Sleeping Beauty

L’ambiance de l’hôpital était pesante, mais James était venu aussi vite qu’il avait appris. Il se fit d’ailleurs la réflexion qu’en ce moment cela n’arrêtait pas mais se garda bien de faire la moindre sortie de ce genre, alors que cette fois il semblait qu’Alice s’était encore enfoncée dans cette étrange maladie dont on ne savait pas grand-chose sinon qu’elle affaiblissait la petite française de Brivael.

Comme un oiseau de mauvais augure, James fila le long des murs silencieux. Le silence ici n’était jamais qu’une illusion bien tapissée ; derrière toutes ces portes, il s’imaginait les longs râles d’agonie des âmes en souffrance qui résidaient à cet étage, mais il préférait en chasser la pensée. Il avait pris assez de retard comme ça à discuter avec @Asel Misra qu’il avait croisé à l’entrée, s’étonnant de la voir ici plutôt qu’à Poudlard. L’ancien tuteur en droit magique de la jeune femme n’avait pas creusé la question mais la jeune femme semblait heureuse et épanouie à défaut du reste, et c’était ce qui était le plus important avait fini par dire James, ce qui sonnait étrange entre sa langue-de-plomb.

Il arriva rapidement devant le numéro de la chambre qui devait être celle d’Alice. Au lieu d’entrer aussitôt, il eut un moment de recul,  ou plutôt, de surprise. Ses yeux se perdirent sur la porte avec une étrange impression lancinante, comme un arrière-goût d’amertume ou de fiel. Ce déjà-vu lui fit un peu peur mais James termina de toquer trois petites fois et d’entrer dans la chambre où il n’y avait, à sa grande surprise, que Brivael et leur père.

Il n’eut besoin d’aucun mot pour comprendre que Joleene avait dû prendre les deux fillettes, au moins le temps que Brivael puisse prendre du temps avec Alice et Alice seulement.

« Bonjour, j’ai fait… au plus vite », hésita-t-il alors que le regard de Lester se posait sur lui, mais James préféra l’ignorer, et referma la porte derrière lui.

D’un air mal à l’aise, il approcha, et même si ce n’était pas la première fois cette année – et depuis la naissance de la petite seconde – qu’Alice se retrouvait à Sainte-Mangouste, il pouvait sentir une différence subtile. Quelque chose qui le sortait un peu de l’ordinaire et en même temps l’inquiétait.

« Est-ce que ça va aller ? »

Quand il se rapprocha de Brivael et Lester, ses yeux allèrent naturellement sur Alice dans son lit de drap blanc. La mère de famille semblait endormie, mais elle était si pâle qu’on aurait pu bien croire qu’elle était morte. La vision troubla James et il se doutait qu’elle devait mortifier Brivael, même s’il semblait se contenir.
Il détourna le regard par pudeur, tendant une main presque timide vers Brivael pour le saluer, trop maladroit ou hésitant pour oser offrir plus.

Les relations avec son frère n’avaient jamais été mauvaises, mais les deux figures parentales n’avaient pas aidé à construire ce lien comme ils s’étaient construits avec la petite dernière où James s’était immanquablement senti responsable d’elle. Il n’avait jamais imaginé que Brivael ait pu ressentir cette chose vis-à-vis de lui et en enfant du milieu, il avait eu l’impression de ne pas exister vraiment. Ça n’avait pas rendu les choses si vilaines que ça – Brivael ne lui en avait du moins pas tenu rigueur puisqu’il avait été nommé parrain de sa première fille – mais il sentait une réserve qu’il n’arriverait peut-être jamais à crevé. Une distance qu’il observait dans toutes ses relations, y compris avec sa famille, car c’était le modèle qu’il s’était créé tout simplement et celui dans lequel il se sentait à l’aise.

« Qu’ont dit les docteurs ? »

L'entrée de James avait tiré Brivael de ses pensées, ses yeux gris, lumineux comme un ciel d'aurore s'étaient levés vers son jeune frère, soucieux. Brivael avait la dignité d'une lignée entière sur les épaules, droit et solide en apparence. Il n'avait jamais failli dans ce rôle qu'on lui avait mis entre les mains depuis sa plus tendre enfance. La seule faveur qu'il eut jamais demandée avait été la main d'Alice Desrosiers, chose que le vieux Lord Lester Grey avait concédé, faisant la sourde oreille aux injonctions qui bourdonnaient autour de lui, le pressant à marier son aîné dans un lignage au moins aussi élevé que le leur.

Intérieurement, au-delà de la belle surface lisse qu'il offrait à voir à tous, l'image de la plus aimée de toute les femmes, si défaite dans ce lit qu'elle semblait ne plus devoir quitter, le brisait. La vue de sa douce Aethefled, pleine de vie et curieuse du monde, portrait de sa mère, commençait de lui devenir insupportable. Quant à la petite dernière, Sieglinde... avait-il jamais été éduqué à changer les langes d'un nouveau né ? Il avait déjà bien malgré lui du mal à lui pardonner tout ce qui avait suivi sa naissance. C'était peut-être le plus difficile à avaler. Cet ignoble ressentiment quand il n'aurait dû être qu'amour envers le fruit de leur amour. Mais elle dépérissait, tandis qu'elle prospérait. Peut-être parce qu'Alice avait trop donné. Où bien était-ce de sa faute à lui ?

Brivael s'éclaircit la voix, chassant ses idées noires.

« Ils ne sont guère optimistes. »
« Tous plus incompétents les uns que les autres, c'est mon opinion. », siffla le vieux Lord, du haut de sa carcasse décharnée.
« Ils ne le sont pas père. »

Brivael contredisait rarement leur père. Son visage fermé en disait pourtant long sur ce qu'il avait dans le coeur.

« Je dois aussi m'occuper des formalités de la propriété de Flagley-le-Haut. J'aimerai avoir ton concours James, si ça n'est pas trop demandé. Je sais que tu es déjà très investi auprès d'Ana en ce moment... »

Il avait déporté son attention vers la silhouette sans couleur d'Alice, ne soupçonnant pas un instant le pavé qu'il venait de jeter dans la marre. Ce fut l'aura sombre de leur père qui lui fit comprendre qu'il venait de mettre au jour quelque chose de fort déplaisant, quoiqu'il ne sut bien quoi. Lord Lester avait toujours adoré sa nièce aînée et par ailleurs, sa proximité avec James remontait à si loin qu'elle était devenue aux yeux de Brivael, un lieu commun. Il avait bien remarqué quelques orages dans les dernières années, mais il n'était pas assez proche de son frère pour y avoir vu plus loin.

Lord Lester en revanche, dardant son cadet d'un oeil noir, semblait retenir ses coups.

MADE BY @ICE AND FIRE.

Les mots de Brivael lui tirèrent un pauvre sourire qu’il figea sur ses lippes alors qu’il imaginait déjà l’agitation - pour ne pas dire le tumulte - qui s’en suivrait si sa mère l’apprenait. Il n’avait jamais eu vraiment le fin mot de l’histoire mais il avait fini par se douter qu’ils savaient, d’une façon ou d’une autre, que les jeux innocents des deux chérubins avaient fini par faire germer ce qui était en dormance depuis le début.

« Oui, oui... Cela va de soit. Si tu as besoin de quoi que ce soit, pour la maison ou les filles, je poserais quelques jours. La famille est ce qu’il y a de plus important. »

Cette fois, son regard glissa jusqu’à Lord Lester avec une certaine témérité, pour ne pas dire un quelque chose de piquant. James n’était pas d’ordinaire si téméraire avec celui devant lequel on ne comptait jamais jusqu’à six, mais il n’avait toujours pas digéré ce que Lady Joleene avait fait et la sentence n’était toujours pas tombée ; ni sur lui, ni sur elle.

Devant un Brivael visiblement peu aux faits, James eut un peu de pitié pour lui. Si les docteurs étaient aussi peu optimistes qu’il le disait, et qu’ils étaient aussi compétents qu’on le voulait, alors peut-être allait-il finir par la perdre véritablement.

Le cadet eut un moment d’hésitation, avant de finir par jeter un regard à son père qu’il découvrait chaque jour, chaque année même, de plus en plus usé, de plus en plus défraîchi. Une santé déclinante, même si tout le monde l’imaginait bien enterrer le très et trop vieux Manfred McSwann. C’est dans l’oeil de James que Lester avait sans doute le plus vieilli, et le plus mal. Symphony y voyait encore cet homme si rustre mais si aimant. James, lui, n’y voyait qu’une coquille de moins en moins alerte, un esprit de plus en plus lent. Soixante-quinze ans, cela n’était pas si vieux pour un mage mais les années folles de sa jeunesse et dix ans à Azkaban avait laissé sur son visage des traces indélébiles.

Il sentait l’hostilité de son père, et si fut une époque cela l’aurait poussé dans un trouble tangible, où il se serait probablement mis dans une colère noire et aurait fini par défouler toute cette hargne en lui sur la première chose sous ses yeux, il n’y eut à Sainte-Mangouste qu’un James quasi indifférent. Ses yeux mettaient presque en garde de ne pas regarder dans ses affaires, et encore moins dans celles-ci. Il avait trop longtemps rougi, trop longtemps souffert, et s’il avait eu à perdre Ana ce jour où Broadwick avait été inconscient, alors sans doute leur en aurait-il voulu à ce père et à cette mère non pas incapable de l’entendre mais cherchant par dessus tout à le museler.

James souffla, sentant l’atmosphère devenir plus lourde, à l’adresse de son père :

« Est-ce que vous désirez faire quelques pas avec moi ? Brivael a peut-être besoin d’un peu de temps, et ni vous ni moi ne sommes d’une grande aide en ce qui concerne la médicomagie. »

Et c’était peu dire.

Et peut-être que pour une rare fois ils auraient enfin une discussion.

James n’en attendait pas autant. Il n’avait jamais été très doué pour parler, quant à ses sentiments il avait décidé de les enfermer il y avait fort longtemps et personne ne s’était jamais inquiété de voir le petit garçon toujours indifférent et anesthésié. Il avait fallu voir l’adolescence et ses colères orageuses pour voir enfin l’enfant vivre. On l’avait décrit à l’époque à l’image des cadets Grey et il en avait conclu que c’était pour ça aussi qu’on l’avait si vite écarté de Brivael. Comme si une peur rampante était encore là à l’idée qu’il ne s’amourache d’Alice Desrosiers et ne tue son frère pour elle.

Si seulement, pensa James, avant d’inviter son père à le suivre : « Vous n’aurez qu’à me parler de Duncan Hemmington. Il semblerait qu’il ait encore fait parler de lui récemment... », et pas des moindres, puisque sa petite nièce avait fini arrêté lors d’une sale affaire par l’agent @Noma Karma. C’était @Fergus Clearwater qui le lui avait dit, et qui avait même rajouté que Nott avait été particulièrement douce avec Noma en acceptant l’arrangement  proposée par l’avocat de la défense et tolérée par Brivael, à savoir une mise à pied de l’agent et une extradition de Jill Hemmington vers l’Irlande. Une sombre histoire qui finissait bien pour Duncan, donc, qui devait en valoir une bonne à la famille Grey après ça.

Il ne pouvait qu'en convenir : la famille était ce qu'il y avait de plus important. Telle était l'éducation qu'on leur avait donnée. En dépit des difficultés et des sacrifices que cela avait demandé à chacun, Brivael s'était affirmé dans cette conviction au même titre que James. Il acquiesça à nouveau silencieusement, reconnaissant de cette main tendue. S'il n'avait sans doute pas une relation idéale avec James, ils s'attachaient à être présents lorsque c'était important. Le fait que son cadet soit le parrain de sa fille aînée en disait plus long que n'importe quel autre choix qu'avait pu faire l'héritier de Lester Grey dans sa vie. De même il fut reconnaissant à son frère de lui accorder ce petit temps avec son épouse, loin de toute autre considération. Au regard de James, celui qui avait précédé cette invite, Brivael pouvait deviner qu'il s'apprêtait à vider quelque querelle dont lui n'avait pas connaissance. Le regard en fente de meurtrière de Lord Lester suffit à en apporter confirmation. Pour autant, leur père se contenta d'approuver dans une économie de mots à toute épreuve.

Lord Lester Grey précéda son cadet, comme il convenait et parce qu'il n'était pas un suiveur. Il appréciait rarement d'être amené vers des sujets qu'il n'avait pas lui même suscité mais il semblait que cette fois, il avait quelques intérêts à cette confrontation. Refermant la porte, presque avec douceur derrière James, il le darda longuement de son oeil si noir et si clair à la fois. Cet œil, James l'avait enduré maintes fois mais ce jour-là...

C'était un sujet que Lord Lester avait longtemps retourné dans la solitude de son secrétaire, presque toujours fermé à double tour. Lady Joleene l'avait mis en défaut, outre passant ses prérogatives pour protéger leur cadet d'un retour de bâton qui lui faisait peur. Quant à James lui-même...

Voilà qu'il se lançait sur un sujet des plus innocents, du moins de son point de vue. L'amitié qui liait Duncan Hemmington à Lester Grey n'avait jamais pâli et dans leurs heures sombres, certaines idées s'étaient faites jour. Le regret de n'avoir pas su lier leur famille plus tôt. Mais Lord Lester balaya le sujet après quelques minutes de lourd silence, à marcher dans le couloir de Ste Mangouste.

« Vous êtes né dans la mauvaise époque, c'est indéniable. A tout autre temps, je vous l'aurais donnée comme la meilleure des femmes, vous en auriez été heureux sans vous rendre compte de votre bonheur mais les choses sont ainsi faites et il vous faut vous faire une raison. Lady Joleene vous a causé un tord qu'il est à présent trop tard pour réparer. Sa faute est trop grande pour que je puisse la lui pardonner et pourtant je dois de me contenter de lui infliger la seule punition d'en avoir conscience. Si elle s'en était remise à moi, je vous aurais fait passé le goût de tels amours à ma manière. Il ne fait pas bon mêler la magie à ce genre d'affaire... », il se rappelait un temps de sa lointaine jeune où il avait cherché à éloigné sa soeur d'un homme pour seulement l'y voir perdre son âme. Se retirant un instant en lui même en souvenir de cette triste affaire. Comment aurait-il pu ne pas comprendre lui qui par amour purement fraternel aurait tué pour sa jumelle. Ne l'avait-il pas fait d'ailleurs ? « Pour votre malheur, vous portez aussi sur vous tous les stigmates de votre naissance. Vous êtes un Grey. Vous le portez sur vous comme Brivael en montre l'exact opposé. Ce qu'on lui pardonnerait, à vous on en ferait reproche pour toutes les générations à venir et c'est une chose que nous ne pouvons plus nous permettre. Si vous accordez un temps soit peu de valeur à ce que vous venez de jurer devant votre propre frère, vous ne persisterez pas dans votre erreur. Et si ce n'est pas pour votre famille, au moins le ferez-vous pour elle. Ne jetez pas l’opprobre sur ce que votre tante a pu accomplir, sur cette liberté d'être qui la suit comme une seconde nature pour la seule raison de son nom d'épouse. Et si cela ne suffisait pas, pensez que votre oncle, ce progressiste, n'est pas non plus issu d'un lignage d'enfants de coeur. Il ne consentirait jamais une telle union ... »

Le dos droit malgré le poids des années qui ne l'avaient pas épargné, Lord Lester allait dans ce couloir comme s'il lui avait appartenu, méprisant tous ceux qui en faisaient de même à l'exception de ce fils qu'il écrasait tout de même de son aura ténébreuse.

« Ducan se porte très bien. Il aurait avantage à trouver quelque union fertile à l'avantage de son blason. Mais on ne donne pas une fille sans y avoir réfléchi à deux fois... », conclut-il, signifiant par la désinvolture avec laquelle il était revenu au sujet des Hemmington, que la discussion était close pour ce qui concernait le reste.

MADE BY @ICE AND FIRE.

Comme une ombre dans le dos de son père, James ne pipa pas mot. C’est que même s’il avait voulu, il n’aurait guère su quoi répondre maintenant qu’il avait l’assurance que son père était bien au fait de ce que couvait son cœur. Chaque mot du sinistre Lester Grey touchait, comme autant de coups de couteau, et même s’il avait cru entendre ces mêmes mots de la bouche adorable d’@Ana Souvorov pendant des années, entrecoupés de ses soupirs charmants, ils prenaient désormais une dimension plus tangible, plus sale encore, car même si un mangemort et un meurtrier n’était pas en mesure de lui donner son accord, alors qui l’aurait pu ?
James baissa un instant les yeux, alors que son père finissait d’abattre le semblant d’espoir qui avait mûri ces derniers jours. Ana Karénine et le déshonneur. La morale foulée au pied. La bienséance baignée dans sa noirceur.

Il trouva un instant que tout cela était injuste, souffrant d’une bouffée de colère et de peine, jusqu’au fait même de sentir ses yeux se mouiller ce qui ne lui était jusque-là jamais vraiment arrivé. Mais pleurer ne changerait rien. Pleurer ne ferait que le rendre plus pathétique encore, dans son mauvais costume de Grey. Alors la colère remplaça doucement la coupe vide de ses sentiments, comme à chaque fois que quelque chose le peinait d'une quelconque façon.

Quand la discussion revint aux Hemmington, il ne restait rien de James qu’un visage blafard, couvert d’une colère silencieuse le rendant ombrageux. A ce moment-là, on aurait presque pu voir dans l’ombre du sorcier l’étrange silhouette qui n’était pas sans rappeler celle d’Hermenegild...