The Fight Club
ici et là
01.11.23 tw : prostitution forcée, violence, contrainte physique, combats illégauxIl lui fallut quelques secondes pour comprendre. La migraine lui rappelait par pulsion la violence du coup qu'elle avait pris derrière la tête et cette douleur suffisait à éclipser tout le reste. Elle avait froid.
Les sbires de LongShadow avaient fini par lui tomber dessus. Elle n'avait pas tenu une semaine dans ce bouge grouillant de vie qu'était le Marché aux Trolls. Ici, ses classes d'auror ne suffisaient pas et son éducation de sang pur, même débrouillarde, était le pire handicap qui soit. Jamais jusqu'à présent elle n'en avait eu une conscience si aigüe, elle qui avait toujours cru pouvoir passer partout. Elle ne se rappelait pas grand chose au demeurant. Le goût âpre et la texture grasse de la boue dans sa bouche. La saveur incomparable de l'hémoglobine, lointaine évocation du giron sécurisant de la forge au moment où elle tournait de l'oeil sous les coups de pied et la sensation de brûlure dans l’œsophage, si caractéristique du mélange biliaire dans lequel elle finirait de passer ce sale quart d'heure, à moins qu'elle ne finisse
tout court. C'était ce qu'elle s'était dit, au moment où sa cervelle enragée de douleur avait pris le parti de tout déconnecter. Mieux valait peut-être ne pas assister à cela.
Elle avait pourtant la sensation d'avoir passé ce cap. Ses doigts froissèrent quelque chose de suavement doux. Un tissu épais et soyeux. Elle était allongée sur le dos. Il faisait chaud mais elle avait toujours froid sans trop savoir expliquer cette sensation. C'était peut-être cette douleur à l'arrière du crâne. Cela aurait pu durer jusqu'à ce qu'elle se rendorme mais tout à coup, un souffle tiède sur son visage lui fit prendre conscience de la main qui s'insinuait entre ses cuisses, agrippant goulument sa peau tendre et chaude avec un râle rauque et lubrique de délectation.
Son sang ne fit qu'un tour.
Urielle ouvrit les yeux, plissant les paupières pour se protéger de la lumière artificielle aux nuances dansantes. D'instinct, elle donna un grand coup de front dans la figure du type - un demi troll velu à la toison lustrée - qui s'apprêtait à faire sa petite affaire. Son corps endolori le lui ferait regretter amèrement après coup. Empoignant le salaud par les valseuses, elle entreprenait de l'éjecter d'un coup de talon dans l'estomac quand elle se prit le genou dans les maillons délicats d'une ceinture en toc. Le bijou vola en éclat, éveillant la sorcière à l'étrange petit univers feutré dans lequel elle se trouvait. Face à elle, le géant à la douce fourrure miel, tous crocs dehors s'apprêtait à lui en retourner une, de quoi lui dévisser la tête au point de la renvoyer dans les limbes nébuleuses où l'avaient plongée les petites mains délicates des Verts Galants avant qu'elle ne se retrouve - Merlin sait comment - à froisser les draps dans un bordel. Rompue et assez lucide sur ses chances, elle ferma fort les yeux, prête à encaisser quand la porte s'ouvrit sur un petit tas de lard scandalisé.
L'homme, phagocyté dans ses robes de soie et ses bijoux - s'il n'avait pas deux bagues à chaque doigt ça n'était pas loin - se précipita vers le géant en fureur, prêt à panser son nez cassé lui-même si ça pouvait lui éviter de se faire bouffer. Mais le
noble Rysta - c'était comme ça qu'il l'avait appelé - l'écarta d'une bourrade bien sentie, empoignant une large cape en soie de tisse-rêve avant de vider les lieux, vociférant qu'on en entendrait parler. Sur ses talons, le gros plein de soupe babillait des promesses de dédommagement astronomique en pièces sonnantes et trébuchantes, en nature, en allez-donc-savoir, il était même question d'Île des Plaisirs mais ça, l'auror n'était pas assez initiée pour comprendre de quoi il s'agissait vraiment.
Urielle observait la scène, hébétée tandis que d'autres visages pointaient le bout de leur nez par l'embrasure des portes qui jalonnaient le couloir. Des femmes superbes qui dégageaient quelque chose de tantôt inquiétant, tantôt envoutant. Le petit gros s'égosillait et s'empourprait à qui mieux mieux, rebroussant chemin jusqu'à l'alcove où la nouvelle se trouvait toujours. Apparemment, il considérait que le plus choquant dans tout cela, ça n'était pas de l'avoir grimée en pute mais plutôt d'avoir fait fuir le meilleur et le plus fidèle client de l'établissement en le défigurant.
« Mh. Si vous voulez mon avis il sera pas plus moche qu'avant. Où sont mes fringues ?! avant qu'il me prenne l'envie de vous faire le nez assorti à l'autre boule de poils ! », cracha la rousse en cherchant tout autour d'elle une tenue descente.
En se relevant tout d'un coup, elle sentit qu'elle aurait dû faire preuve de plus de mesure.
***
« Ce n'est pas la peine, on ne peut pas enlever un torque de zandalar... » ricana Babga Shah en la voyant s'y essayer pour la millième fois. Voilà qu'elle se retrouvait obligée plier à la moindre de ses demandes comme un âne bâté. S'il ne l'avait pas remise à faire le tapin c'était grâce à l'exquise réputation que lui avait taillée Rysta machin chose. Il avait été vaguement tenté quand un grand balafré s'était présenté en disant qu'il voulait en
dérouiller une mais par chance, ça n'était apparemment pas le genre de l'établissement et elle s'était retrouver à jouer les souillons jusqu'à ce matin où Babga Shah s'était lassé de lui payer le gîte et le couvert pour se faire insulter et cracher dessus. Il avait voulu lui donner une leçon et il avait pour cela une idée bien précise qui allait lui rapporter. A en juger par les clameurs surexcitées et l'affluence de gens plus bizarres encore que dans le reste du Marché aux Trolls, Urielle grinça des dents. Qu'allait-il lui tomber dessus cette fois-ci ?
La voix puissante d'une femme couvrait les hourras tandis que, apparemment, un champion venait d'allonger sa quatrième victime. La rouquine sentit sa gorge se nouer. Ca sentait le foin cette histoire. La chauffeuse appelait de nouveaux téméraires à tenter leur chance. De là où elle était, elle ne pouvait pas voir le défi vers lequel Babga Shah la poussait mais elle voyait bien que personne n'avait envie d'y aller alors elle aussi freinait des quatre fers malgré l'injonction implacable de ce stupide collier de zandalar.
« Allez, bonne chance si j'ose dire. Si tu te débrouilles bien on sera quitte... », ricana Babga Shah qui avait apparemment surtout prévu de s'amuser à ses dépends à elle.
D'une main bourrue, il la poussa dans la fosse. La chauffeuse annonça d'une voix puissante
Un sacrifice ! et les hourras reprirent plus chauds que jamais...