Glitter & Gold

30 nov. 2023

« Brynn! »

La voix tonna si fort dans la toute petite boutique de Barjow&Beurk que la jeune Gwent crut que le vendeur, un vieux sénile soit dit en passant, avait oublié que la BPM passait de temps en temps dans l’allée depuis qu’ils avaient repéré un petit trafic naissant de pilules bien particulières. La jeune fille se ramena malgré tout, les mains chargées de quelques bouquins, jetant un œil d’abord à Alfred Barjow et à la petite dame, assez rondouillette, qu’elle reconnaissait pour avoir été la cliente qu’elle avait servi deux jours avant.

« Oui ? »

« Madame Rackharrow m’explique que tu lui as vendu une moustache de dragon du fleuve au lieu d’une épine de serpent cornu ! »

Brynn jeta un regard à Madame Rackharrow qui releva un peu plus encore le nez, lui donnant l’air encore plus acéré et aquilin. Elle se souvenait très bien lui avoir enrobé très délicatement la moustache de dragon du fleuve puisqu’elle était à la moitié du prix d’une épine de serpent cornu et que la livraison allait devoir attendre au bas mot trois semaines, hors elle en avait absolument besoin pour une question de potion de beauté pour son fils, Carth Rackharrow, dont on disait que la nature ne l’avait pas vraiment gâté.

Comprenant que Madame Rackharrow s’était sans doute loupée dans sa potion d’extrême beauté, Brynn eut un sourire moqueur et se mit à rire, secouant la tête pour réfuter l’accusation qui était, en plus d’être grotesque, trop grosse pour être crue. La moustache était duveteuse, légère et souple comme un jonc, alors que l’épine était droite et drue, bien rigide et lisse comme du caoutchouc.

« Non, je ne pense pas- »

« Est-ce que tu insinues que Madame Rackharrow ment maintenant, petite insolente ?! »

Le regard de Gwent se darda si fort et si droit sur Alfred Barjow, sa mâchoire se crispant, qu’elle le vit nettement reculer, comme lui-même surpris par le toupet de cette petite ingrate qu’il faisait travailler et qu’il logeait un peu plus loin dans une de ses chambres mal isolées. Quelle honte ! Et Madame Rackharrow ne put s’empêcher un petit mouvement de la tête outré, levant sa main devant son visage comme si on venait de lui faire la plus grande offense.

Brynn aurait aimé crier qu’elle était une Gwent, et que ce genre de chose ne pouvait pas être vrai, qu’elle pouvait le jurer sur le nom et l’honneur de sa famille, mais elle savait tout aussi bien que c’était peine perdue. Alfred Barjow allait devoir se montrer bien servile, mais elle se réconforterait avec l’idée que le petit Carth Rackharrow n’allait sans doute pas pouvoir assister au Bal de Yule - puisque tout le monde avait ce Bal sur les lèvres.

Pensant partir en s’excusant simplement, Brynn fut surprise de voir qu’Alfred ne la lâcha pas du regard. Il fallut attendre que Rackharrow s’en aille avec une remise sur un prochain achat et bien des excuses, plates et longues, pour que le gérant ne la torpille entre les étagères.

Alors que la jeune femme déposait une pile de bouquin sur une desserte, Alfred s’arrêta juste devant elle, la menaçant d’un doigt famélique et crochu, dûe à de l’arthrose sévère. On aurait presque pu l’entendre craquer quand il le brandissait comme ça.

« Oh toi, toi, je te retiens ! Tu viens de me faire perdre deux fois ton salaire ! »

« Pfft, je n’ai rien fait perdre du tout, c’est Madame Rackharrow qui a voulu tout avoir et n’a pas voulu m’écouter », répondit sans perdre de sa superbe la gosse.

« Ah oui, c’est de la faute de Madame Rackharrow ? Eh bien dans ce cas, ça sera aussi de sa faute si tu perds ton travail », et comme il disait ça, bien agacé, il lui attrapa un livre des mains et la poussa de l’autre, « allez, houst ! Si tu ne sais même pas t’excuser correctement et servir comme il faut les clients, tu n’as qu’à aller à l’autre bout de la rue ! »

« A l’autre bout de la rue ? », Brynn avançait à chaque bousculade du vieillard, ne comprenant pas.

« Tu iras sur le trottoir, c’est ce que finissent par faire les petites éffrontées comme toi, à qui on donne une chance mais qui ne savent rien en faire ! »

Et comme il disait ça, devant tous les autres clients qui restaient dans la boutique sans s’intéresser au spectacle, Brynn terminait dehors, juste sur la marche devant la boutique, l’air sidéré. Alfred Barjow ne pouvait pas la virer comme ça, pas vrai ? Elle se retourna, mais ce ne fut que pour récupérer la besace qu’il lui jeta dessus, ainsi que quelques piécettes qui tintèrent sur le pavé sale de la ruelle, attirant les niffleurs sauvages des environs.

« Allez ! Tu iras tenter ta chance ailleurs, petite sotte ! »

Et la porte se referma devant son nez.

Brynn se pencha rapidement pour récupérer ses pièces avant qu’on ne les lui vole, non sans maugréer, tentant de remettre les morceaux. Qu’elle ait fait une erreur ou pas important peu à Alfred Barjow. La seule chose qu’il avait retenu, c’est qu’il avait perdu de l’argent, et ça, ça ne pouvait qu’être de son fait à elle, pas vrai ?

« Espèce de vieillard demeuré », persifla en fourchelangue, avant de se redresser, l’air un peu mauvais mais surtout perdu. Qu’est-ce qu’elle allait bien pouvoir faire à partir d’ici ?

Et puis, à l’autre bout de la rue, il n’y avait que les putains !

L’idée la répugnait autant qu’elle lui donnait mal à l’estomac. Elle repéra une autre pièce sur le sol et se pencha, mais celle-ci fut subtilisée par un niffleur qui, à en juger par le pelage, était plus propre que les autres petits chapardeurs des environs.

« Heey, toi, là... J’ai déjà plus un rond, si tu me piques ça, je fais comment pour manger, hein ? »

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30 nov. 2023

Le niffleur la fixa un instant, alors qu’elle tendait sa main vers lui. Brynn n’était pas stupide, la petite créature ne lâcherait pas aussi facilement son butin, mais elle n’avait rien à troquer, pas même une pince à cheveux depuis qu’elle s’était faite une coupe de son cru, avec des ciseaux à la va vite, ce qui lui donnait bientôt plus la silhouette d’un jeune garçon que de la nymphette qu’elle fut dans le Gorsedd. Ah si @Viper Ryūjinchi voyait ça...

Les yeux de la Gwent se baissèrent, laissant tout le loisir au niffleur de ne pas se prendre de remords. Il enfonça rapidement la piècette dans sa poche ventrale, avant de jeter un regard rapide sur sa droite. Il accéléra le mouvement mais ce fut déjà trop tard puisque le rom l’avait attrapé par le cou.

« Juste une pièce, ou deux, je sais pas trop » commenta Brynn, non sans un petit sourire amusé en voyant le petit voleur se débattre. C’est à peu près à ce moment qu’elle se rendit compte qu’elle en était arrivée à compter les pièces alors qu’elle descendait de la famille royale du Cymru - ni plus, ni moins.

Son air dut se faire plus triste car l’inconnu reprit, tentant de noyer le poisson, mais Brynn n’avait rien contre le petit niffleur. Elle haussa les épaules d’un air nonchalant.

« Oh je sais, je ne lui en veux pas, c’est un comportement normal pour un niffleur. Je me disais juste... enfin, rien d’important, mais j’ai besoin de ma monnaie pour cette fois », balaya Brynn, indécise, alors que le rom lui pointait le bistrot qui était juste à côté.

La jeune Gwent resta quelques secondes silencieuse, avant de finalement emboîter le pas au sorcier. Ce n’était franchement pas une bonne idée de suivre le premier inconnu de l’allée des embrumes, mais avait-elle vraiment le choix ? C’était étonnant même que rien ne lui soit arrivé depuis son départ du Gorsedd quand elle y réfléchissait. Ou peut-être que l’emprise de la vieille Oiche la protégeait, d’une certaine façon ? Si c’était ça, c’était franchement ironique, pensa la petite brune, alors qu’elle suivait docilement le sorcier.

D’un regard curieux, elle le détailla, lui et son accoutrement, ses petites amulettes et ses vêtements un peu étranges. Discrets, mais étranges.

Brynn s’installa en face de lui, sans piper mot, alors qu’elle observait le jeu de main du sorcier qui renversait le pauvre niffleur, le secouant jusqu’à faire rouler sur la table non pas seulement le butin qu’il lui avait subtilisé, mais tout un attirail divers et variés de pierres, de monnaie sonnant et trébuchante, et d’autres choses brillantes qui pouvaient peut-être avoir de la valeur.

La petite brune hocha la tête, et elle pointa deux pièces qu’elle reconnaissait pour être celles qu’Alfred Barjow lui avait jeté à la figure en la remerciant comme un malpoli.

« Je crois que celles-ci sont à moi. Le reste, je ne pense pas, enfin, j’en suis certaine » commenta-t-elle, son regard glissant sur une jolie pierre qui ressemblait fort à une émeraude. Elle eut une petite moue dubitative devant celle-ci, avant de lever son regard sur le sorcier en face d’elle : « C’est un jaspe ophidien ? C’est peu commun. »

Une pierre d’une belle facture qui plus est. Le jaspe ophidien était une jolie précieuse dont on disait que dans un nid de serpent, elle servait à apaiser les douleurs chroniques des serpents magiques. Les serpencendres aimaient tout particulièrement cette pierre et il arrivait que certains grands fourchelangues en fassent des fours, élevant chez eux et en toute sécurité cette créature.

« Je n’aurai pas cru en voir ailleurs qu’au Japon. Vous devriez la mettre à l’abri, ça vaut une vraie fortune si vous arrivez à trouver un client fourchelangue. »

Un sourire simple passa sur les lippes de Brynn, qui en aurait presque oublié les deux gallions que le petit voleur noir avait dérobé.

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30 nov. 2023

Un sourire fin ourla les lèvres de Brynn, mais la gamine ne répondit pas tout de suite à la question. La connaissance des pierres n’était pas exactement son fort, en revanche, pour tout ce qui avait attrait aux fourchelangues, c’était différent. Elle était née ainsi, de la même façon que sa mère avant elle et que sa grand-mère avant encore. Chez les Clwydfardd, la tradition voulait que seules les femmes le soient, pour ce qu’un Gwiber avait mordu au sein Isota Clwydfardd et depuis, ils échangeaient avec tous les rampants du Cymru. C’était ainsi qu’ils étaient devenus les oreilles du royaume, de fins espions.

En revanche, les deux gallions que le gitan faisaient tourner entre ses doigts l’intéréssèrent. Avec le vieux fou de la boutique qui venait de la mettre au chômage forcé, elle n’allait pas réussir à subvenir à ses besoins assez longtemps pour trouver une solution à son petit problème.

La gamine pencha la tête, ses doigts se posant doucement sur les deux pièces, alors que son regard vert clair suivait les deux autres gallions.

« Je connais bien ce genre de pierre, parce que je suis moi-même fourchelangue », s’amusa Brynn. Il était peu probable qu’on la croit sur parole - elle était habituée à ce que la nouvelle ne soit pas crue ou dégoûte, selon. « Le jaspe ophidien est, dit-on, ce qu’il reste des dragons de jade du Japon. C’est une pierre précieuse. Autour du cou d’un fourchelangue, elle permettrait de parler aux dragons. En réalité, ce n’est pas le cas. C’est juste une... erreur de compréhension, de confondre les dragons européens et les dragons asiatiques. Les seconds sont plus proches des Serpents Cornus américains, ce qui explique pourquoi certains fourchelangues parlent avec les dragons japonais ou chinois, mais pas avec les européens. »

Maintenant qu’elle y pensait, c’était amusant que son dévolu soit tombé sur Viper. L’enfant-loup portait le nom des vipères, et sa chaleur réchauffait le sang de l’enfant-serpent. Comme s’ils avaient toujours été destiné, l’un à l’autre.

Brynn baissa les yeux, les joues un peu rouges soudainement.

Il lui manquait.
Atrocement.

« ...pour les clients, il suffit de trouver un ou deux naïfs qui pensent pouvoir dompter un ou deux dragons, comme certains Chevaucheurs de l’histoire. Pour un client plus sérieux, il peut être vendu aussi à un éleveur de dragon japonais. Ces pierres sont précieuses car elles dégagent un son que l’on est incapable d’entendre, mais il est réputé pour calmer les juvéniles et, soi-disant qu’il aide aux éclosions, même si je ne sais pas vraiment comment, ni pourquoi. »

Elle souffla doucement, enfin :

« Je sais qu’il existe une famille au Pays de Galles qui achète aussi ce genre de babioles. Les Clwydfardd. »

Brynn leva les doigts de sa main libre - sa main bandée resta sous la table, se refusant à la montrer à quiconque - pour obtenir les deux gallions promis. Il lui semblait avoir répondu avec honnêteté au gitan. Et pour une fois que les Clwydfardd lui servaient à quelque chose... Sa grand-mère lui pardonnerait, à coup sûr.

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