La brise de Cornouailles | MORANA

Johann s'arrangeait généralement pour ne pas se rendre à Tinworth plus de deux fois par semaines. Il préférait découcher, non seulement parce que les souvenirs s’agglutinaient dans cette maison modeste mais également parce qu'il était trop excentré de son territoire de travail. Il estimait d'ailleurs que pour bien le faire, il fallait au moins faire l'effort de ne pas résider trop loin. Eviter de donner cette impression de je m'en foutisme était très important pour lui. Sans doute parce qu'il se mettait à la place des centaures, qui étaient réputés pour être très fiers - et que lui-même n'avait rien à leur envier sur ce sujet. Les gènes irlandais l'influençaient bien comme il faut. Cela étant, en cette fin de semaine, Johann était de retour à Tinworth pour le week-end. Il avait balancé son sac à dos en toile à l'entrée de sa maison, un coup de baguette magique plus tard et la porte était ouverte. Une légère odeur de renfermé attaqua ses narines et suffit à le convaincre d'ouvrir les vitres. Il n'avait jamais été quelqu'un de bien compliqué à satisfaire et passer la barre des quarante ans ne l'avait certainement pas poussé à davantage de luxe. C'était sa compagne qui décorait, achetait les meubles. Quand elle était partie, logiquement, elle avait pris ce qui était à elle, c'est-à-dire tout ce qui constituait la vie dans cette petite maison sorcière.
On ne pouvait pas aller jusqu'à dire cependant que la vie l'avait quitté lorsqu'elle était partie. Johann avait ressenti un étrange sentiment d'abandon et de trahison. Et une pointe dans sa fierté également. Mais il avait surtout perdu la personne avec qui il vivait, pour ne ressentir finalement plus que la solitude, étrange sentiment qui pesait dans son ventre à chaque fois qu'il revenait "chez lui". Comme beaucoup de personnes nouvellement célibataires, Johann s'était donné corps et âme dans son travail. L'avenir de la collaboration sorcière avec les centaures lui importait maintenant plus que beaucoup d'autres choses. Son métier lui donnait l'impression d'être important - et il l'était, honnêtement. Les sorciers ne pourraient vivre en paix que s'ils apprenaient à bien considérer les autres êtres magiques, au lieu de se considérer au dessus de tout le monde. Ce n'était pas vraiment étonnant que les gobelins, centaures, sirènes et autres êtres et esprits ne supportent pas les sorciers. A être toujours péremptoire, à se croire toujours plus beau que ce que l'on est, la réalité nous frappe d'autant plus de plein fouet.
Toc Toc Toc.
Les mains affairées dans son évier, vieille habitude moldue que de faire la vaisselle à la main parce que s'occuper lui permettait de réfléchir, Johann se les essuya en se demandant qui pouvait bien se pointer chez lui à dix heures du matin. Il eut un peu honte du désordre dans lequel se trouvait sa maison, mais il y venait tellement peu que lorsqu'il y était, il rangeait très rarement. Sans regarder le juda il ouvrit la porte en grand pour tomber sur une femme brune, avec des yeux clairs. Immédiatement, Johann sut qu'il l'avait déjà vue quelque part. Mais où ? « Bonjour...? ». Peut-être que c'était une nouvelle voisine qui trouvait ça pertinent de se pointer avec des scones ? Mais elle n'avait rien dans les mains et l'instinct de Johann lui soufflait que ce n'était pas une nouvelle voisine. Son adresse n'était pas très difficile à trouver, il suffisait même d'ouvrir l'annuaire sorcier pour trouver où il résidait. Restait encore à avoir de la chance pour tomber sur lui lorsqu'il était là. « Je peux vous aider ? ».


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« Une centaurée pégasée » souffla Morana, en relevant la tête.

À côté d’elle dans le lit, Elaine fronça doucement les sourcils et tourna la tête pour survoler la dernière lettre d’@Amaranth Mapleleaf que Morana était en train de parcourir, et qu’elle avait mise en relation avec un retour d’Eluned (@Maeve Cynfeirdd) de Caer Cynfeirdd.
Elle eut une petite moue dubitative, notamment parce qu’elle n’avait jamais entendu parlé d’une potion utilisant une centaurée pégasée de toute sa vie, et elle n’était même pas certaine d’en avoir déjà vu une seule de sa vie.

« Je suis en train de me dire... Les centaurées pégasées sont utilisées pour créer des cercles impénétrables au sein des colonies de centaure, notamment pour protéger les juvéniles. Le parfum qu’elles dégagent est à ce point nauséabond que cela repousse la plus part des parasites magiques et évitent les dégénérescences qui rendent fous les jeunes centaures. De ce qu’Eluned dit dans sa lettre, on en forgeait des flèches imprégnées de centaurées pour chasser les spectres de minuit, les moremplis et d’autres prédateurs nocturnes... Peut-être qu’en potion, on pourrait en extraire la toxine anti-parasitaire ? »

Cela serait surtout bénéfique à @Amaranth Mapleleaf, mais d’une certaine façon, cela aiderait Lancelot si le mal qui le dévorait était d’origine parasitaire également. Morana souffla, se prenant le bas du visage dans la main, le temps de la réflexion.

« Pour ça, il faudrait déjà que tu aies accès à une colonie », Elaine pencha la tête, ses yeux courant sur le profil de son épouse qui semblait toujours plonger dans sa réflexion.

« La colonie de Poudlard n’est pas exactement une amie, c’est vrai... » souffla doucement Morana, avant d’avoir un sourire fin et mutin sur les lippes. « En revanche, je connais quelqu’un de très ami avec eux ! »

Elaine la fixa, une nouvelle moue la prenant, alors qu’elle ne voyait pas du tout de qui elle pouvait bien parler.


Les embruns de la mer soufflaient jusqu’à elle un air frais et salé. Cela faisait quatre mois qu’ils avaient déménagé de Tinworth à Pré-au-Lard, et il n’y avait pas à dire, la côte salée lui manquait plus qu’elle ne le dirait jamais. Ce n’était pas qu’il y avait une part en elle qui l’appelait à prendre la mer, mais c’est qu’elle aimait plus que tout le bruit des vagues se fracassant contre le rivage et les rochers. Elle resta un instant dans les hauteurs à observer le spectacle, et finalement reprit la route jusqu’à la maison.

Un moment elle se demanda s’il n’avait pas lui aussi déménager, mais du bruit de l’intérieur la renseigna qu’elle était au moins habitée. Morana toqua calmement à la porte, avant de jeter un oeil aux alentours.

Le jardin ne semblait pas exactement entretenu depuis quelques temps. Ce n’était pas totalement idiot puisque l’hiver rendait tous les jardins un peu plus ternes, mais certaines fleurs n’avaient pas été arrossées depuis des mois. L’oeil de la botaniste ne s’y trompait pas, mais elle ne fit aucun commentaire, et quand la porte s’ouvrit sur Johann, elle eut presque un petit mouvement de doute.

Elle n’avait pas ouvert la porte.

Cela faisait peut-être quelques années qu’ils ne s’étaient pas tous vu, mais à l’air de Johann Maloff, Morana comprit qu’il ne la remettait pas. Un rire un peu moqueur passa ses lèvres alors qu’elle enfonçait ses poings dans ses hanches, d’un air presque trop théâtrale pour elle :

« Bah, Jo’... C’est Morana. J’ai pas tant changé que ça, non ? »

Elle se gratta la joue, avec un petit rire : « Toi aussi t’as vieilli j’te ferais remarquer, et je te le mets pas dans les dents comme ça... »

Prendre l'habitude de vivre seul, cela prend bien des formes différentes. Pour certains c'était le travail, comme Johann. Pour d'autres, c'étaient les sorties entre amis, les rencontres fortuites et les aventures sans lendemains. De même, pour certains, cela passait par un nouveau style vestimentaire, une nouvelle coiffure, une paire de godasses nouvellement achetée. Attitude peut-être un peu puérile, en tout cas pour Johann, qui reprenait l'habitude de vivre seul sans rien ne changer à sa petite existence. Les amis se comptaient sur les doigts de sa main, et il savait bien que ce n'était pas Ambroise qui venait de toquer à la porte de sa maison un samedi matin. Comme lorsque quelque chose nous a perturbé dans la vie, on peut mettre du temps à refaire les connexions neuronales ou en tout cas à être dans le moment présent. C'est un peu cette sensation bizarre qu'il eut devant la sorcière qui lui faisait face et qui le remettait davantage que lui ne la remettait. Ses yeux bleus la scrutèrent pour trouver des indices. Il s'égara un instant dans les yeux de la même couleur que les siens, mais dont les subtilités étaient différentes, avant de descendre discrètement sur ses joues rosées puis sur ses rides d'expression au coin de ses lèvres qui trahissaient la quarantaine déjà entamée. La lumière se fut au même moment qu'elle lui redonna son prénom, et malgré lui, il rougit sous sa barbe. Effectivement, Morana. Il avait l'air d'un Bernard l'hermite qui sortait de sa coquille - ou de sa maison, plutôt. « Je suis désolé Morana » répondit-il à sa boutade en passant une main à l'arrière de son crâne, « j'ai la tête ailleurs et je me demande des fois si on ne m'a pas jeté un Oubliettes. Rentre donc ».
Il se décala pour la faire rentrer et sortit sa baguette pour réveiller la bouilloire afin de leur préparer une infusion. Jo' eut un peu honte de l'aspect très rudimentaire de sa maison, mais il n'y pouvait pas grand chose de toute façon. « Cela fait longtemps que je ne t'ai pas vu, cinq ans ? Six...? Dix... » - c'était difficile de tenir le compte. Johann avait beaucoup travaillé ces dernières années, il avait également beaucoup bougé et dans le fond, rares étaient ceux qui lui avaient collé aux basques. Il l'invita silencieusement à s'asseoir sur un fauteuil en daim vert foncé, vieux et abîmé - comme lui - sortit une tasse qu'il mit devant elle et une autre devant lui. La théière vint se poser sur la table comme si un fantôme l'avait porté sans qu'aucun d'eux ne puissent le voir. Eh oui, rares étaient ceux qui avaient réellement gardé contact avec Johann. Il fallait bien admettre que lui-même n'avait pas fait tant d'efforts que cela, sans doute parce qu'il était plus réservé que la moyenne et qu'il n'aimait pas s'imposer comme cela. Si l'on ne gardait pas contact avec lui, la plupart du temps, il se laissait oublier, tempérament naturel qu'il n'avait cependant pas à son travail. Cela étant, sa discrétion et son respect l'avait grandement aidé à nouer des relations positives avec les colonies centaures. « Qu'est-ce qui t'amène ici ? Le bon vieux temps ? ». Autant ne pas passer par quatre chemins de toute façon. Les deux tasses se remplirent d'un liquide fumant aux notes délicates d'épices.

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