Feather & Screw

Il avait ce petit air d'extrême concentration, appliqué qu'il était à réparer sa petite araignée méca-auxiliaire. Ses lunettes de précisions sur le nez lui faisaient d'énormes yeux globuleux ce qui avaient suscité beaucoup de ricanements sous cape. Il en était conscient mais il s'en contrefichait. Avec le temps, il avait fini par s'attacher à ce petit insecte mécanique, pas parce que la pierre rutilante qu'il avait sertie sur son dos en faisait presque un magnifique bijou, mais parce qu'il pouvait toujours compter sur cette minuscule bestiole pour le tirer d'affaire.  Dire qu'il l'avait à l'origine destiné à des travaux botaniques. A la réflexion, il y avait peut-être quelque chose à réfléchir là-dessus, mais il gageait que le professeur  @Morana Cynfeirdd aurait quelques réserves.

Au pied de la petite table où il était installé, son sac d'étudiant d'où dépassaient quelques rouleaux de parchemin blanchis. Un autre projet auquel il avait consacré trop peu de son temps ce mois-ci alors, pour compenser, il le traînait partout en se disant qu'il arriverait à s'y pencher entre les creux de son agenda. Ça n'avait évidemment pas été le cas.

Le club de mécamagie l'avait aussi largement occupé et l'idée de se présenter comme président, qu'il devait à Louise De Clare, n'y était pas pour rien. Il hésitait encore, pas certain de vouloir plus de responsabilités mais profondément convaincu qu'il fallait sortir le club de sa zone de confort. Il avait bien tenté d'en parler avec Griselda mais la jeune femme avait écourté à la première occasion.

Une minuscule vis de perlicium sauta pour aller rouler sur le parquet lustré de la salle commune. Il commençait à se faire tard et Sheraz avait vraisemblablement besoin d'une pause sans quoi il n'aurait pas serré à ce point la ligature magique. Avec un profond soupir, il se laissa aller contre le dossier de sa chaise, la tête en arrière en même temps qu'il relevait ses lunettes sur son front. Qu'importait qu'elles lui fassent des yeux de veaudelune, il adorait le petit côté steampunk qu'il avait avec ça...

Il releva la tête puis recula brusquement dans sa chaise en apercevant une vraie araignée sur la tête de sa camarade Eynaelle. Il aurait toujours du mal avec certains animaux de compagnie, comme ce répugnant crapaud que Gretchen McAllister trimballait partout. Il en oublia pour le coup sa vis échappée. C'était que la troublante présence de sa camarade n'aidait en rien à la concentration. Encore qu'étant averti, même surpris, il avait un semblant de self contrôle, ses cheveux ayant à peine pris un reflet auburn. La question était de savoir si ça allait durer... rien n'était moins sûr.

Heureusement, la remarque d'Eyna, les ramenant à leur tristement héroïque épisode, suffit à couper court pour un temps aux effets de ses charmes de vélane.

« C'est drôle. Tu n'es pas la première à me suggérer d'en avoir une petite armée sous le coude... » Il avait en mémoire la drôle de plaisanterie de @Selma Montero sur un escadron d'araignées tueuses. Ça ne l'avait pas vraiment fait rire sur le moment mais avec le recul...

Eyna avait sa petite façon bien à elle de toujours débarquer comme un cheveu sur la soupe. Comme si elle avait poursuivit une conversation débutée précédemment dans un ailleurs et un instant dont elle seule avait le souvenir. Sheraz sourit. Il avait toujours bien aimé Eynaelle en dépit de l'effet désastreux qu'elle pouvait bien lui faire parfois.

« J'aurais dû prendre une option duel et bouclier en SACM. », fit-il avait un demi-sourire. La sensation de brûlure sur ses jambes avaient mis plusieurs jours à disparaître de son souvenir. L'infirmière lui avait dit que c'était parce que le feu draconique était lui même emprunt d'une magie particulière et qu'il était fort probable qu'il en garde une trace d'une manière ou d'une autre.

Sur ces mots, la jeune femme change abandonne son attitude presque guillerette. A vrai dire, le changement est si flagrant que Sheraz la dévisage à son tour, sourcil froncé. Que s'apprête-t-elle à lui annoncer ?

« Un métamorphomage ? », répond-il, presque dépité. C'est qu'entre lui et son don c'est loin d'être l'amour fou, encore moins la symbiose parfait qu'il a cru entrapercevoir chez Eyna, « Piètre qui plus est. Je vois pas trop où tu veux en venir Eyna ? »

Pour le coup, il ne l'a pas lâchée du regard. C'est sans doute la première fois qu'il plonge dans ses yeux aussi longtemps d'ailleurs.

D'ordinaire, quand Sheraz fixait Eyna comme ça, elle savait bien pourquoi. Il n'avait pas besoin d'un don de vélane pour perdre ses moyens devant une femme. Mais cette fois-ci c'était différent. S'il ne la quittait pas des yeux c'était qu'elle lui apparaissait sous un nouveau jour, bien éloigné de la jeune femme enjouée et insouciante qu'elle avait toujours été... ou feint d'être. Les mésaventures gobelinesques avaient sans nulle doute excité une forme de paranoïa chez lui qui mettrait quelques temps à se dissiper.

« ... ou s'en servir pour nous tirer d'une situation puante en allant prévenir quelqu'un de confiance ? », répondit-il en soutenant son regard plus fermement encore. Il ne s'était pas vanté du rôle qu'avait joué la petite méca-auxiliaire dans l'intervention de  @Luke Korrigan. Dans les paroles d'Eyna, quelque chose lui rappelait ce qu'il s'était dit quand  @Selma Montero lui avait sorti cette boutade sur les araignées tueuses... « J'en ai une vague idée oui. Je pourrais en fabriquer sans doute des centaines mais je serais responsable de ce que les autres en feraient... »

Ça le ramenait aussi à sa promesse à cette entité bizarre dans le Gorsedd. La question de la responsabilité n'était anodine et d'ailleurs, jusqu'à présent, il n'avait jamais livré entre les mains de ses camarades que des créations parfaitement inoffensives, exception faite de ces petits méca-auxiliaires qu'il avait développé pour son amie Ana avant de les répliquer pour lui-même et en continuer l'amélioration.

Il acquiesça quand elle lui parla d'Helena. La mythologie grecque avait été l'un des premiers puits auquel son imagination avait puisé. La faute à une mère passionnée, et d'ailleurs, c'est aussi à cette passion qu'il lui devait aussi ce prénom bizarre et pas vraiment masculin. Il n'avait en revanche jamais fait le lien avec les vélanes du monde magique... ce détail piqua sa curiosité. Il n'avait aucun mal à superposer l'image d'une Eynaelle contemporaine à une lointaine - mais pas tant que ça - Hélène, mettant tous les hommes à genoux. En revanche ce que lui, Sheraz, venait faire dans l'histoire... sûr qu'il aurait été le premier à genou devant tant de grâce mais était-ce bien la peine de s'attarder sur ce détail ?

A nouveau les paroles de la créature lui revinrent : un détail sans importance... Eyna ne le voyait visiblement pas de cet oeil. Il eut un petit rire sans joie :

« Fascinant et formidable... », répéta-t-il tout à coup sorti de son Sheraz débonnaire habituel. Il y avait quelque chose de triste et sombre sur son visage, une flamme vorace dans son regard, « Eyna, je déteste ce que je suis, ce don. Il me prend en otage à toute occasion. Je ne fais que me ridiculiser qu'importe les efforts que je déploie pour en faire quelque chose... »

Même pas quelque chose d'utile, quelque chose de bon. Juste quelque chose. Ce Sheraz là, il n'était donné à tout le monde de le confronter. Il y avait quelque chose de douloureusement sincère dans l'aveu du mécamage. Quelque chose de très intime d'ailleurs...

Pour toute confirmation, il se contenta d'un sourire en coin et d'un petit regard appuyé. Techniquement, il n'avait pas prévenu le directeur Korrigan, mais sa petite méca-auxiliaire l'avait fait.

« Il faut dire que tu m'avais offert une belle diversion... »

Il laissa planer un petit silence, se disant qu'ils avaient même formé une belle équipe même si assez déséquilibrée de nature. Sheraz avait toujours éprouvé une grande sympathie pour Eyna. Cette sympathie s'était mué en une forme d'admiration, bien loin de celle délirante qu'il pouvait afficher quand une jeune femme un peu trop à son goût lui adressait la parole. C'était assez drôle quand on y repensait au vu des talents d'Eyna.

Quant au devenir de ses créations...

« Certes, , convint-il frileusement, « Mais tu sais de la théorie de la relativité à la bombe atomique il n'y a... non rien laisse tomber. », il ne pouvait pas s'empêcher de s'imaginer une invasion d'araignées tueuses. C'était une trop grande responsabilité pour ne pas y songer, « Tu as raison en soi. Et puis il faudra bien que je gagne mon pain un jour. Je trouverai le moyen de brider le truc, d'ailleurs j'en ai peut-être déjà un en fait. »

Il avait toujours à coeur de considérer ses propres limites comme l'objectif à dépasser. C'était sans doute ce qui le poussait toujours plus loin. Toujours, sauf quand il s'agissait de métamorphomagie. Eyna n'était apparemment pas passée à côté de ça.

« Euh ben... », voilà une question qu'il ne s'était jamais posée, « Je sais pas, j'aurais dit que c'était inné mais vu que tu me poses la question... », ça ne devait pas l'être tant que ça. C'était une chose dont il discutait très rarement avec  @Siobhán G. K. Almadovar , sauf quand les circonstances jetaient le sujet entre eux deux. En vérité, il avait toujours considéré le don des demi-vélanes comme quelque chose de spontané, peut-être parce que justement Siobhán ne pouvait pas un instant avoir cherché à la déstabiliser avec ça. Eyna avait apporté d'autres données au problème faisant montre d'une maîtrise fascinante dans tous les sens du terme. Huit années. Une révélation qui le faisait reconsidérer le problème de son propre don. Il grimaça furieusement à la mention de la pizza à l'ananas. Décidément, c'était presque universel cette histoire.

Il suivit son geste du regard tandis qu'elle pointait un doigt sur son torse, bêtement, jusqu'à avoir la tête tout à fait baisser sur ce doigt et relever un regard interrogateur vers la jeune femme. Qu'attendait-elle de lui ? ou qu'espérait-elle ? Il ne pouvait s'empêcher de se dire que les femmes qui faisaient partie de sa vie ( et  @Michel-Ange Grimm ) voyaient en lui des choses que lui, Sheraz, ne voyait pas.

« Ça n'est pas la même chose : ma magie de sorcier je la comprends. Il y a des gens autour de nous qui passent leur journée à nous en décortiquer le fonctionnement alors que ça... il y a quelque chose de tellement, intrusif... c'est à toi que je dis ça. Bien sûr que tu le sais... Je n'aime pas me faire remarquer. Du moins pas malgré moi. Et je n'arrive pas à trouver un regard devant lequel je n'aurais pas honte d'échouer. Et même au-delà de ça : je ne comprends pas comment ça marche. Quand je me dis que tout part de ce que je ressens je me retrouve à me réfugier aux cuisines après m'être réveillé dans le corps d'une fille, , il ne dirait pas laquelle et, curieusement, il ne se rendrait même pas compte qu'il n'avait éprouvé aucune gêne à l'avouer à Eyna, seulement ce petit relent de colère et de frustration qu'il éprouvait toujours lorsqu'il se confrontait à ces soit disant talents, « ... tu te rends compte ? J'étais tellement incapable d'y faire quoi que ce soit que la seule idée qui m'est venue c'est d'aller demander de l'aide aux elfes ! Et tu vas rire : l'ancienne directrice a fait en sorte qu'on vienne me donner des cours particulier. Une métamorphomage je veux dire... »

Il notait dans un coin de sa tête la proposition d'Eyna, acquiesçant silencieusement pour qu'elle voit que ça n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd.

« Il y a des niveaux très disparates au club de méca, mais c'est le genre d'idées qui plairait au président... », admit-il sans trop y croire. Il faudrait déjà que Poudlard accepte que les élèves s'enrichissent sans reverser de contrepartie à l'école et c'était loin d'être gagné. Le fait que le président du club n'y ait pas pensé lui-même était moins surprenant. C'était un garçon très sympathique mais pas vraiment le profil du leader fonceur...

« Il suffirait de verrouiller sur la programmation initiale, tout simplement. », pour une fois il ne se lança pas dans de grandes explications, comme il pouvait le faire parfois, quitte à endormir son public. Il s'emploierait simplement à appliquer cette simple méthode sur ces méca-auxiliaires. Ça ne ferait pas tout bien sûr mais ce serait une première sécurité.

Parlant de début, il eut un petit sourire quand elle évoqua l'idée de solliciter les Korrigans pour l'aider à progresser avec ce don qui lui menait la vie dure.

« T'inquiète, le Dir Korrigan est plutôt du genre abordable, enfin je trouve. Il a reconduit le tutorat de Christine Pâquerette pour cette année sans même que j'ai eu besoin de le demander. », en vérité, il ne s'était pas posé la question mais Korrigan l'avait forcément fait sans quoi, Miss Pâquerette ne serait pas revenue pour ces leçons particulières, « Quant à Sio c'est probablement la personne la plus serviable que je connaisse. Je suis même pas sûr que j'aurais le temps de mentionner qui que ce soit si j'avais besoin de quoi que ce soit. Enfin, tu vois ce que je veux dire, c'est ta cousine. »

Il eut un autre sourire, simple, presque niais. Il avait une sincère affection pour la jeune femme et - quoi qu'en pensent les autres - ça n'avait rien à voir avec son don de vélane ou son physique.

A nouveau, Eyna le poussait, convaincue qu'il ne fallait rien lâcher. Elle avait probablement raison car Sheraz avait tendance à être une vraie tête de nœud quand on abordait précisément le sujet de la métamorphose. Elle réussit tout de même à lui tirer une petite moue amusée.

« Dans deux minutes tu vas m'encourager à m'entraîner à me fondre en toi... », il s'entendit le dire en même temps que les mots sortaient de sa bouche et se corrigea prestement, « C'est pas... comme ça, que je voulais le dire. Mais t'as compris. »

Il y avait quelque chose d'un peu trop sensuel dans le choix des mots qui ne ressemblait pas du tout à Sheraz. Elle saurait que ce n'était que pure maladresse, sans doute. La jeune femme ne tarda pas à en revenir au sujet qui l'intéressait de toute manière :

« Oui. Je la vois une fois par semaine avec une autre élève. Je ne dirais pas que mes progrès sont dingues mais j'arrive à me reprendre neuf fois sur dix quand je dérape alors c'est un début... mais il y a quelque chose en moi qui se braque - c'est ce qu'elle pense - et tant que je mettrais pas le doigt dessus, je progresserai probablement pas des masses. J'essaie Eyna, je t'assure. Mais c'est vrai, y a quelque chose là-dedans qui me braque et je sais pas vraiment quoi. C'est pas le don en soi, parce que je suis comme un gamin quand je vois des sorciers capables de ça même si parfois en y repensant y a un côté un peu flippant. Imagine : si ça se trouve je ne suis pas du tout en train de parler avec toi mais avec un copycat. »

Evidemment que c'était bien elle, leur inimitable Eynaelle Sanderson.