Snacks & shooting spooks

A force de descendre les marches, il avait presque l'impression que ses genoux se prêtaient à une espèce de danse mécanique. Tout était prêt en haut de la tour d'astronomie. Cette nuit allait être vraiment spéciale et il n'avait pas la moindre intention de la louper pour aller faire tapisserie au grand bal de Samhain, cette année organisé par le Ministère de la Magie. Il avait tout prévu. Tisane de réminiscence pour pouvoir tout montrer à  @Siobhán G. K. Almadovar qui, elle, allait définitivement rater ça, couverture en laine de bison de lune, lunascope, compas d'astromage et tout le toutim. Mais son estomac avait fini par le ramener sur terre. Il avait oublié le repas et à l'heure qu'il était, dans la Grande Salle, on avait desservi les tables depuis longtemps. Alors il avait dévalé les grands escaliers, patiemment attendu qu'ils s'alignent comme il faut, pour aller se ravitailler aux cuisines, prêt de ses quartiers d'ailleurs.

Du pain, de l'eau de baie de lune, des bonbons à la rose qui faisaient grimacer tout le monde à la table de Poufsouffle sauf lui, une petite cocotte de ragoût irlandais et quelques biscuits sablés. Le tout disposé en équilibre sur un plateau qui le suivait comme son ombre, cela éviterait les catastrophes.

L'avantage, c'était qu'avec ce fameux bal, il n'y avait guère que les gens comme lui qui traînaient à Poudlard. Les gens qui n'avaient invité personne pour x ou y raison. Il avait bien songé à inviter Selma Montero mais le fait que sa jumelle,  @Alejandra Montero , le lui ait fortement suggéré, ajouté au fait qu'il s'était dit qu'elle préférerait probablement y aller avec  @Zion Webb l'avait découragé de tenter quoi que ce soit. Et puis, il n'aurait vraiment voulu raté cette nuit d'observation à la tour d'astronomie pour rien au monde.

« Selma ?! Mais qu'est-ce que tu fais ici ? », percuta-t-il d'une voix étranglée en revenant un tout petit peu sur ses pas.

Il lui semblait bien avoir vu la silhouette de la jeune femme dans sa vision périphérique et, comme il ne se trouvait pas trop loin des dortoirs de Serdaigle, le doute n'était pas permis. Mais si elle était là, c'était qu'elle n'était pas au bal...

« Je croyais que tu étais au bal... »

Silhouette découpée sur le fond grisâtre du mur, simplement éclairée par les rayons de la lune qui traversaient les carreaux de la fenêtre, suivie d’un plateau-repas flottant. C’était Sheraz. Forme tout aussi fantasmagorique, Selma s’était immobilisée en le reconnaissant.

- Le bal, s’étonna-t-elle de son ton dénué de tout enthousiasme superflu. Oui j’y étais.

Elle baissa un regard sur sa tenue : robe à dentelle grise sur soie toute aussi grise. Certes sa toilette était loin d’être la plus resplendissante de la soirée, mais on pouvait tout-de-même deviner qu’il s’agissait là d’une robe de bal, non ? Relevant son regard sombre sur Sheraz, elle le détailla avec une certaine curiosité. Son ami n’y était pas allé. Ce n’était pas surprenant puisque l’élue de son cœur au sang de vélane y était déjà accompagnée… Ça ne devait pas être facile tous les jours d’avoir sous les yeux cet écœurant couple, Sheraz était bien mieux à l’abri du château à faire… à faire quoi d’ailleurs ?

- J’y suis allée avec Owen Mc Cornic, révéla-t-elle en citant le nom d’un de ses camarades de Serdaigle de plusieurs années son aîné.

Son invitation avait d’ailleurs été étrange puisqu’ils ne s’étaient jamais parlé auparavant. Selma avait vite reconnu là la patte de son père. Les Mc Cornic devaient avoir une affaire en cours avec leur famille. Mais le grand dadais était loin de s’être montré à la hauteur de la réputation de sa famille. Il était dommage pour lui qu’il se soit montré si bavard, car alors, il ne pouvait plus prétendre avoir le moindre charme. De son côté, l’étudiant s’était également montré bien déçu par sa cavalière qu’il n’avait pas tardé à délaisser.

- Je crois qu’il m’a confondu avec ma sœur. Il a eu l’air frustré que je ne sois pas un peu plus… Entreprenante ? Vive d’esprit ? Mordante ? … comme elle…

Selma croisa les bras avec une petite moue pincée. Passer en second choix n’était jamais très agréable, pas plus que le sentiment d’être oubliée aussitôt les portes du bal passées. La Montero n’avait pas eu d’autre choix que d’agir pour préserver son égo, en glissant dans l’assiette du malotru un petit-four Tourndelœil acheté quelques jours plus tôt sur le chemin de traverse. Elle l’avait laissé là, roupillant derrière le rideau d’un petit vestibule et avait ainsi été libérée de toute obligation.

- Du coup, j’ai préféré rentrer tôt, expliqua-t-elle en passant sous silence son petit stratagème qui, elle en était sûre, aurait valu les gros yeux du poufsouffle. Le préfet n’était pas un grand friand de ses petits empoisonnements, et si elle tentait de changer d’habitudes en sa compagnie, elle ne souhaitait rien lui dire de ses petites incartades quand elle ne parvenait pas à s’en empêcher.

- Et toi, elle jeta un coup d’œil au plateau qui flottait toujours derrière lui. Qu’est-ce que tu fais ? Tu as une soirée de prévue ?

A y regarder, il n'avait pas de mal à imaginer qu'elle revenait du bal. Dans cette robe, elle était beaucoup trop ... différente de d'habitude. Et en même temps pas. Il était à peu près certain qu'aucune autre fille n'avait choisi une robe de ce genre. Mais à elle ça allait comme un gant. C'était élégant sans être provoquant, pour le peu qu'il en savait.

Il sentit sa pomme d'Adam lui tomber au fond de l'estomac. C'était qui ce McMachin. Pourquoi McMachin et pas Zion ? C'était déjà bien assez agaçant de se dire qu'elle préférait à aller au bal avec Le Pourfendeur de Dragon. Il ne se laissa pas le temps de ruminer, de peur que le silence devienne gênant. Du coup, il laissa échapper un petit ricanement maladroit :

« Ah... Eh ben ! J'ai bien fait de pas t'inviter alors. »

Sheraz se gratta l'arrière de la tête, mettant un peu de désordre dans ses cheveux aile de corbeau. Un sourire freedent poussé sur ses lèvres, il entendait sa petite voix intérieure lui dire que ça ne sonnait pas forcément comme un compliment...

« Je pensais que t'irais avec Zion, mais Mac...Cormic, c'est bien aussi. J'imagine. »

C'était qui ce gars. Franchement il ne le remettait pas. Apparemment le fameux MacTruc n'avait pas remis Selma... Sheraz adressa un regard un peu gêné à la pointe de ses baskets.

« Erf, j'suis désolé. »

Il fallait être vraiment à la masse pour confondre Selma et Alejandra. Elles n'avaient franchement rien à voir, enfin si, mais il suffisait de leur adresser la parole pour faire la différence si jamais c'était pas déjà fait au premier regard.  Malgré sa compréhension du problème, il avait du mal à ne pas se réjouir intérieurement d'un tel fiasco.

Selma ne développa pas plus sur ce sujet et c'était peut-être pas plus mal. Il aurait eu vraiment du mal à faire illusion si d'aventure elle s'était mis en tête de s'ouvrir sur une vraie peine de coeur.

« En quelque sorte. », un large sourire lui fendit le visage, « Viens, je t'invite. », fit-il plus enthousiaste qu'à la mention de machin McTruc.

D'un petit signe de tête, il lui indiquait qu'il montait à la tour d'astronomie. Après une sacrée volée de marches, ils arriveraient sous un toit d'obsidienne piqué d'un milliard de petits diamants. Le ciel des trois nuits de Samhain était connu pour être exceptionnels et très intéressant à étudier. Il avait dressé là une tente de fortune avec un drap d'astromage emprunté à la salle d'astronomie, enchanté pour ne pas masquer la vue mais préserver ses habitants de l'humidité et du froid. Un sortilège de coussinage pourvoyait au reste et le plateau chargé de victuailles - sans doute un peu juste pour deux - mettait la touche finale.

A côté du nécessaire d'astronomie, un petit service à thé avec deux tasses qui étaient visiblement là bien avant que Selma fasse partie du plan et dans lesquelles des cuillères d'argent tournaient sans discontinuer...

Selma s’était figée en observant le Poufsouffle alors qu’il ricanait, se disant qu’il avait bien fait de ne pas l’inviter. Si elle n’en montrât rien, à l’intérieur d’elle, la jeune fille en fut toute tourneboulée. Sheraz avait un temps songé l’inviter ? Elle ? Au bal ? Soudain, la paume de ses mains se mit à transpirer, et elle attrapa sa jupe pour toute réaction. S’il l’avait fait, elle n’aurait sans doute rien du voir d’autre là que de l’amitié. Mais c’était quand même trop beau pour être vrai… Un véritable ami… Son tout premier ! Cependant, un autre nom franchit alors les lèvres de son ami. Un des plus étonnants.

- Zion ? Pourquoi Zion ?

Selma répéta le nom en clignant bêtement des paupières. Pourquoi lui parlait-il du gryffondor ? Et surtout quel était le lien entre elle, lui et le bal ? La serdaigle se creusa les méninges pour tenter de comprendre pourquoi Sheraz mentionnait le jeune Webb. Ils ne s’étaient jamais réellement adressé la parole, à moins que sa mémoire ne soit défaillante… Peut-être que Sheraz le trouvait… séduisant ?

Mais finalement, le préfet accepta de lui proposer une autre fin alternative à cette soirée qui avait pour elle si mal commencé. Un petit sourire accroché aux lèvres, Selma opina du chef avant de le suivre. Elle continuait à tenir sa jupe surélevée pour ne pas se prendre les pieds dans les escaliers, suivant Sheraz avec une curiosité grandissante. Plus ils montaient dans les étages, plus la jeune fille sentait son cœur battre d'anticipation. Elle avait si bien fait d’assommer son cavalier pour rejoindre Poudlard au plus tôt... La soirée n’aurait pas pu mieux se terminer !

Une fois parvenus au dernier étage de la tour, Selma marqua un temps d’arrêt sur le palier, le nez en l’air pour observer le ciel étoilé – si proche qu’il lui semblait presque pouvoir le toucher du bout des doigts.

- C’est magnifique, murmura la jeune fille avant de tourner un visage étonnement ravi vers le poufsouffle. J’aurais bien aimé que tu m’invites au bal. Mais ça, j’avoue que c’est encore mieux !

Avançant vers la toile qu’il avait dressé là, elle l’effleura avec un certain émerveillement, se sentant presque privilégiée d’être invitée à un tel évènement. Mais soudain, la jeune fille aperçut les deux tasses de thé qui refroidissaient paresseusement. Alors, son moral descendit en piqué dans ses chaussettes à froufrous.

- Oh… mais je vois que tu attendais quelqu’un…

Alors toute cette mise en scène, ce ciel étoilé, le petit encas, la toile de tente et le reste… Sheraz avait préparé tout ça pour quelqu’un ? Son amoureuse ? Voilà qui lui donnait brusquement l’envie de mettre le feu à cet endroit.

- Je ne veux pas vous gêner… Tout ça à l’air très… attentionné. Il vaut sans doute mieux que je vous laisse...

Apparemment @Zion Webb n'avait pas l'air d'être une évidence pour Selma. Il la regarda, un peu bête, avec ses grands yeux en soucoupe, laissant passer un ange ou un fantôme là-dessus.

« Ben... je sais pas. Vous aviez l'air de bien vous entendre quand les gobelins... ahem... » Il valait sans doute mieux se taire que d'avouer qu'il était encore un peu vexé qu'elle ait choisi de suivre le Gryffondor plutôt que lui. C'était un peu puéril, il en avait conscience. « Et puis il a une côte dingue en ce moment alors... bref. »

Qui n'avait pas entendu parler des fabuleux abdo du pourfendeur de dragons ou de ses bras en acier trempé ? Beeerk. Rien que d'y penser, Sheraz ne pouvait s'empêcher de grimacer... de jalousie. Un jour il se mettrait à un sport, n'importe lequel... mais c'était pas pour aujourd'hui.

Ce qui était dit ne pouvant plus être rattrapé, il se proposa de l'inviter à sa soirée à lui, à peu près certain qu'elle ne s'y ennuierait pas. Elle le suivit volontiers, embrassant d'un même regard le ciel nimbé d'étoiles au-dessus de leur tête avant de lui faire ce petit aveu...

Sheraz s'interrompit dans ce qu'il était en train de faire, un peu comme en arrêt sur image. Son coeur s'emballa un peu comme il devenait à chaque seconde plus conscient de l'effet que lui faisait ce qu'elle venait de dire. Il déglutit avant de se jeter à l'eau :

« Je peux toujours t'inviter maintenant si tu promets de pas trop m'en vouloir si je te marche sur les pieds. »

La danse n'était clairement pas son fort. La drague non plus. Et en même temps qu'il s'entendait proposer un truc pareil, il entendait la petite voix impertinente de  @Siobhán G. K. Almadovar lui susurrer Que je sache au moins qui est l’élue... A nouveau sa pomme d'Adam lui tomba dans l'estomac et il lui fallut redoubler d'effort pour chasser un petit ricanement auto-satisfait de la rouquine qui n'existait que dans sa tête. Allait-il vraiment jouer les princes charmants sous les étoiles, un peu plus collé qu'un simple ami mais pas trop quand même ? Mais pourquoi diable fallait-il qu'il écoute toujours Siobhán ? Selma n'avait jamais dit qu'elle aurait été contente qu'il l'invite au bal en tant qu'autre chose qu'un simple ami. Il fallait qu'il se l'enlève de la tête maintenant.

« ...tss, foutu Kyle Dogbane... »

Selma, elle, n'avait probablement pas conscience de Kyle Dogbane du tout, en revanche, elle avait l'air de déduire quelque chose du fait qu'il y avait deux tasses. En y regardant c'était vrai que ça avait exactement l'air de ce que ça n'était pas.

« Oh non non non, c'est pas du tout c'que tu crois. C'est pour Siobhán ! », cela dit, dit comme ça, ça avait encore plus l'air de ce que ça n'était pas et voilà que la situation déraillait et lui échappait totalement, « Enfin c'est pas pour Siobhán maintenant, c'est pour Siobhán mais plus tard... quand on se verra... après le bal... », pauvre pauvre crétin, se voir après le bal, qu'allait-elle penser maintenant ? Qu'il avait une liaison avec une femme mariée ? Bravo... « Mais pas de suite après le bal, plus tard... c'est pour l'astronomie ! En fait, tu vas rire, on va pas le boire ce thé. Siobhán c'est ma copine - euh je veux dire mon amie, ma meilleure amie. C'est une tisane de réminiscence - le thé, pas Siobhán bien sûr - C'est pour enregistrer le ciel parce que c'est les trois nuits de Samhain, c'est les trois seuls soirs où on peut voir les mannes de Tir Na Nog. C'est le seul phénomène astronomique qui consiste pas à observer des étoiles ou des météores mais une pluie d'âmes défuntes ! Je sais c'est l'angoisse mais c'est vraiment pas ce que tu crois okay ? »

Respire Kyle, respire...

Selma n’avait pas bien compris tout ce qui était sortit de la bouche de Sheraz à propos de @Zion Webb, mais en personne assez peu curieuse de nature, elle s’en était très vite désintéressée. Pourtant, les mots suivants, prononcés bien distinctement par le Poufsouffle la firent presque sursauter. Elle était restée immobile, mais sous sa peau, c’est l’ensemble de ses organes s’étaient mis à tressailler à l’idée de la proposition de son camarade.

Quoi, danser ensemble, là, sous cet extraordinaire ciel étoilé ? Selma eut l’impression que toute l’humidité de sa gorge sèche s’était réfugiée dans sa nuque, dans les paumes de ses mains et à l’arrière de ses genoux. Oui, son corps entier ruisselait à des endroits bien improbable – mais dans le même temps, elle se retrouvait privée de parole. Qu’aurait-elle d’ailleurs pu répondre à cette invitation, si ce n’était l’accepter de bon cœur ? Oui, elle allait lui répondre quand le prénom de @Siobhán G. K. Almadovar résonna bien froidement contre les pierres de la tour.

Alors, le corps de Selma se sécha instantanément et son regard perdit tout son éclat en se posant sur Sheraz qui balbutiait son explication chancelante. Plus il parlait, plus il semblait s’enfoncer dans le sol – tandis que toute trace de vie se dissipait des joues de Selma qui s’étaient quelques instants auparavant parées de jolies couleurs.

Alors que le Poufsouffle cherchait à la convaincre, l’attachement à celle qu’il appelait sa meilleure amie sautait douloureusement aux yeux. Sheraz n’était rien d’autre qu’un homme finalement, si semblable à tous ces autres qui devenaient pathétiques devant du sang de vélane. Selma n’aurait pas dû se montrer si surprise, et pourtant, c’était comme si le ciel lui tombait sur la tête. Après Edel, venait donc ainsi le tour de Sheraz... Si la jeune Montero ne nourrissait plus aucun sentiment envers son ancien compagnon – à part de des envies de meurtre – elle ne pouvait s’empêcher de trouver cruellement injuste le destin qui lui volait à travers le même visage angélique tous les hommes qu’elle avait pu un jour aimer.

- Donc… tu veux me faire croire que ce rendez-vous après le bal, sous ce ciel étoilé, ces tisanes prêtes à partager tout comme la réminiscence de vos souvenirs … tout ça c’est des choses qu’on prépare pour une simple amie, lui demanda-t-elle sur un ton monocorde qui cachait bien mal l’étendue de son désespoir.

Ce déni dans lequel il s’était plongé lui donnait envie de pleurer. Était-ce vraiment à elle de lui ouvrir les yeux sur la véritable nature de ses sentiments pour la Serpentard ? Tout cela était d’une telle injustice… Mais au moins, Selma savait à présent à quoi s’en tenir. Sans y réfléchir, elle tenta le tout pour le tout.

- Sheraz, j’ai bien vu comment tu la regardes… Tes yeux sont toujours ramenés à elle, comme un réflexe... Mais elle est mariée je te rappelle ! A Edel ! Et rien que ça, ça aurait dû te montrer quel genre de personne elle est ! Et puis tu sais, cette attirance que tu ressens pour elle, c’est pas naturel !

Après un soupir, Selma se tut. Après tout, à quoi bon chercher à rivaliser avec une demi-vélane... Jamais dans cette vie, ni la prochaine serait-elle de taille à lui faire de l’ombre.

- Je préfère encore partir de que de voir ça… Tout ça me rend malade, finit-elle par lancer du bout des lèvres en se détournant.

Il n'aurait trop su dire à quel moment l'ambiance avait commencé à tourner au vinaigre. Pourtant, à un moment, il avait bien cru qu'elle allait accepté son idée de petit bal improvisé et son petit coeur de mécamage s'était mis à s'affoler doucement. Mais là, il voyait bien que ça sentait le foin, sans vraiment comprendre d'où ça venait vraiment. Ah si, il voyait... un peu...

« En fait tu es... jalouse de Sio ?!!! », fit-il en lui-même bien que les mots étaient sortis de sa bouche en même temps qu'il la dévisageait avec de gros yeux effarés.

Il lui fallut dix petites secondes pour s'en remettre.

« Non mais : c'est pour l'astronomie ! C'est forcément sous le ciel étoilé... fin c'est logique non ? » justifia-t-il sans la moindre animosité dans le ton ni même l'envie de se défendre de quoi que ce soit, « La tisane c'est pour revoir le ciel de ce soir. C'est la meilleure nuit le premier soir, autour de minuit. C'est là que les âmes défuntes traversent en masse pour aller rendre visite à leur famille et si on a de la chance et un lunascope suffisamment puissant, il paraît qu'on peut même voir des êtres fay mais je ne suis pas certain d'être assez avancé pour faire la différence... »

Il ne pouvait pas s'empêcher d'expliquer, surtout quand il était passionné. L'inconvénient c'était que ce n'était peut-être pas le meilleur moment pour se montrer passionné mais Sheraz n'avait pas la finesse sociale de s'en faire la remarque. Il était juste transporté et décontenancé tout à la fois. Et d'ailleurs, la réaction de Selma, arguments vertement égrainés à l'appui, n'aurait trompé personne.

« En fait tu es vraiment jalouse. »

Il sourit, niaisement, sans s'en rendre compte. C'était tout à la fois le pire et le plus beau moment de sa soirée.

« Mais Selma j'ai toujours trouvé  @Siobhán G. K. Almadovar magnifique, j'ai jamais été amoureux d'elle pour autant ! C'est ma meilleure amie, vraiment ! D'ailleurs elle le sait, on en a déjà parlé de ça... », cette fois il se défendait, quand bien même il se sentait totalement impuissant devant ce qui ressemblait bien à de la colère. Ses mots essayaient de se faufiler entre ceux de la latina, pour se faire une petite place, mais il n'était franchement pas sûr qu'ils se fassent entendre, « Comment ça "quel genre de personne elle est ?". Attends, c'est un peu fort de café : toi aussi tu es sortie avec ce mec. Ça dit quoi de toi selon tes critères ? »

Il s'était tendu tout d'un coup, tout comme il l'avait fait quand il avait eu ce genre de conversation à propos de Selma avec Siobhán. Sauf que Selma était loin de se doutait qu'il avait aussi durement pris parti pour elle qu'il le faisait à présent pour Sio.

« Mais je suis pas attiré par elle bon sang ! »

A ce moment là, on pouvait vraiment dire que la conversation avait tourné au vinaigre, même avec ce magnifique ciel au dessus de leur tête brune. Selma l'avait bien compris. Elle poussa un profond soupir et tourna les talons...

« Mais... mais... Selma ! »

Alors qu’elle s’était détournée, le visage de Selma était passé par toutes les couleurs en entendant les explications de Sheraz. Voilà pourquoi la sorcière avait choisi de ne plus approcher personne, avant de se laisser attraper au piège de la gentillesse du préfet… Elle aurait dû se tenir à sa réserve habituelle ! Toutes ces émotions qui la traversaient et la faisaient chanceler lui paraissaient si douloureuses… Et surtout, elle était incapable de les comprendre ! Il n’y avait que sa fierté qui maintenait droite la jeune cubaine, trait de caractère qu’elle savait partager avec celui qui la faisait souffrir. Et ce fut peut-être le seul orgueil qui la poussa à se retourner, le cœur battant, pour faire de nouveau face au Poufsouffle.

- Je ne suis pas jalouse !

Ce cri du cœur, lancé un peu trop brusquement pour sembler sincère lui parut encore plus ridicule que l’accusation qu’il était censé réfuter. Il lui fallait se justifier, sous peine de passer pour toujours pour une éternelle envieuse de celle qu’elle voulait au contraire mépriser. La Montero s’appuya sur les premiers mots qui sortirent de sa bouche, serrant les poings pour affirmer son venin.

- Je déteste les Almodovar, et ça vaut pour tous ceux qui choisissent de porter leur nom !

Il y avait tant à dire pour défendre son honneur, tant à dévoiler pour ouvrir les yeux de Sheraz ! Le fait que cette famille de vils traitres soit soupçonnée d’avoir assassiné leur mère ! Ou bien comment elle avait été poussée dans les bras d’Edel avant de se faire durement rejeter par le sinistre serpent ! Ou encore à quel point lui et sa bande avaient fait de sa vie et de celle de sa sœur un enfer. Mais plus aucuns mots ne parvenaient à franchir ses lèvres. Pire que tout, ces dernières se mirent à trembler alors que Selma sentait des larmes monter. Non ! Impossible qu’elle pleure ! Plutôt mourir !

- Je ne peux pas supporter que tu sois si proche de cette fille, que tu la considères comme ta meilleure amie, ni même que tu la trouves magnifique ! Alors que… Je pensais que… J’espérais que…

Sa voix vacillait. Par les cornes du malin, elle était vraiment jalouse ! Quelle humiliation ! Il n’y avait plus qu’une seule chose à faire... Selma puisa dans l'enseignement de son cruel de père pour recouvrir son calme, se recomposer un air figé et retrouver une voix aussi froide que la mort.

- Dans ces conditions, je vais arrêter les cours de métamorphomagie ! Ça fait rien que me tourmenter, et je régresse au lieu de progresser ! Ne t’étonne pas si on se voit plus !

Et elle s’endrapa dans sa fierté comme seuls les Montero savaient le faire avant de disparaitre.

« Mais c'est pas un problème... », fit-il d'une voix qui sortait à peine de son gosier.

Ce n'était pas le fait de la dispute qui grondait au dessus de leur tête mais plutôt l'heureuse découverte qu'elle puisse être jalouse et cette sensation de chaleur au niveau de son coeur qui lui coupait le sifflet. Pendant une seconde encore, Sheraz se laissa aller à la regarder différemment. Avec ses grands yeux noirs colère et ses traits fins. Mais il se devait d'écouter tout de même pour qu'on ne lui reproche pas en plus d'avoir été distrait.

Selma frappa fort, blessée sans doute, ça au moins il le comprenait mais il échouait à savoir quelle attitude prendre. Comment désamorcer. Sheraz n'était pas quelqu'un de spontané et il aurait eu besoin de temps pour trouver la solution à ce casse tête-ci. Il ne suffisait pas de calculer des algorithmes inversibles ou autres conneries de ce genre. Et tandis qu'elle déversait sur lui cette haine des Almadovars dont elle lui avait déjà vaguement présenté les racines, s'entremêlait aussi l'insupportable idée de Siobhán toute entière apparemment et quoi qu'elle est pu être pour lui, Sheraz. Du moment qu'elle était quelque chose, il semblait que ça n'irait jamais. Renfrogné à cette idée, il prit malgré tout sur lui, assumant qu'elle se raviserait peut-être un jour où il ne l'aurait pas tant mise en colère mais c'était trop tard. Elle était déjà partie, le laissant tout à ses doutes, à sa propre colère. Comment pouvait-il accepter ce qu'elle demandait même à demi mots ? @Siobhán G. K. Almadovar serait toujours son amie. Il ne pouvait imaginer lui faire une telle trahison, pas même...

« Tu n'avais pas besoin d'espérer... », répondit-il finalement, le coeur trop lourd pour lui courir après.

Et au-dessus de sa tête, le spectacle cosmogonique des astres et des âmes en plein chassé croisé.