Blood runs still — ft. Eynaelle Sanderson

ft. @Eynaelle Sanderson

Deux jours après la caverne de Gragareth

La nuit était profonde. Dense. Omniprésente. Tout comme les ténèbres qu'elle apportait dans son sillage. Pas un seul éclat de lune ne venait percer les eaux troubles du lac noir de Poudlard, ce soir-là. Pas une seule autre lumière que celle vacillante des bougies. Tout n'était qu'obscurité. Et pourtant, Siobhán ne dormait pas. Aucune douleur ne venait comprimer ses muscles ; ses plaies étaient bel et bien refermées. Mais il y avait certaines blessures que l'on ne ressentait pas comme telles, certaines déchirures invisibles.

À ses côtés, Edel, lui, n'avait pas tardé à trouver le sommeil. Il fallait dire que les récents évènements avaient eu de quoi les épuiser. Et d'ailleurs, c'était ainsi que Siobhán se sentait. Épuisée. À la suite de ce qu'ils venaient de vivre, mais aussi à la simple pensée de tout ce qui l'attendait. Car la Serpentard était certaine d'une chose, quelques jours seulement après sa première rencontre officielle avec des gobelins : plus jamais personne ne lui ferait de mal. Plus jamais personne ne la tiendrait en joug. C'était une promesse.

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Le 02 novembre 2023

Quelques jours avaient passés depuis la fameuse promesse formulée dans l'ombre d'une nuit dévastatrice. Après une parenthèse bienvenue dans la galerie des armures aux côtés de  @Zion Webb, Siobhán avait passé tout son temps libre à la bibliothèque. Du moins, puisqu'il convenait de le préciser quand il s'agissait du second rejeton Korrigan : encore plus que d'habitude. Ses objectifs étaient simples : combler ses quelques lacunes théoriques en magie blanche mais aussi de celle, plus obscure, pour ne plus jamais avoir à hésiter devant la menace. Pour ce qui était de la pratique, elle avait déjà un plan en tête : mais avant d'épouser ses envies de duel, il lui fallait combler son esprit et toutes les brèches ouvertes par la lame aiguisée d'une hache forgée dans un métal gobelin.

Siobhán se tenait à l'écart de tout ce qui la comblait habituellement. Edel, son frère, son père, Maeve, Xris, Sheraz, Céleste. Sa famille, ses amis, son unique amour. Ses démons endormis grondaient de nouveau dans son intérieur et ça ne présageait rien de bon. Mais en voyant Eynaelle Sanderson dans la Grande Salle ce jour-là, sans doute mieux disposée par un jour avec, la jeune Serpentard s'approcha, la mine blafarde. Son visage n'était pas animé de son habituel sourire qui faisait chavirer les cœurs, et son propre organe suivait d'ailleurs un rythme incertain. Pourtant, elle s'étonnait de sentir ses traits s'adoucir à mesure qu'elle s'approchait de sa cousine, inconsciemment désireuse de préserver les apparences autant qu'elle le pouvait.

« Eynaelle », dit-elle en s'asseyant près de sa cousine. « Je suis désolée de n'avoir pas pris de nouvelles avant. »

La Poufsouffle s'était pourtant retrouvée dans le même enfer brûlant qu'elle, au soir du 15 octobre dernier. Tout comme Edel. Sheraz. Xris. Son autre cousine, Freya. Zion. Selma. Hati. Mais Siobhán n'avait pris de nouvelles de personne, à part d'Edel qui semblait le seul à comprendre et voir ce qui se tramait actuellement dans son esprit. Trop préoccupée à lutter contre ceux qui grognaient de nouveau, tentant de les faire taire, elle percevait à peine ce qui composait son environnement et ses repères.

« Comment ça va, depuis... » La jeune femme fit une pause, l'esprit embrouillé, avant de reprendre, plus bas : « ... la dernière fois ? »

La dernière fois, dans l'infirmerie, quand sa tante s'était montrée sans prévenir, et que Siobhán avait été incapable de prononcer un seul mot devant une indifférence glaçante à laquelle elle ne s'était jamais préparée.

La dernière fois, à l'infirmerie, quand Edel avait volé dans les plumes d'Eynaelle et qu'elle avait vainement tenté de le ramener à la raison.

La dernière fois, à l'infirmerie.

Mais la dernière fois suffisait. Eynaelle comprendrait de quoi elle voulait parler, sans que des oreilles indiscrètes ne viennent se saisir d'une occasion de les harasser de nouvelles questions sur le choixpeau, les gobelins, le dragon. Un élève avait-il réellement découpé la tête d'un Magyar à pointes ? Était-il vrai que le spectre des fondateurs s'était montré à eux ? Que leur avaient-ils dit ? Comment c'était, la caverne ?

Perdue dans ses pensées, Siobhán ne remarqua même pas les rapaces qui venaient de faire leur apparition dans la Grande Salle, voletant avec dignité autour d'eux, et déposant près de sa cousine une missive cachetée.

ft. @Eynaelle Sanderson

Rapidement après sa première rencontre avec Eynaelle, Siobhán avait rapidement mis le doigt sur leurs différences. Beaucoup plus vite, même, que sur leurs points communs. Il n'y avait qu'à voir cette façon que sa cousine avait d'être toujours entourée, peu importe où elle se rendait : dans la Grande Salle, dans le Hall d'entrée, dans les couloirs... Partout où Eynaelle Sanderson allait, ses amis la suivaient. Jusqu'en cours, où la chaise située à côté d'elle ne restait jamais vide bien longtemps.

Siobhán n'avait donc pas été le moins du monde étonnée de la voir entourée d'étudiants arborant les mêmes armoiries qu'elle, lorsqu'elle s'était rapprochée d'elle ce jour-là. Ni même de constater que sa cousine avait toujours ce même sourire resplendissant pendu aux lèvres. Eynaelle avait une joie de vivre communicative. C'était probablement ce qui expliquait que tout le monde gravite autour d'elle, comme autour d'un soleil. Elle en avait tous les rayons et la lumière si singulière. À côté, et malgré ces gouttes de sang de vélane qui courraient dans ses veines, Siobhán paraissait tout à coup bien plus terne.

Ses lèvres se pincèrent en tentant d'esquisser un sourire en retour de celui de la Poufsouffle. Siobhán était sincèrement ravie de savoir qu'au moins l'une d'entre elle était entièrement sortie des grottes de Gragareth, esprit et corps au point même de réussir à passer à autre chose et de donner des interviews à cette vipère d  @Chelsea Waldorf. Quand tout laissait à penser que l'autre y avait tout bonnement laissé une partie d'elle.

Le pincement de lèvres devint un véritable sourire pour accueillir comme il se devait la proposition d'Eynaelle de quitter les lieux. Pendant un moment, ravie de s'éclipser loin de ce brouhaha, la Korrigan en oublia même la lettre qui avait glissé sur la table un instant plus tôt, se focalisant uniquement sur la jeune femme qui l'entrainait à sa suite. Sans oublier de jeter un petit regard en arrière, au cas-où Edel l'aurait vue, avant de franchir les portes de la Grande Salle.

Le pas rapide, la demie-vélane se contenta de suivre sa cousine sans se demander où elles se rendaient, trop focalisée sur le sujet de conversation qui faisait vibrer sa peau de frissons incontrôlables. Elle n'en remarqua même pas l'attitude étrange d'Eynaelle, qui semblait marcher d'un pas plus pressé qu'elle et se montrait moins démonstrative qu'à l'accoutumée.

« Je... »

Nerveuse, la jeune femme remit une mèche derrière son oreille alors qu'elle fixait le sol défilant sous ses pieds. Un goût amer remontait dans sa gorge à l'instant même où la Sanderson expliquait avoir vécu tout ça comme une promenade de santé.

« J'aurais surtout dû être en mesure de me protéger moi-même », répondit-elle doucement pour clore le débat, la gorge sèche.

Mais la voilà, la vérité :elle en avait été incapable. Trop concentrée sur les autres, si peu sur elle-même. Pourtant, son sang était aussi celui de guerriers intrépides, qui savaient se battre et se défendre... Comment avait-elle pu être aussi aveugle sur ses propres lacunes ? Comment avait-elle pu manquer à ce point de discernement pour ne pas constater qu'elle était en dessous de tout... et de tout le monde ?

Au vu des pensées qui commençaient à l'harasser, Siobhán préféra changer de sujet.

« Au moins, ta mère et mon père nous ont offert de belles retrouvailles », lança-t-elle avec une pointe d'ironie, sans parvenir à complètement masquer sa déception suite au regard qu'Aethelia avait porté sur elle, ce jour-là.

Elle continuait de marcher sans regarder où elle allait, heurtant au passage Rowan Thornheart, un Serdaigle qui avait eu le malheur de croiser sa route et à qui elle jeta un regard aussi glacial que le blizzard dansant dans ses yeux bleus.

En même temps, qu'avait-elle bien pu espérer ? Qu'Aethelia et @Luke Korrigan se serrent dans les bras ? Qu'ils se rappellent du bon temps passé, au chevet de leurs rescapées ? Le portrait de sa tante, dépeint par un père forcé d'avouer l'existence d'un fantôme, avait été on-ne-peut-plus explicite.

Finalement, les choses s'étaient peut-être déroulées de la meilleure des façons.

Dans cette histoire, nombre de scénarios se seraient terminés par des bains de sang.  

ft. @Eynaelle Sanderson

La tentative rassurante d'Eynaelle fut accueillie par un long silence. Pour une Korrigan, se sortir du pétrin vivante n'était pas suffisant. La dignité passait avant tout. Or, jusqu'à preuve du contraire, sentir l'acier d'une lame de gobelin venir chatouiller ses entrailles n'avait rien de digne. Pour une sorcière de cinquième année qui dédiait une bonne partie de son temps libre à son apprentissage, ce qui s'était passé dans la grotte de Gragareth avait tout d'un échec cuisant.

Il fallait dire que Siobhán n'avait jamais appris à se contenter du minimum ; on lui avait enseigné l'excellence et c'était précisément son éducation qui l'en rapprochait à chaque parchemin qu'elle remplissait d'encre noire. Chaque devoir qu'elle rendait trois jours avant la date prévue. Chaque exercice pratique qu'elle réalisait après s'être entraînée pendant des heures.

Ne pas répondre la poussa à se concentrer davantage sur son environnement que sur ses pensées, une fois que celles-ci furent à peu près épuisées. En arrivant devant la salle sur demande, Siobhán haussa un sourcil inquisiteur, se demandant pourquoi sa cousine l'avait amenée jusqu'à la pièce secrète quand la dernière fois, un vieux placard à balais avait été amplement suffisant. Finalement, ce fut le silence qui suivit la remarque sur leurs parents qui tira complètement Siobhán de sa torpeur.

Quelque chose ne tournait pas rond et si elle avait été aussi observatrice que d'habitude, elle s'en serait rendue compte plus tôt.

Alors que la grande porte se dessinait sous ses yeux, la Korrigan se demanda un instant quel décor apparaitrait de l'autre côté cette fois-ci. Même si elle avait un peu moins le goût de l'émerveillement que d'habitude, sa curiosité ne s'était pas encore absentée, elle.

Elle fut surprise de découvrir la chambre de sa cousine entre ces quatre murs. De quoi avaient été faites ses pensées pour que son refuge s'ouvre à elles ? Avait-elle besoin de son cocon pour annoncer une mauvaise nouvelle, ou bien avait-elle seulement cherché un endroit tranquille pour discuter à l'abri des regards ? La demie-vélane secoua sa tête alors qu'elle sentait que quelque chose lui échappait : d'abord l'inattendue distance de la Poufsouffle, puis ce silence qui ne lui ressemblait pas... En la voyant s'installer sur un canapé au centre de la pièce, Siobhán se contenta d'approcher et resta debout devant elle.

La sentence tomba enfin sur ses épaules. Un poids qui aurait suffit à courber l'échine de n'importe qui, mais la poussa pourtant à se tenir droite comme un i à la place. Ses bras se croisèrent sur sa poitrine pour éviter de montrer qu'elle ne savait pas quoi en faire... tout comme elle ne savait pas quoi faire de cette requête. Siobhán ouvrit la bouche pour répondre, puis se ravisa. Heureusement, car Eynaelle s'était déjà lancée dans une explication qui ne donnait pas plus de sens à ce qu'elle venait de lui annoncer. Pour seule réponse, ses yeux d'azur lui jetèrent un regard froid. Une colère muette s'insinuait en elle, glaçant le bout de ses doigts à mesure que ceux de sa cousine s'étiraient en de longues serres pointues. Sans que cela ne suscite davantage de réaction que la dernière fois. Si ce n'est que, cette fois, Siobhán ne fuyait pas.

« Je comprends pas depuis quand tu te préoccupes de ce qu'Edel ou de ce que mon père pense. Je comprends pas pourquoi ce revirement de situation d'un coup. Tu savais dès le départ comment mon père réagirait, tu savais dès le départ que ce serait difficile. Et depuis le premier jour, tu ne t'entends pas avec Edel. Pourquoi maintenant ? Pourquoi ici ? Pourquoi, Eynaelle ? »

Alors que le ton montait, elle se détourna soudainement de sa cousine et du canapé, entreprenant de faire les cent pas comme si c'était le seul remède. Et puis tant pis si Eynaelle se transformait devant ses yeux. Ce serait peut-être l'occasion pour Siobhán d'en faire autant et d'enfin se confronter à toute l'étendue de son pouvoir.

« Pourquoi tu avais besoin de me faire venir jusqu'ici pour me dire ça, hein ? C'est ta mère qui t'a demandé de t'éloigner de moi ? Je suis pas assez bien pour vous ? Pas assez forte, pas assez solide ? C'est ça que tu essayes de me dire ? », questionna-t-elle rhétoriquement. « Et puis quand est-ce que vous allez tous arrêter de prendre des décisions et de penser à ma place ? »

Son cœur tapait fort contre sa poitrine, comme s'il essayait de retenir tout ce qui était en train de sortir entre ses lèvres. Mais il fallait se rendre à l'évidence : seul contre le reste de son corps, à commencer par la tête qui commandait tout, il ne pouvait rien. Eynaelle était juste la goutte d'eau qui venait de faire déborder le vase.

Les traits du visage de Siobhán, d'ordinaire d'une pureté sans égal, semblaient se déformer à mesure que les mots sortaient de sa bouche. Ses mains, désormais le long de son corps, tremblaient sous le coup d'une émotion qu'elle ne parvenait plus à contenir.

Comme tant d'autres sentiments qui avaient besoin de sortir.

ft. @Eynaelle Sanderson

La culpabilité ne fut pas longue à tracer son chemin jusqu'à son cœur. Elle n'avait eu qu'à attendre que sa dernière question franchisse ses lèvres pour sentir sa poitrine s'alourdir d'un poids nouveau - celui de la colère, mêlé à un semblant de déception et à une grosse dose de honte qui manqua même de la faire rougir.

Il avait suffit de ne pas réussir à croiser le regard de sa cousine, caché derrière ses cheveux de blés, pour que les regrets se fassent immédiatement sentir, traversant sournoisement tout son être de part et d'autre de son enveloppe corporelle. Sans même prendre la peine de s'anoncer.

Ce fut la réponse d'Eynaelle qui finit par l'apaiser, du moins en surface. Sa voix avait gardé toute sa douceur, secouée par les trémolos d'une peine sincère. Les bras de sa cousine, toujours en face d'elle, ne tremblaient plus. Mais son cœur continuait de battre la chamade sous le coup d'un trop plein d'émotions qu'elle ne savait plus gérer. Une grande inspiration vint remplir ses poumons pour tenter d'envoyer à son corps le signal que le coup de sang était terminé.

Que tout irait mieux, désormais.

Mais était-ce seulement vrai ? Et surtout, combien de temps la comédie allait-elle durer ?

Siobhán s'approcha de la Poufsouffle recroquevillée sur le canapé pour s'asseoir à ses côtés. Sa main vint rencontrer la première parcelle de peau à sa portée. Un geste qui était loin d'être anodin pour celle qui ne se laissait que rarement aller aux démonstrations physiques.

« Pardonne-moi, Eyna. Je n'aurais pas dû m'en prendre à toi », admit-elle en sentant sa gorge se serrer un peu plus. Chaque mot était plus dur à prononcer que le précédent. Et pourtant, il fallait les sortir, un par un. Jusqu'à la fin. « C'est juste... C'est seulement que je ne me sens pas à la hauteur de cet héritage. Je ne m'en sens pas digne... Pas plus que je ne me sens digne de toi. De cette famille. J'ai l'impression d'être de trop et de ne pas y avoir ma place quand tout ce que j'aurais voulu, c'était grandir avec toi... Comme j'ai grandi avec @Freya Korrigan. Tu comprends, Eyna ? Je ne veux pas m'éloigner de toi, je veux... J'aimerais que vous me laissiez une chance, toi et Aethelia. En dépit de ce qu'Edel peut dire, en dépit de ce que mon père peut penser. Vous êtes ma famille, mon sang, Eyna. Ils ne peuvent pas comprendre ce qui nous lie. Ça va au-delà de la magie. »

Les mots de @Saúl Ochoa-Reyes refaisaient surface et, avec eux, les larmes d'un autre temps. Ses yeux bleus se noyèrent sous un torrent d'eau salée qui la saisit aussi vite que la fureur tout juste désamorcée. Siobhán remonta la manche de sa robe de sorcière pour montrer à sa cousine les veines bleues, saillantes, qui s'écoulaient depuis son poignet.

« Mon sang et le tiens ne font qu'un. J'ai l'impression d'enfin me comprendre depuis que tu es entrée dans ma vie et... » Ses lèvres se pincèrent, comme pour garder ce qu'elle s'apprêtait à dire à l'intérieur. « Mon père nous a enlevé ça. Je lui en voudrai toute ma vie. Je n'aborde pas le sujet avec lui, je ne lui parle pas de toi parce que je sais que si un jour on s'épanche réellement sur toi, sur Aethelia, sur ma mère... » Cette fois, elle se mordait la langue pendant que quelques larmes roulaient sur ses joues. « Je sais que ça nous briserait et je pense que je le perdrai à tout jamais. C'est la seule raison. »

De son autre main, elle laissait ses doigts fureter sur ces lignes irrégulières, sentant son cœur battre sous sa peau. Le regard un peu perdu, elle continuait :

« De mon œil à moi, tu es tout ce que tu dis ne pas être. On n'a pas vraiment parlé de ce que vous aviez vécu de votre côté, mais tu es ressortie des caves comme une héroïne et c'est toujours comme ça que je t'ai vue, Eyna. C'est comme ça que les gens parlent de toi. Tu es la souveraine de ta propre vie. Peu importe ce que les autres en pensent. Peu importe ce que ta mère en pense. Je sais qui tu es. Parce que ce qui compte, c'est ce que tu as, là. Ce que tu es, là. »

Sa paume quitta sa propre peau pour s'approcher du cœur de sa cousine. Pour la première fois depuis de longues minutes, elle releva ses yeux à la recherche des siens.

« Je serai toujours là, à tes côtés, si tu me laisses l'être. Tu ne seras plus jamais seule. Je t'en fais la promesse. »

ft. @Eynaelle Sanderson

Plus elle apprenait à connaître Eynaelle dans cette proximité nouvelle, plus il apparaissait clair que leurs différences étaient aussi ce qui les rapprochaient. Mais parmi leurs points communs, il y avait cette loyauté infaillible qui avait tendance à s'exprimer en toute autonomie et dont elles avaient chacune une définition qui leur était propre.

Pour Siobhán, être loyale n'avait jamais signifié qu'elle n'était pas en droit de se poser des questions sur son entourage et remettre en cause leurs actions. Ça voulait simplement dire qu'elle ne cesserait jamais de les aimer et de les défendre, envers et contre tout.

Car il ne pouvait y avoir de fidélité sans amour. C'était là sa certitude.

À mesure que sa cousine parlait, Siobhán, sans l'interrompre, prenait justement conscience de cet amour neuf qu'elle lui vouait. Avec le recul, c'était comme si Eynaelle avait toujours fait partie de sa vie quand bien même quelqu'un lui avait égoïstement retiré le bonheur de grandir à ses côtés, aux côtés de celles et ceux qui lui ressemblaient. La Poufsouffle avait beau dire qu'elle était dure envers son père, une partie d'elle était convaincue qu'on ne mentait pas aux gens qu'on aimait. On les empêchait encore moins de reconnaître leurs semblables. Bien entendu, elle avait grandi aux côtés de son frère jumeau (@Finn Gavalagh-Korrigan) et, bien sûr, @Morana Cynfeirdd faisait partie de sa vie. Mais quelque part dans son for intérieur, Siobhán avait toujours ressenti ce vide curieux en elle. Nul doute qu'il avait fait grandir ses racines dans le terreau de l'absence.

Ses compliments marquèrent le retour de ce goût amer dans sa bouche. Peut-être parce qu'elle n'avait pas de repères et aucun moyen d'évaluer réellement ses compétences telles qu'Eynaelle les décrivait Et si sa tante avait été surprise, il lui aurait suffit d'esquisser l'ombre d'un sourire. À ce stade de doute et d'incertitudes, ça aurait tout changé.

Mais bientôt, les paroles de la noir-et-jaune lui firent froncer les sourcils. Cette fois, elle ne put s'empêcher d'intervenir.

« Tu n'as pas à être à la hauteur de quoi que ce soit », affirma-t-elle avec bienveillance, mettant définitivement de côté la colère qui l'avait prise de court un peu plus tôt. « On est du même sang. Comme n'importe quel membre de ma famille, je serais prête à te suivre partout si je peux aider. Tu me demandais tout à l'heure ce qu'il fallait que je fasse pour me sentir à la hauteur de cet héritage. Et bien, ça. Je veux aider. Je veux que mon don serve une cause qui me dépasse, je veux en être. Je veux que tu me traînes avec toi où que tu ailles. »

Jamais Siobhán ne se serait doutée de ce qu'elle entendrait ensuite. L'air concentré, elle buvait les paroles de sa cousine et semblait s'animer d'une vigueur qu'elle n'avait pas connu depuis qu'elle s'était mise en danger devant les gobelins. Quelque part, tout ce qui était lié à la possibilité d'un péril à venir l'exaltait. Aussi inquiétante cette affirmation soit-elle. Aussitôt que sa cousine eut fini son discours, les yeux bleus de Siobhán se mirent à scintiller comme jamais ces deux dernières semaines.

C'était sur ce point-là que les deux cousines ne s'accorderait jamais. Pour l'Irlandaise, avoir une famille n'avait jamais été synonyme de se voir interdire de faire ses propres choix. Bien au contraire, d'ailleurs. Dès lors qu'elle avait appris les exactions de ses ancêtres auprès des créatures magiques, elle avait décrété que jamais, ô grand jamais, elle ne serait comme eux.

« Écoute-moi bien, Eynaelle. Si ce que tu dis est vrai, si tu penses vraiment tout le bien que tu viens de dire de moi, alors je peux peut-être être utile là-dedans. J'ai été si longtemps mise de côté... Je veux pouvoir faire partie d'un tout, je... veux faire partie de la famille. C'est l'héritage de ma mère et je pense — j'espère — qu'elle aurait voulu faire quelque chose. Je ne peux pas rester les bras croisés, tu ne peux pas me demander ça. »

Eynaelle commençait à la connaître : elle comprendrait que ça lui était tout bonnement impossible d'envisager de ne rien faire face à ce qui se jouait en dehors des murs protecteurs de Poudlard.

En perte totale de confiance ces dernières semaines, les mots d'Eynaelle redonnaient à Siobhán un semblant d'espoir. Ses yeux brillaient à nouveau.