Dollar for your sadness

TW Un peu de vulgarité dans ce monde de brute.

Il n’en revenait pas. Plus il y pensait, moins il en revenait. Jack se passait nerveusement les mains dans les cheveux, les lissant en arrière, comme si ça avait pu l’aider à dompter la multitude de pensées qui se bousculait à l’intérieur. Le Chasseur savait que ça n’aurait pas dû lui en faire bouger une, parce qu’il était le dernier des fils de pute que cette terre avait porté, alors pourquoi se soucier d’un gamin qui n’avait de lui que le sang ? Jack s’arrêta un moment, de penser et de marcher, alors qu’elle parlait.

« Jouer les badboys ? »

Le regard de Jack la fixait d’un air désabusé. Est-ce qu’il avait l’air de jouer un rôle ? Est-ce qu’il avait l’air de faire semblant ? Est-ce que tout le monde le prenait à la légère quand il disait qu’il en avait éventré des morues pour moins que ça ?

Pourquoi il en avait fait des horreurs, des trucs dont il n’était pas fier au point de s’en vanter, mais à la fin de la journée, il finissait toujours avec un verre plein d’oubli-tout et une bourse de gallions un peu plus lourde. L’air détaché, oui il l’avait, et ce n’était pas qu’un masque, sinon il se serait écroulé sous le poids des trop nombreux péchés qui ornaient sa liste. John se moquait souvent jeune en disant à ses bâtards que c’était pour ça qu’ils n’avaient pas de cadeaux de noël comme les autres gosses, sages et obéissants. Le seul cadeau que son père ne lui ait jamais fait, c’est de lui offrir de quoi s’offrir une prostituée sur la côte de la Louisiane pour ses seize ans. Quel genre de père avait été le sien ? Quel genre de père pouvait-il être avec ça en modèle ?

Jack releva finalement le regard sur Tyler, reposant le verre qu’il n’avait pas touché, preuve qu’il prenait la chose très au sérieux.

D’une voix plus calme, quoi que plus froide, presque rauque, le Chasseur souffla :

« Cent milles gallions, Tyler. Cent milles gallions, c’est ce que je prends quand on me demande si je peux tuer un gosse. Et des contrats comme ça, j’en ai deux dans le mois, tous les mois. »

Du sang, des viscères, des boyaux.

Un serpent ce n’était rien comparé à ce qu’il faisait d’ordinaire. Des péchés, ça oui il en avait, mais il avait toujours été honnête et il s’était toujours dit qu’il rentrerait jamais dans l’image de la petite famille parfaite car ça faisait trop longtemps qu’il avait raté le chemin menant vers la repentance. Y avait pas de rédemption possible, pas de zone grise ou de peut-être. Juste la brutalité d’un métier.

« T’as fait un gosse avec le dernier des enfoirés de ce monde, et tu le connais même pas, ou quasiment pas, cet enfoiré. Tu lui proposes même d’aller le voir, de le rencontrer, parce que tu as l’air de croire qu’il joue les badboys. Mais je joue pas, en fait. J’ai… J’ai fait tellement de trucs, Tyler, que mes mains ne devraient même pas ne serait-ce qu’effleurer la tête de ton fils. Tu ne devrais même pas avoir confiance en moi. Je suis pas… un père, je suis pas un modèle, et j’espère pour toi qu’il sera tout le contraire de ce que je suis. »

D’une certaine façon, il y avait de la peine chez Jack Deschain. Dans sa franchise brute de coffre et ses grands airs, il y avait un fond de vérité aussi. Comment pouvait-il être sûr de comment il allait réagir s’il voyait un gosse, tout en sachant qu’il n’en avait jamais désiré ? Bien sûr qu’il ne tuait jamais pour le plaisir, et qu’il n’avait jamais ne serait-ce que hausser le ton en dehors de ses heures de boulot, mais pouvait-il se targuer d’être quelqu’un de bien pour autant ? Jack était trop honnête pour ça.

Trop honnête pour oublier que ce gamin avait rien demandé et qu’il avait participé activement à sa création. Si tu veux pas de gamin, faut se retirer vite – voilà les conseils avisés du père qui avait bien des facilités à leur faire la morale, mais qui avait eu six bâtards en dehors de son mariage.

Les épaules plus lourdes, Jack attrapa finalement le verre, le terminant d’une traite, l’air penaud. C’était presque comme une punition pour lui. Pour toutes les vies qu’il avait arraché, voilà qu’on lui en offrait une. La dernière fois qu’on lui avait offert une grâce céleste, on avait fini par la lui arracher. Mercy avait été violé et tué devant ses yeux sans qu’il n’y puisse rien.

Et si ce gamin croisait la route des familles louves qu’il avait commencé à décimer dans les environs ? Une vengeance d’une meute bien hardie ?

La voix, une plus ténue, comme serrée dans sa gorge, murmura contre sa volonté, les yeux fermés :

« … Il s’appelle comment ? »

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La trouille ? Sans doute un peu, oui. Ce n’était pas tous les jours qu’on se retrouvait avec un chiard qu’on avait jamais voulu. Ce n’était pas tous les jours aussi qu’on se retrouvait à être le père de quelqu’un, et d’ailleurs, à ce titre, Jack n’était le père de rien. Un géniteur comme il y en avait tant sur terre et il se rendait bien compte que son implication dans l’affaire ferait pâle mine.

L’air un peu plus bourru que d’ordinaire, les mains toujours nerveusement dans les cheveux, Tyler avait l’air de vouloir lui remonter le moral même s’il ne savait pas trop si ça devait être une bonne chose ou pas.

Son regard glissa sur le cadavre. C’est vrai qu’Arthur lui n’allait pas se poser de questions ce soir. Il était à ce titre le seul témoin de leur dispute-pas-vraiment-une-dispute. Au fur et à mesure, les mots de la grecque avait le mérite de lui faire croire qu’il y avait une issue, mais cette issue c’était de prendre son rôle, c’était de faire mieux que son père. John avait été une crevure avec ses bâtards, et même avec ses gosses légitimes.

Et en même temps, comment allait-il pouvoir faire autrement que ce qu’on lui avait montré toute son enfance ? A quatre ans, qu’est-ce que ça pouvait faire un gamin ? Jack se calma doucement, tentant de comprendre, tentant de trouver un repère à ce qu’il devait attendre du petit garçon. Est-ce que ça serait un chiard comme ceux qu’il avait tué, est-ce qu’il aurait la hargne ou est-ce que la pomme était tombée loin de l’arbre généalogique ? Rester que c’était une faiblesse. Une tâche dans son palmarès… Une ouverture jusqu’à lui. Un gamin bien entouré malgré tout mais une faille.

« Jayson hein » souffla finalement Jack.

Le dire à voix haute avait l’effet magique de rendre la chose un peu plus réelle mais le Chasseur avait encore du mal à recoller les morceaux. Un petit garçon était né de ce grand gaillard bourru qu’il était. Si on lui avait dit qu’il était capable de faire des bébés… des vrais, pas des morts-nés, par des chiards complètement tordus, mais des bébés, simples et beaux…

Dans le silence de la petite pièce, Jack inspira profondément, pour chasser la tension accumulée dans ses membres. Rester statique n’était pas bon pour ses jointures.

« Là comme ça, je sais pas du tout ce que je dois faire… Enfin, j’veux dire, je sais pas… Je m’imaginais pas avec un bâtard à mon âge, et encore moins l’apprendre comme ça… »

Il se gratta la nuque, l’air ennuyé.

« J’sais pas quoi dire… Je… J’ai besoin de réfléchir, un peu, Tyler. C’est pas mon fort, alors ça va prendre du temps, mais faut que j’digère ça. »

Il passa sur elle un regard entendu et sérieux. Ce n’était pas dans les habitudes de Jack de se poser trop de questions, mais celle-ci était importante. Voulait-il vraiment apparaître dans la vie de Jayson, avec tout ce que ça pouvait comporter comme danger ou risque ? Et qu’est-ce que ça signifiait sur le long terme, si jamais un d’eux clamsait sur le chemin ?

« Ce qui est certain, c’est que tu n’as pas à t’en faire concernant ce secret avec moi. » Il se passa la main sur le visage, « et même si tu es en droit de pas me croire, j’ferais rien qui pourrait te nuire, à toi ou à lui. J’ai pas beaucoup d’éthique mais la famille, ça reste la famille… au moins ça… »

Parce que Jack ne voulait pas être John. Il ne voulait pas être ce gars ayant perdu un de ses chiards et il ne voulait pas s’entendre dire « on en fera un autre », comme si tout était remplaçable, comme s’il l’avait été aussi pour son propre père.

« Si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis sur le Marché généralement la première s’maine du mois… », même si quoi que ce soit était vague et donnait déjà l’impression qu’il allait prendre une quelconque responsabilité, alors qu’il était à peu près sûr qu’elle avait dû lui dire que son père était mort. Fallait dire que c’était ce que sa propre mère lui avait dit au sujet de John. Avec du recul, il aurait préféré.

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« Jack Deschain. »

Le fils du célèbre chasseur John Deschain, quoi que sa réputation n’avait jamais dépassé les frontières d’Amérique contrairement à son fils qui avait longtemps vogué au grès des contrats et de l’oseille facile.

Le fils de.

Jack eut un moment d’égarement où il fronça les sourcils pour lui-même, semblant comprendre que ce petit bonhomme qu’il ne connaissait pas était à son tour, sans que ne fut volontaire de la part de Jack, « le fils de ». Le fils de deux enflures.

Il passa de nouveau nerveusement sa main devant son visage, alors que Tyler finissait de lui donner quelques indications concernant leur « ami ». Le regard du Chasseur glissa sur Arthur en silence.

Des fleurs bleues ? Jack émit un petit renâclement, tout en levant les yeux au ciel. Sa bougonnerie lui revenait, c’est qu’il n’était pas totalement anesthésié par la nouvelle de sa paternité.

Jack regarda Tyler disparaître par la sortie, et jeta un regard au cadavre en plantant ses poings dans ses hanches. Dire que pour une fois, ce n’était même pas de sa faute. Elle l’avait vraiment pris pour son larbin ? Une grimace passa sur le visage de Jack en venant tâter le corps. La dépouille était lourde, en début de rigidité. Ça ne serait pas simple et en même temps, est-ce qu’il avait vraiment le choix ? Foutue bonne femme…

Il regarda de l’autre côté du bar  et avisa un sac qui semblait contenir jusque-là des pommes de terre pour la fameuse soupe du dimanche matin. Jack renversa le contenu sur le sol avant de revenir vers Arthur.

Le plus difficile serait de le faire rentrer dedans, mais pour ça, il y avait des méthodes, car il ne fallait pas être Einstein pour voir que même plier en deux, Arthur dépasserait.

Un sourire satisfait fila sur les lippes de Jack : si dans le passé il y aurait été à la scie alimentaire, il était bien content d’avoir pris sa baguette sur ce coup-là.


Quelques jours plus tard, un garçonnet d’une dizaine d’année, qu’on nommait ici sur le Marché les « coursiers » ou « petites souris », livra Tyler à l’arène d’un petit mot.

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