Walking the wire — ft. Selma Montero

Selma Montero avait toujours été une sorcière d’apparence très calme. Avec ses vêtements toujours impeccables et sa chevelure lissée avec soin, la jeune fille avait passé sa vie à camoufler ses insécurités, son caractère instable et rêveur ainsi que son incapacité à communiquer. Son éducation exigeante l’avait en effet toujours poussée à garder pour elle son extravagante sauvagerie. Pour métamorphomage habituée à porter un masque, il lui était pourtant extrêmement désagréable de voir son apparence se modifier au gré de ses peurs et de ses angoisses.

Ces derniers mois à Poudlard, la Montero avait fait plus de progrès que durant toute son enfance en sortant peu à peu de sa carapace, se liant d’amitié avec @Sheraz Mahal. La maitrise de son don de métamorphomagie lui semblait toujours hors de portée, mais au moins, elle avait éprouvé le plaisir de se lever tous les matins avec un visage qui lui appartenait. Ce maigre réconfort lui avait été arraché quand elle avait d’elle-même choisi de couper tout lien avec le Poufsouffle. Depuis de bien longues semaines, la cubaine changeait de visage et de corpulence sans avoir aucune maitrise sur ces évolutions. On aurait pu croire qu’elle cherchait à entretenir ce parfait camouflage pour éviter la moindre confrontation, mais il était pire que tout pour elle.

En effet, personne ne parlait à Selma Montero. La cubaine avait fait ce qu’il fallait pour que plus aucun étudiant ne cherche à l’approcher : elle oubliait leurs prénoms – bien malgré elle – se rendait rarement compte quand on lui adressait la parole ; et son regard était toujours plus sombre que la mort elle-même. Mais lorsqu’elle prenait l’apparence de Drew Hunt - 5ème année à Poufsouffle, Blake Hoover – le capitaine de Serdaigle, ou encore Stephen Gallegos – apprenti bibliothécaire : alors tout le monde s'amusait à venir lui parler. La jeune fille n’avait d’autre solution que de s’enfuir en courant devant des airs stupéfaits.

En réaction au tumulte de ses émotions, son essence lui paraissait aussi malléable que le vif-argent. La seule solution que la Serdaigle avait trouvée pour gagner un peu de maîtrise fut d’enterrer au plus profond d’elle le moindre sentiment, s’attelant à se composer un calme factice qui lui permettrait – elle l’espérait – de retrouver une vie normale. Son corps n’était cependant pas dupe, et maintenait de manière totalement aléatoire et imprévisible sa forme changeante.

Aujourd’hui, Selma avait pris les traits d’une étudiante qu’elle avait sans doute suffisamment croisé pour s’en remémorer chaque trait. Impossible de savoir comment elle s’appelait cependant, et la Serdaigle s’était installée avec une douloureuse résignation dans la bibliothèque, tentant au moins de rattraper le retard qui s’était accumulé dans le rendu de ses différents devoirs. Le directeur @Luke Korrigan avait été mis au courant de son léger souci après que des étudiants se soient plaints de ses involontaires vols d’identité. Après un bref échange avec ce dernier, il lui avait conseillé de lever le pied pour se détendre un peu. Selon toute logique, la Serdaigle faisait l’exact inverse de ce qu’on lui recommandait, le nez plongé dans ses bouquins.

Soudain, un nom l’interpella et elle leva le nez pour voir avec horreur la dernière personne à laquelle elle souhaitait parler s’installer à côté d’elle. La femme d’Edel, qui n’était autre que le meilleure amie que Sheraz n’ait jamais eu… La Montero se raidit en se détournant, cachant ce visage inconnu qui devait sans doute répondre au nom d’Anemone. Pourquoi la Serpentard la cherchait-elle à ce point ? Ne pouvait-elle pas la laisser en paix ? Détruire sa vie ne lui avait donc pas suffit ?

-… Non… Je sais pas… marmonna-t-elle en réunissant rapidement ses affaires, espérant secrètement que son accent cubain ne s’entendait pas trop.

La jeune fille s’aperçut cependant avec horreur que son cahier à côté d’elle portait fièrement la mention de son nom : Selma Montero. Et Siobhán avait précisément le regard posé dessus. Selma l’attrapa d’un geste paniqué, ses cils papillonnant en direction de l’étudiante.

- … P… Pourquoi tu la cherches ? Laisse-la tranquille, balbutia-t-elle en priant pour que son déguisement soit maintenu quelques instants de plus. Elle se hâtait de ranger ses livres dans son sac et n’avait qu’un objectif : celui se sortir au plus vite d’ici.

Siobhán ne parut avoir aucune difficulté à deviner qui se cachait sous les traits de cette étudiante à l’air un peu trop hautain pour être sympathique. Déstabilisée, Selma se figea sans savoir que faire. La Serpentard ne paraissait pas offensée de la voir utiliser ainsi l’identité d’une autre pour tromper tous ses camarades, mais elle semblait cependant bien destinée à la stopper dans sa fuite.

Telle un lapin se sentant pris au piège d’un simple sortilège d’éclairage, la Serdaigle leva les lourds cils d’Anémone sur l’étudiante qui l’interpellait en lui demandant de simplement l’écouter. C’était le genre de choses que Selma, même dans toute l’étendue de sa lâcheté, était capable de faire. Alors, la Montero se contenta d’observer cette fille au visage si parfait qu’elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver devant elle un mélange de fascination, de répulsion et de jalousie.

Face à elle, Selma se trouvait ridicule – ainsi découverte - sans parvenir pour autant à retrouver son apparence. La métamorphomage continuait à sentir les boucles de ses longs cheveux, à voir la peau bien trop pâle de ses mains. Elle était si faible et pathétique devant cette fille au sang de vélane à qui tout avait réussi. Les pâles pupilles réhaussées de khôl d’Aménome alternaient entre le regard et la bouche de Siobhán comme si elle cherchait à déterminer ce qui se cachait derrière ce discours et cette attitude. Car parmi les mots qu’elle lui glissait, certains retinrent particulièrement son attention.

L’étudiante se faisait la porte-parole des émotions de @Sheraz Mahal, montrant ainsi la force du lien intime qu’ils partageaient. Ses mots sonnaient cruellement à l’oreille de Selma qui ne pouvait qu’imaginer la nature des profondes discussions entre les deux préfets, elle qui n’avait pu échanger deux mots avec le Poufsouffle depuis de bien trop longues semaines.

- Ce n’est pas dans mon intention de lui faire du mal, finit-elle énoncer d’une voix égale qui collait bien mal à la personnalité de son hôte du moment. Une part d’elle se sentit perdue de désespoir, tandis qu’une autre bouillait de colère - mais son visage n’exprimait qu’une tranquille mélancolie.

Siobhán la surprit cependant en montrant soudain comme une forme d’inquiétude pour son propre bien-être. Elle qui s’était montrée si agressive dès leur première rencontre… Qu’est-ce qui pouvait expliquer un tel revirement ? Selma secoua la tête d’Amnémone sans comprendre. Siobhán s’obstinait à la harceler, lui reprochant une situation dont elle était elle-même à l’origine, ce qui paraissait bien cruel.

- Pourquoi c’est toi qui viens me parler de ça, et pas Sheraz si cette situation le rend si malheureux ? Elle la toisa un instant avant de reprendre d’une voix sans doute un peu moins assurée. Je ne comprends vraiment pas pourquoi tu me pousses à te parler. Mais je pense au contraire que Sheraz et moi sommes d’accord pour penser que nous n’avons pas d’autre choix.

Ses sourcils se froncèrent alors qu’elle baissait les yeux sur ses pieds, ressassant une rancœur toujours aussi amère. Elle ne saisissait pas l’attitude de la Serpentard, ni pourquoi elle évoquait ses liens au passé. Mais la cubaine se montrait incapable de la questionner, n'ayant pas le courage de prononcer ces noms maudits.

- Tu ne peux pas me reprocher une loyauté que tu as toi-même si violemment exprimée lors de notre première rencontre. Tout comme je ne peux pas lui reprocher la sienne. C’est ainsi, nous n’y pouvons rien.

Le Serpentard reprenait la parole d’une manière douce, bien que ses paroles semblaient incompréhensibles aux oreilles de Selma. Évidemment rien de tout cela n’était de la faute de @Sheraz Mahal, mais bien de celle de cette demi-vélane qui venait mettre son insupportable nez dans leurs affaires. La rouquine lui révélait ne pas vouloir être son amie, ce à quoi Selma se retint de soupirer de soulagement en roulant des yeux. Les deux étudiantes ne pourraient jamais s’apprécier, c’était bien la seule vérité qui lui semblait immuable dans tout ce chaos.

Mais alors pourquoi s’acharnait-elle sur elle ? Si Selma la repoussait un peu violemment, cela risquait à tous les coups de lui retomber dessus. Sheraz débarquerait pour prendre la défense de son « amie », et lui reprocher sa violence toute Montero… Est-ce qu’elle voulait simplement la narguer ? Quelle injustice…

Justement, Siobhán lui décrivait le degré d’amitié qui la reliait à Sheraz, sans pour autant paraître s’amuser de cette situation. Selma ignorait seulement la raison qui la poussait à se montrer aussi faussement sincère. Haussant les épaules avec un agacement qu’elle avait de plus en plus de mal à cacher, la cubaine allait s’apprêter à tourner les talons quand un seul nom suffit à la faire se figer. Celui de la famille d’Edel. Alors, le visage blafard d’Anémone se tourna lentement vers l’étudiante, les yeux écarquillés dans ce qui ressemblait à un mélange de colère et de terreur.

Comment osait-elle parler avec autant d’insouciance de cette haine qui les poussaient elle et sa famille depuis une décennie à obtenir vengeance pour le meurtre de sa chère mère ? De quoi droit venait-elle l’évoquer pour le reprocher à Selma ? Elle qui n’avait jamais rien fait que de tenter de s’éloigner et de les protéger de ce drame ? Mais alors que la Montero craignit voir son emportement se déchaîner contre sa camarade, quelques mots de cette dernière suffirent une nouvelle fois à la rendre de marbre.

Comment ça plus une Almodovar ?

Ayant du mal à comprendre la teneur de ses paroles, Selma fixa stupidement la main que lui présentait Siobhán. Son apparence se modula légèrement sans pour autant reprendre ses traits habituels. La demi-vélane détourna pudiquement le regard de son inspection et Selma reçut en plein fouet cette douleur sourde qu’elle réprimait devant elle. Voilà donc pourquoi elle s’était exprimée au passé un peu plus tôt ?

La Montero mit de bien longues secondes avant de saisir ce qui se déroulait sous ses yeux, et encore bien d’autres avant de savoir comment réagir. Peu de temps après leur mariage, Siobhán et Edel s’était quittés... Cette décision semblait avoir été brutale, et peut-être même prise uniquement par lui… Lentement, Selma leva sa main comme pour s’emparer de celle de Siobhán avant de se raviser, croisant les bras pour se donner une contenance.

Elle leva deux iris qui avait repris un aspect bien plus sombre et similaire à son regard originel sur les deux pâles opales de la Serpentard avant d’ouvrir des lèvres tremblantes.

- Je suis désolée…

Que dire de plus ? Que ce rat ne savait que faire du mal autour de lui, comme toutes les autres vermines de sa famille ? Que la Serpentard ne serait ni la première et ni la dernière à souffrir par sa faute ? Que Siobhán serait bien mieux sans lui ? Qu’il ne pouvait rien lui arriver de mieux qu’une séparation pour fuir cette cage toxique et enfermante qu’il avait dû créer pour elle ? Qu’il ne la méritait pas, pas plus qu’il ne méritait d’être jamais heureux ? La jeune sorcière ne désirait sans doute rien entendre de tout cela… Mais Selma ne savait que dire, ni que faire dans ce genre de situation. Elle ne savait pas plus gérer la souffrance d’autrui qu’’elle avait su se sortir de la sienne quand ce même vaurien l’avait brutalement quittée puis cruellement humiliée. La cubaine n’était douée ni dans ses choix de mots, ni dans ses gestes. Mais sans savoir pourquoi – et une part d’elle fut absolument horrifiée par cette initiative – elle ouvrit les bras pour attirer l’étudiante contre elle avant de lui tapoter maladroitement le dos.

- Je suis désolée, se contenta-t-elle de répéter gauchement.

Ses paumes de mains moites à l’idée d’avoir touché quelqu’un, transpirant d’angoisse devant sa bulle d’intimité réduite à peau de crapaud, Selma se sentit rapetisser de manière presque imperceptible. Sa peau redevint très légèrement halée – bien plus pâle cependant que le ton chaud qu’elle avait pu prendre sous le soleil de Cuba. Ses cheveux se rigidifièrent pour se brunir. Ses pupilles sombres se fixèrent sur les pâles opales de la Serpentard qui la dévisageaient avec un air hautain lui ressemblant bien plus. L’une comme l’autre étaient redevenues elles-mêmes.

La Montero, sous sa véritable apparence, fit un pas prudent en arrière alors que le chaton en face d’elle s’agitait en lui sifflant dessus. La scène lui fit penser à un petit félin sauvé des eaux, trempé jusqu’aux os, mais sortant les crocs à la première main tendue vers lui. Une incapacité à faire confiance et à se laisser aller… La cubaine ne se rendit pas une seule une seconde qu’elle avait exactement le même profil.

Pourquoi Siobhán venait-elle de lui expliquer sa misérable situation si elle n’espérait pas un peu de compassion de sa part ? Prenait-elle Selma pour un tel monstre qu’elle la pensait incapable de pitié ? La cubaine fronça les sourcils en l’observant s’éloigner quelques instants avant que l’étudiante ne revienne lui faire face du haut de son orgueil sublimé par son sang de vélane.

Mais étonnamment, son discours fut bien plus doux que ce que son air farouche laissait supposer, et la Serdaigle se raidit en l’écoutant, les yeux agrandis par la surprise. Plusieurs émotions se mêlaient en elle, se confrontant avec fracas sans qu’elle n’en montre le moindre signe. Les deux étudiantes semblaient toutes deux expertes pour camoufler et lisser autant que possible les expressions de leurs visages, et seuls quelques signes subsistaient, prouvant qu’elles n’étaient pas en train de commenter tranquillement les résultats des derniers matchs de la saison. Était-ce ça qui plaisait tant à @Sheraz Mahal ?

Une part de Selma – son noyau dur de fierté qui la faisait se tenir encore debout après toutes les épreuves qu’elle avait subi – trouvait intolérable que sa rivale donne si impunément son avis sur sa propre vie sentimentale. Cependant, une autre part d’elle, un poil de demiguise plus majoritaire, se voyait déconcertée et profondément touchée par la promesse de la Serpentard de ne jamais lui nuire. Siobhán semblait sincère, et la Serdaigle ressenti une petite pique de culpabilité en se rendant compte que lui rétorquer la même chose lui serait très difficile.

Aussi, oscillant entre l’envie de l’insulter en espagnol et celle de la remercier, la Serdaigle resta silencieuse, se contentant de croiser les bras pour se redonner un peu de contenance. Quelle était la suite, après ces gênantes déclarations ? Selma n’était pas prête d’oublier les regards de Sheraz sur la demi-vélane, ou comme son air s’éclaircissait quand il la voyait entrer dans une pièce… Ce simple souvenir suffisait à la glacer d’une rage froide. La Montero aurait été ravie si Siobhán lui promettait à présent qu’elle ne reverrait plus jamais son ami. Cependant, c’était aussi prendre le risque de voir se faner le sourire niais du visage de Sheraz…

Alors, inspirant profondément, Selma s’avança vers la rouquine qui était déjà en train de ranger ses affaires pour lui tendre la main afin de sceller leur marché.

- Je ne t’aime pas beaucoup, tint-elle à la prévenir par souci de transparence, mais Sheraz si. Alors je te promets moi aussi de ne pas chercher à te nuire… ni à t’éloigner de Sheraz…

Siobhán lui avait dit un peu plus tôt qu’elle ne souhaitait que son bonheur… Ces mots là auraient été bien trop compliqués à formuler pour Selma. Tout ce que la cubaine pouvait faire, c’était de reconnaître que Sheraz et Siobhán avaient besoin l’un de l’autre, et qu’elle ne ferait rien pour les séparer. Le reste était de l’ordre de l’inconnu et la Montero aurait été bien incapable de prédire ce qui allait se passer à présent, ni si elle serait assez forte pour accepter cet état de fait.