« Est-ce que tu es certaine de ta décision ? Tu ne vas pas la regretter ? » souffla Baba, toujours dans son accent russe qui ne manquait pas de trancher.
« Non, je suis sûr de moi. »
Brynn hocha la tête deux fois, avant de les saluer tous les deux, lui et Yaga qui était descendue de son étage à l’occasion.
« Ainsi soit-il alors, mais sache que si tu en as besoin, nous serons toujours à la recherche de petites mains ici, aussi noires soient-elles. »

Brynn eut un petit sourire plein de reconnaissance, venant enlacer Yaga sous le regard attendri mais distant de Baba. Les deux vieux, quoi que Yaga affichait toujours une mine incroyablement jeune, saluèrent la fille-serpent sans un mot de plus. Ils attendirent qu’elle soit enfin sortie pour s’échanger un long regard, tirant finalement un soupir bruyant à Baba.

« D’accord, d’accord… Je vais lui écrire… Mais je n’aime pas du tout cet air que tu prends » grommela le vieux.
« Elle a le droit de savoir. On lui doit bien ça, non ? »

Et sur ces mots mystérieux, le vieux s’en alla en renâclant et Yaga remonta à l’étage, seulement pour mieux observer la silhouette menue de Brynn disparaître entre les badauds. La gamine n’avait pas dit où elle partait, mais elle avait démissionné avec une telle sérénité que ça ne pouvait que signifier qu’elle avait un plan de secours. Un autre perchoir. La sorcière regarda finalement s’évaporer la présence de Brynn dans le petit fermage du coin du Marché, priant quelques vieilles divinités oubliées du Pont pour que tout aille bien pour elle.


La nixe, quelques centaines de mètre plus loin, revenait sagement vers le Nishi Chōme.  @Viper Ryūjinchi  lui avait laissé le choix de continuer ou non de travailler – non sans cacher qu’il préférait la voir auprès de lui, et il avait fallu quelques jours à la jeune galloise pour qu’elle se décide, et c’était chose faite.

Brynn venait de rompre son engagement auprès de Baba et Yaga. Elle n’avait pas davantage d’idée de comment purger cette histoire de malédiction, mais c’était le genre d’histoire où il fallait avancer un pas après l’autre. S’économiser, moralement et mentalement, et accepter que peut-être il n’y aurait aucune autre sortie que la mort  même.
Si c’était le cas, Brynn comptait bien profiter de ses derniers instants et de son loup, d’autant qu’elle lui faisait une confiance aveugle pour qu’il fasse toujours ce qu’il fallait pour elle, y comprit abréger des souffrances inutiles. L’enfant-loup n’en savait encore rien, puisque la petite brune ne l’avait jamais évoqué, mais s’il n’était pas totalement naïf, Viper devait bien se douter qu’il y aurait une fin à cette histoire, qu’ils le veuillent ou non. Ce n’était en revanche pas le moment d’y penser. S’économiser moralement, voilà ce qu’essayait Brynn, le cœur plus léger à l’idée de retrouver les intérieurs de la Tour qui illuminait, comme un phare, son coin du Marché.

Les pas de Brynn la menèrent tranquillement dans la grande allée qu’elle traversait en zyeutant à droite et à gauche. Sa curiosité naturelle ne l’avait pas quitté, et elle se disait que tout pendant qu’elle serait là, la solution serait à portée de main. Peut-être qu’elle était cachée chez un agayoleur, ou peut-être derrière les lourds rideaux d’un remancheur. Elle n’avait pas encore tout essayé, et elle ne s’arrêterait que lorsqu’on lui ferait savoir qu’il n’y avait plus aucune solution pour elle.

Le cœur enhardi, prêt à se battre, la petite brune rentra sans faire exprès dans un garçon qui était plus grand qu’elle. Elle maugréa aussitôt, prête à l’insulter en fourchelangue, n’aimant pas particulièrement être touchée ou approchée par les autres, mais au moment de relever les yeux sur le jeune homme, elle s’arrêta net de rouspéter.

« Hati… ? Hati Abercombi ? »

Le prénom du serdaigle lui revenait aisément, sans qu’elle ne sache pourquoi. Est-ce qu’ils s’étaient assis à un moment côte à côte ? Ou est-ce qu’elle l’avait vu avec Viper à l’école ? Ce qui était certain, c’est que le garçon était devant elle et qu’il avait l’air tout aussi étonné qu’elle. Est-ce qu’il la remettait au moins ? Elle se pointa naïvement du doigt :

« Brynn Gwent, de Poudlard. Je pensais pas croiser quelqu'un de l'école ici ! »

Ce qui, après réflexion, n’était peut-être pas le meilleur moyen de s’introduire. Après tout, @Freya Korrigan lui avait bien expliqué qu’on s’appliquait à ne pas parler de l’ancienne préfète de Serpentard pour ce qu’elle avait fait, comme si son exclusion était devenue un sujet un peu tabou. Brynn se pinça les lèvres, avant de glisser un regard vers le bâtiment duquel sortait le jeune homme.

Elle s’arrêta un instant de penser, puisqu’il s’agissait ni plus ni moins que du Lupanar – un joyeux bordel où on trouvait de tout, mais où surtout les filles acceptaient tous les clients, qu’ils fussent petits ou géants.

Brynn glissa un regard sur Abercombi, non sans une petite pointe de dégoût et de jugement.

« Je te dérange peut-être ? »

« Tu es le premier que je croise en tout cas » commenta-t-elle. Quelques semaines en arrière et elle ne connaissait rien du Marché aux Trolls, sinon qu’@Aram Romanez l’avait mené jusqu’aux sœurs Nibelungen, pour ce qu’elles savaient aussi parler aux serpents, mais aucune n’avait su l’aider. Dans sa quête, Saskia – car c’était elle qui avait observé le bras ensorcelé – avait seulement émis une hypothèse, non pas pour la guérir, mais pour éviter toute propagation de la maladie plus loin.
Jette un œil sans haine sur le monde.
Ça lui semblait absurde, et en même temps, c’était la haine qui animait les guenaudes, vicieuses comme les fées du crépuscule. Avant ça, Brynn n’aurait jamais imaginé qu’un tel endroit existe, et encore moins qu’on y trouve tout un tas de créatures et d’hybrides, comme dans un joyeux fourmillement de vie, avec ses règles dures, mais ses propres règles.

Le Lupanar, tout juste à côté, a pour lui d’en avoir des biens spécifiques. Du coin de l’œil, la petite galloise se surprend de sa présence, mais encore plus qu’Hati puisse être ce genre de personne. Ça ne manque pas de lui tirer une petite grimace d’ailleurs, mais elle se tait, du moins jusqu’à que Abercombi ne soit plus franc qu’elle et ne rentre les deux pieds dans le plat.

Brynn a un petit frisson désagréable, jetant de nouveau un œil à l’établissement, puis ensuite à Hati. Elle lève les deux mains, dont celle qui est bandée, et secoue la tête :

« Oh, non, non, du tout, tu es serveur, ça explique.. Non… », elle se racle la gorge, « non, en fait… je pensais que tu y étais… pour… consommer ? » Un petit sourire dégoûté apparaît de nouveau sur son visage, alors qu’elle précise : « Je comprends qu’on ne puisse guère avoir le choix dans la vie et qu’il faut bien gagner sa vie comme on le peut, mais j’ai un peu plus de mal avec les clients. Il me semble que ce genre de chose mérite plus que d’être acheté. Enfin… Je suis peut-être un peu trop… vieux jeu, comme on dit. »

Pour ne pas dire romantique ?
C’est vrai que Brynn n’avait jamais connu que la chaleur de  @Viper Ryūjinchi, et cela lui était amplement suffisant. Se serait-elle laissée aller contre son derme si elle ne l’aimait pas, lui et seulement lui, parmi tous ? Elle n’avait jamais été tentée par les autres garçons. Son objectif était simple, devenir héritière des Gwent, et ensuite envisager potentiellement un mariage qui ne dénaturerait pas son sang.

Choisir Viper n’était pas dans son plan d’origine, mais ça ne l’était pas plus que d’être maudite par une guenaude pluriséculaire et de vadrouiller au milieu d’un marché de mauvais drôles.

D’une certaine façon, Brynn comprenait le choix de sa mère.

L’amour en faisait faire des choses stupides.

« Je ne t’aurai jamais imaginé bosser comme serveur » remarqua l’ancienne serpentard, en jetant un œil à Hati, « tu avais l’air d’être plus… intellectuel, à Poudlard. A moins que ça ne paye vraiment bien ? »
C’était possible après tout, avec le système des pourboires, ou peut-être qu’Abercombi y trouvait aussi son plaisir. Elle n’en savait rien, et en même temps, elle ne préférait pas tant que ça savoir. Sa curiosité restait ténue dans le domaine de la sexualité et elle découvrait au fur et à mesure, à sa façon et au rythme de ses envies, sans se précipiter. Sa pudeur la rattrapait toujours.

« Excuse-moi, je suis tellement contente de croiser quelqu’un de Poudlard ici, et au final, je me rends compte que je te bombarde de questions déplacées… » souffla-t-elle finalement, se rendant compte qu’elle pouvait peut-être mettre mal à l’aise le Serdaigle. « On a fait mieux comme introduction. »