All is found — ft. Morana Cynfeirdd

ft. @Morana Cynfeirdd

Le mois de novembre venait tout juste de poser ses valises sur le carrelage vieux et froid de Poudlard, amenant dans son manteau de feuilles mortes les prémisses d'un hiver humide dans les confins des terres écossaises.

Au lendemain du Bal de Samhain, alors que la nuit avait été froide malgré le feu de bois qui brûlait magiquement au centre du dortoir sans nécessiter d'être alimenté, le réveil était difficile pour Siobhán. Le deuxième des quatre All Hallow Days s'entamait sur un manque de sommeil certain, accumulé dans un lit bien trop grand et — une fois n'était pas coutume — immensément vide.

La dispute de la veille avec @Luke Korrigan avait laissé un goût amer dans sa bouche. Une aigreur qui n'avait strictement rien à voir avec le peu de verres d'alcool qu'elle avait consommé ce soir-là, non. C'était probablement ce goût-là que laissaient des mots derrière eux quand même le temps ne les effaçait pas. Il y avait de ces vérités et de ces non-dits qu'il n'absolvait pas. Des non-dits qui semblaient désormais faire partie de sa vie depuis la grande mésaventure dans les caves de Gragareth.

Déposant ses pieds blancs sur le tapis moelleux au pied de son lit, Siobhán s'étira en pensant à la journée qui l'attendait, tentant de faire taire les pensées qui l'assaillaient déjà. En somme, rien d'exceptionnel n'allait se produire en dehors de sa tournée quotidienne des enclos de créatures magiques et des plantes des serres de botanique.

Elle ne se doutait pas encore, à ce moment-là, que certains non-dits de sa vie n'allaient pas le rester longtemps.

•••

Le chemin jusqu'aux serres de botanique, elle le faisait sans même s'en rendre compte. Comme une machine, ses pas la guidaient sans même qu'elle n'ait besoin de les contrôler. Sur la route, la demie-vélane pensait à la petite liste de choses à faire qu'elle s'était notée sur un morceau de parchemin.

À faire

-Pailler le terreau des choux-mordeurs

-Vérifier le niveau d'eau des mandragores

-Surveiller le poil des boursoufs

Poudlard avait beau avoir son propre garde-chasse et ses professeurs qui veillaient sur l'école et ses propriétés à n'importe quelle heure de la journée, Siobhán s'était toujours dit qu'ils ne seraient jamais de trop pour vérifier que les plantes et les animaux magiques se portaient bien, y compris en hiver quand le monde tournait au ralenti. Perfectionniste dans l'âme et amoureuse de la nature, elle trouverait de toute façon toujours un prétexte pour aller visiter les enclos et les serres.

Ce fut d'ailleurs les portes de ces dernières qu'elle poussât en premier, découvrant avec surprise @Morana Cynfeirdd de l'autre côté, en contrebas des escaliers. La stupeur se lisait sur le visage de Siobhán quand bien même Morana avait bien plus de raisons valables de se trouver en ces lieux un jour férié. À commencer par la première : elle enseignait ici depuis le mois de septembre. Sans compter qu'en tant que botaniste d'exception, elle était de loin la mieux placée pour prendre soin de toutes ces variétés.

« Ah, tu es là », lâcha-t-elle simplement pour combler le silence.

La vérité, c'était surtout que depuis le mois de septembre et plus largement depuis qu'elle avait été admise à Poudlard, la demie-vélane avait pris grand soin d'éviter la Cynfeirdd dont elle était pourtant si proche depuis qu'elle était enfant. Les raisons de cette distance étaient bien simples : si @Luke Korrigan avait omis une partie de la vérité la concernant, il y avait de fortes chances que Morana, comme @Maeve Cynfeirdd d'ailleurs, ait été courant.

Si elle pouvait en vouloir aisément à son père parce qu'il était de son sang et qu'il lui était impossible de la renier quoi qu'elle fasse, elle avait toujours eu plus de mal à entrer en conflit avec les Cynfeirdd, préférant souvent garder ses ressentiments pour elle le temps qu'ils passent, par habitude plus que par envie.

Oui mais voilà. Il y avait des non-dits que même le temps ne savait effacer.

« Je repasserai », ajouta-t-elle en commençant à refermer les portes.

Bien consciente que Morana l'avait déjà vue, en haut des escaliers, et qu'il y avait peu de chances qu'elle la laisse s'en tirer sans l'interpeller, ni sans une discussion digne de ce nom.

Dans le doute, et parce qu'elle avait aussi à cœur de mettre les choses sur la table, la Serpentard resterait probablement quelques temps à l'extérieur avant de refaire son entrée. La surprise en moins.

Il y avait dans la petite maison de Morana Cynfeirdd, en périphérie de Pré-au-Lard, loin des cris des étudiants le jeudi soir, un petit lit dans lequel se tenait tout aussi grand un garçon aux cheveux blonds, légèrement bouclés sur ses tempes. Il aimait beaucoup regarder les étoiles mais il y avait trop de nuage en ce moment, alors Elaine s’amusait à dessiner des constellations sur le plafond de la chambre, et les étoiles dansaient pour le petit prince. Cela faisait rire Lancelot, qui finissait toujours par dire que lui aussi il voulait danser avec les étoiles, et ce qui n’était qu’une remarque légère d’un enfant de cinq ans devenait pourtant dans le cœur des deux mères un poids supplémentaire, le cruel rappel que la vie de leur petit garçon ne tenait jamais qu’à un fil. C’était toujours à ce moment que Morana s’effaçait de la chambre et qu’elle partait loin de la maison, dans le silence vicieux de la solitude.

Elle les maudissait ces étoiles joyeuses, ces maudites danses.
Elle les maudissait tant...



S’occuper des plantes avait le mérite de lui faire penser à autre chose. Morana appréciait le silence des serres, le petit bourdonnement des insectes allant et venant autour d’elle.
Les inventions de @Sheraz Mahal, tant vantée par @Ana Souvorov, avaient le mérite d’être particulièrement efficaces sans prendre trop de place au milieu des pots. Pour l’heure elles régulaient la chaleur mais également le taux d’humidité afin de permettre une régénération optimale des plants les plus fragiles.
À cette saison, les mandragores dormaient profondément. Pour les plus jeunes, l’hibernation avait déjà commencé et continuerait jusqu’au printemps, jusqu’au moins début avril pour les plus tardives. De là il faudrait les transposer dans de plus grands pots pour leur permettre de fortifier leurs racines.

Morana releva le menton, alors que son regard glissa instinctivement vers la porte. Elle n’attendait personne à cette heure mais elle avait cette sensation que quelqu’un allait venir. Ces sens exacerbés, elle la devait en partie à ce sang particulier qui lui avait été tant reproché à son époque, entre ces mêmes murs. Cette différence avait pourtant été une force, et sans elle, aurait-elle été aussi proche des fleurs et des bêtes ?

La silhouette qui se découpa dans l’encadrement la surprit quelque peu, puisqu’il semblait que la fille de @Luke Korrigan s’appliquait très soigneusement à l’éviter autant que possible depuis la rentrée de septembre. Morana, et en cela elle ressemblait à @Maeve Cynfeirdd, avait toujours laissé une opportunité à la jeune fille de venir la voir et lui parler comme elles le faisaient avant, mais c’est vrai qu’elle n’avait pas couru après. Ce n’était pas contre elle, Morana adorait sincèrement la jeune Siobhan, mais c’était sa façon d’être. Si la jeune Gavalagh-Korrigan ne voulait rien avoir à faire avec elle, qui était-elle pour s’imposer ?

La serpentard n’avait pas l’air plus enjouée que ça de la voir. Morana resta stoïque, se demandant ce qu’elle devait répondre ou comment réagir, mais Siobhan ne lui laissa guère de temps qu’elle refermait déjà la porte.

La Directrice de Serdaigle fronça doucement les sourcils, cette fois plus piquée que ce qu’elle aurait dû être par le comportement de la jeune fille. Elle voulait bien croire que c’était l’adolescence ou une autre phase dont Maeve lui avait déjà parlé, ce n’était pour autant pas acceptable de ne rien lui dire sur ce qui lui était reproché - Morana avait bien une idée, mais un échange lui aurait au moins permis de se défendre.

Finalement la Cynfeirdd se rapprocha de la porte pour l’ouvrir, en un signe qui signalait que même si elles n’étaient pas toujours d’accord sur tout, et que même si Siobhan pouvait lui en vouloir, sa porte à elle resterait toujours ouverte.

« Tu peux entrer, si tu veux discuter. La solitude fait semblant d’écouter et n’apporte guère de bonnes réponses... »

Morana le savait pour avoir longtemps été cette petite fille seule, s’imaginant les choses qu’on pouvait lui dire avant même de les avoir entendu. Souvent, jeune, elle s’était trompée. Persuadée d’abord de ne pas être considérée par Geraint comme une de ses enfants puisque ne partageant qu’un demi-sang, ou encore de ne pas être aimée par Elaine du fait de sa condition de femme -- à chaque fois, les choses s’étaient améliorées aussitôt qu’elle avait bien voulu entendre ce que les autres avaient à dire.

Morana recula de quelques pas pour s’enfoncer de nouveau dans la serre, laissant le choix à la jeune serpentard de la suivre ou non.

Dans le fond de la serre, une tasse de thé à moitié vide voletait vers la Cynfeirdd.

« Est-ce que tu veux quelque chose à boire ? »

Elle fit se refermer le dossier de @Zion Webb, juste à côté du rapport d'incident qui avait été déclaré suite à une dénonciation calomnieuse de mauvaise manipulation et mauvaise gestion de la classe. Depuis quand les taux de perte avaient disparu à Poudlard ?

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ft. @Morana Cynfeirdd

La main sur le montant, Siobhán s'apprêtait à faire son grand retour dans les serres au moment même où la voix de Morana lui parvint de l'autre côté de la porte. Sans surprise, la Cynfeirdd saisissait au vol l'opportunité d'une discussion à cœur ouvert, comme il n'y en avait eu aucune autre depuis la rentrée. Dans un sens, ça arrangeait bien Siobhán de ne pas faire le premier pas. Ainsi, elle n'avait pas vraiment eu à mettre sa fierté de côté.

Et oui, si vous vous posiez encore la question, dès qu'il était question d'égo, c'était son âme de Serpentard qui parlait.

Il était terrible de savoir que c'était bel et bien Morana que ses yeux avaient vue en bas et d'avoir l'impression pourtant d'entendre des mots que @Maeve Cynfeirdd elle-même aurait pu prononcer. De ce qu'elle avait vu lors de ses passages à Caer Cynfeirdd, les deux cousines avaient toujours été très proches et c'est probablement pour ça que Siobhán nourrissait une admiration différente mais d'une force équivalente pour ces deux femmes.

Mais Maeve avait beau être sa mère d'adoption, Morana avait ce quelque chose en plus qu'elle n'avait pas : un sang-mêlé, et une partie des réponses aux questions que ça pouvait soulever. Peut-être était-ce d'ailleurs pour ça que la demie-vélane ne pouvait faire complètement abstraction de son silence concernant les nombreuses omissions de @Luke Korrigan : Morana comprenait mieux que personne à quel point il était difficile de se sentir comprise au sein d'une famille dans laquelle personne ne lui ressemblait vraiment. Et pourtant, elle n'avait rien dit.

S'approchant sans rien dire de son aînée, la tête haute malgré tout, Siobhán adressa un de ces regards froids qui lui appartenait. La mâchoire serrée, les mots de Morana trouvaient un curieux écho à l'intérieur d'elle. La solitude avait beau ne pas toujours être de bons conseils, elle était parfois la seule solution quand tout le reste nous échappait.

« Peut-être. Mais elle aide parfois à y voir plus clair », répondit-elle presque mystérieusement après un petit temps de réflexion avant d'ajouter poliment : « Je veux bien, merci ».

Y voir plus clair. Voilà ce dont elle avait besoin, depuis son passage dans les caves de Gragareth. Et malgré le temps qui passait dans un isolement presque absolu, sa vue était toujours aussi mauvaise. Floue.

Son regard pensif suivit les envolées de la vaisselle avant de se poser sur la paperasse trainant sur le plan de travail. L'idée d'une tasse de thé bien chaude apaisait déjà son cœur. Ou peut-être était-ce le fait de se retrouver auprès de quelqu'un qui lui ressemblait bien plus qu'elle n'aurait voulu l'admettre en cet instant.

« J'étais sûre que papa t'appellerait, quand il a repris Poudlard. Il a bien fait. Je suis contente pour toi. »

C'était sa manière à elle de s'excuser pour la distance de ces derniers mois puisqu'elle n'avait pas pris la peine de le lui dire avant. Ça n'était pas très habile, certes, mais c'était tout ce qu'elle avait en stock en ce moment.

Et ça avait le mérite d'être sincère.

Un sourire amusé ourla les lèvres de Morana alors que Siobhan tentait de lui faire croire que la solitude lui avait permis de trouver des réponses. La sorcière était bien trop âgée pour se laisser avoir par ce genre de discours. Elle n’avait rien trouvé dans ses nuits les plus noires, et elle avait trouvé que plus le silence durait, plus il s’appesantissait sur les uns et les autres. Les bras d’Elaine et les mots de @Maeve Cynfeirdd l’avaient sauvé plus d’une fois de tout abandonner, de se souvenir du plus important, et c’était sans doute grâce à elles qu’elle était encore aujourd’hui à espérer un miracle pour Lancelot.

Elle hocha la tête, faisant un petit geste de la main afin qu’une deuxième tasse ne volette, celle-ci bien mieux garnie d’une tisane de verveine et d’eau de miel, saupoudrée d’une poudre brune. Si on y prêtait un peu attention, on pouvait sentir l’armoise et un petit goût sucré de figue. Plus qu’une tisane, c’était prête ou à peu de chose près une potion, mêlant la détente et l’aiguise-méninge, pour celle qui travaillait tard et tôt, sans aucun répit ou presque.

Une table de jardin, ronde et blanche, aux jolies arabesques fleuris sur les pieds, se déplia alors que Morana arrivait, suivie par Siobhan. Elle se plaça toute seule en dessous un immense pied de ce qui ressemblait à une glycine aux couleurs froides, d’un bleu luminescent dans la pâleur du matin. Les tasses se posèrent l’une en face de l’autre, alors que Siobhan finissait de la féliciter pour sa prise de poste.

Morana eut un air mutin mais connaissant depuis toujours la serpentard, elle n’en fit pas toute une histoire, ni du temps ni du délai. Il y avait bien une chose qu’elle savait, c’est qu’il fallait laisser les enfants être des enfants, et prendre le temps qu’ils voulaient bien prendre à grandir. En faisant ainsi, ils revenaient sans cesse dans le giron familial, tout en sachant qu’on ne les empêcherait jamais de vivre la prochaine aventure de leur vie.

« J’ai été étonné pour ma part », commenta Morana, se voulant honnête : « mais ton père avait déjà pensé à tout concernant Elaine et Lancelot, et je me suis dis que ça n’était pas une si mauvaise chose que de revenir à Poudlard. Ça permet à Elaine de ne pas être seule trop longtemps depuis que nous sommes au Pré-au-Lard, d’être entourées, et aussi de vous voir plus souvent, toi et Freya. »

L’une à Serpentard, l’autre à Serdaigle. De là où elle était, Morana pouvait garder un œil sur les deux jeunes femmes, même si elle n’était pas de ce genre d’adulte qui se permettait de s’introduire dans la vie de leurs enfants. Elle était plus louve que lionne, attentive mais lointaine. Elle avait suivi le même chemin que Maeve et cela se reflétait par bien des aspects qu’elle-même elle trouvait amusant, d’une certaine façon.

Morana l’invita de la main à s’asseoir, prenant elle-même place sur une des chaises. La tisane était encore bien chaude, et on pouvait sentir les effluves de miel et de figue sans même l’avoir porté aux lèvres.

« Même si tu avais l’air de ne pas vouloir me voir jusqu’à maintenant. »

La sorcière jeta un regard au visage de Siobhan, tentant de comprendre. Seulement trois mois s’étaient écoulés depuis son arrivée au château, mais il semblait qu’elle en ignorait sur sa nièce plus qu’elle ne le pensait. Morana voulait bien croire que la vie n’attendait pas, et que la fougue de la jeunesse les poussait parfois dans ses bravades bien impulsives, mais cela la déroutait aussi.

« J’ignore ce que j’ai fait de mal, mais je me doute que ça a un rapport avec Ethel. »

Ils n’avaient pas échangé à ce propos avec @Luke Korrigan, mais elle avait entendu qu’il était retourné plusieurs fois à Caer Cynfeirdd, ce qui signifiait qu’il avait besoin de réfléchir. Du moins, c’était ce que Morana avait fini par déduire, et aussi ce que Geraint avait fini par dire au détour d’une conversation.
Et la seule chose qui faisait encore bien réfléchir Luke Korrigan, c’était peut-être son amour perdu.

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ft. @Morana Cynfeirdd

Le décor offert par les serres de Poudlard, tout comme les parfums des fleurs et de leurs essences qui se donnaient à sentir à l'intérieur, avait ce quelque chose de foncièrement apaisant.

Les serres étaient l'un d'un des deux endroits où Siobhán aimait le plus passer son temps libre - à l'exclusion de la bibliothèque, évidemment. Ici, il y avait ce quelque chose qu'on ne trouvait nulle part ailleurs, dans le château. Ici, on pouvait savourer à toute heure de la journée la lumière d'un soleil particulièrement généreux, ou entendre la pluie tomber sur le plafond de verre sans subir de trop près les inconvénients du temps. Ici, on était proches de la nature sans se confronter pleinement au hasard de ses rencontres. Quelque part, ça faisait l'effet d'un cocon de protection. Siobhán avait toujours eu l'impression qu'une fois à l'intérieur, les portes refermées, rien ne pouvait l'atteindre.

C'était donc un lieu parfait pour mener la discussion qui s'amorçait. S'approchant de la table de jardin blanche qui s'était empressée de se déplier pour les accueillir, la demie-vélane suivait Morana avait de s'y installer à ses côtés tout en sentant le rythme de son cœur s'apaiser à mesure que les minutes passaient.

Les raisons de ce changement d'attitude pouvaient être multiples, mais c'était comme si toute sa rancœur s'évanouissait peu à peu. À quelque chose près.

Avec les Cynfeirdd, elle ne restait jamais fâchée trop longtemps. Ce côté de sa famille n'avait clairement pas la primeur de sa rancune.

C'était injuste pour @Luke Korrigan et  @Finn Gavalagh-Korrigan, mais c'était ainsi.

« Comment vont-ils ? Elaine et Lancelot ?", s'aventura Siobhán.

Tout comme avec Morana, cela faisait un moment qu'ils ne s'étaient pas vus. Pourtant, elle avait adoré passer ces quelques heures avec leur fils et s'enorgueillir de ses sourires quand elle avait eu l'occasion de le voir. Si l'on mettait de côté sa maladie, c'était un petit garçon plein de vie. En posant cette question alors qu'elle s'asseyait aux côtés de sa tante, peut-être espérait-elle obtenir les prémisses de bonnes nouvelles au sujet de sa santé.

De là où elle était, les odeurs chaudes et fruitées de la boisson préparée arrivaient jusqu'à son nez. Les arômes s'accordaient merveilleusement avec les fragrances de la serre, différentes à chaque visite qu'on s'y accordait.

Mais bientôt, Siobhán ne fut plus concentrée que sur les mots qui venaient de sortir de la bouche de Morana.

« C'est plus compliqué que ça », affirma la vert-et-argent qui assumait sans difficulté son silence de même que son absence. Mais à la mention du prénom de sa mère, son cœur manqua un battement. Puis un autre. « Tu sais, donc », ajouta-t-elle en faisant glisser son regard à la recherche du sien. « Depuis le début, tu savais que ma mère avait une famille, qu'ils étaient comme moi. Tu savais, mais tu ne m'as rien dit. »

Le ton de sa voix s'était légèrement durci, faisant sonner l'énonciation de simples faits comme une poussée de reproches. Pourtant, la Serpentard savait bien que ce n'était pas sa place, de formuler des sermons ; elle n'avait de toute façon aucune réelle raison d'en vouloir à quiconque autant qu'à son père, bien qu'elle digérait très mal le silence de Morana. Luke avait beau n'avoir fait rien d'autre que respecter la parole de sa défunte épouse, il était plus facile de lui attribuer la responsabilité de ces non-dits.

Après tout, sa mère était morte. Et il était plus difficile d'en vouloir aux morts. Justement, parce qu'ils étaient morts. Et que c'était déjà suffisamment difficile de devoir vivre sans eux pour en plus leur attribuer des fautes desquelles ils ne pouvaient plus répondre.

On avait beau dire que les absences avaient toujours tort, il fallait bien des vivants pour porter le poids de la responsabilité de leurs actions passées.

« Pourquoi ? », demanda-t-elle simplement.

La cuillère tournait toute seule sans s'arrêter dans la tasse encore brûlante, laissant flotter dans l'air un bruit constant qui en devenait presque désagréable.

Un silence suivit la question de Siobhan. Rien de grave à en juger par le visage de Morana, mais le professeur semblait pensif un moment. Comment allaient-ils ? La question était toujours dérangeante, même quand c’était Maeve qui la posait, et c’était bienheureux qu’elle ne la posait jamais car elle imaginait sans doute très bien ce que c’était que « d’aller » à voir sa descendance petit à petit s’évanouir, à le voir chaque jour perdre un peu plus de sa lumière, de ses rires, à l’entendre parfois pleurer dans son sommeil. Lancelot était un bon petit, un petit garçon fort et courageux, mais le Destin avait été injuste et désormais, toute la petite famille devait vivre avec, qu’elle aille bien ou non ne changerait rien au lendemain.

« Ils se portent bien », termina finalement par répondre Morana après une courte pause, qui lui parut pourtant bien longue. Son regard s’échappa un instant vers quelques plantes qui ondulaient en silence dans le fond de la serre. Encore une tentative, encore une expérience. Mais au lieu de s’y attarder, et comme ce n’était de toute façon pas le sujet, Morana glissa de nouveau son regard sur la jeune Korrigan.

Elle l’avait vu grandir et désormais, c’était une jolie et belle femme, ce qui était presque attendue d’une demi-vélane mais la beauté de Siobhan n’avait que peu à voir avec son physique. Du moins, c’est ce que la Cynfeirdd pensait. Il y avait quelque chose de beau dans son coeur, et elle comprenait qu’elle avait été blessé. Elle-même l’avait été, même si elle avait fini par n’en vouloir à personne.
Aussi, Morana tenta d’ouvrir le dialogue, comprenant que c’était par là que tout devait commencer.

Elle ne fut pas surprise de voir que la jeune femme était en effet en colère pour Ethel. Morana n’eut pas un sourire, au lieu de ça elle reposa doucement la tasse sur la petite table, avant de reposer ses mains sur ses genoux. Ainsi elle semblait toute ouverte à dialoguer, quand bien même elle n’avait presque rien pour sa défense.

Quand Siobhan lui demanda pourquoi, Morana répondit presque aussitôt, mais sans se hâter, avec une voix calme et posée :

« Parce que tu étais trop jeune », la cuillère dans la tasse de Morana cessa de remuer, « si je te l’avais dis, tu te serais précipitée de toi-même pour retrouver cette part de toi inconsolable et vide, sans faire attention aux intentions de ceux et celles qui seraient en mesure de la compléter. Je l’imagine très bien, car c’est ce que j’ai fait quand j’ai entendu Geraint, un soir de banquet, le dire à Maeve. J’ai cherché sans relâche et avec une ferveur terrible, juste pour avoir cette sensation d’être complète, d’être acceptée et comprise -- et pour ça, j’avais besoin de trouver quelqu’un de ma propre espèce. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que la famille qui nous élève est bien plus importante que celle qui nous donne notre sang. »

Sa main attrapa de nouveau la tasse, pour venir la finir. Elle l’avait de toute façon bien entamé juste avant l’arrivée de Siobhan.

Une théière blanche et violette, joliment décorée, avança rapidement dans les airs pour la remplir, alors qu’elle reprenait toujours sereine :

« Je crois qu’il y a des choses dans ce monde qui sont à comprendre, à découvrir et à éprouver par soi-même. Ce n’est jamais plaisant à vivre, mais est-ce que ça ne t’a pas permis de faire des découvertes que tu n’aurais peut-être pas faite si je t’avais prise par la main ? Se rendre dans l’allée des embrumes par exemple... Est-ce que tu aurais fait ça si ton père t’avait donné sa version et t’avait mise en garde ? »

Peut-être que oui, peut-être que non -- le Passé n’existait pas pour ce que Siobhan avait écrit son présent et son futur à la force de sa seule volonté. De la même façon qu’elle-même avait traversé les épreuves pour retrouver cette part « vide » laissée dans le fond de son âme.  

« Je ne te demande pas de me pardonner pour ce que j’aurai dû te dire, et je comprendrais que tu m’en veuilles encore longtemps. En revanche, je veux que tu saches que je serais toujours là si tu en as besoin, et que si tu avais besoin de ma protection, je te l’accorderais volontiers, car tu es ma famille Siobhan. Pas celle de sang c'est vrai, mais la plus importante, celle que l'on choisi. »

Maeve avait été une vraie mère pour eux, et Morana comme une tante. Pas la plus drôle comparativement à Bronn qui aurait fait un excellent père s’il l’avait voulu ou avait rencontré la bonne personne, mais elle avait toujours su inspiré un sentiment de sécurité pour les rejetons de Caer Cynfeirdd sans jamais être omniprésente.

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ft. @Morana Cynfeirdd

Face au silence qui suivit sa question comme une ombre s'accaparait une silhouette dans la nuit, les remords se bousculaient aussitôt dans sa petite tête rousse.

Pourquoi fallait-il qu'elle soit incapable de taire les questions qui traversaient sa caboche ? Pourquoi n'avait-elle pas été dotée, comme tout le monde à la naissance, d'un filtre qui lui permettrait de faire le tri entre les bonnes choses à dire et à faire, et celles qu'au contraire, il valait parfois mieux celer ?

Le pire dans tout ça, c'est qu'il n'y avait eu aucune once de mauvaise intention dans sa voix. Siobhán pouvait se montrer rancunière parfois, mais elle n'était pas méchante. En tout cas, jamais gratuitement. Et jamais envers sa famille.

Se montrer mauvaise envers les siens, c'était trahir ce qu'elle était. Et la trahison n'avait jamais eu sa place dans son vocabulaire.

Mais à bien y réfléchir, il y avait encore pire que ce silence.

La réponse de Morana, brève et bien trop concise, ne laissait planer aucun doute sur l'état de santé de Lancelot. À ce rythme-là, elle aurait tout aussi bien pu demander demander à @Maeve Cynfeirdd si Eochaid arrivait à profiter du calme de la forêt.

À cet instant, la vert-et-argent aurait voulu se taper la tête contre un mur comme n'importe quel elfe de maison digne de ce nom l'aurait fait. Elle comprenait mieux maintenant pourquoi ils cherchaient la douleur. C'était probablement la meilleure façon de se punir à l'idée d'avoir potentiellement pu blesser quelqu'un.

Alors que tout ce capharnaüm avait lieu dans sa tête, le visage de Siobhán restait entièrement stoïque. Aucune preuve n'existait quant au trouble qu'elle ressentait en cet instant précis et elle préféra respecter la volonté de Morana qui ne donnait absolument pas l'impression d'avoir envie d'aborder le sujet plus longuement.

Elle aurait du savoir, pourtant, qu'il y avait des sujets sensibles. Maeve avait Eochaid. Morana avait Lancelot.

Pour combler le vide, Siobhán porta sa tasse de café à ses lèvres. Les effluves sucrées et la fumée chaude de sa boisson eurent pour effet de lui faire oublier que le seul bruit qui parvenait à se frayer un chemin dans le silence était celui de la porcelaine qui se heurtait contre elle-même.

Jusqu'à enfin faire taire ce silence assourdissant qui durait déjà depuis trop longtemps. Et dans toutes les explications que lui servait Morana pour mettre fin à cette distance, Siobhán avait retenu l'essentiel, escamotant cette partie d'elle qui se demandait de quel droit les siens lui avaient ôté le droit de comprendre ce qu'elle était.

« Et qu'est-ce que tu as trouvé ? »

En l'interrogeant ainsi, mettant de côté tout ce qui les avaient guidées jusqu'à cette conversation, Siobhán reprenait ses mauvaises habitudes laissées à l'abandon quelques secondes à peine auparavant. Elle remettait Morana en face de questionnements qu'elle aurait peut-être préféré taire. Oui. Mais elle avait besoin de savoir. Elle avait besoin de savoir si elle l'avait trouvée, cette partie d'elle qui lui manquait. Elle avait besoin de savoir si aujourd'hui, elle se sentait complète. Si le vide avait été comblé.

Car maintenant qu'elle le mentionnait, n'était-ce pas ce qu'elle était allée chercher, quelques mois plus tôt, dans l'allée des Embrumes ? Des réponses suffisamment grandes pour venir combler le vide que sa mère avait laissé ?

Siobhán en oubliait son thé.

« Bien sûr que chaque épreuve est une expérience. Mais j'aurais probablement aimé savoir un peu à l'avance qu'une partie de ma famille préférait me voir morte, oui. Ça m'aurait probablement évité de me jeter dans la gueule du loup, aussi formatrice ait pu être cette aventure. »

Sans compter que c'était le genre de détails qui pouvait avoir toute son importance dans une vie. Car si dans sa quête de vérité, elle avait croisé le chemin d'@Eynaelle Sanderson dont elle ne voudrait plus se passer aujourd'hui, elle avait aussi été mise sur la route de ceux qui avaient poussé sa mère à fuir les siens. De ceux qui, en bons Gavalagh et chasseurs de vélanes qu'ils étaient, jaloux de leurs pouvoirs et de leur beauté, n'avaient de cesse de vouloir les éradiquer pour ce qu'ils et elles étaient dans leurs yeux : des monstres, comme tant d'autres hybrides qui étaient aujourd'hui si durement jugés alors qu'il n'avaient pas choisi de naître ainsi.

« Tu n'as pas besoin de te faire pardonner, Morana », murmura-t-elle en relevant son regard vers sa tante qui, bien malgré elle sans doute, avait contribué à forger son caractère autant que @Maeve Cynfeirdd l'avait éduquée. « Je sais combien mon père peut se montrer persuasif. Mais je pensais que toi, parmi tous les autres, tu comprendrais. Parce que tu sais ce que ça fait de ne pas être... de ne pas avoir... Tu sais.»

Les mots manquaient, probablement aussi parce que ceux de la Cynfeirdd venaient de la toucher en plein cœur.

C'était bien quelque chose qu'ils avaient en commun, dans cette famille : ils savaient relativement bien viser.

TW

A la question innocente mais précise de Siobhan, Morana eut de nouveau un instant de réflexion. Qu’avait-elle trouvé quand elle avait percé l’univers de sa présence ? Quand elle avait remué le monde de l’Autre, le monde silencieux des fées qui vivent seulement du crépuscule à l’aube ? Un sourire tendre passa finalement sur les lèvres du professeur. Morana incarnait cette étrange facette du Serdaigle en ce qu’elle pouvait être sage et mystérieuse sans même s’en rendre compte. Il lui semblait qu’elle traitait avec prudence et délicatesse tous les sujets, et qu’elle prenait toujours le temps de la réflexion même face aux regards les plus avides.

« Quelque chose de précieux, mais d'une certaine façon, j’aurai préféré ne jamais savoir – ou plus tard, différemment. »

Cette part de sa vie lui apparaissait toujours comme une erreur, et en même temps, elle avait ouvert les yeux sur bien des aspects de son être. Elle avait pu effleurer la réalité et la vérité, mais toutes deux venaient toujours avec leur lot de misère. Aurait-elle été très différente si elle n’avait jamais rien su ? Peut-être pas, mais peut-être qu’elle aurait fini par s’habituer au vide laissé dans son âme. Elle l’aurait comblé avec Maeve Cynfeirdd, avec Bronn et Elffin s’il le fallait, et même si l’entreprise était vaine, elle se serait efforcée jusqu’à son lit de mort de ne pas trop y penser. La peine aurait été légère, supportable, contrairement à la cicatrice avec laquelle elle devait désormais vivre – elle, Geraint et Aderyn, pour ceux que ça regardait vraiment.

Elle reprit, d’une voix plus sage, tentant de faire passer ce qui visiblement taraudait Siobhan. Maeve aurait éludé en expliquant que ce n’était pas à elle de lui en parler, mais Morana ne pensait pas qu’il y avait des êtres mieux placés que d’autres, seulement des moments et des instants de vie plus propices.

« Il y a toujours un moment dans une vie où on est confronté à ce genre de situation – autant que ce soit pour quelque chose d’essentiel. »

Elle ne reviendrait pas davantage dessus. Morana regarda la théière lui verser une seconde tasse, puisqu’elle avait fini la première plus vite que prévue. Elle sentit que jusque-là, Siobhan n’avait pas été convaincue, et sans être manipulatrice ou un serpent, Morana se permit de recentrer sur ce qui était le plus important : sa place en tant que membre de sa famille.

La peine en revanche persistait. Morana pencha doucement la tête, repensant quelques instants plus tôt à la question de la serpentard. D’un air un peu plus sérieux, elle déposa sa tasse sur la petite table après en avoir pris une gorgée, et prit une posture plus détendue dans la chaise de jardin d’acier blanc. Elle inspira profondément, l’air pensif, avant de s’éclaircir la voix.

« J’ai grandi avec Maeve que je considère comme ma propre sœur, mais à chaque fois que je l’observais jouer avec ses frères, j’avais l’impression d’avoir un vide au niveau du cœur. Je me sentais odieusement seule, et jamais à la bonne place, vois-tu, comme un fardeau que Geraint tolérait par amour pour sa sœur, ma mère. »

Rhiannon et ses longs cheveux blonds, et ses rires joyeux qui ne résonneraient plus jamais dans le vieux Caer Cynfeirdd.

« J’ai appris durant mon adolescence que ma mère s’était trouvée aux mains d’un prince de la forêt. Un bel homme, d’après la légende, alors je me suis rendue dans toutes les forêts magiques du Pays de Galles, sous prétexte de vouloir chasser, pour le retrouver. Je suis allée jusqu’à The Crone's Cwt, puis je suis allée à Gorsedd Arberth un peu avant que la rousse Branwen n’y soit exilée, je me suis même rendue jusqu’au floi dans l’espoir fou de le trouver, mais je n’ai rien trouvé. »

Un sourire tendre mais peiné peignit les lèvres de Morana.

« Quand j’ai abandonné, je suis revenue à Caer Cynfeirdd en pensant que rien ne me ramènerait ce père, ce seul parent me restant, et alors il s’est présenté à moi, de lui-même. Il était là, sur un magnifique cerf blanc comme la lune. Je le revois encore aujourd’hui, avec ses cheveux sombres comme la nuit, avec ses longues oreilles perçant à travers. »

Morana eut un petit rire étouffé, comme un souffle dans le nez, avant d’attraper la tasse. Sur un ton bien moins nostalgique, elle glissa sur Siobhan un regard sans équivoque, d’une neutralité cruelle.

« Je me suis précipitée à Caer Cynfeirdd pour le dire à Geraint, qui n’a pas tardé à prendre son arbalète et à vouloir sortir pour en découdre. Bien sûr je me suis interposée, je ne voulais pas qu’il brise la seule chose qu’il me restait de mon sang. J’ai hurlé, j’ai crié, pour la première fois de ma vie. Je leur en voulais tellement, j’ai fait de la peine à Aderyn ce jour-là comme jamais je ne me le pardonnerais pour celle qui m’a nourri au sein quand je n’étais rien… Geraint m’a repoussé, et je l’ai entendu, Siobhan, je l’ai entendu la vérité. Et elle n’était pas aussi jolie que ce que j’aurai aimé. »

Elle but une nouvelle gorgée, avant de lâcher sans une once d'hésitation :

« Ce monstre, si beau et impérial, avait violé ma mère d’une façon si cruelle, si sauvage, qu’elle a préféré dans son trépas fuir les vieilles pierres de Caer Cynfeirdd que d’y vivre en tant que fantôme ou vitrail. Elle n’a pas supporté la honte, ni la douleur. Dans le sang ma mère est morte, et dans le sang je suis née. »

Morana inspira profondément, se rendant compte qu’elle avait parlé plus de raison et qu’elle aurait pu abréger de plusieurs fois péripéties cette vieille histoire.

Elle eut finalement un sourire qui se voulait rassurant pour la jeune serpentard, comme si elle avait enterré depuis très longtemps cette peine. Sa relation avec Geraint et Aderyn n’avait jamais paru pâtir de cet évènement, et personne n’en avait jamais parlé, pas même les vieux vitraux ou la tante Rowene.

« Ne t’inquiètes pas, je sais que tu as le cœur pour ce genre de chose derrière cet air qui ne veut rien montrer. Je ne veux pas être triste. Ma mère a été depuis vengée. »

MADE BY @ICE AND FIRE.

ft. @Morana Cynfeirdd

Un nouveau silence avait suivi sa question. Pas besoin de savoir manier les pouvoirs de Merlin pour comprendre que cette conversation était en train de prendre une autre dimension. La réponse avait nécessité une réflexion encore plus grande, encore plus profonde, comme si Morana allait débusquer dans les tréfonds de ses secrets. Comme si chaque mot qu'elle s'apprêtait à prononcer serait à la fois plus mesuré et plus lourd que le précédent. Ce silence-là ne signifiait pas je n'ai pas envie d'en parler mais plutôt j'ai besoin de temps. Ce qui ne donnerait que plus de poids à ce qui allait suivre.

Pour lui en laisser, du temps, Siobhán pris une nouvelle gorgée de son thé et se laissa volontiers resservir quand sa tasse fut vide. De cette manière, elle avait le sentiment de laisser à sa tante plus d'espace, bien qu'encore loin de se douter de ce qu'elle allait apprendre ensuite.

Mais après tout, elle l'avait bien cherché, avec ses questions à trois mornilles. Quand on s'interrogeait un peu trop fort, il fallait savoir s'attendre au retour de bâton d'une puissance au moins équivalente.

Mais la violence du récit qui s'échappa des lèvres de la Cynfeirdd fut si intense qu'elle laissa Siobhán sans voix tout du long de son expression. Ça ne lui arrivait que très rarement de se retrouver bouche bée, de se taire ou de ne pas savoir répondre. Alors, quand ce genre d'événement se produisait, il fallait savoir le souligner car cela signifiait généralement qu'on lui avait ôté les mots de la bouche - ou bien qu'aucun ne serait jamais suffisamment fort pour exprimer ce qu'elle ressentait au moment où ça lui arrivait.

Morana et elle se retrouvaient sur bien des points. C'est probablement pour ça qu'elles s'étaient si bien entendues, qui plus est si tôt dans la vie.

En dehors de leur sang-mêlé, bien au-delà du fait qu'elles étaient les filles d'êtres magiques, il y avait cette absence qui avait creusé leur corps dès la naissance. Un sillon si grand, si large, qu'il les avait poussées toutes deux à partir en quêtes de réponses quand le monde autour d'elles semblait incapables de les leur apporter. Il y avait ce manque cruel qu'aucune autre présence ne parvenait réellement à combler, bien qu'elle leur avait permis de grandir et d'évoluer à peu près normalement. Aderyn pour l'une ; Maeve pour l'autre. Mais l'amour d'une mère, l'amour de celle qui les avait portées avec une patience d'ange pendant de longues semaines... Savait-il être substitué ?

Aux côtés de  @Maeve Cynfeirdd et de @Luke Korrigan, Siobhán n'avait manqué de rien si ce n'était d'une identité. Morana, elle, n'avait même pas eu la chance d'avoir un père. Et il avait commis la pire des horreurs. Des haut-le-cœur lui soulevaient l'estomac rien que d'y penser et elle était d'autant plus abasourdie de la sérénité avec laquelle la botaniste tenait son discours. Sa voix était stable, à l'image de ses émotions. Pas l'ombre d'une incertitude n'avait fait chevroter son ton. La demie-vélane prenait des notes mentales qui lui serviraient à l'avenir. Morana, tout comme Maeve, était un exemple de force et de stabilité. Parfois, il lui semblait que rien ne pourrait jamais venir les accabler. Même la mort peinerait à les emporter, car ces femmes-là pouvaient tout affronter.

Malgré le tourbillon de sentiments qui s'opposait dans son esprit, et son envie lancinante de s'approcher de sa tante pour la prendre dans ses bras, Siobhán fit le choix de la pudeur. Il y avait de l'amour dans cette famille, probablement plus qu'il n'en fallait, mais on peinait souvent à se le montrer. Dans son regard d'azur, Morana verrait tout ce qu'il y avait à savoir. Cette confession était loin de la laisser indifférente, et malgré sa retenue innée, la vert-et-argent ne put s'empêcher de poser la paume de sa main sur le dos de celle de la Cynfeirdd. Elle était à la limite de tomber de sa chaise tant elle s'étirait vers elle pour lui montrer ce que les mots peinaient parfois à exprimer. Le sourire de Morana ne suffisait pas tout à fait à lui faire oublier le reste, ni même son absence de tristesse ou l'acceptation. Probablement Siobhán n'oublierait-elle même jamais une seule phrase qu'elle venait d'entendre. Ses problèmes, tout ce qui la taraudait depuis des semaines, ça paraissait si loin maintenant. Si petit.

Les yeux rivés sur les cheveux d'ébène qui encadrait le visage marqué de l'enseignante, la Serpentard finit par briser le silence d'une seule question, bien qu'elle en avait mille autres juste au bord des lèvres.

« Morana... Qui est au courant ? », souffla-t-elle, comme si elle réalisait tout à coup le poids de ce secret.

Au fond, elle avait déjà une partie de la réponse.

Maeve savait. Elle savait tout, parce qu'elle était le genre de femme à qui on pouvait tout confier. À commencer par sa propre vie.

Plongé à son tour dans une réflexion intense, le cœur de Siobhán s'était alors divisé en deux parties : l'une brisée par ce qu'elle venait d'apprendre, l'autre pleine d'un sentiment curieux que l'on pourrait comparer à de la fierté - fière de compter Morana dans sa vie comme dans sa famille ; fière qu'elle l'ait jugée digne de son secret.

En sentant la chaleur de la main de la demi-vélane sur sa main, Morana baissa doucement les yeux. Sa grande main dans la sienne lui tira un sourire, accompagné d’une sensation de chaleur dans le coeur. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas connu ce sentiment, mais c’était peut-être aussi parce que ce contact était un contact entre demi-fée. Peut-être, Morana n’avait pas toutes les réponses. Au lieu d’en chercher, elle caressa en retour du pouce la main de Siobhan, voulant la rassurer.

« Geraint, Aderyn et Maeve. Et toi, depuis aujourd’hui. »

Son sourire simple s’effaça, non pas pour quelque chose de sombre ou de sérieux, mais de plus neutre :

« Ce n’est pas quelque chose dont je parle même si je n’ai aucun mal à mettre des mots dessus, Siobhan. Ni avec Elaine, car je sais qu’elle n’aurait plus que ça en tête et elle a déjà bien assez de peine à gérer dans son coeur, ni aux autres, car je n’ai pas envie que l’on me regarde avec ce regard, avec cette souffrance qui serait potentiellement la mienne. Ce n’est pas la mienne. C’est celle de ma mère et c’est pour celle-ci qu’il a payé. Je n’ai pas grandi sans père et sans mère. J’ai grandi avec Geraint et Aderyn, et je refuse de leur laisser une part moindre pour tout ce qu’ils m’ont offerts et apportés, surtout dans les moments les plus terribles de mon existence. »

Geraint en particulier avait été là dans les moments les plus durs, et il avait porté le coup de grâce quand elle avait hésité, quand elle avait eu ce moment où son sang s’était réveillé sans qu’elle ne comprenne. Elle ne lui avait pas voulu pour autant, bien au contraire. Aujourd’hui encore, il n’y avait pas une semaine où elle n’y repensait pas, un sourire satisfait sur les lèvres et l’impression d’avoir accompli le juste retour des choses.

Elle relâcha alors doucement la main de la vélane, venant la poser sur ses cuisses, genoux croisés sous la petite table blanche. Morana se détendit quelque peu dans sa chaise, jetant un petit regard à sa nièce.

« Avec du recul, je ne sais pas si j’aurai cru tout ce qu’on m’a dit si je ne l’avais pas éprouvé par moi-même. Et maintenant que tu sais tout ce que tu sais, que compte tu faire ? A moins que tu ne veuilles pas me le dire ? »

Un sourire un peu taquin glissa sur les lippes de la Directrice de Serdaigle, même si elle se retint d’en rajouter. Ça se voyait dans son regard qu’elle était sincèrement curieuse et très probablement prête à aider, si c’était nécessaire, de la même façon que Geraint l’avait aidé au pus profond de sa peine.

MADE BY @ICE AND FIRE.