Your dreams are your spirit, your soul and without them your are dead.
La reprise du travail est une libération. Ne plus errer tel un spectre dans mes appartements, me sentir utile, retrouver une forme de normalité. Reprendre mes marques, ma place. Cela a quelque chose de réconfortant après ces derniers mois. Fantôme du passé, magie noire, départ de la meute, secret de famille… et l’organisation du mariage, qui me dépasse. Alors, retrouver une routine, un semblant de contrôle, de calme, ça me fait le plus grand bien.
Mais un soir, il est venu. Au départ j’ai simplement ressenti cette sensation étrange en allant jeter un œil aux tables de jeu. Un fourmillement le long de l’échine, un mauvais pressentiment que je ne pouvais expliquer. Jusqu’à ce que je croise son regard. Ce n’était pas le regard habituel qu’un client porte sur le personnel. Ses yeux n’étaient pas appréciateurs, gourmands. Non, j’avais le sentiment que cet homme m’étudiait, m’analysait. Ce n’était pas normal et ça me déplaisait au plus haut point. Parce que c’était le regard que j’offrais aux autres. Et il n’était nullement gêné que je le surprenne dans son observation. En m’approchant, j’ai senti. Qu’il était comme moi, un lycan, mais avec toujours cette désagréable sensation qui me prenait aux tripes, qui agitait mon autre, qui me poussait à partir, loin.
Mais, par fierté, je restais à l’observer, à mon tour. Un bel homme qui le savait, qui jouait de cette beauté d’une autre époque. Un profil élégant, une tenue soignée, une attitude nonchalante. Un sourire bienveillant et charmeur au prime abord mais, à regarder de plus près, ce sourire changeait et avait quelque chose de carnassier. Son regard noir brillait de malice quand il n’était pas d’une froideur sombre. Mon instinct hurlait à sa vue, c’était un combat intérieur qui commençait. La louve ne demandait qu’à aller se mettre à l’abris alors que la sorcière se refusait à laisser un potentiel danger sans surveillance. Il partit au bout de quelques heures sans faire d’histoire, non sans me lancer un dernier regard et revint le lendemain. Et le jour d’après. Et plus de signes de lui pendant plus d’une semaine. Jusqu’à aujourd’hui. Loin de l’Ensorceleur.
J’ai cru avoir halluciné, au début. Peut-être avais-je trop mangé à midi, ma digestion me demandait bien plus d’énergie que d’habitude et mon cerveau fatiguait ? J’ai changé d’alimentation depuis quelque temps, j’ai abandonné le végétarisme pour quelque chose de plus consistant pour la louve, pour trouver une force qui me manquait. Si mon corps m’en remercie, mon esprit en est affecté. Cela me ramène à mes craintes, à mes angoisses mais surtout à de mauvais souvenirs. La chair animale, sa texture… Une délicieuse torture. Les cauchemars ont été nombreux les premières nuits, me représentant toujours en prédatrice assoiffée de sang, la gueule rouge, les crocs luisants. Alors, oui, j’ai mis ça sur le dos du copieux festin de Noël. Et, surtout, qu’est-ce que ce sorcier ferait à Inverness ?
Aidonéus Talbot selon les informations qu’on avait sur lui. Sorcier français frôlant la quarantaine. Lycan non déclaré, d’ailleurs il n’y avait rien sur lui dans les fichiers du Ministère selon
@Emrys Woods. Rien du tout, ce qui est difficile à croire pour un lycan avec une telle aura. Quelles sont les chances que ce type se trouve dans cette ville, en même temps que nous alors qu’on vient célébrer Noël en famille ?
Car, oui, je me focalise sur cette famille qui m’ouvre les bras, qui m’accepte, sans poser de question. Aucune leçon de morale, aucun conseil bien-pensant qui me ferait grincer des dents. Non, aucune condition à cette acceptation. Ils m’acceptent comme
il m’a acceptée à l’époque. C’est déroutant mais tellement réconfortant, à réchauffer l’âme comme le corps. Noël en famille. Quelque chose que j’ai connu enfant jusqu’à la séparation de mes parents. Ensuite, cette fête avait un goût amer et je sentais qu’ils se forçaient pour moi. Ça n’avait plus rien de festif, de joyeux. Jusqu’à ce que les Yard m’accueillent, après ma morsure. J’avais alors redécouvert ce qu’étaient les fêtes en famille mais ne m’y étais pas sentie à ma place. Et là, je découvrais
ma nouvelle famille. Je me sentais si reconnaissante ! Cependant, après ce copieux repas, j’ai ressenti un trop plein d’émotions et le besoin de prendre l’air, seule.
Chaussée de baskets, et après m’être longtemps excusée pour ce besoin, je parcours un sentier à grandes foulées, faisant crisser la neige sous mes pieds, me vidant l’esprit. Du moins, jusqu’à ce que je croise de nouveau ce regard pénétrant et terrifiant parmi les arbres qui longent le chemin. Alors que je cligne des yeux et tourne la tête pour vérifier qu’ils ne me font pas défaut, l’homme a disparu ou l’illusion s’est envolée. La boule au ventre, assaillie par une peur ancestrale, je ralentis l’allure avant de faire demi-tour pour rejoindre la demeure familiale. Si mon esprit me joue des tours malgré le grand air, autant capituler et rentrer savourer le vin épicé, noyer ces angoisses qui n’ont pas leur place, retrouver les bras forts et aimants de mon fiancé.
Quelques minutes plus tard, grâce à une allure plus déterminée et à la lycanthropie qui coule dans mes veines, je passe la lourde porte d’entrée, toujours avec ce sentiment persistant d’être observée. Je lance un sourire à la petite assemblée, les avertis que j’ai besoin de passer sous l’eau et lance un regard appuyé à mon écossais avant de m’éclipser vers la chambre que Brigitt nous a tendrement préparée. Je me doute qu’il ressent déjà l’angoisse qui me prend à la gorge aussi je préfère être honnête. Quand il me rejoint dans la pièce, je fais déjà les cent pas aux pieds du lit.
«
Je crois qu’il est là. Talbot. » Je me mordille l’ongle du pouce tout en continuant mes aller et venu. «
Je l’ai vu entre les arbre quand je courais. »
Je sais que c’est absurde mais mon instinct refuse de me laisser en paix. Je me plante devant la fenêtre, scrute l’extérieur à la recherche de ces prunelles sombres. Rien, si ce n’est ce mauvais pressentiment qui me colle à la peau autant que la sueur qui refroidie et fait trembloter mes membres. Je me rapproche de
Léandre, viens me glisser dans ses bras, passe une main dans son cou, viens frôler du bout des doigts la chaîne en or blanc que je lui ai offerte, au bout de laquelle pend un médaillon ouvragé. Une tête de loup encerclée de runes, pour que la louve le protège même quand nous serions séparés par la distance, tant qu’il me garderait près de son cœur. Ellie en aurait eu la nausée et cette idée me confortait dans ce choix de présent.
«
Dis-moi que je suis folle. Parce que je le suis, n’est-ce pas ? Je délire. Overdose de protéine… Sans parler de la pleine lune qui approche ! »