Unfortunate (Maddox)

17 Décembre.
Wicklow Mountains.
Repère caché des Oracles d’Irlande.

Assis en tailleur, au milieu de cette clairière, je regardais les trois druides en face de moi. Deux étaient des femmes, un était un homme avec une barbe immense, et tous les trois avaient l’avantage d’être plus âgés que moi. Bien plus âgé. Faisant brûler quelques herbes dont je ne connaissais pas l’existence malgré mes connaissances, je les écoutais parler, tel un murmure dans un vieux dialecte régionale ancien et oublié, proche du gaélique irlandais. Bien évidemment, ils me considéraient encore comme un gamin, fils des Korrigan et dernier héritier. Et non comme le Directeur de Poudlard. Ca avait son avantage et il fallait croire que ce n’était pas plus mal. Impatient donc, je les laissais observer les signes du Destin devant moi, sans que je n’y comprenne quoi que ce soit. La fumée changea, de couleur et de forme. Puis, il y eut un silence. Ou tous trois m’observèrent un peu amusé.

« Mon destin est si drôle que ça ?! » dis-je avec un petit air de défi pour briser la glace.

Ils savaient très bien ce que je pensais d’eux. Ils étaient dépassés, arriérés, et usaient d’une magie trop ancienne pour rivaliser avec la modernité de la Métamorphose moderne. Mais, ce n’était pas parce que je ne maitrisais pas une forme de magie que je ne la respectais pas et que je n’en comprenais pas le sens. J’avais l’expérience qui allait avec. C’était surtout leur philosophie à la noix qui était dépassé…

« Toujours aussi impatient… Toujours aussi impertinent... » commença la plus vieille d’entre elle à ma gauche.

« Oui, mais je suis pas là pour lire le passé ou le présent... »

Rien. Ils ne répondirent rien à ma petite pique. Ni en positif, ni en négatif. Ils se contentaient d’être de marbre, au milieu de cette fumée, qui devait aussi avoir des effets psychotropes car je crus voir leurs pupilles se dilater légèrement. Bon sang, j’allais être défoncé.

« Les lignes du destin ne sont pas droites, ni gravés dans les oghams, Luke Korrigan. Elles sont souples, malléables et encore en mouvement. Perpétuelles. »

Je fis une grimace. La fumée lui montait déjà à la tête. Je soupirais. Ce qu’il était en train de me dire était digne de l’introduction d’un manuel de Divination. C’était nulle, et ça me confortait dans le choix que j’avais l’an prochain de virer cette matière du programme pour la remplacer par un cours plus large et culturel sur le sujet.

« Oui, ça, je le sais malheureusement. Mais… Je suis venu en quête de réponse. Je veux savoir si ma famille est en danger. »

J’avais déjà poser cette question. Je n’étais venu que pour ça. Mes yeux se posèrent sur un, et j’attendis la suite. Ils se regardèrent, se consultèrent du regard. Les lignes autour de moi se firent plus trouble… A cause de la fumée. Des visions se mirent à apparaître un peu partout. Putain, j’allais me faire détrousser comme un bleu par trois junkies du troisième âge. Pourquoi j’étais venu.

« Il te faudra d’abord trouver ce que tu as perdu. Pour récupérer ce que tu as égaré, jeune homme. »

Je clignais des yeux. Des vapeurs m’envahirent et je vis des visions d’un endroit que je connaissais malheureusement bien, situé au niveau du Marché au Troll. C’était à n’y rien comprendre du tout.

« Super... » commençais-je, mais celle de gauche me coupa un peu brusquement.

« Trouve ce que tu as perdu. Et tu comprendras ce qui s’est égaré. Tout se dénouera et la ligne sera simple à suivre... »

Je voulus répondre. Mais, quand je j’ouvris la bouche, les visions du Marché au Troll se firent plus intense et je sombrais dans l’inconscience.


Lorsque je me réveillais, en sursaut dans la clairière, j’étais seul. Le temps avait coulé et les druides étaient parti. Mon premier réflexe fut de vérifié si j’étais habillé et si ces trois pervers en avaient pas un peu profité. Dieu merci, j’avais encore mes vêtements. Me relevant péniblement, je mis les mains à ma tête et je déclarais d’un air bougon.

« Si j’avais eu envie de me défoncer sans avoir de réponse à mon existence, j’s’rai resté chez moi pour faire ça... »

Une grande cape noire sur moi et une capuche masquant l’intégralité de mon visage, j’avançais dans les ruelles de ce No-Mans-land qu’on appelait encore aujourd’hui le Marché Au Troll. Si, pour les plus ignorants, c’était une véritable surprise de me voir marcher dans cette ruelle, ceux qui me connaissaient depuis longtemps ne serait pas étonné de me voir. Je venais depuis que j’étais jeune, et que mon père avait eu affaire à des étrangers, pour des raisons obscurs. Depuis, je n’avais cessé de revenir ponctuellement dans cet endroit. Parfois pour boire un verre dans un endroit malfamé, juste pour que l’adrénaline monte un peu. Parfois pour venir aider un ami dans la détresse. Parfois pour aller voir les filles de joies, et passer un peu de temps avec elle. Beaucoup parler, et faire peu. Comme toujours. Au moins, elles savaient garder les secrets. Et aussi, parfois, comme la dernière fois que j’étais venu, pour continuer à avancer dans mes travaux sur les maudits de sang. C’était d’ailleurs, avec un petit sourire en coin, que je passais devant la boutique de Saskia. Je n’avais pas eu de nouvelles de la jeune femme depuis quelques temps et… comme on disait : pas de nouvelles, bonnes nouvelles.
Seulement voilà. J’avais revêtu cette cape, pour éviter d’être reconnu. Si jamais un Directeur d’Université était visible ici, ça le faisait moyen pour l’image de l’école. Avançant donc, comme à peu prêt 15 % de la population ici à visage masqué, je me dirigeais vers l’échoppe du coin, à savoir le Veritaserum.
C’était là le point de départ pour toute quête, pour quelqu’un qui cherchait quelque chose dans cet endroit. Et autant dire, qu’avec les informations que j’avais… Je n’allais pas aller bien loin. Au pire, j’irai boire jusqu’à ce que je sois trop saoul pour garder ma cape sur moi, et je rentrerais à Poudlard illico. Le plan n’était pas si mauvais…
Passant les portes donc, je vérifiais que ma baguette était bien sur moi. Et, c’est en vérifiant cette dernière, que je percutais quelqu’un de plein fouet. Sonné au départ, parce que son épaule avait tapé sur ma tempe, je relevais la tête pour tomber nez à nez avec un jeune garçon, brun, en âge d’aller à Poudlard, mais qui j’en étais certains, ne faisait pas parti des registres.

« Attention où tu vas petit. Et ça, je déconseille fortement. »

Ma main s’était enroulé autour de son poignet qui s’était dirigé vers ma bourse. Mon regard bleu se dessina ainsi qu’une partie de mon visage sous ma cape, assez pour qu’il m’identifie, aussi proche qu’il était.

« Tu devrais pas d’ailleurs être à Poudlard plutôt que de tenter des conneries du genre ? »

Il ne s’était pas attendu à le croiser ici.

Pour être honnête, il n’avait pas pensé qu’il reviendrait, mais fallait croire que le gourmand allait forcément chercher de quoi s’abreuver. Se grattant nerveusement le menton, Maddox l’observa de loin, accoudé contre un chambranle qui branlait plus qu’il ne chambrait. Derrière la porte, une petite boutique de composants magiques de laquelle il sortait après avoir fini de négocier ce qu’on avait voulu qu’il achète. Il ignorait bien pourquoi les Verts Galants avaient besoin de tout ça, mais une chose était certaine, Alice serait ravie de son efficacité.

Maddox avait envoyé Jab faire la livraison, d’autant qu’ils n’étaient pas très loin du lieu de rendez-vous et qu’il s’agissait de quelqu’un de la maison. Lui restait là, observant la masse encapuchonnée qui tentait de se cacher, mais c’était comme si toute la rue était silencieuse et qu’il ne voyait que lui.

Pourquoi s’intéressait à ce pauvre damné ? Maddox aurait dû savoir. Se mêler aux gens du Dessus n’étaient jamais une bonne idée. Il en avait vu des nanas de chez Carmilla partir la bouche en cœur, dans toute l’arrogance de celle qui se pense sauvée, de celle qui s’affranchit de sa condition. Chouchoutée dans la maison de passe, violemment remise aux tâches ménagères d’un foyer ingrat, à élever des chiards vulgaires et bruyants.

Tatie Aimee n’avait pas apprécié le voyage. Elle était partie après avoir pondu le quatrième. La quatrième goutte de trop. Ce n’était pas qu’elle ne les aimait pas, ça restait ses gamins, mais ils étaient chacun un triste reflet du mari qu’elle avait fini par détester. Et tout ce joyeux petit paquet avait fini par lui faire tourner le sang et les talons.

Car finalement, les gens du Dessus étaient trop différents pour les comprendre, et eux trop difficiles, trop sauvages pour s’accoutumer. Difficile de dompter les rats des égouts, qui mordent et qui vagabondent.

Sortant de ses pensées mornes, le gamin termina par s’écarter du chambranle quand un client tentait d’entrer. Il poussa un petit juron, de la même façon que le gars qui refermait derrière lui la porte, faisant criait un peu plus l’encadrement en bois.

Le regard de Maddox balaya la ruelle qui était calme ce soir, et il se mit finalement sur les talons de l’encapuchonné, dans l’idée de le rejoindre, ou peut-être seulement de le suivre. Il n’avait pas encore décidé. Un type comme lui devait avoir un petit peu d’argent, non ? Une ou deux pièces mal gagnées, voilà qui faisait toujours plaisir aux accrocs de la rapine.

L’homme s’arrêta quelques instants, et Mad en profita, approchant calmement jusqu’à lui. Sa main droite s’échappa de son habit mais fut bien vite interceptée par l’homme qui lui jeta un regard étonnement sérieux. Le garçon leva un sourcil, amusé par la réaction. Les gens du Dessus étaient vraiment étranges. Ici, s’il s’en était pris à la mauvaise personne et d’une façon aussi grossière, c’était la main qu’il aurait perdue, à coup sûr. Combien de fois avait-il dû supplier, gamin, pour échapper à la punition d’une vie ?

Finalement, Maddox eut un plus grand sourire, mi-moqueur, mi-joueur.

« Vous vous trompez je pense, ce ne sont pas des conneries, c’est de l’escroquerie », minauda Maddox, alors que son autre main pointait doucement sur Luke Korrigan sa propre baguette, qu’il avait réussi à subtiliser en utilisant sa première main comme un vulgaire appât, et l’homme s’était pris au piège. Toujours simple et efficace. Pas besoin de beaucoup plus de sensationnel pour que ça fasse son effet.

« Ça fera cinquante gallions pour la récupérer, et ne faites pas trop de grabuge, je connais bien les videurs ici » commenta le garçon, visiblement habitué à ce genre de tour de passe-passe.

« Et franchement, Poudlard… Qu’est-ce que cette école toute moisie aurait à m’apprendre de plus que le Marché n’offre ? »

Ça, c’était purement personnel. Il fallait bien qu’il se défoule un peu.

Ma propre baguette pointait sur ma poitrine, je croisais finalement les bras en lui lâchant le poignet et je roulais des yeux. J’étais quelqu’un d’assez naïf pour m’être laissé avoir comme un bleu. Je pensais avoir l’ascendant sur lui, alors qu’en réalité c’était l’inverse. Les gamins d’ici étaient d’une autre trempe que ceux de Poudlard… Bien que moins académique, ils avaient développé des techniques qui, si on s’était donné la peine de les coucher sur du parchemin, aurait pris plusieurs grimoires.

« Déjà, on y apprend le civisme. A savoir que le vol n’est pas une solution et que notre intelligence peut être au service de la communauté plutôt que pour son usage strictement personnel... »

Je mis ma main sous le menton, me demandant la liste des choses qu’on pouvait apprendre à Poudlard et pas ici. Le sujet était vraiment intéressant.

« Et si je devais faire une liste plus conséquente, on y passerait certainement des heures. Donc rends moi ma baguette. Je te donnerai les gallions après. Désolé de vouloir faire la fine bouche, mais tu peux partir avec la baguette et mes cinquante gallions ! Me prends pas pour un con ptit. »

Je n’utilisais pas le même langage avec lui qu’avec mes étudiants. Avec lui, qui n’avait rien à voir avec l’Université, je pouvais me lâcher et être moi même. D’ailleurs, cette histoire de cinquante gallion était un cul de sac. Car il devait déjà s’imaginer que s’il me rendait ma baguette… J’allais lui exploser la gueule.

« Et j’vais t’apprendre aussi la confiance. Tu me rends ma baguette avant que je te donne les 50 gallions, et je t’en file 100. Dans tous les cas tu es gagnant. Oh, et d’ailleurs, tu auras du mal à te servir de cette baguette. Elle est particulièrement spécialisée et elle a été fabriqué pour moi afin de manipuler l’environnement, notamment les éléments fixes et énergétiques comme les pierres. En plus elle est adapté à la paume de ma main et la mienne est plus fine que la majorité des hommes. Ca me rend plus sexy. Mais malheureusement t’en tirera pas un bon prix... »

Je ricanais un peu, et je continuais à parler. Je comptais bien le saouler jusqu’à ce qu’il en est marre. Je fronçais les sourcils en observant justement la paume de sa main.

« D’ailleurs t’as l’air d’avoir un truc assez similaire. Les filles adorent hein ! Ou les gars, j’te jugerai pas si c’est ton truc. Hmmm. Tu pourrais aussi partir avec ma baguette et sans mon argent. Ou avec ma baguette et avec mon argent… D’ailleurs qui te dit que j’en ai besoin pour t’envoyer un maléfice ? Tu dois savoir qui je suis. Les gens d’ici s’attaquent pas au premier v’nu. »

D’un geste calme et lent, j’ouvrais ma veste et je dévoilais une petite carte de visite de Poudlard. Je la plaçais entre deux de ses doigts fermés qui tenait fermement ma propre baguette avec lenteur.

« Tiens, si jamais l’envie t’en prends. Bon, prends ta décision je suis assez pressé. »

« L’individualisme a du bon, vous savez » commenta simplement Maddox, se faisant la réflexion que prôner encore et toujours le bien être de la communauté et de la société ne rendaient pas les hommes meilleurs, mais simplement plus grégaires et faibles. En acceptant la nature et sa cruauté, Mad avait l’impression d’être devenue la meilleure version de lui-même, en ce qu’il avait dû se hisser au-delà des adversités et des dangers pour survivre.

Il aurait pu creuser davantage le sujet si les pensées de Luke Korrigan n’étaient pas en train de parasiter les siennes, aussi le Crook plissa doucement les yeux, se concentrant davantage sur Luke, toujours prudent même si l’arnaque semblait simple et l’homme naïf.

Enfin, naïf. Peut-être pas. Mais pas non plus habitué à ce genre de deal visiblement.

Mad eut un large sourire au fur et à mesure que Korrigan l’inondait de ses mots, et semblable à un adolescent, il n’avait l’air que d’écouter que d’une oreille, et encore, elle était peu attentive. Il se demandait quel calvaire devait vivre les jeunes gens qui le connaissaient, et s’il avait un jour été professeur, alors l’école devait être un enfer. Que Merlin bénisse le décrochage scolaire et l’école de la rue.

Un instant, le voleur se demanda s’il devait le faire courir un peu, ou s’il devait faire cesser rapidement la petite blague. Une petite voix l’appelait à laisser couler et passer son chemin, que ce genre d’homme ne méritait pas son attention, alors qu’une autre cherchait seulement à faire vriller ce pauvre hère. A l’agacer. A le titiller jusqu’à que les nerfs ne craquent.

D’un geste rapide de la main, Mad attrapa la carte de sa main gauche. Elle ne resta que quelques secondes entre ses doigts fins et abîmés qu’elle prit feu juste sous leurs yeux, disparaissant en une poussière fine aussi vite qu’elle était apparue.

« Monsieur Korrigan, je crains que vous ne soyez entendus que par les personnes qui veulent bien vous écouter, et ce n’est pas mon cas », s’amusa Mad, reculant cette fois d’un pas, puis d’un second, rapide et agile comme un chat sauvage, comme un chat des rues.

« Cent pièces tout de suite, ou je pars avec la baguette. Je suis certain qu’elle se revendre très chère sur le marché noir. Une baguette de Directeur de Poudlard, ça doit bien coûter cent cinquante pièces d’ailleurs… Alors ça sera cent cinquante pièces », conclut Maddox, le regard acéré.

Mettre de la distance entre Luke et lui allaient lui permettre de mieux gérer la distance.

« Et vous me les donnerez avant, bien sûr. Je vous ai entendu parler de confiance, et vous savez ce qu’on dit, charité bien ordonnée commence par soi-même. »

Le garçon fit un petit clin d’œil amusé. Son visage lui donnait bientôt un petit air de renard, et son accent irlandais sonnait sur ses lippes comme une chanson moqueuse.

« Tu sais combien ça coûte d’imprimer les cartes de visite ? Bon t’as pas l’air du genre à payer des impôts mais tu devrais quand même te renseigner ! Une vraie fortune… T’aurais pu juste me la rendre. »

Je continuais, les bras croisés. Je n’étais pas effrayé par ce jeune homme car s’il avait voulu m’éliminer simplement sans m’écouter, il l’aurait fait depuis longtemps. Je cherchais simplement la réponse à cette foutue question d’ailleurs. Pourquoi me laissait-il parler ? Alors qu’il était en position de force ? Me craignait-il même avec ma propre baguette pointée sur moi ou voulait-il autre chose ?

« T’es dur en affaire toi. » dis-je simplement.

Prenant mon chapeau havre-sac, je l’enlevais de ma tête et je commençais à chercher ma bourse. On entendit quelques tintement de pièce et je pris alors mon temps. Car d’un, on n’était pas pressé, et de deux je commençais à avoir une belle sympathie pour ce jeune homme. Même si je ne l’avouais pas, je passais un super moment.

« Tu penses qu’une baguette de Directeur vaut vraiment plus ? Tu te fourvoies mon ami. Ce n’est pas un titre qui donne la valeur à la baguette, mais son sorcier. Et au risque de te décevoir, je suis juste un sorcier lambda. Je n’apparais dans aucun livre d’histoire, et pour ce qui est des gazettes, je ne sais pas si tu les lies, mais je suis plutôt critiqué. Je pense même que pour le coup, elle vaut moins qu’une baguette standard ! »

Un léger sourire aux lèvres, je lui tendis la bourse que je lui jetais sans soucis. Il aurait pu me demander 500, j’aurai payé pour ce petit spectacle et cette petite entrevue sans soucis. Comme un gai-luron en voyage, je déclarais d’un air amusé :

« Et tu sais ce qu’on dit, il ne faut pas laisser traîner une dette, une plaie ou le feu ! Il y a 154 Gallions 25 Mornilles et 6 Noises. Tu peux vérifier, je suis pas un menteur, malgré ce que mes propres enfants s’évertuent à me dire. »

Masquer la vérité pour protéger n’était pas vraiment mentir. Idem quand il s’agissait d’honorer un serment et de devoir mentir pour l’honorer. La première parole avait toujours valeur de loi absolue, car si on la trahissait, au final on ne valait pas grand-chose. Je décroisais mes bras et je tendis la main pour qu’il me rende ma baguette :

« Les 4 Gallions 25 Mornilles et 6 Noises, c’est cadeau. T’as l’air futé c’est vraiment dommage que tu ne veuilles pas aller à l’Université. Mais, je ne vais pas insister. Les gens malins le deviennent parce que le monde est trop cruel pour eux. La naïveté s’efface et laisse place à la machination. Avoir toujours un coup d’avance sur l’autre, c’est ça la vraie leçon que la vie nous apporte. Et… aujourd’hui, tu as gagné, félicitations. Tu avais une longueur d’avance sur moi et j’ai été battu. Tu peux rajouter ça à ton CV. Tu vas faire quoi avec cette petite somme hm? » dis-je toujours la main tendue.

« Je fais plus que les lire – je m’en délecte » répondit d’un air joyeux le garçon alors que Luke Korrigan était en train de compter ses pièces. Comme ça, on aurait dit un véritable Korrigan d’Irlande, en train de cacher son trésor dans son chapeau.
« Les choses n’ont de valeur que celles qu’on leur donne » conclut-il finalement, sur une note plus sérieuse, alors qu’il jetait un œil à la bourse qui s’était faite de plus en plus lourde devant lui. Sans doute trop vite. L’homme n’avait qu’à peine lutter. C’était bizarre.

L’œil avisé du Vert Galant se figea sur le visage de l’homme, beaucoup trop docile à son goût. Finalement, le garçon eut un sourire et, faisant disparaître la baguette dans sa manche comme s’il avait fait ça toute sa vie, il ouvrit l’air un peu distrait la bourse. Son pouce fit tinter ces dernières et il est vrai qu’elles brillaient toutes, tout en pesant tout ce qu’il fallait.

« Pas menteur, mh… », commenta calmement Maddox.

L’homme en faisait trop, et Maddox avait bien compris la leçon après avoir prit une ou deux roustes de la part des vétérans. On ne vole pas plus fort que soit, en revanche, il ne faut pas se faire prendre pour un con non plus.

« Une telle générosité est fortement appréciée », l’œil de Maddox se releva sur le visage de Luke, non sans être fendu d’un large sourire.

Il attrapa calmement une pièce qu’il sortit de la bourse, la déposa sur son pouce et, la fit virevolter en l’air. Alors qu’elle tournait frénétiquement, il lança un drôle de revelio, le genre de sortilège qu’on ne trouve qu’ici, au Marché aux Trolls. La pièce tourna plus vite encore, si vite qu’elle sembla se dédoubler. On vit apparaître la main puis bientôt le visage d’un farfadet dans une volute éthérée et dorée.

Maddox tendit sa main et rattrapa la pièce, aussitôt qu’elle retomba, emportant avec elle les apparitions en arabesques de fumées d’or.

« De l’or de farfadet, Monsieur Korrigan… Je devrais être surpris après tout votre laïus sur la confiance, mais j’imagine que vos enfants ont raison. En réalité, vous auriez sans doute dû garder ça pour vous, ça ne m’aurait peut-être pas mis la puce à l’oreille. Enfin, non… J’aurai vérifié quoi qu’il arrive » commenta le garçon, « parce que la confiance n’exclut pas le contrôle, mon ami ! »

Un petit ricanement passa sur ses lèvres, joyeux, enchanté peut-être que Luke Korrigan soit cet homme, comme il se reconnaissait un peu dans sa manière de faire, quoi qu’il était bien plus bavard. Peut-être moqueur et déçu aussi, que le Directeur de Poudlard ne soit pas cet homme impeccable et bon que la presse lui reprochait de ne pas être.

« Eh bien maintenant, nous sommes bien embêtés. Je n’ai ni argent, ni baguette », souffla Maddox, levant les deux mains d’un air théâtrale. « Comment allons-nous faire ? »

Le garçon était plus vif que Luke pouvait l’imaginer, plus filou aussi, d’une vie entière à passer à survivre, à tromper pour réussir. Si les Verts Galants l’avaient intronisé, ce n’était certainement pas parce qu’il était médiocre, bien au contraire, surtout à un si jeune âge. Il n’avait certes pas fait mieux qu’Alice Tyrell, revenue dans un coffre fermé d’une mer en furie, mais il avait sa petite réputation.

Il tourna sur lui-même, semblant chercher quelque part sur le sol ou dans son dos la baguette disparue, qui n’était peut-être plus sur lui d’ailleurs, ou peut-être que si. Difficile de savoir ce que Mad en avait fait, puisqu’il jouait particulièrement bien la comédie.

Il tira de la bourse – qu’il avait gardé en main, ça servirait toujours au bar après tout – une pièce et la tendit à Luke, alors qu’elle prenait la forme d’une baguette fort semblable à la sienne.

« Retrouvée ! Vous devriez me remercier, vous l’aviez perdu. »

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Revelio 60% réussi

Je l’observais vérifier la marchandise. Imperturbable, je ne pus cependant que lever des sourcils impressionnés quand il effectua un Revelio sans sa baguette. Toujours curieux et avide de nouveaux savoirs, je le regardais faire comme un gamin de 8 ans, oubliant l’espace d’un instant qu’il m’avait pris ma baguette.

« C’est impressionnant. Tu es vraiment futé gamin ! Tu irais à coup sûr à Serdaigle ! Les gens oublient que les Serdaigles ne sont pas tous des gens très studieux… On peut en avoir dans le chamalow et faire de son intelligence toute sorte de chose. Tu m’épates ! »

Je le regardais ensuite faire son tour de passe passe en prenant un gallion de farfadet pour le transformer en baguette. C’était très bien fait et louable de sa part, mais il ne fallait pas non plus me prendre pour un pigeon. Je me mis à ricaner, toujours les bras croisés et je fis une mine appréciatrice quand je vis le résultat. Curieux comme toujours, je m’approchais pour observer la finesse de la Métamorphose.

« C’est vraiment excellent. » dis-je encore impressionné. « Tu as réussi à retenir tous les détails de l’ouvrage alors que tu ne l’as vu que quelques secondes pour imposer ensuite ta volonté à ce gallion qui soit dit au passage n’est pas la chose la plus aisé à transformer vu qu’il est déjà imprégné de magie. Brillant brillant... »

Je soupirai alors, enlevant encore une fois mon chapeau de ma tête. Le visage un peu déçu et vraiment navré parce ce que j’allais faire. Avec un sourire désolé, je commençais à lui expliquer…

« Je suis venu ici dans une optique précise, et tu es en train de me mettre en retard. Comme tu le vois, je suis quelqu’un qui aime bien préparer ses sorties quand je sors du Château. Je ne laisse rien au hasard et tomber sur un bandit de grand chemin faisait partie des scénarios probables. »

Je fis tourner plusieurs fois le chapeau en feutre élégant dans mes mains.

« Il y a encore un scénario, où mon agresseur est assez futé pour me mettre dans une position assez inconfortable, et que je suis vraiment dans la mouise jusqu’au cou. Mes félicitations jeune homme, nous entrons dans ce scenario ! »

Tout enjoué, je fis tourner une nouvelle fois mon chapeau, et avec un petit air espiègle je déclarais :

« Flinky ? Tu veux bien sortir s’il te plaît ? »

Même si nous étions liés par un contrat magique très ancien lui et moi, par nos deux familles respectives, je tenais un respect profond pour lui. Plusieurs fois, j’avais essayé de le libérer mais jamais il n’avait voulu. A l’époque où mon père me battait, car je n’étais soit disant pas assez solide pour être un bon chasseur Korrigan, c’était lui qui pensait mes plaies avec soins. Et je pensais les siennes, car, en plus d’être un bon père, c’était aussi un merveilleux maître… Depuis, une véritable amitié avait vu le jour.
Lentement, un elfe qui ne semblait être ni trop jeune, ni trop vieux en sortie. Ses longs petits doigts fins se posèrent sur le rebord de mon chapeau, et il réussit à s’en extirper. Il était vêtu des armoiries de Poudlard lui aussi, et il avait également l’écusson de la famille Korrigan sur son blaser qu’il tenait avec le plus grand soin.

« Maître Luke a des ennuis ?! » dit-il d’un ton un peu paniqué mais prêt à en découdre et protéger son maître coute que coute.

Il regarda alternativement Maddox et moi. Je l’avais mis dans mon Havre-sac car je ne savais pas s’il pouvait venir avec moi au Marché par téléportation. Même si la magie des elfes était quelque chose de puissant… Les êtres qui avaient conçu cet endroit avaient forcément pensé à tout. Je lui avais promis que le moment ne serait pas long. Il s’étira et fit chauffer ses petits doigts, prêt à faire feu.

« Oui ! Figure toi que ce jeune homme s’amuse depuis tout à l’heure avec ma baguette, qu’il m’a dérobé et... »

Là, l’elfe vit tout rouge, et il commença à brandir son petit poing vers Maddox.

« COMMENT ?! VOUS AVEZ OSE JOUER UN TOUR A MAITRE LUKE ? MAIS QUE LE DIABLE VOUS EMPORTE MON AMI ! VOUS ALLEZ LE PAYER AU CENTUPLE ! »

Je me mis à rire et je croisais les bras, toujours aussi fier de la fidélité qu’il me portait.

« Du calme. On va juste lui donner une petite leçon. Qu’il comprenne que parfois, il peut tomber sur plus malin que lui. Allez, mets le moi déjà la tête en bas qu’on voit ce qu’il a dans les poches ! » dis-je d’un ton enjoué « Mais doucement, il est quand même sympathique. »

Sur ce faits, l’elfe hocha la tête et se tourna vers Maddox, prêt à en découdre. Il claqua des doigts. Il y eu une petite étincelle de magie mais… rien ne se produisit.

« Hein ? » dit Flinky en regardant ses propres doigts.

Il réessaya. Encore une fois. Rien ne se produisit. Mon sourire s’effaça immédiatement, car je n’avais jamais vu la magie des elfes dysfonctionner sous mes yeux. De mémoire d’ailleurs, aucun évènement semblable n’avait été référencé dans les grimoires.
Quelque soit le sorcier, quelque soit l’être, la Magie des Elfes marchaient toujours. Toujours… jusqu’à aujourd’hui.

« Flinky, viens derrière moi s’il te plait. Ce n'est pas grave mon grand.»

Flinky, abasourdi et paniqué obéit. Ne pouvant plus défendre son maître, il passa derrière moi les larmes aux yeux. Je mis une main sur son torse et calmement, je le mis bien derrière moi pour le protéger de mon corps.
Là, je ne souriais plus.

« Ok. T’es quoi au juste ? » dis-je cette fois-ci d’un ton froid, menaçant et fort.

Mon attitude avait changé, et ce n’était pas beau à voir.

Maddox resta muet quand Luke approcha pour voir son travail, mais surtout car le professeur ne cherchait pas à l’enfoncer ou s’agacer de la situation. Au lieu de ça, il prenait véritablement le temps de regarder la baguette et même de le féliciter. Le jeune Crookhaven plissa les yeux, mais sa legilimencie ne fut d’aucune aide : Luke Korrigan était sincère, ce n’était même pas de la duperie ou une supercherie.
Il était véritablement impressionné.

Le Vert Galant recula doucement la main, alors que le Directeur de Poudlard retirait désormais son chapeau. Maddox plissa le nez, reculant d’un petit pas, s’attendant à quelque chose, mais rien ne vint. Au lieu de ça, le chapeau tournait désormais, encore, et encore.

« Est-ce vraiment une bonne chose ? » commenta sur le même ton Maddox, alors que Luke avouait être en difficulté, mais restait malgré tout enjoué.

Qu’est-ce qui ne tournait pas rond dans le crâne de cet homme ?
La question était quelque peu culottée quand on savait combien ça ne tournait pas rond dans la sienne, mais il fallait bien se la poser quand on avait enfin l’énergumène en face de soi. Ca n’avait jamais été un rêve de gamin, mais il fallait bien avouer que ça faisait son effet.

« Un elfe de maison ? » maugréa Maddox, en tournant son regard vers l’elfe qui sortit lentement - il prenait son temps comme si tout ça n’était qu’une fichue blague, mais il avait pourtant la baguette du Directeur de Poudlard entre les doigts !

Le regard du voleur glissa sur le visage de Luke alors que l’elfe était agité.

Et l’agitation ne retomba pas, d’autant que Luke remit de l’huile sur le feu. Maddox haussa un sourcil, pas inquiet pour un sou. Ce n’était jamais qu’un énième elfe de maison, et si leur magie était redoutable, c’était au Marché le cadet de ses soucis. Il y avait des poissons bien plus gros dans cette marre trop petite.

« On se calme le gnome de jardin » marmonna le garçon, faisant tourner entre ses doigts la fausse baguette. « Rien ne sert d’avoir des oreilles aussi longues si c’est pour crier » termina-t-il, nonchalant.

L’elfe claqua des doigts, mais rien ne se passa.

Maddox jeta un regard curieux à l’elfe.

« Mh ? »

Il tourna son regard vers Luke Korrigan alors que l’elfe recommençait à s’agiter.

« Il a l’air cassé votre gno... », mais sa phrase se mourut aussitôt que le visage du Korrigan se mit à se transformer, à être pris d’une véritable frayeur.

Qu’est-ce que ça pouvait signifier ?

L’elfe continuait de claquer des doigts, et plus il le faisait, plus Maddox remarqua que ses oreilles tombaient, plus son visage se liquéfiait dans un mélange de honte et d’angoisse, jusqu’à que les larmes ne bordent ses yeux effrayés.

Korrigan se mit finalement devant son domestique, son sourire et son air enjoué envolés.

La pensée qui traversa l’homme traversa au même moment le crâne de Maddox, se rendant compte soudainement de l’enjeu. Du début de réponse qu’il venait d’offrir sans le vouloir.

Il resta quelques longues secondes immobile, se demandant ce qu’il devait désormais faire.

Lui dire ?

Fuir ?

Il fit tourner la réplique de la baguette.

« Vous avez peur, monsieur Korrigan ? »

La baguette tournait toujours entre ses doigts.

Il cherchait ses mots. La tournure.
Quel choix faire ?

Le temps était compté, il le sentait.

« Un fils de pute comme les autres, j’imagine », s’amusa le legilimens.

La baguette tournait encore.

« Je vous ai fait perdre votre temps, maintenant il va falloir que vous trouviez une bonne excuse pour expliquer tout ça. »

Un sourire fin passa sur le visage de Maddox.

La baguette s’arrêta de tourner et il la jeta en direction de Luke, non pas pour le blesser ou l’abîmer, mais dans une réelle volonté de le lui rendre.
Après quoi, Maddox recula, comprenant qu’il venait de rendre à un homme dangereux une arme, mais il mettait une pièce - une vraie, pas de farfadet - sur le fait qu’il ne prendrait pas ombrage de cette petite perte de temps.

« A bientôt, Luke. »

Et comme il disait ça, la main de l’irlandais attrapait un chariot qui fendit la foule en deux, séparant brusquement Luke de Maddox. Grimpé sur une marche à l’arrière, la silhouette de l’adolescent se découpait vulgairement et difficilement, mais il aida à être repéré en faisant un petit mouvement de main en direction du Korrigan, une fois au loin et certain de ne pas être rattrapé.

Il ne lâcha le carrosse qu’au moment où le fouet du cocher lui effleura le haut du crâne.

Un gobelin se pencha, aboyant quelques mots en gobelbabil.

Maddox ne demanda pas son reste et s’esquiva.