Etincelles (Noma)

La journée avait pourtant si bien débutée. Le service de nuit plutôt calme pour une fin d'année n'avait transmis qu'une poignée d'affaires courantes dont l'équipe du jour devait assuré les suivis et clôtures. Rien de bien transcendant pour l'escouade de brigadiers sur le pont, mais assez pour tenir éveillé les quelques tire-au-flanc dépourvus d'enquête fixe. Noma, quant à lui s'était empressé de botter en touche afin de se plonger entièrement dans une investigation ne lui laissant qu'une fine marge de manœuvre.

Aussi à peine le caractère solennel et pompeux du briefing terminé, il s'était faufilé hors de la salle pour filer droit au cagibi de la harpie en charge des archives du département de la justice. Lotie au fin fond du deuxième niveau, son placard à balai ne payait pas de mine, mais derrière ses airs de vestibules, la pièce recelait d'une mine d'or de renseignements, dont le Karma tirait abondement profit. Moyennant compliments graveleux et jeux de séduction d'adolescent dangereux, cette gargouille en bout de course ne savait lui résister et cédait à ses moindres demandes.

Comme la veille et surement pareil au lendemain, ce jour ne dérogeait pas à la règle de lectures fastidieuses et de recherches minutieuses, en témoignant la tour de Pise d'annales que le tireur d'élite transportait d'un équilibre précaire jusqu'à son bureau. Pour ne rien changé, la rotation de quart tout juste effectif et voilà que son poste de travail ressemblait à un champ de bataille d'échec version sorcier. Les lèvres tremblant d'un soupir las, l'américain organisa à sa manière l'ensemble des dossiers récoltés, les triant soigneusement par millésime ou couleur dans un joyeux bordel que lui seul maitrisait. Il tenait du miracle que son îlot résistait sous le poids écrasant de milliers de parchemins d'aujourd'hui et d'hier. Un sourire enchanté bordant ses lèvres, la Valkyrie s'éloigna de son chantier vers une cafétéria aménagée à la va-vite dans un renfoncement isolé.

Se repassant l'interminable palmarès du département disséminé sur son pupitre, une suçacide tour à tour trempée dans un thé devenu froid et un bec asséché par sa douceur amer, le voltigeur ruminait dans son coin d'enfer, cloué au sol par un monticule de paperasses qu'il s'auto infligeait. Malgré de récentes découvertes, sa petite enquête piétinait et d'aucun des criminels aguerris sévissant sur le territoire ne semblaient vouloir porter l'étiquette de suspect principal. Alors faute de mieux, il s'était engouffré au creux d'une fine brèche, dernier espoir avant de tourner le dos à un serment prêté à la sainte Justice. En préparatif d'un interrogatoire en bonne et due forme, il avait ainsi rassemblé les quelques témoignages arrachés aux rats du Marché aux Trolls et procédé à des requêtes pompeuses auprès du gouvernement magique français, sans grand succès.

Absorbé par le regroupement d'informations capitales pour le bon déroulé et la bonne conduite d'une instruction trainant en longueur, l'insulaire avait manqué l'entrée toute en couleur d'un oiseau de mauvaise augure. En l'espèce de ce pâle représentant du congrès international sur les terres ministérielles, un sorcier à l'aura gonflée d'arrogance foulait joyeusement le plancher de la formation policière et fondait, pour son plus grand malheur, en direction de l'espace occupé par l'hawaïen. Tiré de sa besogne par l'accent lancinant d'un brésilien en croisade, les doigts du franc-tireur se crispèrent et blanchirent contre les rebords de son secrétaire.

Qu'avait-il encore fait pour s'attirer la sollicitude de ces enfoirés du CIS ? Tel un enfant pris sur le fait, Noma baissa la tête au plus bas et soupira à en perdre l'âme. Feignant de n'avoir rien entendu de ces présentations glacées d'un sarcasme acide ou de ces demandes, le regard de l'agent croisa contre son gré les lignes d'un feuillet glissé habilement sur la table. Si le yankee n'avait que faire des attributions de ces niffleurs en vadrouille et ne souhaitait en aucun cas être affilié de près ou de loin avec l'un d'eux en coopérant d'une quelconque manière, il ne manqua pas de se saisir du bordereau.  

« Ces noms ne me sont pas étranger, mais au risque de vous décevoir, j'ai bien peur de ne pas vous être d'une grande aide ! » lâcha-t-il sans se donner la peine de relever les yeux de ce document ô combien plus enrichissant que les paroles flatteuses mais prodigues d'hypocrisie du chartier.

Le sammy avait grincé des dents à l'évocation de l'affaire Fonzie sensée tomber sous le cachet de la confidentialité. Bien heureux de ne pas avoir les accréditations nécessaires à l'exhumation des comptes rendus du Magenmagot, il se mordit la langue dans l'intention de réprimer un sourire moqueur. L'arête du nez fauchée par le dos de sa main, il souffla par le nez et sa froide impassibilité se recomposa.

« Néanmoins, si vous cherchez des sorciers administrativement plus rigoureux et dont le boulot est jusqu'à preuve du contraire de coffrer ce genre d'individu, je vous conseille le QG des aurors, c'est la porte juste à côté !, cracha-t-il sans détour le bras tendu vers la sortie des bureaux.  Je n'ai aucune doute sur le fait que Mrs Tyrfing se fera un plaisir de vous aider ! » @Nott Tyrfing

Et sur cette note suintante de dédain, le Karma rejeta le dossier vers le chevalet portant son nom. D'une impulsion des talons, son assise se fit chaise à bascule et pour la première fois, les iris du Kahuna se perchèrent sur le visage de la sentinelle. Les doigts enroulés sur l'anse de sa tasse, il coucha le buvant de son gaiwan contre ses lèvres et se délecta de sa collation afin de dissimuler un rictus fardé d'inconsidération.

L'insulaire n'avait que faire des palabres de ce vieux sorcier. Avait-il même compris le sens de sa demande, avant de ne lui donner suite ? Rien n'en était plus sûr, mais par soucis d'une courtoisie et d'une attention qu'on lui reprochait bien trop souvent de manquer, le brigadier acquiesça d'un sourire navré dépourvu de toute âme. Il avait bien d'autres fléreurs à fouetter et la simple présence de cet avorton du CIS l'empêchait tout simplement de poursuivre ses investigations dans une atmosphère propice à l'éveil de son génie d'enquêteur.

Les narines rongées par le fumet d'un arabica corsé, la mine de l'asiatique se contorsionna d'une grimace irritée maquillant le frisson d'un haut-le-corps. Les sourcils légèrement froncés, il suivit le regard de cet homologue importun. "Plus discret tu meurs !", se garda-t-il de prêcher à voix haute. L'américain soupira avec passion. Fouineur en plus d'être un parvenu, Noma voyait désormais clairement le jeu de ce capiston. Lui et sa chère confédération avaient pour vocation d'espionner les affaires courantes du Ministère. Dommage pour le brésilien, ses basses manœuvres défiaient le zèle d'un agent borné à encrypter tout ce qu'il couchait sur parchemin.

La patience du Karma se putrifia en un excès de rage confiné en pensées grossières. Son thé froid enfilé d'une traite afin de passer l'odeur d'une boisson imprégnant jusqu'à son costume. Ce malappris se permettait d'envahir l'espace personnel du né-moldu avec son extrait de dysenterie et son indécente curiosité. S'en était de trop pour le métamorphe qui ne pouvait laisser pareils agissements. Avide de voir ce parasite débarrasser le plancher de la Brigade, les doigts de l'hawaïen tambourinèrent son accoudoir.

« Merci de votre sollicitude, mais je ne manquerais pas de me tourner vers votre agent de liaison ! », riposta le fonctionnaire du tac au tac, et ce, même s'il n'était pas dans ses habitudes d'implorer une aide extérieure pour avancer dans ses recherches.

Son trône retrouvant la stabilité du parquet, le tireur d'élite pianota l'extrémité de sa baguette sur son bureau. En ordre de bataille, les dossiers tapissant son plan de travail se refermèrent en toute hâte. Anticipant la conduite désinvolte de son invité, Noma allégea la montagne de rapports d'un fascicule recoupant toutes ses notes relatives à l'opium bleue, le fourra dans le tiroir du secrétaire et le scella dans un bruit de sussions avant de se relevé.

Le séant décollé de sa couchette, un rictus narquois accompagna son envol. Ses paumes s'abandonnèrent aux bordures angulaires de cette mince barricade protégeant le moustachu de son courroux. D'une maladresse dupeuse, le genou de la Valkyrie épousa d'une bourrage la table. Tranchée par l'élan des vibrations, la flasque du Chartier bascula et disparut hors du champ de vision du voltigeur.

« Au risque de me répéter, sans l'aval de mes supérieurs, je ne peux malheureusement pas vous confier l'accès aux données sensibles du Ministère., le ton cru du kahuna bruissa d'entre ses mâchoires contractées. Et quand bien même vous me présentiez les accréditations nécessaires, je vous trouve bien mal renseigné. Je ne suis pas greffier ou archiviste !, jasa-t-il tout en caressant ses insignes de faction. Encore moins votre assistant personnel ! »

À peine la baguette de ce papi levée, qu'une douleur aussi vive que furtive foudroya le tireur d'élite. Les paumes portées à ses paupières et roulant sur les flancs de son visage, Noma se massa les tempes avant de secoué chaudement la tête. Il fallut quelques secondes au né-moldu pour se remettre de l'éclat de cette migraine. Les mâchoires moulées en une grimace, les traits fins de l'éphèbe s'assombrirent des attributs d'un diable en virée meurtrière. Ce sorcier poussiéreux avait osé s'introduire au creux de son esprit sans sommation et ce devant un parterre de témoins.

Bouche bée, les doigts de la Valkyrie se refermèrent sur l'anse d'une tasse au contenu souillé par la grâce d'une insultante visite. D'un coup sec, il en vida son thé sur le plancher lustré jusqu'à la dernière goutte. Le sang-froid dont il faisait preuve lors d'escapade officielle ou d'expédition punitive s'était volatiliser comme un peu. Désormais, plus rien ne pouvait contenir ses envies de vindicte. Le bras fléchi et paré à faire feu, dans une détente digne d'un pitcher professionnel, son gaiwan fila droit vers cet avorton.

« Uh-uh, reviens là s'pèce de murlap déshydraté ! hurla-t-il au beau milieu d'une plèbe d'agent et de civils circonspects. Il n'avait strictement que faire de déranger la quiétude de son département alors que sa fierté se trouvait piétinée par pareil dégénéré.

Sans attendre le résultat de son mémorable lancé, le brigadier avait déjà enjambé son bureau et gobé d'un saut d'athlète la maigre distance qui le séparait de sa cible. Bien décidé à se battre façon moldu, Karma avait abandonné son bâton de tremble au milieu du capharnaüm qu'était désormais son secrétaire. Le col d'un costume de mauvaise facture agrippé d'une poigne ferme, d'un jeu de jambes éclair, il accompagna lourdement le corniaud jusqu'au parquet laqué de l'office. Une menotte bloquant son gant bardé de sa canne, l'autre bâillonnée en une allonge prête à fendre ses airs supérieurs d'une correction dont sa descendance se rappellerait, un sourire autrement plus glaçant tordit les lèvres de l'asiatique.

« Tu voulais du partenariat ?! Ça tombe bien, j'en ai plein mon havre-sac ! postillonna le voltigeur à la gueule de ce pompeux moustachu, tandis que ses phalanges épousaient avec violence une pommette généreusement présentée. Et ça m'dérange pas de partager tu vois ! » Grand mécène, l'américain remit le couvert en cognant une joue jalouse de sa cousine.  

À savoir d'où provenait le sang éclaboussant l'estrade et desquels os souffraient le plus des craquements et fractures de ce passage à tabac, le flou de l'événement n'aurait su le discerner. Mais l'impulsif y mettait du du cœur à l'ouvrage, se délestait de longs mois de frustration et d'obstacles hiérarchiques. Aveuglé par cette montée brutale d'adrénaline et d'énervement, il n'avait pourtant pas remarqué que le museau de son adversaire s'était métamorphosé en lame de bois sautant en éclats, que le cuir tanné d'une tronche pédante s'était muée en échardes figées dans sa chair à vif.

Écrasant de tout son poids ce sac de frappe improvisé, le sammy le gratifia d'une dernière beigne bénigne et se releva comme si de rien n'était. Tournant le dos à cet ennemi éphémère, le pas trainant et la respiration en dent de scie, il s'effondra dans cette chaise toujours aussi inhospitalière. Sa patte ensanglantée arracha une cigarette de son paquet abandonné là au coin de la table et la colla dans son bec humide.

Une mise à pied à son palmarès, une jumelle lui pendait très certainement au coin du nez après une telle esclandre. À céder aux lyres du volcan devant un cortège d'agents sceptiques, nul doute que le Ministère dans son ensemble aurait eu vent de ce spectacle avant même que la ferrugineuse fragrance de l'hémoglobine ait vidé la Brigade. Désormais, ne restait qu'à savoir qui de son Capitaine, @Emrys Woods ou de son Commissaire, @Thaddeus Illiadis se saisirait de cette épineuse convocation ?

Pourtant, assis là sa cigarette au bec et caché derrière ses grands airs je-m'en-foutisme, l'insulaire ne tremblait devant aucune sanction lorsqu'il croyait légitime son droit à la violence. Dans le fond, le prétexte pour excuser son sauvage emportement était déjà tout trouvé. Sûr de lui, la Valkyrie n'avait que répondu à une agression de manière proportionnée et quoi qu'en dise les cols blancs de ce foutu bureau, il ne clamerait rien de plus que sa plus immaculée innocence. Prêt à enfiévrer le tube de tabac prisonnier de ses lèvres, l'américain fut pris de court par la prompte réaction du brésilien.

Ainsi, Noma n'avait eu le temps de rien face à l'agilité de son adversaire. Hagard, il ne sentit qu'une pression vive comprimer l'encolure de son costume. La menotte de tissu bandée autour de son cou, l'air quitta ses poumons en un hoquet stupéfait. Toute volonté muselée, le corps du brigadier se soumit au bon plaisir du sang-mêlé. Et sans peine, le capitoche le fit passer par dessus la table comme s'il n'était qu'un poids léger dont on se délestait avec paresse. Le voltigeur retomba nerveusement sur le planche, à genoux devant ce sorcier imbu de lui-même.

En moins de temps qu'il ne fallait pour tirer une potion, Oliviera venait de le soumettre et disposait de lui à sa guise. La joue tapis contre la fraîcheur du noyer de son secrétaire, incapable de lui fausser compagnie et de se glisser hors de son emprise, l'asiatique rugissait de son accent en de vaines invectives et de pâles menace. Le tireur d'élite suivit de son regard avadakedavresque les doigts du gobelin lui extraire la tige brune de la bouche. Le moustachu ne manquait pas de cran et comme s'il détenait le pouvoir en ces lieux, il dicta ses conditions à l'oreille de sa proie à l'instant même ou la main ensanglantée de l'hawaïen se refermait sur sa baguette.   

« Si gentiment demandé, on ne saurait rien vous refuser !  » protesta le fonctionnaire tandis que son bourreau lâchait enfin prise tout en allumant son canon à tabac.

Le rapport de force établit, Karma commençait enfin à comprendre la personnalité de ce sorcier bien sûr de lui. Peut-être s'était-il même trouvé une aide providentielle pour se défaire du filet du diable dans lequel il était empêtré depuis des mois. Sans ajouter une parole, le Kahuna se contenta d'hocher la tête avec lassitude, sa patte massant un collet encore meurtris par la vigueur d'une domination dégradante. Aussitôt la sentinelle exfiltré des locaux de la Brigade, un rempart de murmures se mit à bourdonner au creux de l'atmosphère tendue des boxes.

Cette altercation bien matinale avait au moins eu l'effet bénéfique de réveiller ces oiseaux de nuits. Ces esprits mollasses tractés hors de leur songe n'avaient d'yeux que pour le dernier antagoniste encore présent dans les environs. Les pommettes rougies d'un embarras qu'il ne pouvait caché, ses paumes - tremblantes d'un désir de vengeance - firent place nette sur son poste de travail déjà bien retourné. D'une grippe moite, le Kanaka attrapa sa veste et tout en prenant la direction d'une sortie aussi lointaine que proche, il marqua un temps d'arrêt au milieu d'une salle le conduisant en silence vers la porte.

« Vous avez entendu le vieux, on retourne à son chaudron et on laisse les grandes personnes régler leurs affaires ! qu'il hurla à l'attention de ces harpies en mal d'un bon ragot à cracher sur leur heure de pause. Rien à foutre de ta sympathie Boyd, garde la pour le prochain malheureux qui croisera ton chemin et va me chercher tout ce qu'on a sur Fonzie ! » pesta-t-il en écartant ce collaborateur encombrant de son poing sanguinolent.