Avez vous cette Sorcière? (Vicky)

Je me perdis un peu dans mon whisky alors qu’elle parlait. Clignant plusieurs fois des yeux, je fis un effort surhumain pour essayer de la comprendre. Certes je parlais bien l’anglais, couramment même. Mais ce n’était pas ma langue maternelle, et les mots qu’elle utilisait sonnaient de la même manière que les mots qu’elle voulait dire. Plusieurs fois, je l’écoutais en disant simplement :

« Hmmhmm. » d’un air assez poli.

Finalement, j’emmagasinais les informations, comme le faisait n’importe quel brigadier ou agent de la CIS. C’était un automatisme bizarre, et le soir, j’avais besoin généralement de trier les informations qu’on me donnait. Mais étrangement, je savais que demain, j’allais me rappeler de l’intégralité de ce moment, parce que je passais un bon moment, justement. C’était rare dans ma vie. J’émis simplement un petit rire et je répondis :

« Effectivement, gérer une affaire avec de la famille, ça ne doit pas être facile. Bien sûr que vous vous y prenez bien. Vous avez vu comment vous m’avez un pantalon à ma taille alors que j’ai de grosses cuisses ? Et quand Garlish est rentré… Quel sens de l’accueil... »

C’était de l’ironie bien sur. Je lui avais fait un compliment un peu gratuit parce que je la trouvais d’une gentillesse sans nom. D’ailleurs, c’était suspect. Certains mages noirs se faisaient passer pour d’innocentes personnes avant d’essayer de tuer leurs victimes. J’aurai pu lui faire un discret Legilimens, mais le problème était que j’avais peur de devenir fou en lisant dans ses pensées entremêlées.

« Non. Je n’ai plus de famille. Mes parents sont morts, et je n’ai ni frère ; ni sœur, ni âme avec qui partager ma vie. Quelques amis… de ça de là… Mais pas grand-chose de plus. Mon travail c’est ma famille. »

Il y avait eu une époque ou toute ma brigade était comme ma famille. Mais le Gouvernement Brésilien, avait préféré une fois les attaques de Lycans terminés m’envoyer à la CIS, au repos comme ils disaient. Je l’avais très mal pris, car de un ce n’était pas de tout repos et de deux, je m’étais retrouvé isolé comme jamais.

« Mais je crois que j’ai gagné une amie non aujourd’hui ? C’est bien comme ça qu’on fait en Angleterre ? On vit une drôle d’aventure, on rigole bien, et on devient ami non ? »

Je doutais qu’elle, cela l’avait fait rire plus que ça. Mais moi, je m’étais bien amusé avec Garlish. Reprenant mon verre, je le terminais pour en commencer un autre. Je brûlais de lui poser pleins de questions, parce que j’étais curieux d’en savoir plus sur elle.

« Et vous en avez, des amis ? Je veux dire, c’est idiot comme question. Vous devez en avoir plein. Vous êtes le genre de fille avec plein d’amis. Belle, intéressante, souriante. Bref. Vous n’avez pas la tête d’un vieux Capitaine bourru et aigri par la vie... »

Je grommelais en me caressant la moustache. La musique continuait de battre son plein, et quand mon deuxième whisky arriva, je posais enfin la question :

« Vous avez une maladie de diction ? Enfin une maladie… un ptit truc… Ohlala je suis si maladroit... »

Je jurais en portugais en passant mes moustaches dans mon whisky et en marmonnant des trucs incompréhensible pour une anglaise.

Le capitaine ne tarit pas d’éloge sur ses compétences de vendeuse, tant et si bien que Vicky en devint suspicieuse. Peut-être voulait-il simplement se montrer gentil afin de se faire pardonner le désordre mis dans la boutique. La discussion passa rapidement sur le sujet bien plus personnel de la famille et Vicky se mit à rougir malgré elle en apprenant la terrible histoire de celle du sorcier. Pas de famille, ni d’attaches mis-à-part le travail. Quel terrible façon de dérouler sa vie. Soudain, elle ressentit une grande compassion à son égard, souhaitant bêtement lui démontrer qu’une autre existence était possible. Mais au-delà de ce sincère élan, Vicky se contenta de resserrer ses mains sur son verre en silence.

Elle n’avait plus quatre ans, et il est compliqué en tant qu’adulte de tendre sa main à un inconnu en lui proposant de devenir son ami. C’était dommage car la vie aurait été plus simple ainsi. Il semblait à Vicky que passé un certain âge, on s‘encombrait d’un trop grand nombre de règles qui ne faisaient qu’alourdir un quotidien déjà bien trop complexe. Toujours aussi muette, la sorcière but une nouvelle gorgée avant de la recracher une nouvelle fois par le nez. Diego lisait-il dans ses pensées ? Voilà qu’il venait exactement de formuler son souhait du moment !

- Mais oui, je beuh viens… veux bien être motte arrive… votre amie, s’exclama la coutière en se mouchant dans sa serviette avant de lui offrir un sourire ravi.

- Pet vont trait doux… Détrompez-vous, je n’ai pas Dante tamis… tant d’amis que ça… Cette maladie de kid scions… diction comme vous dites pend rond cliquez… rend compliquée la moindre et tamis… amitié. Je fatigue vous sang… souvent les gens je creux quoise… que je croise, alors, pas pluie lard… la plupart du temps j’évite de rale paix… parler. Et, pends salée… sans parler, les relations vont où sans… ont souvent du mal à ulule voler… évoluer…

La sorcière poussa son verre pour se rapprocher du visage du sorcier afin de se faire mieux entendre. En réalité, elle bénéficiait des mêmes puissantes cordes vocales de son ancêtre Victoria dont elle portait le nom. Mais ses paroles restaient incompréhensibles peu importait leur volume.

- Faon tête… En fait, je suis bond thé… tombée dans une sceau pion… potion d’inversion quand j’étais te pipe… petite. Et depuis, j’inverse mou tes tôt… tous mes mots ! Je n’ai pas envers troqué… encore trouvé de me raide… remède à mon mal, mais je ne prépare poire… perds pas espoir !

Le sourire ravi de Vicky se voulait confiant. Après tout, elle venait de se faire un nouvel ami, ce qui était un formidable signe de bon augure. Le lendemain, @Améthyste Miller allait sans doute l’appeler pour lui annoncer qu’elle avait trouvé une manière de remédier à son handicap. Ensuite, toutes les portes s’ouvriraient devant la sorcière et avec son ami Diego à ses côtés, elle deviendrait tout simplement la reine du monde ! Et ce genre de pensées raisonnables n’étaient absolument pas alimentées par la bière bien trop forte qu’elle venait d’ingérer.

Diego sirotait son verre dans un silence et une concentration extrême. Il avait l’habitude des interrogatoires avec des gars amochés, qui avaient du mal à encore prononcer les voyelles, mais là. Il plissa les yeux sous les efforts et il sembla tiquer plusieurs fois sur certaines expressions qui voulaient vraiment dire des choses. Si ça se trouvait, l'ancien brigadier avait en face de lui une mage noir qui jouait un rôle à la perfection depuis le début. Gardant ses soupçons pour lui, il se contenta de répondre de répondre :

« C’est dommage que vous soyez un cas unique. Je suis sur qu’un remède doit bien exister quelque part dans le monde. Je ferais des recherches. »

Diego marqua encore un temps d’arrêt puis il se mit à sourire et finalement il poursuivit sagement :

« Et je ne doute pas que vous ferez de cela une force, encore plus demain qu’aujourd’hui Vicky. »

C’était des belles paroles, pour essayer de la réconforter car il voyait bien qu’elle souffrait intérieurement de ce problème. Gardant toujours le silence, l'agent de la CIS écouta la petite musique du bar sans rien dire. Demain, il allait devoir retourner au taff et il allait devoir reprendre mon train-train quotidien.

« Si vous voulez bien m’excuser, je vais aux toilettes. »

Et il se leva, sans savoir qu'il ne la reverrait jamais.

Accoudé au bar, j’étais en pleine discussion avec le barman, comme la moitié de mon temps. Il m’écoutait avec passion, alors qu’en réalité, je ne faisais que gagner du temps. Observant du coin de l’oeil cet Agent de la CIS avec Vicky je fis plusieurs fois quelques tiques nerveux sur mon visage alors que je parlais comme un livre.

« Teddy, tu vas pas me la faire à l’envers. J’te dis que c’est une affaire en or cette course d’Abraxan. C’est simple, tu me files 60 gallions et tu mises sur Bucéphale. C’était le nom du cheval d’Alexandre le grand. C’est pas dur, tu vois il est déjà gagnant. »

Le fameux Teddy s’appuya au bar en face de moi et fit une grimace. Il était absolument pas convaincu. En même temps je lui avais déjà fait perdre 100 gallions la semaine dernière. La combine marchait pas à tous les coups.

« Tu m’as déjà fait le coup la dernière fois. Et devine combien a fini celui des écuries Royales ? Tu sais Lord Felligton ? Dernier putain Grimm mais tu me prends pour un con ! »

Diego se leva pour aller aux toilettes. Pile poil mon angle de tire. Je me levais, prenait ma bière à la main et je fronçais les sourcils l’air hyper déçu.

« J’vois qu’on peut plus discuter. Très bien, tu rates l’affaire de ta vie, regarde bien les journaux demain. Tu verras comment Teddy McGuiniss échappa à la fortune promise. On en r’parlera. »

« Ouais c’est ça, casse toi et oublie pas de payer. »

Haussant les sourcils, je mis une main sur mon coeur d’un air choqué. Puis, je me dirigeais vers Vicky. Je la connaissais depuis très longtemps, car nos familles étaient commerçants sur le Chemin de Traverse. M’approchant à pas feutré derrière elle, je me penchais pour murmurer :

« Madame Graham, ne bougez pas. Vous êtes suivi par un membre des renseignements... »

J’attendis qu’elle se retourne pour lui faire un des sourires dont j’avais le secret. Finalement, je regardais ma bière et je poursuivais :

« Faut que tu viennes avec moi, et qu’on se tire de là. Le Brésilien là, il veut juste que tu deviennes une de ces sources. C’est à dire un poste de surveillance chronique pour la CIS. Crois moi, même s’il est beau gosse, c’est le genre de p’tite catin à toujours embrasser et jamais aller au lit. J’te paie un autre verre, viens. Et si l’humeur t’en dis, on ira jouer au Casino, tu sais que j’ai rien gagné depuis la dernière fois où on y est aller ensemble ? »

Le capitaine lui lança l’un de ces sourires sous sa moustache qui fit frémir Vicky, à moins que ce ne fut les effets de cette bière bien trop forte pour sa constitution. Elle suait de plus en plus, emmaillotée dans ce manteau aux boutons infernaux, et sa gorge se séchait devant ses compliments si bien tournés et polis par son accent roulant. La pauvre réceptionniste n’eut d’autre choix que de se jeter de nouveau sur sa bière pour la finir en quelques gorgées. Le liquide brunâtre lui tourna instantanément la tête, avec de secouer tout son corps inversé d’un violent hoquet.

Heureusement, le sorcier s’était levé avant de voir ce pitoyable spectacle et la Graham se jeta sur une serviette sombre en papier dont elle se tamponna le front ruisselant, laissant dessus une belle empreinte noire. Soudain, une voix se fit entendre à son oreille et Vicky sursauta grotesquement en lâchant un cri qui fut heureusement couvert par le brouhaha ambiant.

- Oh Ebe, c’est t...t...toi, souffla-t-elle, le visage livide et une main plaquée sur son cœur qui s’était affolé. T...t...tu m’as fait p...p...peur !

L’alcool avait fait ses ravages chez elles, troublant ses gestes et ses paroles au point qu’ils reprenaient leur bon ordre, défilant de manière presque fluides et sans aucune inversion. Son corps se montrait cependant révolté devant ce changement qui lui était imposé. Ses muscles tremblaient et ses lèvres butaient sur chaque mot qui voulait les quitter à l’endroit. Mais Vicky avait assez peu conscience de ce changement, et elle tournait ses pommettes rosies par la chaleur et la bière vers l’endroit où avait disparu le Mexicain en attendant de le voir réapparaître.

- J...Je sais q...qui il est ! Figure-t...t...toi qu’il vient t...tout bonnement de me s...sauver la vie ! Nous avons ét...é attaqués ! D...Dans le magasin ! T...t...tu te rends compte ? Pour une fois que j’ét...ais seule aux c...commandes… Il a fallu q...q...qu’un meurtrier débarque ! Quelle hist...oire mes aïeux !

En secouant sa tignasse ondulée, la sorcière se pencha sur son verre avant de s’apercevoir qu’il était vide. Avec un soupir déçu, elle releva le nez vers son ami, s’étonnant à moitié de le voir se dédoubler ainsi.

- Il ne veut p...p...pas que je devienne l’une d...de ses sources enfin ! Il veut s...sim...plement vérifier que j’aille b...bien car c’est un gentleman, figure-t...t...toi !

Se levant à moitié, la couturière tenta de repousser son ami d'enfance en secouant la tête.

- Non Eb...e, je ne veux p...pas venir au casino avec t...t...toi, t...tu vas encore dépenser t...tout ton argent et t...tu me demanderas une avance pour t...t’acheter un t...t...ticket de Magicobus p...pour rentrer chez t...toi ! T...t...tu sais que t...tu as un problème avec les j...jeux ! Et moi, eh b...bien, pour une fois q...que je rencontre q...quelqu’un qui a l’air sympath...ique et b...bienveillant, t...tu devrais au contraire être heureux p...pour moi ! C’est t...t...toi qui m’as dit que je devrais p...plus sortir ! T...t...tu vois, moi au moins je t...t’écoute !

Je fronçais alors des sourcils. Les mains dans les poches comme à mon habitude, je m’installais rapidement en face d’elle. Au pire, si le Capitaine revenait, je lui expliquerai la vérité, que je la connaissais depuis qu’on était gamin et que je l’avais connu alors qu’elle était à peine plus grande que la table. Observant son verre, je me mis à sourire en coin :

« T’as picolé ? Tu sais que ça te réussi pas. Enfin en terme de syntaxe t’as toujours tout bon. Mais en terme de résultat. Laisse moi deviné, il t’a donné sa carte, puis il t’a fait le coup du « Vous êtes vraiment exceptionnelle Vicky Graham. » Tu sais que j’ai deux dossiers sur lui pour avoir fait exactement le même coup ? Il m’a déjà piqué deux sources. Là il est en train d’essayer d’embobiner la personne la plus douce et gentille que je connaisse... »

Et naïve aussi. Observant toujours les toilettes, je vis enfin Diego sortir. Quand il me vit, il se figea. Heureusement, Vicky, elle, était de dos. Je le vis se mordre la lèvre et jurer certainement dans sa langue. Si je n’avais pas été avec mon amie, je lui aurai certainement fait un grand bonjour pour le provoquer, mais, là, je me devais de ne rien dire. Finalement, le laron se dirigea vers la sortie, car la source était compromise… Et sans payer qui plus ait.
Bon sang, j’avais pas un gallion sur moi.

« Tu devrais pas te focaliser là dessus. Ok, on va pas au Casino. On peut rester ici. Je vais t’en payer une autre, et une aussi à Diego, pour qu’on fasse connaissance ! Tu vois, j’ai des gallions plein les poches et tout va bien dans le meilleur des mondes... »

Je levais ma main, pour qu’on nous reserve la même chose. Le plan était simple. Saouler Vicky jusqu’à ce qu’elle ne soit plus opérationnelle pour comprendre ce qui lui arrivait, la ramener chez elle, et être là pour elle quand elle se rendrait compte que ce petit con de la CIS ne voulait que se servir d’elle. Bon, il restait le soucis pour payer… Mais je pouvais toujours sortir mon badge du Ministère et prétexter une intervention. Je ne l’avais jamais fait dans ce bar.

« Je pense qu’il reviendra pas. Je l’ai vu sortir. Je voulais pas te le dire immédiatement, je te connais, t’aurais été capable de lui sauter dessus pour l’empêcher de s’en aller en pleurant. Là, je suis là maintenant tout va bien. Non, tu n’as pas de problème. Non, t’es pas une looser. T’es la personne la plus gentille que je connaisse et tu mérites quelqu’un de bien. »

Je lui avais saisis brusquement les deux mains. Déjà, parce qu’avec ce qu’elle avait bu, on n’était pas à l’abri d’une crise d’hystérie ou elle se ferait mal toute seule, et ensuite parce que je tenais beaucoup à elle, et que je ne voulais pas qu’elle soit triste. Elle enchaînait un peu les merde. Les verres arrivèrent devant nous.

« Le problème c’est qu’il va falloir boire celle du Brésilien… Je m’en charge. »

Prenant les deux pintes, je l’observais derrière ses dernières, lui lâchant un peu les mains. Finalement, j’essayais de la rebooster un peu.

« Raconte moi comment t’en est arrivé à te faire manipuler. Et je t’en pris, te mets pas à pleurer sinon on s’en va. Et tu sais comment vont être tes sœurs si elles te voient dans cette état, rentrer en larme. C’est hors de question ça. »

Je poussais son verre devant elle et comme à mon habitude, depuis qu’elle était tombé dans ce chaudron d’inversion…

« Tu sais ce qu’on dit… Un de mordu, un de réprouvé. »

Se moquer du handicap de quelqu’un, était toujours la meilleure façon de relativiser ce dernier, et je connaissais Vicky depuis assez longtemps pour qu’elle ne le prenne pas mal. Enfin… j’espérais.

- J’ai p…p…pas p…picolé, s’exclama Vicky si fort que deux trois têtes se tournèrent vers eux. Elle secoua sa tignasse en pointant son verre du nez. J’avais c…commandé un d…demi de cidre, mais ils ont r…ramené cette b…b…bière qui doit être aussi alcoolisée qu…qu’une eau-de-vie !

Alors qu’Ebenezer vantait sa soi-disant douceur, la couturière lui souffla tout son agacement à la figure en secouant la main.

- Je suis p…p…pas en soie Ebe ! Je t…t’assure que le c…capitaine m’a réellement s…sauvé la vie ! Un mage nous a att…aqué dans la b…boutique alors qu’il était en t…t…train de se changer ! Je t… te jure, j’ai eu la p… p… peur de ma vie, j’ai b…bien cru voir ma d…dernière heure arriver ! Alors j’ai b… bien le d…droit à un p… p… petit remontant !

La sorcière attrapa son verre vide à deux mains, comme si ce geste lui permettrait de se redresser. Cependant, l’alcool lui tournait bien trop la tête pour lui faciliter la tâche, et son corps entier penchait en permanence un peu à gauche. Baissant sa garde, elle ne vit pas que son ami leur recommandait à boire, ce qui était sans doute loin d’être la meilleure des idées vu son état. Un peu pompette, Vicky tentait de se tourner pour voir si le capitaine finissait par revenir. A tous les coups Ebe allait lui faire peur !

Mais quand ce dernier reprit la parole, ce fut pour lui asséner une bien plus terrible vérité. Diego était effectivement parti, et ce de son plein gré ! Atterrée, Vicky lui refit face en se retenant à la table. Ebe avait apparemment l’impression qu’elle allait se mettre à faire une scène, et la sorcière en fut profondément outrée. Elle n’avait jamais montré d’elle une personnalité hystérique ! Certes elle avait été durant des années secrètement amoureuse d’une personne qui savait à peine qu’elle existait, mais ce n’était pas une raison pour l’infantiliser à ce point !

- M…mais je ne vais p…p… pas p… pleurer enfin, se défendit-elle en espérant que ses yeux ne brillaient pas trop d’émotion. Je ne p…p…pense p…pas q…que je suis une looseuse figures-t…toi ! Je suis p…p…parfaitement contente d…de la vie q…que je mène ! T…t…tu ferais b…bien de t…t’occuper un p…peu p…plus de t…ton p…propre b…bonheur ! J…je suis une p…personne responsable et mat…ure, c…capable de faire les choix les p…p…plus sensés qui s’imp…osent, moi !

La Graham espérait dur comme fer que son ami ne voyait pas à quel point sa fierté était blessée par ses mots qui avaient visés bien trop juste. Pour se donner une contenance, elle attrapa la pinte qu’il lui présenta pour en boire de longues et bruyantes gorgées. En reposant sa pinte, la modiste retint à grand peine un hoquet en se rendant compte avec horreur que son verre était déjà à moitié vide.

- Oh n…non, souffla-t-elle avec peine. Je ne p…p…peux p…pas encore revenir rentrer saoul ! Q…que p…penserait D…Dilshad de t…tout cela ! Il va me p…p…prendre p…pour une d…dépravée !

Je l’observais tristement. Elle avait vraiment pas de chance avec les hommes il fallait le dire. Et j’avais pas plus de chance avec les femmes mais là c’était ma faute, entièrement ma faute. Prenant le verre du brésilien, et le miens, je bus alternativement dans les deux. Je fis une grimace en posant la bière blanche qui était moins chère et que j’avais payé à l’agent de la CIS pour qu’il soit moins atteint que nous avec nos triples fermentations.

« La blanche c’est vraiment dégueux. Qui bois ca ? Il était louche... » commençais je pour lui remonter le moral. « Et tu sais, ils font ca tous les jours. Ils ont pas tous un travail de bureau. »

Je l’observais boire et je commençais à culpabiliser. Si elle se mettait en carafe c’était entièrement ma faute et j’en prendrais l’entière responsabilité. Une fois, y’a longtemps, c’était arrivé et j’avais du la porter pour la ramener. Une autre fois, ça avait été à mon tour. On avait été surpris par de l’alcool artisanal d’un vieux kobolt louche et elle avait eu une résistance exceptionnelle au brevage pendant que je m’étais effondré ivre mort à ses pieds. Là, c’était elle qui avait du me ramener et de ce que j’en avais su ca avait été toute une aventure.

« Mais non, t’es pas une looseuse. J’ai jamais dit ça. Au contraire, t’es la personne la plus courageuse que je connaisse… Continuez de bosser avec tes sœurs qui te parlent si mal. Et puis, t’es un rayon de soleil pour n’importe qui, qui croise ta route. Un jour, tu seras heureuse, et moi aussi, je serai heureux de voir ça. »

J’avais bien sur dévier la question de mon propre bonheur, que j’avais toujours fait exprès de dévier vers la merde à chaque fois que ça devenait sérieux. Au fond, j’avais juste une peur bleue de l’engagement et tout ce qui allait avec. Je ne me sentais à la hauteur pour personne, et je ne voulais l’imposer à personne également. Et ça, c’était le genre de chose que les sorcières merveilleuses comme Vicky Graham pouvait percevoir d’un seul coup d’oeil.

« C’est qui Dilshad ? Le gars qui tient la boutique à côté de la tienne ? Tu lui as tapé dans l’oeil ? En même temps c’est pas étonnant. Il a l’air super gentil. Et t’es un amour. Et… ho t’inquiète. Si tu n’es plus en état, je te ramène chez moi. Faudra accepter de dormir avec Ninja par contre. Tu sais à quel point il déteste qu’on le dérange… »

Ninja, c’était mon chat noir qui avait la facheuse tendance à attaquer toute personne extérieure et suspecte venant dans l’appartement. Très mauvais pour les coups d’un soir, mais parfait pour protéger les amis qui dormaient sur le canapé. Il n’aimait que les personnes de confiance, et le connaissant, il finirait par dormir lové sur une Vicky saoule comme jamais…

« T’as l’air de me cacher un truc avec ce Dilshad ? Il fait un peu peur non ? J’veux dire, il parle pas beaucoup, il a l’air triste ce gars. Tu dois pas te marrer à chaque fois… Non ? »

Je l’observais curieusement. Qu’est ce qu’elle avait bien pu trouver à ce mec qui ne parlait jamais ? Enfin, je disais ça, mais je ne lui avais jamais adressé la parole non plus. C’était donc un gros jugement, pour une connaissance réelle minime, comme à mon habitude.

« Allez, bois ta bière et on y va. Hors de question qu’on continue, tu connais la règle, pas de Mojito après minuit, sinon tu te transformes comme les Grimmlins. »

Ebenezer critiquait ouvertement la boisson de son collègue brésilien qu’il ne semblait vraiment pas porter dans son cœur, ce qui ne l’empêchait pas de boire allègrement dans son verre. Il avait ce regard dégoulinant sur elle qu’elle détestait – le faisant ressembler à un veaudelune à qui on aurait forcé de prendre un bain. Quand il l’observait ainsi, Vicky avait l’impression de redevenir cette petite fille qu’il avait bien connue : incapable d’aligner deux mots ni de mettre un pied devant l’autre. Aussi, elle tordit le nez dans sa direction alors qu’il ne cherchait qu’à lui remonter le moral.

Mais quand il enchaîna en lui posant tout un tas de question sur @Dilshad Zaman, la couturière ouvrit grand la bouche en inspirant de surprise, jetant des coups d’œil à droite et à gauche pour vérifier qu’elle ne connaissait personne, avant d’envoyer de petites tapes inoffensives à son ami pour qu’il se taise.

- Mais n’imp…p…porte q…quoi ! J’ai p…p…p…pas du tout tap…p…pé dans l’œil de D…Dilshad !

Pouffant de rire à cette idée saugrenue, elle secoua la tête en se cognant le front.

- Il ne fait p…p…p..pas p…peur, tu es b…bête… Je ne saurais p… p… pas d… dire s’il est triste… Je dirai plutôt q…qu’il est… ém…émotionnellement indis…ponible. T…Tu v…vois ce q…que je v…veux dire ?

Haussant une épaule en se remémorant le sourd éclat de mélancolie dans les iris sombres de son voisin, elle se tut quelques instants. Non, certainement que Dilshad était dans l’incapacité de voir que Vicky était une femme, et qu’elle pourrait très facilement être séduite par ses manières de gentil sorcier doux et prévenant. Peu importait… Tout ne tournait pas toujours autour de l’Amour avec un grand A. Il y avait plein d’autres belles manières de creuser leur relation de voisinage. Et tout cela devait commencer en étant digne de son amitié ! Sa décision fut prise et la Graham se redressa avec toute la dignité qu’elle pouvait espérer dans son état.

- N…Non, je ne v…vais p…p…pas finir m…ma b…bière !

La sorcière agita sa baguette au-dessus de son demi-verre de bière pour transformer son contenu en eau. Petit sortilège enfantin avec lequel leurs ancêtres sorciers avaient grandement impressionné les moldus des premiers siècles.

- Et j…j…je ne dormirai p…p…p…pas chez t…toi non p…plus Ebe. La d…dernière fois, j…j’ai r…ret…ret…retrouvé un s…soutien-gorge s…sous mon c…coussin. Et au p…p…p…petit m…matin, un g…groupe de g…gobelin sonnaient à t…ta p…p…p..porte p…pour que t…tu p…paies une s…soi-disant d…d…dette d…de jeu ! Et t…t…toit… tu n’étais même p…p…p..plus chez t…toi, j’ai d…d…dû m’enfuir p…p…par le v…vide-ordure ! Et t…t…t…tu sais c…comme c…c’est c…compliqué d…de faire ça en étant inv…inv…inversée !

Emotionnellement indisponible hein. Je pris ma bière et j’en bus quelques gorgées, d’un air assez sinistre. Je m’enfermais un peu dans mon propre esprit, mais malgré tout et ma tête qui disait que je ne voulais pas m’étaler sur le sujet, je déclarais doucement en soupirant :

« Ouais. Je vois très bien ce que tu veux dire. »

Parce que j’avais plus ou moins le même soucis. Ne bougeant pas, l’écoutant dire qu’elle ne voulait pas venir chez moi, je restais donc assis dans ce bar avec mes deux bières. Tant pis, j’allais surement boire seul, finir ivre et partir au Casino pour jouer au Poker avec des Gobelins comme à chaque fois. D’ailleurs, je ne lui avais pas dit mais c’était le plan initial. Demain, je ne travaillais pas, et c’était l’occasion idéal pour ça. Si Vicky était resté, j’aurai du simplement vivre la vie de quelqu’un de normal en congés. Je l’observais se lever et je déclarais d’un air malicieux.

« Oh, ça va. T’es en vie c’est le principal. Et figure toi que ces Gobelins me devaient plus d’argent que je leur devais ! Et puis, j’ai une cheminée dans mon appartement, suffisait juste de... »

Avec ses problèmes de langages, elle n’avait certainement pas osé utilisé la poudre de cheminette, par peur de se retrouver dans un endroit où elle ne voulait pas. Contrarié par ma propre stupidité de lui avoir dit ça, je fis un geste vague de la main, un peu ronchon :

« Laisse tomber. »

On se connaissait depuis assez de temps pour ne pas à avoir à se répandre en excuse quand on gaffait. Enfin, moi pour ma part. Observant d’un œil amusé je la regardais debout. On était pas loin de ma taille en étant assis. La regardant, je me contentais de siroter ma bière.

« Et on peut savoir ce que tu vas faire en rentrant Vicky ? J’te préviens si c’est pour pleurer sur ton sort je suis contre. Je peux t’emmener au Casino si tu veux. Ou on peut faire autre chose, mais ça m’ennuierait de te laisser partir dans cet état... »

Je l’observais en posant ma bière que j’avais déjà bien entamé. Je la regardais d’un air calme, détendu et d’un bras je l’invitais à s’asseoir pour arrêter ses conneries.

« Tu devrais faire gaffe avec ce sort, le gars qui l’a inventé a fini crucifié. »

Je ricanais derrière ma bière. Mais en même temps c’était un sacré tour. J’avais presque envie de lui demander si elle était capable de faire pareil avec des métaux précieux pour rembourser quelques dettes. Toujours assis, je maintenais mon regard sur elle.

« J’pense que le mieux c’est quand même mon option, sans vouloir faire le forceur, ou alors je te ramène, parce qu’il est hors de question que tes sœurs te tombent dessus comme ça… Et puis, ça fait longtemps que j’ai pas vu ces dernières ! »

Je me levais, avec entousiasme. Prenant mon manteau, elle dut lire en moi comme dans un livre ouvert car je poursuivais :

« Promis, je serai sage. Bonjour, aurevoir, comment ça va, les affaires marchent, j’ramène Vicky on est parti juste manger un morceau, bonne soirée les filles !... »

Ebenezer ne s’était jamais empêché de se moquer gentiment de la Graham et de ses petits soucis personnels. Du reste, elle ne s’était jamais vraiment vexée de son comportement. Vicky n’avait jamais eu l’impression que sa vie avait été gâchée depuis qu’elle était tombée dans cette potion d'inversion étant enfant. Elle avait beau perpétuellement trébucher dans la vie avec ses mots tordus et ses pensées confuses, la sorcière n’en continuait pas moins d’avancer avec son éternel optimisme.

C’est la raison pour laquelle quand son ami évoqua les larmes qu’elle risquait de verser pour le beau capitaine disparu, la couturière se contenta de lui rire au nez.

- Oh j’ai d…déjà b…b…bien assez p…pleuré pour un naze d…dans s…son genre ! J…j…je ne me f…ferai p…as avoir une d…deuxième fois !

Ni Charlie ni Diego ne lui semblaient avoir été nazes d’une quelconque manière, mais Vicky savait que ce genre de discours le rassurerait. Ebenezer semblait déterminé à la raccompagner, tout en exprimant une défiance démesurée à l’égard de sa famille. Selon lui, le reste des Graham ne traitaient pas Vicky à la hauteur de ce qu’elle méritait. Mais il fallait dire qu’ils avaient toujours dû passer outre ses difficultés d’élocution et sa maladresse plus qu’handicapante, alors leur sœur pouvait bien endurer quelques remontrances en échange !

- Tu p…p…parles, j…je suis sûre q…que t…tu as simp…plement envie d…de faire le j…j…joli c…cœur devant F…Félicia, se moqua Vicky en réajustant son manteau.

Félicia était la plus jeune de ses sœurs, et la plus adorable petite blonde que le monde n’ait jamais vue naître. Vicky avait toujours soupçonné le Grimm de trouver la jolie blondinette à son goût*. Après tout, tout le monde était amoureux d’elle et Vicky ne voyait pas en quoi Ebenezer différerait !

Alors qu’ils sortaient du pub, la rue faiblement éclairée par les lampadaires mythiques du Londres magique les accueillit avec ses défis habituels pour la sorcière inversée. Entre les trottoirs, les pavés inégaux, elle ne pouvait se permettre de baisser sa garde.  Laissant son étole flotter librement autour de ses épaules, Vicky maintenait une attention disproportionnée à chacun de ses pas. A ses côtés, Ebeneze l’observait de son éternel regard où se mêlait dans une parfaite combinaison sa sincère bienveillance et son insupportable ton moqueur.

- Bon, p…p…p…pas besoin d…de me raccompagner p…p…plus loin, j’habite j…juste en b…b…bas d…de la r…rue…

En gloussant, elle se prit de manière ridicule le pied dans son tibia et choisit finalement d’attraper le bras du Grimm. Quitte à ce qu’il marche à ses côtés, autant qu’il lui serve de canne !

- Ok p…p…p…pour q…quelques p…pas encore alors, ajouta-t-elle en pouffant, laissant leurs pas inégaux résonner dans la nuit en se mêlant au brouhaha des terrasses environnantes.




* Double dédicace @Nott Tyrfing