En pire state of mind

Quelque chose la laisser confuse dans cet échange. Pourquoi avait-elle ce ressenti ? Son cas était un peu différent de celui de Zion, certes. Elle n'avait plus un bras de chair et d'os. Son bras à elle était fait de choses qui la dépassaient, d'une forme de magie qui n'en était pas tout à fait une à ses yeux. La faute, sans doute, à un héritage par trop conservateur, bien loin de l'éducation progressiste que lui avait donnée son père.

« Tu as raison. Nous sommes notre magie. Ton bras a toi est bien vivant pourtant quelque chose en toi se révulse quand tu le regardes. Comme si tu avais l'intime connaissance de cette différence entre la magie naturelle et intuitive qui t'a donné la vie et celle qui est le résultat de plusieurs années d'apprentissage studieux... »

Du bout de son pouce métallique, elle caressa ses autres doigts, à la recherche d'une sensation qui ne viendrait pas, sinon pour crisser légèrement à ses oreilles.

« As-tu le sentiment que ça affecte ta manière de pratiquer la magie ? », risqua-t-elle sans se risquer à parler d'elle-même ce coup-ci.

Il y aurait eu tant de choses à dire. Mais aucune qui soit facile. Évoquer le souvenir de sa dextérité si souvent admirée, le nombre de choses qu'elle avait cassées dans cette nouvelle maison où elle vivait seule avec trois domestiques. La rage qui l'étouffait quand elle se retrouvait incapable d'exécuter des sortilèges de premier cycle ou pire quand sa baguette lui échappait et tombait au sol malgré le contrepoids qu'y avait ajouté son ami mécamage. C'était plus de frustration qu'elle n'en avait enduré pendant les quelques semaines de sa quarantaine à Ste Mangouste. Alors, elle avait patiemment géré, cherché une occupation digne de ce nom pour habiller sa solitude. Mais désormais, elle exécrait la compagnie envahissante de sa propre médiocrité, prompte à se manifester en toute chose du quotidien...

« Ou d'autres choses... », allez donc savoir. Ce bras de chair et d'os n'était peut-être pas aussi performant dans le toucher, la préhension, la force, « Chineye m'a dit que tu étais batteur de l'équipe de ta maison si je me souviens bien... »

Elle sourit au récit des exploits de Zion, portant délicatement sa tasse à ses lèvres. Il y avait comme un étrange écho à ses propres ressentis dans les paroles du jeune homme. Ce sentiment qu'à côté de la perte, même la plus extraordinaire des réussites ne valaient rien. Alors...

« Oui je comprends. Qu'est-ce la gloire si on en peut en tenir les lauriers entre ses mains pleines ? » Même ici, les lectures de @James Grey portaient leur musique à ses lèvres. Un bien sombre poète que celui qu'elle venait de citer d'ailleurs. Elle jugea bon de ne pas s'embarquer dans des considérations littéraires. A nouveau elle sourit. Ana avait de ses rires discrets qui ressemblent aux éclats fugaces d'un rai de lumière sur les eaux bondissantes d'un ruisseau. Ils étaient trop rares ces derniers temps ses sourires pour qu'on n'y prêta pas attention quand ils fleurissaient dans ses yeux, « Tu as le droit de te plaindre. C'est plus que légitime. Et si tu ne le fais pas, à quelle oreille vais-je me plaindre moi ? Je déteste ce bras méca-magique. Mais vraiment. Et tu sais le pire que j'ai à lui reprocher ce n'est même pas qu'il me rende maladroite - j'ai cassé un nombre de choses sans le vouloir, indécent - c'est que je le trouve laid. Vraiment hideux. On dirait le membre grotesque d'un de ces pantins de fête foraine tu ne trouves pas ? »

Et se disant, elle sortit sa main droite de sous la cape qui l'avait toujours cachée jusqu'alors. Une main sans fioriture à l'aspect gris et froid du métal dont elle était faite. On pouvait y compter les articulations précisément assemblées pour reproduire à l'identique les mouvements naturels des doigts et du poignet. A côté, elle posa sa main gauche, qui semblait être l’œuvre de la perfection avec ses doigts fins et graciles et sa peau d'albâtre sans défaut en dépit de tout le travail de botanique qu'elle avait eu à faire.

« Même le toucher avec ma vraie main me paraît bizarre. A toi aussi ? »

Elle répugnait à faire l'exercice devant une autre personne aussi se contenta-t-elle d'escamoter à nouveau l'artefact sous sa cape. C'était déjà une sortie bien plus longue qu'elle ne s'en serait cru capable.

« Tu as raison : "ça craint". », convint-elle finalement en réemployant des mots qui sonnèrent étrangement dans sa bouche d'aristocrate.