Confide, 'cause I'll be on your side

Le petit billet lui était parvenu en pleine étude. La mine pointilleuse de son critérium moldu avait dérapé sur le tracé soigné sur lequel il planchait et d'une main fébrile il avait décacheté le pli et avaler les quelques mots couchés sur le papier avant de s'enfuir, renversant la moitié de ses effets au passage.

Popplewell s'était décollé de la bouche de Sabrina, sa nouvelle copine, pour adresser un regard interloqué à son préfet. Ça ne ressemblait pas à leur préfet d'ordinaire si soigneux. Adressant un regard circulaire aux autres élèves présents, Popplewell avait haussé les épaules, avant de reprendre ce qu'il était en train de faire. Il laissait à @Matthew Monaghan le soin de se poser la question, après tout, depuis qu'ils avaient eu ce petit clash au sujet des soirées jeu, il y avait comme un froid entre eux.

Dans le couloir, Molly Grisham manqua perdre l'équilibre, pestant après le préfet de Poufsouffle qui l'avait quasi renversée au passage mais ce goujat ne s'arrêta même pas pour s'excuser, ce qui n'était pas étonnant de la part d'une de ces flipettes de Poufsouffle.

Bien loin de ces considérations, Sheraz filait à perdre haleine. S'il avait bien calculé l'heure, il ne pouvait pas ne pas la croiser. Elle allait retourner dans sa salle commune, sans doute après avoir traîné dans un coin tranquille pour étudier un peu à l'écart des autres. Un de ces coins tranquilles qu'il connaissait mais dans lesquels il ne la croisait plus jamais.

Résolu à attendre toute la nuit s'il le fallait, Sheraz s'adossa au mur en face de la porte au heurtoir en forme d'aigle et attendit. Il attendit même tellement longtemps qu'au bout d'un moment, il se laissa glisser au pied du mur, les genoux repliés contre son torse. Ça caillait dans les couloirs au pied de la tour et s'il s'éternisait trop, il était bon pour un rhume des fées. Mais qu'importe... quant à simplement répondre à la lettre... il n'y avait pas pensé.

Selma regagnait la tour de Serdaigle, le cœur aussi froid que les murs de pierre du château. Le givre semblait atteindre peu à peu le restant de son corps ; et pourtant, la chaleur n’avait pas quitté ses joues depuis qu’elle avait envoyé sa lettre à Sheraz. Avec le recul, elle ne savait plus bien si sa décision avait été un acte de pure bravoure, ou de complète stupidité. Il fallait dire que Sheraz ne lui avait toujours pas répondu… Plus les secondes s’écoulaient sans la moindre nouvelle de sa part, plus la cubaine se rapprochait de la constitution d’une statue de glace.

La Serdaigle avait tenté de se concentrer sur ses études mais la succession des guerres médiévales des géants ne lui avait jamais parue aussi ennuyeuse. La seule question qui lui semblait avoir de l’importance n’était pas de savoir si Krosmur l’Irascible était le premier géant à avoir su former une alliance chez les siens ; mais plutôt est-ce qu’elle n’avait pas tout gâché avec le seul ami qu’elle n’ait jamais eu. Après s’être montrée terriblement jalouse, elle n’avait fait que fuir Sheraz et l’étudiant avait évidemment fini par se lasser d’elle. D’autant plus que Siobhàn était à présent célibataire et libre comme l’air…

Se sentant étouffer dans la salle d’étude, la cubaine avait fait le choix de regagner ses quartiers. Mais en passant devant l’arche qui faisait face à l’entrée de sa salle commune, son cœur fit un bond dans sa poitrine, s’emballant tant qu’il lui parut s’enflammer en un instant. Sheraz était là, assis à même le sol, adossé contre un pilier, comme une pauvre âme en peine. En le voyant, Selma ne put s’empêcher de sourire, tandis que tous ses soucis s’envolèrent sur-le-champ. Il lui avait tant manqué, et l’apercevoir enfin suffisait amplement à son bonheur - peu importait la raison de sa présence.

- Sheraz, souffla-t-elle avec un certain soulagement en ralentissant devant lui. J’imagine que tu as bien reçu ma lettre… Merci d’être venu…

Son souffle se bloquait de manière erratique dans sa gorge, mais au moins, son apparence était intacte. C’était bien elle – Selma Montero – qui se tenait devant lui, avec son ensemble en denim sombre, surmonté d’une veste légèrement trop grande pour elle. Triturant l’anse de son sac, la Serdaigle tenta de ne pas tenir compte des palpitations nerveuses qui l’agitaient, ni de songer au poids de la révélation que sa lettre annonçait.

Il était hors de question de fuir une nouvelle fois, bien que l’idée de faire demi-tour fut assez tentante. Selma préféra s’ancrer dans le regard de son ami pour y chercher la stabilité qui lui manquait. Après tout, Sheraz avait accepté de la rencontrer, donc elle devait saisir cette opportunité pour lui dire ce qu’elle avait sur le cœur.

- Je t’ai écrit parce que j’avais quelque chose à te dire… pour t’expliquer un peu… mon comportement étrange…

A ces mots, une troupe d’étudiants sortit de la salle commune en riant bruyamment, la faisant se taire en rougissant. Oui, elle s’était promis de tout lui dire, mais est-ce que l’endroit était bien choisi ? Les bras ballants, la jeune fille dévisagea le groupe de Serdaigle avec un air sans doute un peu trop menaçant malgré elle car ils l’observèrent avec des coups d’œil apeurés en s’éloignant.

Il avait fini par tellement sombrer dans ses rêveries qu'il ne la vit pas arriver. C'est le son de sa voix qui lui fit relever le nez comme dans un sursaut spontanément heureux et comme elle souriait à son tour cela suffit à lui mettre dans la tête que les choses pouvaient bien se passer. Il n'avait quasiment plus vu ce visage depuis les trois nuits de Samhain. Il se demandait encore comment ils avaient trouvé le moyen de tout ruiner à ce point à ce moment-là, convaincu que la responsabilité était partagée. Curieusement, une petite voix lui chuchotait déjà à l'oreille que poser la question maintenant n'était pas une bonne idée. De toute manière, Selma prenait les devant. Il acquiesça, confirmant que c'était bien à la lettre qu'on devait sa présence au pied de la tour de Serdaigle. Il s'apprêtait à dire quelque chose quand elle prit à nouveau la parole, lui coupant l'herbe sous le pied et plantant du même coup une drôle d'idée dans sa tête.

Peut-être valait-il mieux ne rien dire cette fois-ci comme toutes les tentatives précédentes de dire quelque chose n'avaient fait que semer la discorde entre eux. Peut-être valait-il mieux se taire jusqu'à la fin des temps et apprendre à mieux apprécier le silence. C'était d'ailleurs très poétique comme idée et presque sans risque. Selma dût se faire la même réflexion parce que tout à coup elle se tut. A moins que ce ne fut parce que tout à coup, un troupeau de curieux venait d'envahir leur espace.

Sheraz s'éclaircit la voix, comme s'il s'apprêtait à dire quelque chose quand il était fermement convaincu qu'il n'en ferait rien. De toute manière, Miss Montero se chargea de refroidir toute envie de s'éterniser et le groupe d'étudiants déguerpi sans demander son reste. Il avait déjà souvent vu @Alejandra Montero faire cet effet aux autres, plus rarement Selma. Sans doute parce qu'elle était souriante et adorable quatre vingt dix neuf pour cent du temps contrairement à sa soeur.

« Attends : avant que toi ou moi on dise quoi que ce soit... », coupa -t-il avant qu'elle ne reparte de plus belle, « Chaque fois que j'ai essayé de te dire quelque chose ça a foiré, je sais pas trop comment quand j'y repense, mais je crois qu'il vaut mieux éviter de se parler. »

Il la regardait avec de grands yeux de chien perdu en se disant qu'il aurait mieux fait de la fermer, sentant bien toute la maladresse et les perspectives de détournement et mésinterprétations auxquels sa phrase allait être sujette. Alors avant que tout ne dérape et qu'ils soient repartis pour six mois à se faire la gueule ou à se fuir, il colla ses lèvres aux siennes dans ce qui était sans doute le baiser le plus nul et le moins naturel de la terre. Il attendit comme ça quelques secondes, dix tout au plus, et la libéra, plissant légèrement les yeux car il était bien conscient que s'il avait mal interprété sa lettre, elle allait lui coller une gifle dont il se souviendrait toute sa vie.

Le groupe d’étudiant s’était éloigné sans que Selma ne comprenne vraiment les regards surpris dans sa direction.  @Alejandra Montero lui avait bien expliqué un jour que l’expression de son visage lorsqu’il était au repos effrayait la plupart des gens, mais il était pourtant difficile de croire qu’une personne aussi petite et inoffensive qu’elle ait l’air à ce point menaçante. Le résultat était bien là cependant, et la Montero pu tourner de nouveau son attention sur son ami en prenant une grande inspiration.

Allez, ce n’était pas bien difficile à dire. C’était même très simple.

Mais Sheraz la coupa avant même qu’elle n’ouvre la bouche, lui demandant justement d’éviter de parler. Interloquée, Selma l’observa sans comprendre. Heureusement, avant qu’elle ne puisse se demander si elle devait se vexer de sa requête, il décida d’agir sans lui donner le temps de se dérober en posant ses lèvres contre les siennes.

Alors qu’elle s’était sentie de glace quelques instants auparavant, Selma eut l’impression de prendre feu instantanément. Le contact n’était pas le plus passionné qu’elle eut connu, mais ce qu’il pouvait sous-entendre répondait à toutes ses attentes, et bien au-delà même. Après ce qui lui parut le temps d’un battement de cœur, Sheraz s’éloigna de nouveau, la dévisageant avec appréhension comme s’il craignait de se faire foudroyer sur place.

Selma se contenta de l’observer, le front livide, les pommettes rosies, les mains moites et le bout de ses cheveux frisant sans contrôle. Elle prenait le temps d’assimiler l’information, son cœur battant trop fort pour qu’elle puisse entendre la moindre de ses pensées. Les grands yeux noirs du Poufsouffle posés sur elle ne l’aidait pas du tout car elle aurait pu les contempler pendant de longues heures jusqu’à s’y noyer.

La cubaine se força à dessouder ses pupilles des siennes afin de fixer ses pieds, posant son doigt sur ses lèvres comme pour raviver le souvenir du baiser tout en fronçant les sourcils. Finalement, quand elle choisit de relever le nez vers lui, ce fut pour lui dévoiler un sourire ravi, troublé, mais également affamé.

- Éviter de se parler… C’est noté. Ça me va…

Ce qui ne lui allait pas en revanche, c’était ce petit baiser qui s’était terminé bien trop tôt à son goût. Cette fois-ci, la Serdaigle mit de côté tous les principes de sa maison en réagissant de la manière la plus irraisonnée et passionnée possible. Attrapant le Poufsouffle par le col, elle se hissa sur la pointe des pieds en se jetant sur ses lèvres. Cependant, dans son élan un peu trop ardent, elle plaqua Sheraz contre le mur, lui faisant involontairement cogner violemment la tête contre la colonnade derrière lui. Alors, elle suspendit son geste, les yeux agrandis d’inquiétude.

- Oh mierda… Tu vas bien ?

Il lui sembla que le temps s'était arrêté juste avant une catastrophe, comme pour mieux lui laisser le temps d'apprécier l'étendue du désastre. Elle lui rendait son regard, aussi figée que lui devait l'être. Enfin, elle n'était pas si figée que cela. Son visage avait perdu sa belle couleur dorée mais elle prenait d'autres couleurs par ailleurs et ses cheveux aussi montraient quelques signes d'agitation interne. Elle détacha un instant son regard de lui et quelque chose lui fit comprendre que ce n'était que pour mieux savourer l'instant.

Il sourit niaisement, plus encore que d'ordinaire et en même temps qu'il était tenté de recommencer, il n'osait pas bouger avant qu'elle l'y ait autorisé d'une manière ou d'une autre. Un poids se levait de ses épaules et il lui semblait qu'il pouvait à nouveau respirer en sa présence.

Au regard qu'elle lui retourna, il devinait déjà qu'ils recommenceraient et sans doute pas qu'une fois.

« On n'est pas obligés de s'abstenir pour toujours... », mais elle ne lui laissa pas le temps de terminer, prenant les choses en main pour qu'elles n'en restent pas là. Lui, avait cet expression de gamin devant le plus beau noël de sa vie. Ses mains vinrent naturellement encadrer la taille sous les pans de sa veste un peu baggy de sa jolie cubaine. Comme presque toujours avec Selma, il ne se posait pas de question. Les choses suivaient leur petit bonhomme de chemin sans qu'il ait à se demander pourquoi, comment ni même ce qu'il se passerait après et, comme il était comme chez lui en sa présence, il se sentait l'âme légère et presque assez plein d'assurance pour claironner qu'ils étaient un couple « Maintenant qu- aïïïïïe ! »

L'esthétique du moment s'évapora à l'instant où l'arrière de sa tête cogna ardument la pierre. Une petite larmichette perla au coin de l'oeil du Poufsouffle qui se tenait le haut du crâne à deux mains dans une posture assez comique qui allait de pair avec une grimace digne d'un personnage de manga.

« Ça va, ça va, laisse moi juste cinq minutes... », couina-t-il entre ses dents.

Il lui fallut effectivement cinq minutes de ce cirque ridicule pour encaisser l'insoutenable douleur. Qui eut cru que sur ses jambes, ce brave garçon portait encore les stigmates d'une brûlure magique grave ? Certainement pas Anemone Frost qui sortait justement de la salle commune pour assister à cette scène. Elle ne manqua pas de pouffer avant de s'éloigner bras dessus bras dessous avec Stacy Gibbons.

Entre temps, Sheraz s'était remis de ses émotions. Il adressa un petit regard en coin dépité à Selma. Mais après tout, qu'est-ce qu'il s'en fichait d'Anemone. Il se rapprocha de Selma, le geste un peu hésitant quand ses mains se glissèrent à nouveau sous sa veste pour la serrer contre lui mais cette fois, ses lèvres se refermèrent sur celle de la brunette avec plus d'assurance. Cette fois-ci, cela dura plus que le temps d'une légère pression. Un baiser profond et doux qui disait qu'il en avait eu envie depuis longtemps.

Les yeux écarquillés, Selma observa Sheraz vaincre bravement la douleur. Si elle avait craint un instant une commotion pour le pauvre Poufsouffle, il finit par relever courageusement le menton vers elle, la faisant sourire de soulagement. Il était de retour, pour elle, et le lui prouva en l’embrassant une nouvelle fois. Ses lèvres étaient douces, tout autant que ses mains qui l’enlaçaient pour ne plus la lâcher. Il était aussi charmant qu’un grésillement de güiro, aussi passionné que le piment habanero, enchanteur comme le soleil de la Havane.  

La Montero se sentit fondre dans son étreinte, bien qu’étrangement, aucun aspect de son physique ne fut sur le moment altéré, mis à part le bout de ses cheveux qui continuaient à frétiller de plaisir. C’était comme si Sheraz venait de lui donner momentanément la clé du contrôle de son don. Et pourtant, vue la manière dont son cœur battait la chamade, elle aurait pu changer d’apparence jusuqu’à se transformer en chauve-souris pour s’envoler dans un recoin du château.

Aussi, quand il finit par la relâcher et qu’elle reposa les pieds sur le sol de pierre, Selma n’avait qu’un sourire aux lèvres, les yeux pétillants. Sheraz avait le pouvoir de faire fuir toutes ses angoisses, qui pourtant, étaient nombreuses. Ou bien n’étaient-elles que passagèrement camouflées ? Mais les Montero avaient une devise : faire semblant de ne pas avoir peur la diminue ; et Selma choisit de s’y accrocher fermement – tout autant qu’à la main du préfet.

Elle plaça méticuleusement ses doigts entre les siens pour observer leurs deux mains jointes qu’elle lui présenta sous le nez avec un sourire un peu trop fier. Sheraz avait apparemment de nombreuses amies filles, dont une qui particulièrement belle, intelligente et détestable avec qui il semblait tout partager. Mais c’était bien elle et personne d’autre qu’il venait d’embrasser. Et ce, deux fois de suite !

- Alors… Est-ce que tu veux sortir avec moi Sheraz ? Et être mi novio ?

Parce que, même si la cubaine n’y comprenait rien à l’amour, tout cela y ressemblait quand même beaucoup…  

De ses grands yeux noirs il l'englobait toute entière, savourant ce sourire qui lui avait tant manqué. Il ne s'en était jamais vraiment rendu compte avant d'en être en quelque sorte privé mais, le sourire de Selma Montero était en quelque sorte un petit soleil qui ne brillait rien que pour lui. Il n'y avait rien de plus plaisant que de baigner dans sa lumière et dans le même temps, il s'était invité dans son petit univers sans qu'il ne s'en rende vraiment compte, à petits pas feutrés, si bien que, pendant longtemps, il ne s'était rendu compte de rien.

Comme un fait exprès, elle lui amena cette vision de leurs doigts entrelacés sous le nez, presque triomphante et lui, tant bête, eu un autre petit rire niais et sourd, béat de satisfaction.

« Je croyais que c'était déjà ce qu'on était en train de faire. », répondit-il avec une incroyable maladresse qu'il espérait bien se faire pardonner avec un sourire, « Mais tu as raison : autant se dire les choses... maintenant qu'on est... ensemble... »

Ça lui faisait tout drôle à dire. C'était une phrase qu'il n'avait d'ailleurs jamais dite à personne d'autre que son reflet dans le miroir, pour se faire à l'idée. Mais maintenant que l'idée était faite, ça avait tout de même une autre saveur.

« Je... », commença-t-il avant de se raviser comme les souvenirs de toutes ses heures de télé compilées les unes à la suite des autres lui disaient que c'était une très très mauvaise idée de sortir ça à une fille au bout de moins de trente secondes de relation officielle, « J'ai toujours cru que novio ça voulait dire nouveau ahah... je suis ton nouveau ça voudrait rien dire du coup. Et toi tu veux être ma novia ? »

Il fallait vite qu'il chasse cette bêtise de sa tête pour retrouver un semblant de calme intérieur. Dire qu'il avait failli lui dire je t'aime au bout de trente secondes. Mais quel con...

Sheraz le lui confirmait, ils étaient bien ensemble. A ces mots, Selma sentit une nuée de petites chauves-souris battre joyeusement des ailes dans son ventre. Tout semblait parfait, figé, et mêmes les tapisseries qui habillaient murs glacés du château les observaient dans un silence ému pour respecter l’échos de leurs murmures.

Les iris de la jeune cubaine, aussi sombres que le plus profond des cachots, brillaient de cette toute nouvelle émotion qui la renversait. Et pourtant, quelque part au milieu de cette joie intense, subsistait cependant une petite étincelle de peur : un effroi glacé à l’idée de perdre un jour ce tout nouveau bonheur. Sheraz risquait-il d’interpréter cette forme de retenue pour une hésitation ? Heureusement, le Poufsouffle semblait plus enjoué à l’idée de lui prouver à quel point il maîtrisait peu sa langue natale.

La Montero eut un petit rire malgré elle, un tintement moelleusement étouffé par les étoffes accrochées aux murs. La Serdaigle comprenait bien son désarroi. Elle-même avait dû faire face à son lot de quiproquos depuis son arrivée en Angleterre, bien qu’en toute humilité, elle jugeait son anglais aujourd’hui presque parfait, grâce à son travail acharné. Cependant, le Serdaigle se plaisait à voir ici un nouveau point commun entre eux, la faisant se sentir encore plus proche de l’étudiant. En hochant doucement la tête, elle prit le temps de choisir soigneusement ses mots.

- Oui, Sheraz, je veux être ta novia !

Ses joues avaient pris une teinte rosée alors qu’un sourire ravi se dessinait sur ses lèvres. Ses doigts entrelacés dans les siens ne portaient guère plus trace de sa retenue naturelle. La chaleur qui se répandait dans son corps chassait toute l’ombre des doutes qui avaient pu l’habiter. Oui, Selma avait toujours vécu dans la crainte de perdre ce qu’elle aimait le plus. Cependant, maintenant qu’elle tenait enfin son bonheur entre ses mains, elle refusait se montrer terrifiée par ce qui pouvait la comblait. Souhaitant d’ailleurs vaincre sa peur, la jeune sorcière voulut l’éliminer par les mots.

- Je suis très heureuse… Très très heureuse…

Baissant les yeux, Selma cherchait comment exprimer au mieux les sentiments qui l’habitaient.

- J’espère… Qu’on pourra prendre soin l’un de l’autre ! Aussi longtemps que possible !

C’était sans doute étrange à dire, mais sincère venant d’elle. Aussi, plutôt satisfaite d’elle, la Montero put sans honte relever le regard vers Sheraz. Peut-être que le chemin qui les attendait ne serait pas toujours facile, mais en cet instant précis, avec la main de Sheraz dans la sienne, elle se sentait prête à tout affronter.

Il sourit avec délice quand elle répondit à sa demande un peu ridicule. Un sourire qui lui faisait trois fois le tour du visage. Il plongea littéralement dans le regard de la cubaine, du moins s'y essaya car elle baissa rapidement les yeux, juste après lui avoir faire cette précieuse confession. Elle était très heureuse et dans sa bouche, ça avait une valeur inestimable. Un peu coupé dans son élan par cette sensation d'intense fourmillement qui le prenait aux tripes, Sheraz ne sut trouver les mots qui auraient pu répondre à cela. Alors il se contenta de baisser lui aussi le regard, sur leurs doigts entrelacés. Doucement, son pouce offrit une caresse sur le dos de la main de Selma tandis qu'elle, posait d'autres mots sur ce qu'elle attendait d'eux.

Son petit coeur de flipette s'emballa. Etait-elle déjà en train de lui parler de mariage ? Est-ce que ça lui foutait la frousse ? Il ne pouvait pas le dire. Mais il y avait tellement de choses dont ils devraient parler dans l'avenir. Le fait qu'elle soit sa première copine et tout ce que cela impliquait. Le fait qu'il ne voudrait sans doute jamais d'enfants. Qu'il ne savait pas trop ce qu'il pensait du mariage. Le fait, aussi, qu'il n'avait pas de mal à s'imaginer vivre toute sa vie avec elle si elle voulait bien de lui. En une fraction de seconde, des milliards de choses se bousculèrent dans sa tête puis, finalement, il choisit de les laisser de côté, se penchant sur Selma pour l'entourer de ses bras et la sentir encore tout contre lui. Il ferma les yeux et souffla simplement :

« Aussi longtemps que tu voudras... »

Un long baiser se posa sur la tête brune de Selma. Un baiser plein d'amour et de tendresse, qui laissait subodorer une maturité que Sheraz affichait rarement dans ses relations avec les autres. Il semblait en paix avec lui-même. Avec elle. Avec le reste du monde.

C'était tout ce qui comptait.