Situationship

Ca n'était peut-être pas la meilleure des choses à faire. Il avait lu et relu un millier de fois cette lettre sans y trouver le moindre réconfort. Il y avait parfois puisé de la colère, de la peine, du réconfort... il y avait vu toute sorte de choses mais, comme dans les couloirs si fréquentés de l'école ou les cours qu'ils avaient toujours suivi en commun depuis l'arrivée des Montero à Poudlard, il n'y avait pas trouvé Selma. Seulement une longue ligne de fuite dont il n'arrivait jamais à rattraper la pointe.

La gifle d' @Alejandra Montero avait eu un goût amer. Il n'avait rien dit de plus, le noir de ses cheveux ternissant systématiquement à la vue de la jeune femme qui avait voulu s’immiscer, bien faire, mais n'avait rien compris. Il avait espéré qu'elle lui laisserait une chance. Peut-être que, comme la plupart des gens, Selma aurait pu faire comme si de rien était mais elle n'était pas la plupart des gens, alors elle avait choisi de disparaître de sa vie. Littéralement. Comment avait-elle trouvé le moyen de le faire, il ne se l'expliquait pas, mais le fait été que la brunette ne lui était apparu que fugacement depuis cette désastreuse invitation à danser sous le ciel de Samhain.

Lui aussi avait eu besoin de temps. Il avait fini par trancher, sachant qu'il ne renoncerait jamais à son amitié avec  @Siobhán Gavalagh-Korrigan. Il ne supportait plus cette situation. Quelque part ça le rendait fou, au point d'emmener ce fantôme partout avec lui, jusque dans les vis et boulons si bien ordonnés de sa caisse à outils... alors finalement, faute de mieux, il s'était arrangé pour être là où elle ne l'attendrait pas. Absent du cours magistral auquel il était censé assister juste pour le plaisir de faire le poireau devant cette obscure option qu'elle avait choisie de suivre et pas lui. Pour une fois, il ne chercha pas à s'occuper, égrainant les secondes de sa torture avec application jusqu'à ce que la porte de la salle de cours s'ouvre, déversant un flot d'étudiant au point de le faire douter. Avait-elle flairé l'embrouille ? Avait-elle réussi à s'enfuir par la fenêtre ou un trou de doxy pour ne pas avoir à le croiser ?

Le dernier étudiant sortit, laissant la porte ouverte derrière lui. Sheraz soupira, les mains dans les poches, puis finalement, le profil allongé d'une dernière ombre se decoupa sur le sol.

Dans les immenses yeux noirs de Sheraz, tout était dit, et maintenant qu'il allait se trouver devant elle, il ne savait plus quoi dire. Aucune de ces phrases qu'il avait retourné cinquante fois dans sa tête ne lui venait ni ne cadrait... Alors quoi ?

Les cils baissés sur son parchemin, Selma offrait à ses camarades un visage toujours plus inexpressif. Si au fil des mois, l’étudiante avait démontré quelques progrès dans ses tentatives de se sociabilisation, elle venait de faire depuis des jours un incroyable bond en arrière. Les étudiants qui croisaient sa route avaient tendance à fuir son regard, sa sombre aura, ainsi que le reste de la personne d’ailleurs. Tant mieux, la jeune cubaine n’avait ni l’envie, ni l’énergie de se perdre en inutiles bavardages. Elle ne connaissait pas la moitié des prénoms des étudiants qui étaient présents dans sa classe aujourd’hui, et ces derniers s’offusqueraient sans aucun doute de son manque d’intérêt. Mais le cerveau de la jeune sorcière avait bien trop à faire pour s’attacher à ce genre de détail. Il était entièrement accaparé par sa tentative de calmer le flot des émotions qui ne cessaient de la renverser.

Déchirement, dépit, irritabilité, lassitude… Pour éviter de trop souffrir, la Montero s’était comme emmurée du monde extérieur. Mais ce faisant, elle s’était enfermée dans sa propre noirceur, sans savoir comment en sortir. Noyée dans son déni, la Serdaigle faisait son possible pour se concentrer sur ses cours mais même cette simple tâche dans laquelle elle avait toujours excellé lui paraissait à présent hors de sa portée.

Prenant soudain conscience que la moitié de sa classe venait de quitter les lieux, la jeune cubaine leva les yeux du texte qu’elle gribouillait et qui n’avait absolument rien à voir avec son cours. Apparemment, ce dernier s’était terminé il y avait plusieurs minutes de cela. Fourrant lassement son parchemin dans son grimoire, Selma se leva avant de se figer, à l’affut, son cœur s’emballant en un instant.

Là, dans l’espacement entre les deux charnières du battant. Un profil reconnaissable entre mille, surmonté d’une chevelure noire geais qui cachait une partie de son visage.

Sheraz.

Que faisait-il là ? Une joie inexpliquée submergea la Montero, avant qu’elle ne soit balayée par une peur panique. Ses genoux auparavant si droits et raides comme le reste de son corps se mirent à flageoler en s’entrechoquant. La cubaine fut prise de tremblements, et c’était presque comme si une nouvelle force attractive la tirait irrémédiablement vers le bas.

Voilà deux semaines qu’ils ne s’étaient pas parlé. Cette situation n’avait que trop duré, il était temps de rompre ce silence bien trop pesant qui les maintenaient éloignés l’un de l’autre. Malgré le chaos de son esprit, Selma parvenait à conserver une part de raison sur laquelle elle tentait de s’appuyer pour se calmer.

Oui, son ami n’avait pas répondu à sa lettre. C’était qu’il n’y avait rien à dire de plus, tout simplement. Les deux étudiants se tenaient tous deux devant une impasse.

Sheraz ne semblait pas prêt à mettre fin à cette si forte, fusionnelle et dérangeante amitié avec @Siobhán Gavalagh-Korrigan, la femme Almodovar au sang de vélane, et Selma ne le lui avait d’ailleurs pas demandé. Mais son camarade devait comprendre qu’elle ne pourrait pas plus mettre fin à une vie de haine pour les meurtriers de sa mère, ce qu’il ne lui avait également pas plus demandé. Sans se le dire, ils avaient tous deux compris ce que l’autre attendait d’eux, et savaient tout autant l’un que l’autre qu’ils ne pourraient s’y résoudre. Fin de l’histoire. Inutile de se torturer plus que cela.

En inspirant, Selma se prépara à lui faire face, mais alors qu’elle relevait une main pour repousser une mèche de cheveux qui lui tombait étrangement sur le front, elle s’aperçut avec horreur que celle-ci était devenue difforme et ridée. Se touchant le visage, l’étudiante ne put retenir un râle de détresse. Ça lui était encore arrivé !

Depuis plusieurs jours, chaque fois qu’elle croisait Sheraz, son corps ondulait, se tordait, s’étirait ou se rapetissait sans qu’elle ne puisse avoir aucun contrôle sur ce dernier. Ses cheveux se rallongeait, s’éclaircissaient ou disparaissaient alors que son visage devenait méconnaissable. Elle prenait tour à tour l’apparence d’un petit roux enveloppé, d’une grande blonde élancée, ou encore d’un vieillard édenté. En l’occurrence, elle venait d’ailleurs de prendre les traits de William Garnett, l’ancien professeur d’Arithmancie parti en cours d’année à la retraite en raison de ses assoupissements à répétition pendant ses propres leçons.

Nerveusement, Selma attrapa sa ridicule petite barbichette en jetant un regard apeuré vers la porte. Elle se pensait prête à lui faire face, mais son don l’en empêchait une nouvelle fois. Alors, lâchement, la jeune fille allait de nouveau se contenter de le fuir sans qu’il ne puisse la reconnaitre. Car Selma savait très bien au fond d’elle comment leur rencontre se finirait. Ils se serraient la main en bons amis, interdisant définitivement aux sentiments qu’elle nourrissait à son égard de se développer. Or, tant qu’elle le fuyait, l’espoir était toujours permis…

Serrant son grimoire contre elle, Selma se hâta de sortir sans jeter un seul regard au Poufsouffle qui la cherchait dans une salle à présent vide. Mais entre ses bras faiblards et malhabiles, son parchemin glissa hors de son cahier pour voler jusqu’à terre. Prise de nausée, le sosie de William Garnett releva ses yeux exorbités sur le préfet en s’immobilisant. Que devait-elle faire ? Ramasser le parchemin ? Est-ce que ce vieux corps était même capable de se plier à ce point pour l’atteindre ? Dans le doute, la métamorphomage pris la décision de fuir aussi vite que ses jambes arquées le lui permettaient, disparaissant sans demander son reste.

Elle avait laissé au sol sa feuille gribouillée autour d’un poème de Whitney Hanson. Les signes tracés à la plume n’avaient dans un premier temps pas pris de formes précises, avant de finalement ressembler de plus en plus à deux lettres bien spécifiques : S et M. Selma Montero ? Ou bien Sheraz Mahal ? Pourquoi fallait-il que le sort s’acharne sur eux jusqu'à leur faire porter les mêmes initiales ?!

“I like being alone
But that is why I knew you were different
Because for the first time ever
I wanted someone eles’s company
More than my own.”

On y était, forcément, tout le monde avait quitté la salle. Il ne restait plus que le professeur et elle. Forcément. Pourtant, quelle déconfiture en voyant leur ancien professeur d'arithmancie, aussi courbé que la dernière fois que Sheraz l'avait vu, il y avait au moins deux ans. Sur le coup, il en fut tellement déçu qu'il ne se posa pas de question, doublant le vieillard prudemment pour ne pas le bousculer, il ouvrit la porte de la salle de classe à la volée. Le professeur lui adressa un regard interloqué.

« Monsieur Mahal ? »
« Mais - »

Et puis l'idée ne fit qu'un tour dans sa tête. Que serait venu faire le professeur Garnett dans cette salle de classe ? Il se retourna juste comme le vieillard hésitait à ramasser le papier qu'il avait fait tomber. Leur regard se croisèrent. Il était peut-être fou mais en lui-même, il n'avait aucun doute. Derrière cette vieille pomme toute fripée c'était Selma Montero qui le regardait.

« Selma ? », risqua-t-il quitte à passer pour un imbécile.

La réaction du professeur Garnett qui prenait la tangeante le laissa sans voix. C'était comme cela qu'elle lui filait entre les doigts toutes les fois... Evidemment. Elle n'aurait pas pu sécher autant de cours ni y assister sans qu'il s'en aperçoive. Mais avec l'état de maîtrise qu'ils avaient de leur don respectif, Sheraz avait du mal à croire qu'il y avait quoi que ce soit de maîtrisé là dedans. A moins que, comme elle le lui avait dit, il n'ait été un frein pour elle depuis le début. Et quel frein... Non. Il ne parvenait pas à se convaincre de ça.

La silhouette du vieillard avait disparu quand Sheraz sortit de son état de choc. Abandonné à son triste sort, il ne lui restait plus que ce petit morceau de parchemin. Peut-être un prétexte à faire valoir pour qu'elle n'accepte quelque chose de sa part, n'importe quoi.

Il le ramassa sans le lire, puis au bout d'un moment, reposant ses yeux sur l'écriture qu'il reconnaissait parfaitement bien, il se risqua à parcourir ce qu'elle avait noté. Il ne s'attendait pas à grand chose. Quelques notes sur une matière qui ne l'intéressait pas le moins du monde. Et puis, son coeur bondit, convaincu qu'il ne s'arrêterait plus d'essayer désormais...