormis ce vieil homme un peu défroqué, la ceinture aux tibias, un loup en diagonal sur le nez, les narines encore rougis du bourbon qu'il exhalait à chaque hoquet. Les lèvres pincées, l'asiatique l'avait suivi du regard, spectateur amusé d'une chute misérable contre une poubelle, faisant chanceler l'aluminium et déverser la pestilence sur la macadam. C'était une odeur que l'on n’oubliait pas, qui restait scotcher aux poumons dans l'effort.

La notion du temps s'était effilochée, comme une parenthèse suspendue n'affectant ni l'esprit ni le corps. En nage, à bout de souffle, les coudes ancré au garde-fou d'un pont surplombant la tranquille Tamise, Noma dégustait sans modération le privilège d'un sursis coupé du monde. Penché au dessus de l'indomptable fleuve, ses iris se perdaient entre les remous de bateaux mouches voguant l'onde et les reflets d'une architecture briquée donnant presque aux profondeurs une seconde vie. Il y avait quelque chose de profondément apaisant à contempler ces flux et reflux. Intimidante était la nature et plus redoutable que n'importe lequel de ses homologues à baguette. Aussi, la délectation d'un matin désormais bien imprimé sur l'Olympe, rappela à l'hawai'i sa nature fugitive face à l'empressement des vivants. Jetant sa capuche par dessus ses mèches humide de rosée et de suée, au rythme d'un galop, le kahuna retraça son chemin vers ce quartier n'ayant plus aucun secret pour lui.  

Au loin la silhouette délabrée de son immeuble s'esquissait entre les rayons de l'aube blanchissant l'horizon. Son capuchon retombant sur sa nuque, il se figea sur le seuil de cette superette. Un rictus bordant ses lèvres, pour son plus grand déplaisir bien nombreux avaient été les courageux à braver la fraîche moiteur de la matinée. Le lobe de son oreille massé nerveusement, il poussa le battant transparent. Les ongles maintenant sa manche armée contre son poignet, d'un signe timide de la tête, le brun salua le caissier avant de se faufiler dans ce dédale de marchandises. Pour y avoir mis les pieds de rares fois, rien n'avait de place, les produits tout aussi bon marché. Alors par pur automatisme, le né-moldu coinça sous son coude une conserve de lait de coco et un paquet de sucettes. Sans un regard pour cette clientèle douteuse, il tira d'un réfrigérateur l'une de ses boissons caféinées dont les non-magiques faisaient la publicité de vous remettre d'aplomb en seulement une gorgée.

Les bras chargés de ses acquisitions, il prit la direction des caisses où s'agglutinait déjà la majorité des prospecteurs. Le chaudron bordé de gallions, la jeune femme devant lui empestait autant la gnole que cet adulateur de vide-ordures. Incommodé, le ricain recula d'un pas buttant contre un présentateur avant de s'éclaircir la gorge sans manière. La chance l'abondant en cette période de disette professionnelle, sous sa barbe, l'ivrogne s'encapa d'une casquette de hors-la-loi. Il fallut un moment de battement au tireur d'élite en congé pour décoder le caractère surenchérit d'une infraction autrement plus grave. Prise sur le fait et un peu confuse, les boucles d'ébènes levèrent le rideau sur un visage ébahit, les yeux trahissant l'action. ❝Monsieur, vous avez fait tomber votre portefeuille ! ❞ Sans la lâcher d'une semelle, en un unique échange de regards l'un et l'autre comprirent qu'hormis elle et lui, personne ne semblait avoir saisi la supercherie.

Et tandis que la vieille branche s'activait à récupérer son dû, le brigadier suspendu poussa mali militari l'irréductible contre le comptoir. L'extrémité de son chanvre sous couvert de son emmanchure planté contre l'épine dorsale de la canaille, du coup de menton il lui indiqua de poser bouteille et autres denrées devant les caisses enregistreuses. Leurs articles scannés et emballés communément, le Kahuna tendit ses livres au caissier et embarqua bras dessus, bras dessous la voleuse hors de l'épicerie. Non sans un soupir tout à fait loquace, il la chaperonna dans une ruelle déserte et à l'abri des curieux. ❝Tu t'es crue sur l'Allée des Embrumes ?! File-moi tes papiers ! ❞ Question rhétorique n'appelant à aucun jeu de jambes autre qu'une exécution prompte, Karma venait de la plaquer sans tendresse contre une benne à ordure. Face à cette inconsciente, la gentillesse de façade et autres politesses de circonstances s'étaient volatilisées en un battement de myocarde. La baguette en évidence, un renvoi pesant dans la balance, la langue claquant contre le palais, le kāne pesta contre ce coup du sort.    

@Noma Karma & @Nott Tyrfing | Musique | 10.09.23

On aurait dit un chat sauvage, pris sur le fait mais n’osant pas trop remuer. Elle aurait préféré qu’il fasse l’impasse, même si dans le fond elle se doutait bien que Noma n’allait pas passer l’éponge comme ça. L’aurait-elle fait elle aussi ? Elle sentit le bout de la baguette contre ses reins et eut une petite moue dépitée, fatiguée d’avance. Mais maintenant que le bois pointait son dos, et alors qu’elle posait sur le tapis du caissier l’ensemble de son forfait, une note d’appréhension glissa sur elle.
Et s’il apprenait que c’était elle ?
Peau-de-chagrin ne moufta pas, au lieu de ça, elle paya sans un mot, avec un petit signe de tête pour dire au revoir, alors que l’agent la talonnait sans un mot.

Elle pouvait toujours se mettre à courir, ou transplaner, mais cela reviendrait à aggraver sa situation. Note que l’idée même de faire un délit de fuite lui paraissait totalement incongru, mais elle commençait à penser, à réfléchir comme si elle avait commis un véritable crime.

En avait-elle commis un ? Un vrai, de crime ?

Nott s’arrêta dans la ruelle, tenant contre elle les deux bouteilles, alors que Noma finissait de la plaquer contre la benne. Les yeux de la jeune femme s’écarquillèrent par la surprise, alors qu’elle lui jetait un regard offusqué, comme si elle découvrait un autre visage de l’agent. Une partie d’elle lui criait de se rebeller, de le prendre et de l’envoyer boulet en lui révélant aussitôt qui elle était vraiment ; l’autre n’osait pas vraiment, d’autant que dans son état actuel, ce n’était pas très réjouissant.

« Hey, hey, on se calme non, t’exagères pas un peu là ? » maugréa Nott, jetant un regard en biais à l’agent. « Personne n’a rien vu et j’ai aidé ce pauvre petit vieux, c’est pas comme si j’avais tué la reine d’Angleterre... »

Bien sûr, ce qu’elle avait fait était grave, surtout avec la situation actuelle. Est-ce que ça signifiait qu’elle avait le droit de faire comme si de rien n’était ? Certes, elle aurait pu intervenir physiquement, mais avec ce genre de petit bandit ça pouvait vite dégénérer, elle le savait mieux que quiconque.

D’un air agacé à son tour, Nott leva les yeux au ciel, avant d’avoir soudainement une idée.

« Écoutes, j’ai pas mes papiers sur moi, mais toi, tu m’as pas montré ton badge que je sache, Monsieur l’agent, alors on est quitte. »

Le sourire qui se dessina sur le visage de la jeune femme était autrement plus agaçant, comme s’il savait très exactement que Noma Karma ne pouvait pas avoir son badge sur lui. Faut dire qu’il était encore dans le tiroir droit de son bureau, et que quiconque aurait tenté d’y mettre la main se serait vu arraché le membre par la mimique qui lui servait de mobilier. Le tiroir droit avait d’ailleurs un bien moins bon caractère que le tiroir gauche, et ce malgré qu’ils venaient tous les deux du même tronc de merisier, mais peut-être était-ce une histoire de côté au soleil et l’autre à l’ombre, elle n’avait jamais su le fin mot de l’histoire.

Son regard passa sur le visage de l’agent, alors qu’elle penchait la tête, son sourire se faisant plus fin et joueur encore.

« Pas de badge, mh ? Pas de badge, pas de papiers. »

Elle leva sa main et le repoussa prestement, en forçant tout de même car si elle ne s’en était jamais rendue compte, ses doigts eurent le plaisir de juger que Karma s’entraînait comme il se fallait. Nott aussi cela dit, même si Peau-de-chagrin n’avait jamais été qu’une petite nana famélique.

« Et on dit bonjour quand on est poli » asséna-t-elle, non sans un énième sourire agaçant.

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❝VRAIMENT ?! ❞ Un coup de tonnerre crevant en un écho irrité, entre amusement et déconvenue, mêlé d'un rire lisse et sans éclats, l'hawai'i fulminait par tant de décontraction. Estomaqué par l'audace de l'effrontée ou alors peut-être étaient-ce les relents de whisky bon marché émanant d'une haleine parfumée du gueuleton de la veille, Noma esquissa une grimace porteuse de milles jurons. Sa baguette jonglant sur les dos de ses phalanges, le chanvre adoucit sa course avant de plonger sous le coton hospitalier de son étui. La pression retombant, le myocarde du brun se rappela à son aigre sort, il n'était plus en mesure d'exécuter les ordres d'une lady justice silencieuse. Aussi, l'emprise d'un main leste déserta le versant d'une silhouette chancelante. D'un pas tranquille, l'asiatique se recula pour mieux contempler cette ruine croulant sous les ravages d'une consommation de bourbon excessive. L'avant-bras recouvert dégourdissant l'arête d'un nez piqué par ce mélange nidoreux, son regard en amande posé sur la gamine trahissait un jugement qu'elle n'aurait aucun mal à traduire entre les lignes de l'éthanol.

 ❝On a de la veine que ces non-maj soient aussi aveugle qu'une Amblypyge, auquel cas ta petite pirouette nous aurait valu un sacré tas d'emmerdes. ❞ Le ton était donné, froid, un brin venimeux. Et face à cet accroc mineur pouvant prendre une tournure des plus dramatiques pour sa carrière, le tireur d'élite ne perdait pas la face. Il savait que le moment était bien mal choisi de faire parler d'eux, de lui. Entre sa suspension et l'ingérence de la confédération dans les affaires du pays, se faire prendre sur les lieux d'une énième violation du code international du secret magique aurait été plus que désastreux. À un cheveu de vélane de voir cette semaine de vacances forcées se prolonger en une éternité, il n'allait pas laisser cette insolente s'en sortir à si bon compte. Avant que le bas ne blesse. Le poing serré à l'évocation d'un badge absent et d'un contact repoussant, la respiration de l'américain se coupa nette, ses iris se dilatèrent devant l'affront d'une bousculade. Les paupières closes, enfermé dans une méditation passagère, toute l'animosité qu'il nourrissait à l'égard de cette vipère le pénétra, rinçait les bons sentiments et l'impartialité. Adieu sang-froid et maitrise de soi, bonjour emportement et chaos ambient.  

L'intérieur de la lippe déchiquetée sous le coup d'incisives carnassières, en légion tassée, les joints blanchis s'écrasèrent tout contre l'ocre d'un pan de mur briqué. Le regret d'une telle lubie se fit quasi-instantané. Suivant un craquement peu envieux, la douleur ne tarda à sabrer un métacarpe réduit en un puzzle de remords. Stimulés en un ballet d'aiguilles s'insinuant avec misère, nerfs et articulations crièrent leur douleur d'un râle commun. Étouffée entre ses lèvres hermétiques, une plainte gratta le fond de sa gorge, mais encaissant les lames de son supplice, Karma tenait bon. ❝FUCK ! ❞ Jusqu'à ce que l'insupportable ne lâche la bride au naturel blasphème. Elle avait joué sur la corde sensible. Quelle petite provocatrice avinée avait-il pensé sans chercher à remettre la faute sur l'imbécilité oisive dont il pouvait faire preuve. ❝Toi, ne te crois pas pour autant tirée d'affaires ! ❞ D'un pas menaçant, le Sammy était venu plaquer à nouveau la brune contre le conteneur. Sa paume saine se referma en une menotte de chair sur le poignet de peau-de-chagrin. D'un regard furtif, le prodige s'assura de leur seul présence. Noyant ses poumons du néant, déterminé, il laissa le vide le tirer vers leur destination, avant qu'en une crépitation le duo ne disparaissent en un transplanage d'escorte.

L'air poussiéreux de l'appartement vibra et les tires d'ailes d'un Uluwehi surpris fouettèrent l'éther. Noma et sa proie atterrirent au milieu de l'unique pièce, sous les Viva du grand Éclectus. ❝La coco ! La vache ! Pwaaah l'est pas belle la vilaine ! ❞ Un sourire sincère fendit la commissure des lèvres de l'hawaïen. D'un haussement d'épaules, il fit mine de ne pas prêter attention aux vérités crachées par un volatile ne sachant pas mentir. À peine remis de son vol, le Kanaka ramassa les sacs jonchant le parquet mitéqu'il posa sans ménagement sur la table. Il plongea sa main valide dans l'un d'eux et en tira le cylindre froid qu'il jeta vers le pierrot. ❝Pas la peine d'essayer de te faire la malle, l'appart t'en empêchera ! ❞ Méfiant de nature, suivant à la lettre les indications et plus si affinités du Ministère, l'insulaire avait rendu son lieu de vie aussi impénétrable que Gringott's. Ses chaussures volant sur le sol, le né-moldu glissa jusqu'au réfrigirateur d'où il sortit une poche de glace et une bouteille d'eau. Les paumes plantées sur l'ilot de ce coin de cuisine, la tête inclinée sur le côté, il avait maintenant toute l'attention de cette racaille. ❝Ton nom ! ❞ Les yeux épinglés sur la jeune femme, la gourde roula sur la crédence, elle n'avait pas besoin de plus de gnole. Au contraire, il semblait qu'il était d'une nécessité absolue qu'elle dégrise pour ne pas mettre en péril le secret de leur communauté.

@Noma Karma & @Nott Tyrfing | Musique | 10.09.23

« Un sacré tas d’emmerdes... T’es toujours dans l’abus toi, mh... Tu serais pas américain par hasard ? » souffla Nott, non sans un petit sourire en coin en sachant qu’à chaque fois qu’elle en ajoutait un peu, elle ne faisait qu’appuyer sur les bons boutons du pauvre agent zélé qu’était Noma Karma. « Puis de toute façon, j’peux pas en avoir plus qu’en ce moment », murmura-t-elle d’un air songeur, en jetant un regard à sa bouteille de whisky coincée dans son sac en plastique.

Les yeux clairs de peau-de-chagrin se posèrent sur le poing qui venait de s’écraser contre la pierre alors qu’elle avait sursauté à son «fuck». Nott se tendit légèrement dans son hoodie noir, alors qu’elle tentait de comprendre ce qui se passait dans le crâne de son agent. Est-ce que Karma était toujours aussi... agacé ? Furieux ? On aurait dit une flammèche indomptable. C’était à la fois étonnant et en même temps... amusant.

En se faisant apostropher, la petite brune eut un sourire chafouin, ce qui lui donnait presque l’air d’un chat avec ses lippes retroussées de chaque côté. Ses grands yeux semblaient crier «ah oui ?», mais elle n’osa pas le formuler, car il s’était aussitôt rapproché d’un pas vif. Elle aurait bien cherché à s’esquiver mais au lieu de ça, par un réflexe qui n’appartenait qu’à ce corps, elle tendit la main devant elle pour le tenir à distance, lui donnant finalement ce qu’il cherchait à avoir, à savoir sa main. Un petit grognement fila entre ses lèvres alors qu’elle sentait de nouveau le conteneur cognait contre ses os et maudit un moment cette peau trop maigrelette et fragile.

« Qu’est-ce que tu bran... »

La sensation de partir avec Noma la coupa dans son élan, alors qu’elle atterrissait, vacillante, dans ce qui ressemblait à ... un appartement. Elle fit un pas sur le côté, comme pour reprendre son équilibre, alors qu’un oiseau gueulait, accroché à un sac de frappe.

Elle mit quelques secondes seulement à comprendre qu’elle était désormais chez Noma Karma, et qu’il n’avait rien trouvé de mieux qu’un colocataire bruyant et malpoli. Elle jeta un sale regard au grand Eclectus qui la jaugeait en tour.

« Ouais bah Coco il va fermer sa gueule s’il veut pas que j... »

Noma bougea dans sa vision périphérique ; l’attention de Nott aux aguets se porta aussitôt sur lui, comme pour s’attendre à une nouvelle ruée, mais au lieu de ça il ramassa les sacs sur le sol. Elle l’observa sans un mot, se demandant à quel point ça serait le chaos si elle reprenait sa peau habituelle maintenant... Est-ce que c’était déjà trop tard ?
Ses doigts serrèrent les manches trop longues du hoodie comme si elle avait pu se planquer un peu plus sous sa peau-de-chagrin. Elle se doutait bien que l’appartement était sécurisé. Il n’y avait qu’à voir Noma, son air pincé, ses habits guindés, toujours premier de la classe, toujours si... si étouffé ?
Le regard de Nott se porta sur le mobilier, jusqu’à qu’il ne la fasse de nouveau sursauter en lui demanda - poliment - son nom.

Elle avait posé sa main sur son coeur, comme pour lui faire comprendre qu’il fallait arrêter de la surprendre comme ça.

« Mon nom... »
Comme un sphinx supérieur, elle posa sur lui un regard provocant, presque hautain.
« C’est pas comme ça qu’on demande son prénom à une dame que je sache, et », elle jeta un regard à droite et à gauche, avant d’avoir un sourire fin mais chargé de moquerie fendre de nouveau ses lippes, « c’est moi ou... c’est de la séquestration ce que tu fais là, non ? C’est où dans l’échelle des crimes ? Avant ou après le wingardium leviosa de tout à l’heure ? »

Elle jeta un regard à sa gnole qui s’en allait loin et à l’eau et la glace qui se rapprochaient dangereusement. Nott eut une petite moue désagréable, avant de se détacher de l’ilôt. Puisqu’il avait fait l’erreur de l’inviter à l’intérieur de chez lui, elle n’avait plus qu’à faire le tour de proprio n’est-ce pas ? Nott imaginait très bien que ça le mettrait hors de lui et il serait alors bien obligé de la laisser repartir, sans un mot si possible.

Les mains enfoncées dans son hoodie, la jeune femme commença à faire quelques pas vers l’oiseau qui la toisait depuis tout à l’heure.

Un fléreur ça serait une excellente idée, maintenant qu’elle y repensait.

« Thalie » reprit-elle, en observant plus longtemps le grand eclectus.

Thalie, muse de la comédie, celle aux nombreux masques. Voilà qui était amusant, pensa Nott, même si ça lui avait échappé sans qu’elle n’y réfléchisse plus que ça. Il aurait été difficile de se faire appeler une seconde fois Nottie, à cause d’une consonance trop proche. Ce qui marchait avec @Léandre Hamilton ne marchait pas avec @Noma Karma - il faudrait juste que jamais les deux ne la rencontrent en même temps, au même endroit, ce qui était simple car elle n'imaginait pas l'américain dans une Maison de Charmes.

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D'un coup de sa baguette, une serviette se faufila entre le montant et la porte de la salle d'eau avant de traverser tout l'appartement. Sans quitter son invité de son champ de vision, l'hawaïen l'intercepta et l'enroula autour de son cou moite de sa virée matinale. L'extrémité de son chanvre apposée contre la poche de glace, en cascade de pierres givrées, elle se vida en un tintement froid. Le poing échoué dans le fond d'un saladier happé à la hâte, il laissa les cubes recouvrir de leur baiser frigide ce membre meurtri. ❝Une dame ?! Fais moi rire, t'as rien d'une femme distinguée… ❞ ou qui chercherait à prendre soin d'elle. Le rire guttural du perroquet ébrécha la tension se cristallisant autour des deux sorciers. Il n'avait pas eu besoin de forcer le regard sur l'ombre filant dans son chez lui, pour comprendre qu'entre ses habits beaucoup trop grands et son air d'épave ambulante, la jeune femme s'était lancée sur le chemin de l'autodestruction.

Alors qu'un sourire franc parsemait les traits fatigués de l'asiatique d'une lueur radieuse, le brasillement de ses iris se teinta d'un air de défi. Cette arrogance qui se dégageait de la brune n'avait rien pour lui plaire. ❝T'as vu un badge quelque part ? Alors ne me tente pas de trop… ❞ Un sourcil arqué, les épaules haussées, l'insulaire contourna l'ilot central sans un bruit. Le naturel revenait au galop, les vieilles routines d'interrogatoire d'urgence en première ligne d'un zèle éveillé. De toute manière, au rythme ou allaient les choses, il se foutait bien de devoir justifier de la séquestration d'une illuminée pareille. Ah, tout portait à croire que cette semaine loin d'un cadre régit par la loi et la droiture avait complètement dévié le tireur d'élite de ses standards procéduriers. Les reins ensablés contre la crédence, le Karma observait Peau-de-chagrin tenter sa chance auprès d'un volatile au caractère tout aussi trempé que celui qui le nourrissait.    

❝Danger, approche pas le cageot alcoolo ! ❞ Sa conserve de lait de coco lâchée aux loisirs de la gravité, ses élytres d'un vert coruscant ventilaient l'imprudente d'un courant d'air chaud. Majestueux, ses ailes déployées de toutes leur longueur, l'animal prêtait au respect et son comportement à la précaution. Le bec grand ouvert, un chant stridulant semblable au cridurut embauma la pièce unique. Le visage paré d'une mondanité rayonnant d'une euphorie rarissime, l'oeil vibrant de malice, le voltigeur survola sans bruit le parquet à la rescousse de celle qui s'était constituée prisonnière. ❝Uluwehi e noho mālie. E ʻoluʻolu ! ❞ Un murmure susurré à l'oreille, un accent maternelle roulant avec harmonie achevé d'une bise caresse, le jacquot bougonna avant de caler la pointe de son aiguille orangée contre la joue du né-moldu. Le Kahuna hoqueta d'un sarcasme recalé en tournant légèrement la tête vers cette Thalie.

❝Excuse le, à l'image de son maître, il a quelques lacunes de sociabilité. ❞ Un brin railleur au coup de folie de son colocataire à plumes, l'américain semblait toutefois plus détendu. De son pied nu il renvoya la cannette de coco sur le sac de frappe, il ne manquerait plus qu'une crise d'enfant gâté pour parfaire l'ambiance. Tournant le dos à Ulu, les bras croisées sur le torse, le gamin des îles se figea devant ce morceau de femme. Les genoux fléchis pour mieux planter ses amandes au creux du philtre de mort-vivante lui servant de liseuse d'âme, il inclina à nouveau la tête pour l'examiner de plus près. ❝Un alias peut-être ? ❞ Les paupières ployées en un rideau éclusant les lueurs palpitantes d'une matinée bien installée, il ne comptait pas lâcher prise aussi facilement. Si jamais cette affaire lui retombait sur le coin de la gueule, il comptait bien l'emporter dans sa chute.

@Noma Karma & @Nott Tyrfing | Musique | 10.09.23

« C’est bien déjà de le reconnaîtra » railla la jeune femme du coin de l’oeil, jetant un regard à Noma en coin, parce que même si elle était sensée ne pas le connaître, il fallait bien avouer que ça transpirait de lui. Était-ce voulu ? Était-ce volontaire ? Nott ne s’était jamais posée la question. Ce qui était au travail restait au travail. Elle avait fait cette erreur avec Ebenezer, que de trouver un refuge dans le lit d’un collègue. A l’origine, ça devait être un salut au revoir, et au final quoi ? Ça lui avait coûté une planque interminable en Norvège dans un trafic d’artefacts, du sang sur les mains et des nuits blanches à ne plus savoir qui était la vraie Nott Tyrfing. C’était une sensation étrange que de ne plus s’appartenir, de ne plus se comprendre, se ressembler ou même se reconnaître.

Nott s’arrêta un instant devant un petit miroir qu’elle zyeuta du coin de l’oeil.

Son entraînement avait payé c’était vrai. Être capable de tenir sa métamorphose pendant des heures, des semaines entières, y compris la nuit, dans la douche et dans la plus terrible des souffrances. Adopter une autre personnalité, avoir un accent différent, des intonations. Mais tout ça rajoutait davantage à cette question qui la taraudait depuis aussi longtemps qu’elle était née : était-elle la vraie Nott Tyrfing ?
Et si elle avait été confondue ou échangée avec sa sœur petite ? Pourquoi Sòl et elle ne se ressemblaient absolument pas ?

La voix du Sammy rompit sa réflexion, alors qu’elle tournait vers lui un visage amusé et joueur.

« Un alias, vraiment ? Dis que mon prénom est nul. » Elle glissa ses doigts sur un meuble étonnement impeccable. Dans son appartement à elle, il y avait de la poussière un peu partout. C’était d’autant plus incompréhensible que cela prenait quelques minutes d’ensorceler un balai ou un plumeau, mais il fallait croire qu’elle n’avait pas ces quelques minutes par jour. Ou peut-être qu’elle se mentait à elle-même ? « Dans un monde où des gens s’appellent... Pindarus... Lucius... Severus... Thalie, ça semble si bizarre ? Ma mère n’avait peut-être pas toute sa tête. »

Elle s’arrêta, son regard glissa sur ce qui semblait être un bureau.

« Et toi, c’est ta mère qui t’a donné ce prénom ? Ou ton père ? »

Le regard de Nott glissa jusqu’à Noma. On n’apprenait pas à un vieux singe à faire la grimace, et derrière son hoodie trop grand, qui aurait pu croire qu’elle choisissait avec soin la moindre de ses questions, le moindre de ses mots ? Et maintenant qu’il avait ouvert une faille, elle ne pouvait que ressentir le besoin de s’engouffrer dedans.

L’alcool aidant, les mots se déliaient comme des attaques réflexes, comme des coups de poignard que ses bras auraient donné par simple mémoire musculaire.

Nott posa sa main sur le bureau, son index poussa un courrier pour en dévoiler un juste en dessous. Il y avait une troisième enveloppe encore en dessous, mais elle préféra tirer celle du milieu, la déployant comme une adolescente qui aurait voulu emmerder ses parents. En réalité, un léger doute s’instilla en elle. Pourquoi est-ce que Noma avait ça chez lui ? Mais elle n’en montra rien, préférant prendre plutôt un air décontracté et taquin.

« Noma Karma donc, mh... un alias ? »

Elle lui jeta un petit regard sur le côté pour voir sa réaction.

Elle fit quelques pas en lisant à voix haute, du ton le plus agaçant qu’elle aurait pu avoir :

« ...l’établissement magique le plus exclusif de Londres - wow, monsieur est célèbre ? - où l’enchantement, la sensualité et la magie se rejoignent - en fait, c’est une sorte de club échangiste ? » Derrière ses mèches brunes, Nott eut un sourire moqueur, jetant un œil au spectacle qui se tenait devant elle.

L’homme et son oiseau.

« Tenue : élégance et extravagance... C’est pour ça le piaf ? Pour te déguiser en pirate ? »

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Un discret sourire chatouilla les lèvres du ricain et sans broncher, sans s'opposer au survol du corbeau dans son appartement, il se contenta de la suivre d'un regard persistant. Le pas léger presque fantomatique, le né-moldu contourna ce sac de frappe faisant office de perchoir. À mesure qu'elle s'approchait d'un bureau désespérément vide en cette période, les traits finement sculptés d'un amusement précaire se commuèrent en une anxiété nuancée. Évidemment, il n'avait rien à cacher, pas plus à cette inconnue qu'à d'autres. Ici, tout était lisse, fade et sans âme, rien ne sortait de l'ordinaire, pas même l'ombre d'une artefact d'un autre temps ou d'une autre vie outre atlantique. Alors si elle cherchait de quoi le mettre en défaut, elle pouvait toujours chercher, retourner chaque tiroir, chaque placard, seuls les clous viendraient rassasier sa curiosité vorace.

❝J'en sais rien. Peut-être que quelques souvenirs oubliés pourraient répondre à cette question. ❞ Détaché comme bien souvent lorsque l'on venait à se montrer glaneur d'informations sur son passé, sa famille, Noma bottait habilement le cognard en touche. Le flanc appuyé contre le châssis d'une porte s'entrouvrant sur la salle de bain, le sorcier haussa sobrement les épaules. La lippe pincée d'un rictus joueur, ses sourcils se froncèrent très légèrement à la rhétorique d'une interrogation. À demande bête, riposte muette. Aussi préféra-t-il se faire gardien du silence. Les iris traquant sa proie, le tireur d'élite ne manquait aucun de ses faits et gestes. Immobile contre sa planche du salut, Karma la laissa ratisser son courrier. Là encore, entre son avis d'exclusion temporaire ou une invitation des plus banales à l'ouverture d'une maison de charmes, ce peu ne révélerait pas grand-chose à Peau-de-chagrin sur l'homme qu'il était réellement.

❝Je ne fréquente pas ce genre d'endroit pour assouvir des désirs personnels si c'est ce que tu crois ! ❞ Un sifflement un brin agacé qu'il jeta par pur dédain à celle qui estimait l'avoir cerner au détour d'une lecture. En vérité, il se foutait bien de ce qu'elle pensait de lui. Qu'elle puisse voir en lui l'un de ses pervers ayant la baguette qui le démangeait, lui bougeait une potion sans même toucher l'autre.❝Raffinée pour une jeune fille aussi grossière dans sa façon d'être ! ❞ Une stridulation hérissée serpentant l'unique pièce de son empreinte glaciale, le mépris se fit écho ricochant sur les pans de murs de l'appartement. Bien entendu, la robe ne faisait pas la sorcière, mais porté par la pluie de préjugés inondant leur conversation, l'américain pouvait bien à son tour faire trait de moquerie. Et alors que l'Éclectus s'apprêtait à donner de la voix et foudroyer l'impertinente à même le plancher, le voltigeur sollicita sa retenue d'une main à peine levée.

❝Le "piaf" est peut-être ce qui se rapproche le plus d'une famille, alors modère tes propos ! ❞ Premier degré à souhait cracher spontanément dans le superbe d'un affront, la prétendue "Thalie" abordait un sujet sensible. Néanmoins, en s'attaquant subtilement au rapace et tout ce qu'il représentait pour l'enfant des îles, la brune s'aventurait en terrain dangereux. Mais éventuellement, en poursuivant sur sa lancée, le vernis d'une susceptibilité sous-jacente finirait par s'écailler. Uluwehi avait été le fidèle compagnon d'une vie. D'aussi longtemps qu'il se souvienne, il avait toujours été présent à ses côtés. Il était son roc et au fil des années l''oiseau de paradis avait su se montrer bien plus loyal que le plus dévoué des hommes.

Ainsi, sans le vouloir, le Kanaka venait de révéler l'une de ses plus grandes faiblesses, sa loyauté. Une notion bien personnelle d'une fidélité envers le vivant, mais pas l'humain. Sa langue claquant contre son palais, en un soupir acide il tira sa baguette de sa manche. Abandonnant l'à-pic de son accoudoir, la flute de chêne rouge vint rouler sur la table. Profitant que la jeune femme soit affairé à décortiquer sa correspondance, Noma s'allégea de ce sweat-shirt à demi humide par la rosée et enfila dans la foulée son t-shirt de la veille encore imprégné des effluves de tabac et de whisky. Après cette rencontre, il aurait cruellement besoin d'une douche, songea-t-il. Le parfum repoussant de l'alcool se mêlant à la poisseuse sueur, cet onguent d'une hydrorrhée aggloméré aux soupçons de déchet lui arrachait des haut-le-corps. Mais par dessus tout, cette compagnie dégradante lui donnait des envies de laver l'écume de l'indélicatesse souillant son pied-à-terre d'un feudeymon purgateur.

@Noma Karma & @Nott Tyrfing | Musique | 10.09.23

« C’est ce qu’ils disent tous, oui » souffla Nott d’un air mi-lassé mi-moqueur, jetant un regard à Noma qui affichait un visage tordu par le dédain. Peut-être pas lui, c’est vrai, mais elle ne le dirait pas, c’aurait été lui offrir trop d’estime et elle n’en avait plus assez. Le filet s’était étiolé très tôt, à force de trahison, et dans l’adversité des neiges de Sibérie, elle avait enfin compris que face à la mort, on est seul. C’était aussi là-bas qu’elle avait pris cette malédiction – son don de métamorphomage – comme une bénédiction. C’était devenu une façon pour elle de se dire qu’elle était suffisante à elle-même. Quiconque elle désirait, elle pouvait le mimer, imaginer une main sur elle-même revenait à modifier la longueur de ses doigts, la fermeté de sa peau. Ô, bien sûr tout ça n’était jamais qu’un fantasme, qu’une pensée fugace qui la prenait quand l’alcool finissait par la noyer. Peau-de-Chagrin revenait à ce moment-là, avec son attitude de chatte sauvage, avec ses grands sourires moqueurs, ses façons de jeter tout ce qu’elle pensait au visage de quiconque la toisait comme il le faisait.

Alors qu’elle attaquait une nouvelle fois, comme elle le faisait à chaque fois, la réponse de l’agent Karma jeta comme un froid. Ce n’était pas suffisant pour faire dégriser tous les atomes que constituaient cette nouvelle chaire, cette enveloppe protectrice, mais c’eut le mérite de la troubler.

Les yeux de Nott se posèrent sur l’oiseau alors qu’elle le détaillait avec une attention toute particulière. Elle ne reconnaissait pas la race de la créature, mais elle imaginait qu’à ses couleurs il devait venir de l’autre côté de l’eau, peut-être d’une jungle ou d’une île paradisiaque. Noma n’avait pas l’air d’avoir vécu au bord de mer, tout du moins il n’en parlait jamais. Peau-de-chagrin, elle, y avait fini, et parfois, Nott avait l’impression qu’à la façon d’une possession étrange, le corps s’effrayait d’une douche ou d’un bain, comme si l’angoisse de se retrouver une nouvelle fois au fond d’un ruisseau sale lui revenait, la submergeait toute entière.

Peut-être n’était-ce qu’elle, sa psyché brisée ou l’alcool.

L’alcool était pourtant réservé aux gens heureux, en Norvège, pensa Nott.

La sorcière détourna son attention de lui, sentant qu’elle le fixait depuis trop longtemps. Sa main se posa sur les trois petites enveloppes. Aucune n’était écrite par une amie, par une amante, ni par une mère. Tout était si vide, si froid. Comme un appartement témoin.

Le sien ressemblait un peu à ça aussi, quand c’était rangé. L’appartement de Nott Tyrfing était souvent un chaos. On lui avait dit fut un temps que c’était à l’image de ce qu’il y avait en dedans. La sorcière avait souri, mettant cela sur les multiples identités qu’elle devait sans cesse endosser, l’une après l’autre, sans jamais se tromper d’accent, d’identité, de prénom ou simplement de réflexe. L’épuisement faisait que chez elle, elle se perdait, elle se noyait, elle s’enfonçait.
Mais dans le chaos de cette maison, c’était aussi là où elle se ressourçait, s’enfonçait dans les trop nombreux coussins. Dans la maison de Nott Tyrfing, il n’y avait aucun miroir, et toutes les vitres étaient opaques pour n’offrir que des jeux d’ombres.

Maintenant qu’elle y pensait, ça rendait la chose encore plus triste et délirante.

« C’est triste dis comme ça » souffla Thalie, sur un ton qui laissait croire qu’elle était sincèrement peinée pour lui. Elle ne le regarda pas ; ses yeux traînèrent sur le mur, pour apercevoir une décoration, un cadre, quelque chose. Quelque chose qui aurait pu changer la donne, mais rien.

Elle se disait que les humains n’accordaient pas assez d’attention au choix de leur mot. Si Noma n’avait personne et que cet oiseau était ce qui se rapprochait le plus d’une famille, pourquoi n’avait-il pas tout simplement dit qu’il était sa famille ? Une articulation qui permettait de garder à l’écart les autres. Même l’oiseau y avait le droit. Tenu à bout de bras. Pas trop proche, car Karma ne laissait personne approcher assez près pour ça.

Malgré l’alcool, Nott s’imaginait clairvoyante, capable de lire les cœurs. Elle en avait de l’expérience et ses intuitions étaient généralement bonnes, sinon quoi elle n’aurait jamais tenu aussi longtemps en planque en Norvège. Et si son intuition était bonne, alors oui, c’était triste.

Mais pour qui était-elle le plus triste ? Pour lui qui se trouvait si seul, ou pour elle, qui n’avait même pas d’oiseau ?

« Je m’excuse alors », ses doigts pianotèrent sur le bureau, son regard glissant sur le canapé bien rangé. L’appartement lui criait des choses, mais Nott savait très bien que c’était l’alcool, alors elle eut finalement un rire, après pourtant avoir été si sincère pendant quelques secondes. Elle remit une mèche de cheveux derrière son oreille et murmura, presque en minaudant : « On ne va pas pouvoir être ami tu sais. Un mec pas heureux et une meuf pas heureuse, ça fait pas une amitié heureuse, pas plus que deux perdus font jamais un trouvé. »

Et ça elle le savait bien.
Avec Ebenezer… Avec Ebenezer…

Ce prénom n’arrêtait pas de lui revenir et désormais, perdue au milieu de ce petit appartement, elle se sentait encore plus idiote, encore plus désespérée, qu’elle ne l’imaginait. Vivre sa petite vie avec Mira Aslan alors qu’elle, elle restait là, figée comme Job sur son tas de fumier.

« Je crois que je dois aller bosser », pensa-t-elle tout haut, le nez tendu vers la fenêtre où le soleil peignait désormais une partie du ciel. « Ou vomir. Je ne sais plus. »

Bosser pour oublier, c’était une bonne méthode.
Ç’avait bien marché jusque là, pourquoi ça ne marcherait plus ?  

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En un soupir fade flanqué d'une moue morne à souhait, le né-moldu tourna le dos à Peau-de-chagrin. Las, le front collé au vitrage vibrant de tiédeur, les bras paradant sur son torse, il se figea devant les doubles verrières. Ses iris chatouillés des sillons de Phébus, il contemplait l'artère s'émouvoir sous les va-et-vient des passants et voitures, sans réellement les apercevoir. Aveuglé par les reflets perçant d'entre les grands ensembles tombant en ruine, les grains solaires pinçaient le verre pour se poser en picotement sur le voile au cuir tanné de paupières lourdes. La matinée était encore jeune, mais la chaleur commençait déjà à s'insinuer en rouleaux secs et tassés entre les briques craquelées. Pourtant, elle peinait à réchauffer un être muré d'un sentiment terne et névrosé. En un haussement d'épaules apathique, Noma chassa la douce-amère amende honorable entamant son échine. Il ne voulait pas de cette cordialité à demie feinte, pas plus qu'il ne convoitait ces élans fleur bleue sonnant d'hypocrisie. Elle pouvait bien se les garder sous sa couenne de viande saoule.

❝Garde ta pitié et tes excuses pour ceux qui en veulent… ❞ …ou qui les méritent vraiment ! La brume éphémère de son indifférence se jouant fille de l'air sur le carreau, l'insulaire ne daigna pas même lui faire face. Au fil de l'eau, l'enfant terrible avait appris à coexister avec lui-même, et lui seul. Ne pas avoir besoin de se reposer sur les autres, à attendre que dans leur grande mansuétude, ils acceptent cette part prépondérante d'ombre qui le composait. Aussi, les maigres dispositions de l'humain à le comprendre avait toujours facilité la chose. Depuis, isolé du vivant et de ses maudits représentants, reclus de cet émotion qu'ils appelaient le bonheur et qu'il se refusait, la vie lui semblait plus juste. Et jour après jour, les papillons noirs l'habitant ostracisaient cette nitescence prisonnière du bol de l'enfance. Mais avait-il jamais vraiment était heureux ? Lui le gamin à la coupe de lumière toujours pleine de rocailles ;-celui-là même renié par ce droit au bonheur, qui chaque soir laissait les fruits de le terre roulés hors de leur écueil, avec l'espoir fragile de voir éclore le phénix d'un sentiment providentiel.

Elle pouvait bien partir, si tel était son désir. Et pour toujours songea-t-il à huis clos. Qu'elle parte pour ne jamais revenir, lui ne la retiendrait pas. Parce que Peau-de-chagrin était le souvenir de ce bruit doux et âpre. Celui de l'agate qu'il déposait au fond de sa jatte lorsque les doutes, les tracas et les peurs se faisaient perspective et destinée. Elle, comme tous les autres, était ce qui l'empêchait de goûter à l'aménité de l'allégresse. Elle était cette présence bâillonnant le plaisir éprouvé au travers des instants solitaires. ❝Tu veux bien attendre d'être dehors pour vomir ! ❞ La lassitude avait fait place nette aux embruns léchés de colère. En aucun cas, cette ivrogne ne viendrait à rendre sa gnole sur son parquet. Tournant les talons, le voltigeur avala les quelques mètre le séparant de son bâton de chêne. Paré à lever sortilèges et enchantements afin de garantir la blancheur de sa garçonnière, ses doigts se refermèrent sur sa baguette. L'extrémité de sa flûte de rouvre braquée sur la brune, l'américain était prêt à coudre les lèvres de la sorcière pour peu que cela lui épargne un récurage . 

Sûrement pas. Alerté par la détresse d'un cœur en pleine dérive, sans qu'on ne le remarque, l"Éclectus" avait quitté son perchoir. Il courrait désormais la pâture aérée d'une hauteur sous plafond propice à une ronde captivante. Et le bruissement de ses ailes ne tarda à se conjuguer aux charmes d'une mélodie enchanteresse. Apaisant les mânes d'un fervent lyrisme, l'aubade enveloppa l'unique pièce de l'appartement ainsi que ses deux occupants. Tout en douceur, atterrissant avec tendresse, les serres de l'oiseau harponnèrent les courbes de galons crispés. Réceptif aux louanges roucoulées de son colocataire, le Kahuna sentit un profond apaisement le dévorer. La tête calée dans l'encolure ouverte sur la peau, le Jacquot flatta le cou de l'hawaïen d'une caresse. Sa complainte étouffée contre la porcelaine de la chair, un sourire d'une sincérité éblouissante tordit la nuque aux bourrasques agitées de cette agressivité passagère. ❝Sinon, les toilettes sont sur ta droite ! ❞ D'un air béat hoqueté, en un tour de poignet, le caducée toussa une rafale rogue s'en allant crever contre le porche de ce lieu d'aisance.