Slow and Steady

Derrière les allures de femme tornade, la jeune Nibelungen aimait profiter de quelques instants d’accalmie. Le travail à la brigade et les cauchemars épouvantables de  @Fergus Clearwater s’ajoutaient au quotidien d’une femme tout à fait épanouie mais beaucoup trop mouvementé. Être Solvi Nibelungen suffisait déjà à soi-même. Petite fille pleine d’audace, qui n’hésitait pas à traîner sur le marché aux Trolls malgré les loubards peu fréquentables ou à chiper un objet de valeur au profit d’une mission des Verts Galants, Solvi garnissait à mesure des années un répertoire d’aventures qui grandissait avec son âge. Bien que très légèrement assagie, et surtout œuvrant en théorie pour le plus grand bien de la communauté sorcière à présent, Solvi n’en restait pas moins une femme au dynamisme débordant. Trop pour certains. Pas toujours suffisant à ses yeux.

Nous étions un lundi, un lundi de fin juin où les étudiants commençaient à flâner, certains trempant dans des affaires louches, d’autres présents par simple curiosité. Comme si le Marché aux Trolls était une promenade de santé. Les rues s’allégeaient à mesure que les congés d’été approchaient, du moins en apparence car les malfrats ne prennent pas le temps d’aller se dorer la pilule au soleil. Tant que les gallions brillent dans l’obscurité.  

Solvi se préparait, sortie du lit dès que les premiers rayons du soleil avaient éclairé l’horizon alors que Fergus peinait à se lever. Ç’avait encore été une nuit ponctuée de cauchemars, une nuit sans réel repos. Fergus était épuisé, ce qui ne manquait pas d’inquiéter Solvi sans qu’elle n’en dise pourtant rien. Elle déposa un baiser sur son épaule alors qu’elle prenait la poudre d’escampette, en avance pour rejoindre le ministère, le café attendant sagement le Clearwater dans la cuisine.
Le couple ne s’était pas croisé au travail, mais Solvi n’avait pas besoin de voir Fergus pour deviner son anxiété. Elle avait été palpable ces derniers jours et, finalement, Solvi soupçonnait Ferg de lui avoir menti quant au contenu de ses rêves. N’était-ce pas son père qui s’était caché derrière les capuches noires qui hantaient le Clearwater.

La tempête avait laissé place à un long silence, un silence seulement brisé par le tic et le tac de la montre qui ornait son poignet. Un doux sourire se dessina sur son visage, touchée par les souvenirs que ce son ravivait en elle. L’atelier de son père, Sören, où elle aimait traîner et toucher à tout avant de se faire gronder, cet atelier où elle était venue se cacher après avoir rencontré d’étranges personnages sur le marché. L’atelier où elle se réfugiait lorsque sa mère, partie un peu trop longtemps, lui manquait terriblement. Cet atelier qu’elle avait parfois porté en horreur lorsque l’ennui était plus fort que tout. Elle observa la trotteuse courir sous son cadran, le léger bruit du cliquetis rythmant les pulsations de son propre myocarde. Ç’avait quelque chose de rassurant, quelque chose de tendre qui se dessinait sous ces mécaniques dignes des plus grands orfèvres. L’assurance d’un coeur apaisé qui ne pouvait que contraster avec la tension qui tenait  @Fergus Clearwater éveillé bien trop tard ces derniers jours.

Fergus, poussé à assurer une mission d’infiltration particulièrement longue, n’avait pas été certain d’en revenir vivant. En gage de confiance, mais aussi pour honorer une promesse pleine d’espoirs, le Clearwater avait demandé sa main à l’aînée des Nibelungen. Comme dans les plus beaux contes de fées, la demoiselle avait accepté. Mais elle n’en avait pas informé sa famille. Solvi avait gardé le secret précieusement contre son sein et n’avait rien dit, anticipant la réaction explosive de sa mère. Pourtant rien ne sert de fuir, parfois il faut simplement prendre le taureau par les cornes.
Le jour du combat avait sonné. Lundi 20 Juin, à l’heure où les ombres se déploient pour envahir les rues.

« N’aie crainte Fergus. Quoi qu’il se dise, ça ne changera strictement rien. » Kani ferait certainement une scène. Quoi, notre fille veut épouser un Auror? C’est inconcevable! Passons les détails. « Sois tranquille, ça va bien se passer » dit-elle en déposant un baiser sur ses lèvres avant de prendre la poudre d’escampette.

Elle marchait dans la grande rue du Marché aux Trolls, la mieux éclairée sans que cela ne soit gage de sécurité. Des murmures se faisaient entendre, murmures éminemment douteux qui la poussaient à garder une réserve, la main sur la baguette juste au cas où. Elle n’était pas peureuse, après tout elle saurait parfaitement se défendre si on lui tombait dessus. C’était l’avantage du métier.

Arrivée au pas de la porte, Solvi toqua sans anxiété particulière. Beaucoup se seraient arrêtés là quelques instants, inspirant tout leur courage pour expirer tout leur stress. Solvi s’en fichait. Comme elle l’avait dit: ça ne changerait rien, que ses parents soient exaspérés ou terriblement excités.

Un large sourire se dessina sur ses lèvres lorsque sa mère vint lui ouvrir la porte. Elle embrassa rapidement sa joue, peu habituée aux longues embrassades malgré tout l’amour qu’elles se portaient mutuellement. « Ça va très bien maman, je te remercie. Et toi? Pressée de repartir sur les routes? » Répondit-elle en avançant droit vers la salle à manger, un regard en arrière pour sa mère. Elle passa juste la tête dans l’encadrement de la porte pour jeter un oeil dans la cuisine, observant son père s’activer pour mettre le couvert. Elle donna un petit coup de baguette et vit les assiettes voltiger tout comme les couverts pour s’installer dans une parfaite harmonie. « Hej pappa. C’est plus simple comme ça non? » Elle s’approcha pour déposer un baiser sur sa joue. « Alors? Qu’est-ce que vous avez préparé de bon? »

Un haussement d’épaules fut sa seule et unique réponse. Courir le monde de mission en mission, c’était ça la vie dont rêvait Solvi. La dolce vita. La première de la fratrie était née dans une petite roulotte aux allures de vieille caravane usée par les routes. Il suffisait de mettre un pied à l’intérieur pour savourer tous les délices que les enchantements pouvaient offrir aux sorciers. L’espace était immense pour une jeune femme et sa progéniture, confectionné d’un bois de jolie qualité et décoré sobrement mais de manière exquise. Simple, pragmatique, délicat. Kani n’accordait pas beaucoup d’importance aux babioles à l’époque, préférant la frugalité à l’avarice. Solvi s’émerveillait de tout ce qu’elle trouvait dehors et apprenait à déguster les petits plaisirs de la vie plutôt que les jolis tableaux recouverts de poussière.

La réponse de sa mère ne surprit pas réellement Solvi, habituée à entendre les mêmes hésitations dans les vibrations de sa voix depuis quelques mois. Elle ne disait rien, mais elle comprenait difficilement son raisonnement. Pourquoi regretter les routes lorsque l’on sait qu’il reste toujours quelque chose à découvrir? Comment pouvait-elle se lasser? Les murs des maisons sont toujours les mêmes. Ils finissent par vous fixer et vous étouffer avant de vous étrangler et de vous achever. C’était bon de retrouver la maison et son confort mais l’envie de partir était toujours trop forte pour déposer trop longtemps ses valises. Solvi avait grandit ici puis prit son envol, sa mère avait volé puis atterri ici. C’était à l’aînée des Nibelungen de reprendre le flambeau, et personne n’arriverait à éteindre cette flamme, pas même la plus froide des cascades. On pouvait dire tout ce qu’on voulait sur ce mode de vie trop frénétique, sur cette flemme trop colérique et impulsive, Kani restait toujours le plus grand modèle de Solvi.

Comme souvent, le sujet s’épuisa après quelques secondes avant d’être balayé comme s’il n’avait jamais existé. C’était comme ça ici: les choses étaient dites lorsque le besoin de faisait ressentir mais on ne tergiversait pas. A la place, Solvi se précipita vers son père pour l’embrasser, en profitant pour venir déposer son petit grain de sel. A la remarque de Sören, elle grimaça dans une petite moue enfantine. « Mais tu ssssais que çççça ne ssssert à rien pappa. A quoi bon faire tout cccela ssssi l‘on peut l’utiliser pour des choses plus intéressssantes? » Sa moue laissa place à un gigantesque sourire, pas peu fière de sa petite répartie. Solvi aimait avoir le dernier mot, même si ça n’avait aucun sens. « Sssakkuk? Vous me gâtez. » Le Tchoud’ était une institution dans leur foyer. C’était une très vieille boucherie que Solvi avait toujours connue. Entre commerçants, on savait faire tourner les affaires et faire passer le bon mot auprès des clients, Solvi ne doutait pas qu’on ait réservé un excellent morceau à son père. Tout était une question de réseau et de gouaille. Sans ça, difficile de tracer son petit bonhomme de chemin au sein du Marché. Un petit coup de coude était également utile de temps à autre. C’est d’ailleurs là que Solvi apprit à se défendre. Par des méthodes plus ou moins conventionnelles.

Solvi s’installa à table, attendant à peine que l’on l’y invite. « C’est mouvementé. Comme toujours. Une chance pour moi. » Elle attrapa son verre et en vida la moitié. Si Solvi aimait son travail, c’était bien parce qu’elle n’était pas obligée de rester assise toute la journée derrière un pauvre bureau surchargé de dossiers sans fin. Plutôt mourir que d’avoir à supporter cela au quotidien. « Ceci dit un peu plus en ce moment. Pourquoi, t’as une info à me filer? » Elle posa son verre en fixant sa mère droit dans les yeux. Bien sûr qu’elle ne lui dirait rien. Elles se trouvaient à l’opposé de l’échiquier et leurs intérêts propres étaient tout aussi divergents. Ç’avait été compliqué d’intégrer la BPM avec Kani pour mère, tous y voyaient un handicap certain. D’ailleurs, c’était toujours difficile. Mais Kani n’était pas la tare que beaucoup voyaient à travers elle. Personne ne pensait à regarder de l’autre côté du miroir. Une telle relation au sein d’une même famille était tout aussi dangereux que salvateur. Kani ne serait jamais une indic, mais jamais elle n’abandonnerait son enfant au profit d’une vie excitante. Dès la naissance, Solvi avait fait en sorte d’être la casse-pieds qui se fourre là on l’on ne veut pas la voir. Ça la rendait rusée comme le serpent, agile comme un rapace. Avoir Kani comme mère était délicat pour une tireuse d’élite, mais c’était aussi un cadeau extraordinaire. 

« A moins que tu ne craignes que @Fergus Clearwater  vienne marcher sur tes plates-bandes ? » Ça aussi c’était délicat. Peut-être même encore plus. Parce que Fergus était Auror et venait sur le Marché. Parce que Kani ne courait pas après son gendre. Pas besoin d’être legilimens pour le savoir. Parce que la mère de Solvi n’aimait pas parler de lui. Si elle avait pu, elle lui aurait certainement choisi un autre parti. Mais la tireuse d’élite aimait être casse-pieds et, une fois de plus, elle n’en avait fait qu’à sa tête. Que ça plaise ou non. « Il vous envoie ses salutations d‘ailleurs. Je présume que tu dois être terriblement déçue de ne pas le voir trôner à cette table, pas vrai mamma? »

Solvi esquissa un sourire en réponse à la remarque de sa mère. Donnant donnant. Évidemment. C’était toujours plus facile de le faire lorsqu’aucun bâillon n’entravait sa parole. Intégrer la BPM avait suffit à lui faire garder le moindre secret, de peur d’être rejetée de la brigade et du Ministère tout entier. Virée. La langue de plomb de  @Fergus Clearwater suffisait. C’était à se demander s’il n’avait pas été enchanté par sa faute, juste au cas où. Solvi devait être irréprochable si elle voulait réellement gagner la confiance de ses collègues, bien plus que les autres. Par le passé Kani n’avait jamais été prise la main dans le sac tant les délits étaient aisément ensevelis au sein du Marché. Pas vu pas pris. Sa réputation la précédait suffisamment pour mettre sa fille en difficulté : pas besoin de réellement se mêler de sa vie pour tout compliquer. En intégrant la brigade de tireurs d’élite, Solvi avait fait serment de ne rien dévoiler. Bien sûr que Kani le savait, bien sûr qu’elle jouerait de cela pour évincer les remarques de sa gamine. Solvi avait été éduquée à bonne école. Après tout, on dit bien que les chats ne font pas des chiens.

Si jouer la carte du travail n’avait pas fait sourciller sa mère, évoquer le nom de son fiancé avait suffit à provoquer une réaction. Fergus et Kani, c’était une longue histoire d’amour sans fin, pour le plus grand désespoir de cette dernière. Lorsque Solvi avait osé prononcer son nom pour la première fois, Kani avait déjà grimacé. Imaginer sa fille devenir la femme d’un Auror relevait même de la plus splendide comédie qui puisse exister à ses yeux. La fille d’une Vert-Galant unie à un jeune justicier. Solvi se refusait à l’admettre, pourtant un jour peut-être devrait-elle choisir. Mais c’était Solvi, il n’y avait pas mieux placé pour avancer tête baissée sans réfléchir aux répercussions ou sans penser aux pots cassés. Il n’y avait pas de place pour cela, Solvi comptait toujours retomber sur ses pattes même quand la chute semblait trop brutale pour ne pas risquer la fracture.
Kani esquissa un nouveau sourire, rebondissant une nouvelle fois pour remporter la partie haut la main. Elle était vraiment douée pour avoir le dernier mot. Mais elle ne savait pas ce qui l’attendait, et aujourd’hui ce serait Solvi qui aurait le dernier mot. Même s’il fallait le crier.

Il aurait été bien ridicule de croire que Kani craignait Fergus. Le serpent ne craignait pas le canard. À la moindre occasion il n’hésiterait pas à mordre et à lui filer entre les pattes. En réalité, c’était Fergus qui devait avoir peur de sa belle-mère. Solvi lui avait répété qu’il n’y avait rien à craindre, que ses parents finiraient certainement par l’accepter tôt ou tard. Elle avait peut-être menti, ou peut-être trop espéré. L’espoir fait vivre. Elle n’aurait pas même été étonnée si Fergus admettait rêver de Kani la nuit, couteaux et autres instruments de pure torture dans les mains.

Kani pouvait bien essayer de lui faire peur, de faire gober ces foutaises à sa fille, jamais elle n’oserait la rendre malheureuse. C’est ce que Solvi aimait croire, pourtant, par amour, Merlin sait combien l’on peut être idiot. Si elle voyait en Fergus l’homme qui détruirait sa fille, Kani n’hésiterait certainement pas à l’écarter, sans aucune once de pitié.

Les remarques se succédaient, laissant le sang de Solvi bouillonner à petit feu. Elle observa le couteau de sa mère frapper son assiette en geste de provocation ultime. Elle serra les poings sur ses couverts. « Bien sûr qu’il connaît votre existence. Je n’ai pas honte de ce que je suis ni d’où je viens, moi. » Elle fronça les sourcils tout en tranchant sa viande. « Qu’est-ce que tu aimerais que je lui dise au juste? Que mes parents travaillent pour les Verts-Galants en réalité ? » Elle porta sa fourchette à sa bouche. « Délicccieux Pappa, tu as l’œil pour choisir les bonnes pièccces. » Toi, se retint-elle d’ajouter. Fergus était un excellent parti, un bel homme audacieux et tout à fait charmant. Pourquoi sa mère ne parvenait-elle pas à voir cela, elle aussi?

« C’est l’une de nos plus grandes qualités. » commenta Solvi avec un œil assassin. « C’est comme ça qu’on défend nos plus grandes convictions. Il faut de l’audace et du courage pour défendre ce que l’on aime. » Elle en disait sûrement déjà trop. Depuis quand parlaient-ils de sentiments tous les trois? « Il me semble que tu n’as pas été acceptée de suite chez les Nibelungen. Étant donné ton entrée théâtrale et spectaculaire dans la vie de pappa. Cela ne t’a-t-il pas servi de leçon? » Les chiens étaient lâchés et personne ne l’arrêtait plus. Plutôt que de jeter du sable sur le feu, Solvi avait choisi de dégainer le lance-flammes pour l’attiser encore davantage.

Ses lèvres s’entrouvrirent, laissant passer le sifflement du serpent qui sondait son entourage. Le sifflement du serpent qui se sentait menacé et prêt à attaquer pour se défendre. Le poing de la brune se crispa si fort sur sa fourchette que l’on devinait les veines de sa main d’ordinaire lisse et pâle. Elle lança un regard assassin à sa mère, un sentiment de rancoeur brûlant au fond de ses iris. Elle n’y était pour rien, elle n’avait clairement pas choisi cette situation. Combien de fois avait-elle entendu, désabusée dans les couloirs, que l’amour vous tombe dessus sans que vous ne vous y attendiez? Combien de fois avait-elle réprimé un haut le coeur quand elle avait entendu d’autres étudiantes évoquer leurs coups de foudre? Les contes de princesse n’étaient pas fait pour elle. Solvi avait toujours été indépendante, libre comme l’air, ne supportant pas la moindre contrainte. Elle s’était même résignée à l’idée que personne n’oserait jamais accepter cela. Et pourtant… Pourtant  @Fergus Clearwater était arrivé et avait bousculé toutes ses certitudes. Il l’avait laissée vivre, ne cherchant jamais à transformer celle qu’elle était et avait toujours voulu être.

Elle jeta un oeil au pauvre plat qu’avait concocté son père, désolée de voir son travail anéanti sous l’élan de la colère. Elle tourna brièvement la tête vers son père, ne cherchant absolument pas un quelconque soutien. Jamais il ne serait assez fou pour venir se mêler de ses affaires. Kani s’en chargeait pour dix, quel que soit l’opinion de chacun.

Solvi serra les dents. Bien sûr que les Verts Galants ne dînaient pas avec les Aurors. Mais où résidait la nécessité de tout révéler à Fergus? Solvi aurait-elle assez confiance en sa mère pour jouer la comédie? Certainement pas. N’importe quelle occasion serait bonne pour évincer l’Auror de la vie de sa fille. « Tu n’as pas besoin de te présenter comme telle. Tu fais cela parce que tu es butée et que tu ne veux pas d’un homme qui rend ta fille heureuse dans la famille. Alors quoi? Tu destines ta fille à fréquenter les voyous ou à courir après les délits pour subvenir à ses besoins? » Ce n’était pas ainsi qu’elle imaginait la vie de sa mère, cette vie qu’elle avait toujours admiré dans le fond, malgré tout ce que l’on pouvait raconter au sujet des Verts-Galants. L’occasion était trop belle pour que le serpent ne morde pas un peu.

Elle regarda sa mère frapper la table de sa main, visiblement offusquée. Solvi planta sa fourchette dans le bois de la table. « Ah oui, tu n’aimes pas la comparaison? Tu en veux une autre? Les tireurs d’élite n’ont-ils pas le droit de venir déjeuner à la table d’un Vert-Galant? » Elle montra la porte du bout de l’index. « Si c’est ce que tu penses, je peux tout aussi bien déguerpir sur le champ. » Sören murmura quelque chose que sa fille ne prit pas même le temps d’écouter.

« Je n’ai plus cinq ans, effectivement, je suis majeure et libre de décider pour moi-même. J’ai décidé d’intégrer le Ministère pour des raisons qui me sont propres, j’ai décidé de fréquenter Fergus parce qu’il me plaisait. Ce n’est pas un petit con comme tu peux l’imaginer. C’est un homme bien. Mais tu es trop têtue pour voir la vérité en face. »

Solvi grimaça en écoutant sa mère dessiner sa vie pour elle. Des enfants? Papy et mamie sur le Marché aux Trolls? Elle agrippa la fourchette pour la retirer de la table, la posant délicatement dans son assiette comme pour se laisser le temps de réfléchir. Voulait-elle des enfants? Des gamins qui l’empêcheraient aussi de vivre sa vie comme elle l’entend réellement? Tous les imaginaient avec une ribambelle de mioche, Fergus le premier. Etait-ce ce qu’elle souhaitait réellement? Serait-elle jamais prête à cela? A sacrifier tous ses idéaux?

Elle releva la tête pour fixer sa mère, muette. Elle finit par se tourner vers son père qui n’avait encore rien dit de remarquable. Sa main caressa le dos de la sienne avant de la recouvrir. « Pappa. » commença-t-elle, la gorge serrée. Etait-ce si difficile que cela à dire? Elle décida de poursuivre en Fourchelang pour n’être réellement compris que de lui. « Fergus m’a demandé ma main. Et j’ai accepté. Fergus est mon fiancé. » Elle adressa un sourire à la fois désolé et tendre à son père avant de se tourner vers Kani, plus froide. « Mamma. Au moment même où nous conversons, Fergus et moi sommes fiancés. Et nous comptons le rester, que cela te plaise ou non. »