I’m too old for this sh*t

« Les super-pouvoirs c’est surfait. » Et ça a un prix. Celui du sang, souvent. Celui qui tâche et que vous voyez toujours malgré les nombreux lavages parce qu’il reste imprégné sur votre rétine. « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités et cætera. » Phrase qui me passait largement au-dessus de la tête lorsque je l’avais entendu au cinéma. Désormais, avec une main capable de traverser une cage thoracique, je saisis mieux. « Être normal c’est cool. » La normalité que je ne retrouverai jamais et dont j’ai difficilement fait le deuil. Celle qui rend la vie plus facile. Être humain, c’est bien. Un bon petit slogan de campagne à proposer aux prochains spécistes que je croiserais.

« Je suis de Cardiff. Ça ne s’entend plus trop mais si je continue à boire il est possible qu'il remonte. » Je sirote mon verre en souriant avec un brin de nostalgie. Ce bel accent que j’avais cultivé enfant s’écrasait chaque année un peu plus, comme l’écho de celle que j’avais pu être. « J’ai connu les deux mondes en grandissant et je confirme que c’est assez similaire. » Si ce n’est que les sorciers savent que les créatures fantastiques de nos contes pour enfants sont réelles. Les véritables monstres étant les humains. Être humain n’est peut-être pas une si bonne chose. « Pour ce qui est de mon trav… » Mais je n’ai pas le temps de répondre à cette question qu’il commence à enchaîner sur une plus directe qui me prend de court.

Je me redresse et tape du plat de la main sur le comptoir. « Chance, je t’arrête tout de suite ! Ne gâche pas ce moment ! » Autant je suis habituée que des clients me fassent du gringue, ça fait partie du métier et ça devient parfois un jeu, mais pour une fois que je me sociabilise avec une nouvelle personne sans trop broncher, il faut qu’il me fasse les yeux doux ! Je me pince l’arête du nez avant de secouer la tête. « Ce n’est pas le bon endroit pour chercher l’amour. » Je désigne une charmeresse qui passe non loin de nous. « Et si c’est pour le batifolage, il faut aller voir les autres. Crois-moi. L’enveloppe est peut-être sympa à regarder mais je suis bourrée de névroses, tu ne veux pas de ça dans ta vie ! Ni dans ton lit. » Je lui adresse un regard de supplication alors que je termine un autre verre.

Le barman de service vient prendre la bouteille de whisky et lance un regard appuyé sur ma tenue. « Le Friday Wear, tu ne connais pas ? » Tiens, est-ce que ça ne serait pas amusant de l’instaurer ? Tous les vendredis les filles en pilou pilou, allez, hop, je tiens un concept ! Et avec ce genre d’idées on met la clé sous la porte en quelques mois. Ce n’est pas pour rien que je ne suis pas décisionnaire et que je ne suis que bras droit. « GO CANONS ! » Que je lui ajoute dans les oreilles alors qu’il faut demi-tour et retourne servir un client.

« Pour ce qui est de mon boulot… » Je reprends l’air de rien. « Je suis arrivée là-dedans par hasard il y a une dizaine d’années. Et par nécessité, aussi. » A girl has needs. Ne serait-ce que pour manger sans avoir à chaparder. Pour pouvoir se payer un toit au-dessus de la tête. Je hausse les épaules. « Et faire des cocktails c’est marrant ! Je veux dire, c’est comme des potions mais en plus fun ! » J’attrape deux verres à shooter que je remplis d’eau glouglousse. Je lui en tends un et bois l’autre d’une traite. Un éclat de rire s’échappe de ma bouche. Suivi d’un éclat plus sincère cette fois. « See ? C’est pas aussi trépident que ce que je rêvais de faire étant enfant, mais il y a des bons côtés ! »

Je levais alors les bras au ciel, l’alcool commençant à faire son effet. Je connaissais cette citation ! C’était l’une de mes films préférés ! Avec le visage d’un gamin, je déclarai haut et fort :

« Hé mais c’est Spiderman ! »

Un peu trop fort d’ailleurs car beaucoup de personne commencèrent à me regarder avec étrangeté. Ouais. J’avais oublié que dans ce monde, tout ce qui touchait au monde moldu n’était pas vraiment la meilleure au monde… et surtout la meilleure chose à dire.

« C’est mon super héros préféré. » dis-je simplement dans une grimace.

Je sursautais alors quand elle tapa de la main sur le comptoir, renversant mon whisky un peu partout, je couinais parce qu’elle m’avait effrayé ET AUSSI parce que je venais de perdre plus de la moitié de mon précieux whisky pur feu. Epongeant comme je pouvais avec ce qui me passait sur la main, je bougonnais :

« J’cherche pas l’amour. L’amour ça existe pas. J’tentais. J’suis qu’un homme après tout. Mais j’savais bien que j’avais pas mes chances.. Mes chances ahaha pour Charlie Chance... »

Je la regardais, certain du flop que j’allais faire. Je m’envoyais alors le reste de mon whisky et je commendais la même chose, plus une pinte de bière. La bière, c’était pour m’hydrater et le whisky, pour oublier les conneries que je pouvais dire à la minute.
Alors qu’elle me racontait sa vie, et qu’elle m’expliquait comment elle avait attéri là, un shooter arriva devant moi. Observant les trois verres devant moi, je gonflais ma poitrine pour me donner de l’importance. J’allais y arriver. J’allais le faire. Prenant le shooter, je fis une horrible grimace et je me mis à tousser de tout mon être.

« KEUF TCHA OUAH ! Ouais… Les potions… les mélanges… Les supers pouvoirs, les responsabilités et les blondes inaccessibles... »

L’alcool m’était monté super vite au cerveau. Je regardais le barman qui reluquait sa tenue et au « GO CANON » je levais mon bras en signe de fidélité à cette équipe légendaire qui, j’en étais certains, allait gagné le championnat cette année et mettre fin à des années de malédictions.

« Tu rêvais de faire quoi ? Moi, j’voulais être Mécamage. Genre j’étais bien parti pour faire un MULOT là dedans… mais… j’sais pas. Imagine que les gens trouvent nul mes inventions. Qu’on me dise « Hé Charlie ! T’es un gros Looser ! C’est quoi cette invention de merde ! » j’m’en serais pas remis. J’ai trouvé l’annonce qui vendait le Magicobus et l’fond d’commerce. Avec Joey, on a sauté sur l’occasion. »

Je buvais mon whisky, fondant comme neige au soleil. Mes muscles arrivaient moins bien à me tenir à cause de l’alcool qui allait de manière plus vive dans mon sang.

« Et pour r’ven’ir à ce que tu disais tout à l’heure. Chui pas d’accord. C’est pas l’enveloppe qui m’intéresse chez une femme. C’est l’esprit et un joli visage, s’tout. Et t’as les deux. Tu devrais avoir plus confiance en toi. Tu viens de rater une chance de sortir avec Chance. Elle est passée. Finie. Ciao. Sous ton nez comme… comme… un boulet de canon ahahaha ! »

Mort de rire, mes yeux se révulsèrent et je tombais de mon tabouret.

« J’vais bien... » dis-je d’une voix incertaine.

« Je me voyais bien devenir la nouvelle Sydney Fox. Mais avec le chapeau d’Indiana Jones, parce que c’est classe ! Et… » Mais il me coupe à nouveau dans mon élan pour revenir sur le sujet qui fâche. Et il tombe. Encore. Quand il m’a dit être un soiffard, je n’ai pas imaginé que c’était à ce point. Ni qu’il boirait aussi vite ! Je n’ai pas tout de suite fait attention, bien trop occupée à essayer de m’enivrer, mais mon partenaire de boisson me semble clairement hors de contrôle. Cette fois il ne se redresse pas et reste au sol. Je contourne le comptoir de bar et viens m’accroupir à ses côtés. Je lui tapote le dos. « Il me semble t’avoir prévenu, Charlie. Je pense qu’il est temps que t’ailles te coucher, mon p’tit pote ! » Je passe mes bras sous ses aisselles et le relève, faisant mine que c’est une tâche difficile alors qu’une seule main me suffirait à le garder sur ses jambes. J’interpelle le barman et lui dis que je reviens rapidement, en montrant l’homme en difficulté. Puis, je passe le bras de Charlie par-dessus mes épaules. « Toi qui ventes si bien les mérites des couchettes de ton bus, tu vas pouvoir en profiter. »

Et je traverse le salon en sens inverse cette fois, soutenant l’homme qui tente de se débattre. « Tu as eu ta dose, Chance ! On continuera notre conversation une prochaine fois. » Parfois j’oublie à quel point l’alcool peut faire des ravages. Mes années étudiantes sont loin désormais et je ne garde que de brefs souvenirs des soirées de l’époque mais j’aime à croire que mes origines galloises m’aidaient à tenir assez bien le coup et que je ne sombrais pas comme l’homme ici présent. En même temps, il a une sacrée descente ! C’est à se demander s’il n’a pas essayé de suivre mon rythme…  Je fais un signe de tête à l’homme qui vient nous ouvrir et maintenir la porte le temps qu’on sorte de l’établissement.

Charlie dodeline de la tête, les yeux vitreux.  « Je pense que tu vas avoir un bon mal de crâne demain ! » Je ne vois personne dans la rue et me doute que Chance ne gardera pas grand-chose en mémoire de cette fin de soirée. Je décide donc d’arrêter mon cinéma, c’est une perte de temps. Je soulève le bonhomme et le porte dans mes bras. Un reboot woke de Bodyguard en vue, hurleront certains. « Allez Withney, on y est presque ! » Ah il est beau le héros ! Je me dépêche d’atteindre le Magicobus. Là je remets Charlie sur ses pieds et lui fais les poches pour trouver ses clés que je confisque par la même occasion. J’ouvre les portes et le porte sur l’épaule jusqu’à la couchette la plus proche. Tandis que je l’allonge et que je lui retire ses chaussures, il marmonne dans sa barbe mais je ne comprends rien. Je lui tapote la joue. « J’ai comme l’impression que je ne suis pas la seule à avoir un manque de confiance en soi, Chancie McChance ! » Je remonte la couverture sur lui et me redresse. « Quand tu te réveilleras, tu n’auras qu’à me faire appeler à l’Ensorceleur pour récupérer tes clés. Et ton survet'. Je n’ai pas spécialement envie que tu termines dans le décors. » Nouveau marmonnement inintelligible que je prends pour un accord. Je tourne donc les talons et quitte le bus qui m’a renversée quelques heures plus tôt pour retrouver l’abri de l’Ensorceleur.