It's your loss
The Sorceler - London
18rd November 2023
Quand l’une des filles est venue m’apporter le parchemin, je me suis excusée auprès des autres et me suis éclipsée au sous-sol. Alors que mes yeux parcourent la lettre, ma mâchoire se crispe et ma gorge se serre. Les émotions affluent. Frustration, incompréhension, colère, tristesse... Toutes en même temps sans que je n’arrive à les dissocier. Je relis une seconde fois ses mots avant de réduire le parchemin en une boule de papier, tout en évacuant ma rage à plein poumon avant de me laisser tomber à genoux, secouée de sanglots.
Sa lettre ne répond en rien à la mienne. Je ne saisis même pas ce qu’
@Ellie Yard entend par « c’est pour ça que je t’aime ». Pour
ça quoi ? La claque ? L’avoir traitée de lâche ? Aucun sens. Cela conforte mon impression de n’être ni entendue, ni écoutée par celle qui se dit mon amie. Je fais pourtant au mieux, je fais des efforts de communication, fais part de mon ressenti… mais j’ai l’impression de m’adresser à un mur. Mes mots lui échappent ou se déforment avant de l’atteindre. Elle n’a jamais réussi à comprendre ma colère depuis ma transformation, s’obstinant à m’imposer sa vision de
ma lycanthropie. Comme si la violence qui m’avait vu renaître n’était que le fruit de mon imagination ou si je l’exagérais. Ou comme si cette colère m’était refusée car pas en adéquation avec ses idéaux. Et maintenant, c’est la même chose depuis que je lui ai raconté en partie ce qui m’est arrivée avec Jasper. Là encore il faudrait que je passe à autre chose… Kumbaya de mes deux.
Et dire à quelqu’un qu’on l’aime, l’écrire, n’a rien de compliqué. Le penser, le montrer, est une autre histoire. Bien qu’elle évolue désormais dans mon monde, nous n’avons jamais été aussi éloignées. Un fossé de la taille du Grand Canyon nous sépare à présent. Elle n’était pourtant pas si loin quand elle a couché ces mots, elle aurait pu venir mes les offrir de sa bouche. Au lieu de quoi, elle fuit, m’interdisant toute réponse. Pour avoir le dernier mot ? Probablement. Pour ne pas affronter les miens ? Certainement. Encore cette lâcheté.
Quant à la condescendance de ses mots... Cela ne fait que quelques jours qu’elle foule le sol du Marché aux Trolls et elle pense en savoir plus sur ce qui se trame que nous ? Et ce n’est pas la première fois. J’en ai assez d’être prise pour une imbécile et j’en ai assez de devoir lui tirer les vers du nez. C’est quoi, cette fois ? Une épiphanie ? Elle a rejoint un culte ? Ou se voit-elle comme un nouveau messie ? Honnêtement, après ces dernières semaines, rien ne m’étonnerait. Qu’elle s’étouffe avec ces mystères dont elle aime tant s’entourer. Elle ne me dit pas où la trouver, pour quelqu’un qui tente de reprendre contact c’est un tel non sens ! Et encore ces secrets qui n’ont pas leur place dans notre amitié. Moi qui pensais qu’on avait réglé ce point sur cette plage. Ce n’était qu’une illusion. Cela démontre un manque énorme de confiance de sa part et me fait douter quant au fait qu’elle mérite encore la mienne. A ne pas laisser les autres l’épauler, à ne pas se confier, elle les perdra. Comme elle me perd doucement mais sûrement. Quelque chose s’est brisé avec ce dernier parchemin. Je suis épuisée par cette amitié et ne veux plus y mettre mon énergie. Je ne vais pas lui courir après. Car, oui, une tempête menace. Ellie a ses priorités, j’ai les miennes.
J’ai honteusement commencé à l’envisager lors de cette rencontre avec la famille de Léandre… Les Yard n’ont jamais saisi. Je ne crache pas sur une Meute, j’ai juste du mal à en trouver une qui me corresponde. Sans doute parce que je ne me reconnais pas dans ce concept patriarcal archaïque et sectaire. Peut-être parce que je ne me considère pas simplement comme une louve. Ou peut-être parce que mon cœur appartient à un demi-vélane. Peut-être aussi parce que j’ai toujours une famille non hybride… La beauté dans la diversité. La force dans les différences. Car oui, je rêve d’une meute. Où chacun aurait sa place, où chacun y trouverait son compte. Aucun alpha qui gagnerait ce poste dans le sang, aucun omega en souffrance. Un rassemblement de personnes, une famille recomposée. Une équipe.
Où ceux qui se la jouent solo n’ont pas leur place. Je ne peux plus compter sur Yard. Je dois donc avancer sans elle. Je me relève doucement, m’essuie les genoux, lisse ma robe et récupère la boule que j’ai laissé tomber au sol. D’un coup de baguette, j’enflamme la lettre et l’observe se consumer alors qu’elle flotte dans les airs. Quand il n’en reste plus rien, j’essuie les larmes et reprends un sourire de façade avant de rejoindre les miens.