Un cadavre dans le placard [ft. Urielle]

Le soleil s’était caché depuis un bon moment derrière les hauts bâtiments de la ruelle londonienne quand Vicky attrapa son manteau pour l’enfiler avec sa maladresse légendaire. La journée de travail se terminait, et la lumière chaude du soleil n’éclairant plus les textiles colorés, ils avaient à présent tous une teinte grisâtre bien moins attrayante dans la vitrine étincelante. Le reste de sa famille avait quitté les lieux depuis une heure au moins, lui laissant la tâche ingrate de ranger et de nettoyer derrière eux. Mais Vicky avait fait le choix d’accepter avec pragmatisme cette mission afin de profiter de ce temps seule pour souffler un peu.

La journée avait été particulièrement intense pour la pauvre couturière qui avait ces derniers temps des circonstances atténuantes. Elle avait en effet testé plusieurs potions suite aux conseils de la génialissime @Améthyste Miller, qui lui permettaient d’amoindrir son inversion. Mais certaines d’entre elles avaient quelques effets secondaires, notamment celui de la fatiguer considérablement et de lui provoquer quelques coups de mous et absences. Pour ne rien arranger, un client particulièrement malpoli avait fait de sa journée un enfer. Ce matin-là, il était entré en trombe dans la boutique, se plaignant bruyamment de la qualité d'une écharpe en laine de veaudelune qu’elle lui avait vendu quelques jours auparavant et exigeait à présent d'être remboursé.

Malgré les tentatives polies de Vicky pour résoudre le conflit, il s'était montré belliqueux et dédaigneux, insultant ses compétences et remettant en question les pratiques commerciales des Graham. Ses paroles agressives lui avaient laissé un goût amer dans la bouche, mais la vendeuse avait finalement lâchement accédé à sa requête – sous les regards lourds de reproches de ses frères et sœurs. Et s’il n’y avait que ça…

Jetant un coup d’œil dans la vitrine, Vicky se prit à froncer les sourcils. Depuis plusieurs jours, la Graham avait régulièrement l’impression de se faire observer. Elle n’avait jamais pu apercevoir qui que ce soit de louche, et pourtant, ce sentiment était si persistent qu’elle avait failli en parler à @Ebenezer Grimm avant de finalement se raviser. La sorcière n’avait aucune envie de déranger son ami avec un simple pressentiment. Cet espèce de picotement dans la nuque pouvait aussi bien se déclencher dans la rue, qu’au magasin ou encore pire, chez elle. C’était très dérangeant, et pourtant, Vicky avait beau se retourner le plus vite possible et lancer des sortilèges de révélation, elle ne parvenait jamais à démasquer qui que ce soit. La sorcière avait fini par mettre cette sensation sur le compte de sa fatigue et de son imagination, et se rassurait avec son optimisme habituel en se disant qu’au pire des cas, il s’agissait de quelqu’un qui ne faisait que veiller sur elle…

Alors qu’elle se dirigeait vers la sortie, Vicky vit du coin de l’œil la porte de la réserve légèrement entrouverte, ce qui était inhabituel en raison des quelques rongeurs qui habitaient l’enseigne et que cette dernière était censée repousser. En pénétrant avec curiosité dans la pièce, Vicky éclaira la pièce avant de pousser un cri silencieux – le son de sa voix s’étant coincé quelque part entre sa gorge et sa poitrine. Là, affalé contre une pile de rouleaux de tissus, se trouvait le corps rigide du client malpoli, sa peau cendrée et ses yeux sans vie fixant le plafond sans le voir.

Vicky recula en trébuchant, agitant presque machinalement sa baguette en lui faisant produire toute une série d’étincelles et de vapeur colorée avant de parvenir finalement à lancer un signal d’alerte à destination de la Brigade de Police Magique la plus proche.

02.12.23

Urielle bougonna. Il lui avait fallu une fois de plus rendre les comptes qu'elle ne pouvait pas rendre après une absence de quelques jours. Quand le Marché aux Trolls la happait, elle n'avait pas vraiment l'option de se débiner. Une chose que le Bureau des Aurors avait facilement compris entre les mots qu'elle ne pouvait pas prononcer, la faute à un maléfice de langue liée particulièrement ancien. Elle avait même désormais droit à son petit rendez-vous hebdomadaire au Département des Mystères pour essayer de dénouer le sceau du secret qui s'était imposé à elle sans qu'elle sache quand ni comment. Pour l'instant c'était peine perdue et quand elle avait le bonheur de repointer le bout de son nez au bureau de la BPM, on l'accueillait généralement frileusement.

D'ailleurs, les collègues avaient fini par lui garder sous le coude leur paperasse en retard. Le capitaine laissait faire, puisque le Bureau des Aurors lui avait simplement fait comprendre qu'il fallait faire avec ces absences injustifiées. Urielle quant à elle se prêtait au jeu du moins jusqu'à un certain point.

« Non mais faudrait arrêter de déconner là. Browley je vais pas me payer la vérif de tes contraventions en retard du mois dernier. », rugit-elle en constatant que c'était tout ce qu'on avait trouvé à lui refourguer.

Le dénommé Browley avait déguerpi juste avant qu'elle ne s'asseye. C'était la fin de la journée et le gros des effectifs étaient en train de rentrer à la maison pour laisser la place aux effectifs de nuit, plus réduits.

« T'inquiète mon coeur. On dirait qu'il y a du grabuge sur le chemin de traverse. Je te sors ce soir. »

Urielle haussa un sourcil. Avant même que d'en savoir plus, elle avait déjà jeté sur ses épaules son vieux cuir camel et emboîté le pas au brigadier Hobbs. Elles arrivèrent sur les lieux du signalement en un clin d'oeil. Rien de plus familier, l'enseigne Tissard et Brodette sur le chemin de traverse faisait partie des adresses incontournables. Les deux agents de la BPM entrèrent sans trop se poser de question. Il leur suffit de suivre le nuage de vapeur légèrement éventé pour se retrouver dans la réserve du magasin en compagnie d'un cadavre et d'une jeune femme à la mine décomposée.

« Madame, je suis l'agent Grimm, et voici l'agent Hobbs, nous allons prendre votre déposition. Pouvez-vous nous dire ce qui s'est passé ? », commença Urielle, très pragmatique mais rassurante, tandis que Lavender était en train de boucler le périmètre avec un sortilège repousse-badaud de son cru et quelques barrières magiques.

Depuis qu’elle avait découvert l’horrible cadavre dans le placard, Vicky était restée figée d’horreur, ne sachant où regarder, ni que penser de tout ça. La mort – surtout une aussi violente – avait ceci de terrible qu’elle sortait complètement de ce qui était de l’ordre de l’entendable. Hébétée, la Graham n’avait su que faire alors qu’elle venait de prévenir les secours. Est-ce qu’il était convenable de recouvrir ce pauvre corps tordu dans une ignoble position ? Est-ce qu’elle devait décemment éteindre la lumière et refermer la porte, afin de laisser l’âme de ce défunt faire le chemin qui convenait à ses croyances ?

Mais avant que la couturière ne prenne une décision qui risquait de compromettre une potentielle scène de meurtre, la Brigade de Police Magique débarqua enfin. Soudain, le silence du magasin fut empli d’un tumulte assourdissant, et la pénombre de l’endroit se retrouva éclairée de flashs bruyants chargés d’immortaliser cet effroyable instant. Une jolie rousse l’intercepta et en posant son regard agrandi de frayeur sur elle, Vicky haussa les sourcils de surprise.

Il s’agissait d’une Grimm, à n’en pas douter ! Une cousine d'@Ebenezer Grimm. La styliste rêvait de voir son ami ici pour la soutenir. Peut-être encore plus espérait-elle voir @Dilshad Zaman voler ici afin de la secourir. Il était désespérant de voir que la sorcière croyait encore à ces contes de fées dans lesquels les princesses se faisaient sauver par un mystérieux prince charmant. Et pourtant… Attrapant en tremblant la main de l’agente, Vicky acquiesça les larmes aux yeux.

- O… Oui… J… Je vais tout vous raconter…

Si les nombreuses potions qu’elle mélangeait sans grande précaution lui créaient des maux de tête et des absences passagères, elles avaient au moins le mérite de lui permettre de s’exprimer presque normalement.

- N… Nous avons fermé la boutique à 19 heures… La r… réserve était vide à c… Ce moment-là. Mon f… frère Brent a r… rangé les derniers rouleaux et il n’y av… avait rien. Je veux dire… Pas de Monsieur Cardenas. C’est le m… monsieur mort dans la réserve… Gunnar Cardenas… Mme Greyson était là à la fermeture. C’est une c… cliente. Elle pourra vous c… confirmer… qu'il n'était pas là à 19 heures... Et p... puis... Je suis r... restée là pendant une heure. Et... Je l'ai t... trouvé...

Nerveusement, Vicky se tordait les mains en réfléchissant autant qu’elle le pouvait dans cet état de panique intense. Qui pouvait bien avoir pénétré là, pendant qu’elle était seule à la boutique pour s’en prendre à ce client qui avait été aussi méchant avec elle ? Est-ce qu’il existait bien un prince – aussi ténébreux que mystérieux – qui veillait sur elle à distance ? Et surtout, pourquoi Vicky était au fond persuadée qu’il s’agissait de Diego Oliviera ? Était-ce parce qu’il lui avait déjà sauvé la vie avant de disparaître mystérieusement ?

- M… Monsieur Cardenas, l’homme qui est m… mort… Il est v… venu ce matin. Il n’était p… pas du tout content d’un achat. Il v… voulait se faire rembourser. Il était t… très énervé. Contre moi s… spécifiquement.

Brutalement, Vicky se mit à pâlir d'effroi. Un homme qui l’avait humiliée avait été assassiné dans sa boutique, alors qu’elle y était seule… La sorcière allait forcément être la principale suspecte ! Un agent venait de confirmer l’heure de la mort, survenue par sortilège quelques dizaines de minutes auparavant.

- M… Ma baguette, s’écria Vicky en la tendant en tremblant vers l’agente qui l’interrogeait. Vous pouvez vérifier mes d… derniers sortilèges.

Un agent s’en chargea à la place de Miss Grimm avant de lui murmurer à l’oreille que l’historique des sortilèges avait apparemment été effacé. S’il restait un peu de couleurs sur le visage de Vicky qui avait tout entendu, elles venaient de disparaître définitivement. La sorcière ignorait qu’un tel sort était possible mais elle crut bon de tenter de se justifier :

- J… Je ne comprends pas… J’ai peut-être fait quelque chose à ma baguette en essayant de vous appeler… J’ai p… paniqué… j'ai f... fait des étincelles...

02.12.23

Le reste de l'équipe ne tarda pas à les rejoindre, chacun s'attelant à sa mission sans gêner l'autre. Urielle n'y prêtait plus guère attention, elle-même ayant une part du boulot à accomplir, en l'occurrence, prendre en charge la personne qui avait donné l'alerte. Sans grande surprise, la commerçante était bouleversée et avait du mal à trouver ces mots. L'agente ne lui en tint évidemment pas rigueur. Notant scrupuleusement les informations qu'elle voulait bien lui donner et qu'elle réordonnerait plus tard d'un coup de baguette pour leur redonner la bonne chronologie, l'auror tiqua :

« Fermeture à 19h, vers quelle heure votre frère a-t-il quitté les lieux ? Vous étiez seule dans la boutique quand vous avez découvert M. Cardenas ? C'est habituel que vous restiez plus d'une heure après la fermeture ? »

Factuelle, elle ne tenait pas à jouer cartes sur table, c'eut été une très mauvaise idée quelle que soit l'issue de l'enquête mais il y avait d'ores et déjà des éléments qui mériteraient les habituelles enluminures. Celles-là mêmes dont @Nott Tyrfing disait qu'elles donnaient un petit truc cahier de brouillon d'élémentaire aux notes de l'agent Grimm et qui valait au moins quatre maléfices de confusion du Département des Mystères. Urielle s'y retrouvait toujours, c'était l'essentiel. Elle continuait de noter, son regard allant du parchemin à Miss Graham en aller retour successifs.

« Pourquoi spécifiquement contre vous ? », releva l'auror alors qu'il était question de la visite du futur macchabée le matin même et d'un peut-être mobile... cela, Urielle n'eut rien besoin d'en dire, Miss Graham savait tout aussi bien qu'elle additionner un et un, et la commerçante ne tarda pas à perdre des couleurs.

Elle prit les devants, proposant tout de suite une remontée des sortilèges, ce qui se trouvait être la procédure habituelle dans de telles circonstances. Urielle continuait d'observer et de noter le moindre petit détail, y compris l'agitation croissante de Miss Graham et, quand son collègue lui murmura à l'oreille que la baguette avait été effacée, l'agent Grimm acquiesça silencieusement sans laissait paraître de réaction particulière à cette annonce.

Elle exécuta un sortilège d'impassibilité sur un petit cercle autour d'elles avant de reprendre :

« Miss Graham, nous allons trouver une explication à tout ceci. Nous allons retracer cette heure minute par minute ensemble. », elle posa son regard sur sa suspecte avec une certaine compassion, « Vous fermez la boutique à 19h avec votre frère. Ensuite... »

L’œil éteint de Vicky regagna un peu de vie – et de panique compte tenu de la situation – alors qu’elle percevait la voix étouffée de l’agente lui proposer de remonter méthodiquement le temps. La couturière, étourdie et déboussolée hocha rapidement la tête. Elle venait d’avoir une nouvelle absence, sans doute provoquée par le stress. D’un mouvement de tête apeuré, elle chercha du regard un fauteuil sur lequel s’affaler mais n’osa pas sortir du cercle que venait de tracer la sorcière autour d’elles. La modiste aurait rêvé se couvrir d’un plaid et siroter une tasse de thé pour se remettre de ses émotions, mais les circonstances ne le permettaient sans doute pas.

Aussi, elle se contenta de se frotter les yeux du dos de la main, piétinant sur place en tentant de remettre ses idées dans le bon ordre – exercice difficile pour une inversée comme elle. Il lui faudrait pour cela réussir à s’exprimer correctement, et Vicky sentait sa langue se nouer, prête à lui jouer les pires tours pour rendre son discours incompréhensible. Aussi, sa main tremblante se porta jusqu’à sa poche de laquelle elle sortit 7 minuscules fioles de verre enchantées.

- Ç… ça n… ne vous raie d’ange… dérange pas si je prends mon trémens tête…  je veux dire traitement ? Pour année tuer… atténuer mon inversion…

La styliste montra ses fioles à l’agente, lui permettant de bien lire les étiquettes afin qu’elle puisse vérifier qu’aucune d’entre elles n’était illégale.

Il y avait là un élixir de flip-flop à l’essence de chauve-souris dressée de Birmanie qui lui permettait temporairement de parler de manière directe en inversant ses schémas d’élocution inversés, un tonique de sève de Laîche des rives à tiges droites et ailes de grillon fou afin d’aligner ses intentions sur ses gestes, un sédatif au pavot hybride et larmes de Géant des Flandres permettant d’annuler les effets secondaires du tonique qui risquait de lui provoquer des embardées cardiaques, un nectar de bon-sens aux miettes de nageoires des poissons libellules des Alpes et épine de cactus Correctus incroyablement efficace qui éliminait à la racine la moindre intention d’action inversée, un philtre d’eau de Tulipe arborescente pour supprimer les hoquets intempestifs et le fait qu’elle n’arrivait plus à tourner à gauche, une mixture de feuilles d’éclat de lune et d’écailles de Tortue Stoïque Commune qui permettait à ses pensées et actions de se simplifier pour lui éviter d’être submergée par ses émotions, un spray à base de pétale de roses pour l’haleine parce qu’entre les poissons libellules, les chauve-souris de Birmanie et les écaille de tortue, il y avait bien besoin de ça !

Avec quelques gouttes sous la langue pour chaque fiole – car elle était somme tout une sorcière raisonnable – Vicky expliquait à la Grimm les potions, leurs ingrédients et effets. Ses traitement agirent rapidement et en inspirant longuement, Vicky retrouva un semblant de contrôle sur elle lui permettant de s’exprimer bien plus distinctement et sans trembler.

- Nous avons fermé la boutique à 19h avec mon frère Brent qui est resté quelques minutes pour m’aider à ranger les derniers rouleaux de tissus dans la remise. Mme Greyson, une cliente, était là également. Elle est très bavarde et venait de recevoir une lettre de sa nièce qu’elle voulait absolument nous lire jusqu’au bout. Elle est partie avec Brent, qui a bien fermé la porte derrière lui. Moi je suis restée seule pour tout finir de ranger et de nettoyer. Ça fait partie de mes missions car ma mère trouve que je suis très douée pour ça, et pour être honnête, les autres n’aiment pas trop faire ça… Je commence par tirer les rideaux, puis je fais le tour des mannequins de bois pour voir s’ils n’ont pas trop souffert de la journée, et les remercier pour leur travail et leur professionnalisme. J’anime les balais, les balayettes, les chiffons pour les étagères et les vitres, j’époussète un peu tout… Je replie toutes les étoffes, j’enclenche les bobines, je chasse les boutons sauteurs pour les ranger dans leur boite… enfin la routine habituelle quoi… Je n’ai rien remarqué de spécial mais au moment de partir, j’ai vu que la porte de la remise était entrouverte alors que Brent l’avait bien refermée… C’est là que j’ai découvert… le… corps…

Cette nouvelle sensation d’être épiée se faisait plus forte que jamais… Vicky jeta un coup d’œil derrière son épaule, ne voyant rien d’autre que les agents affairés à tout inspecter. L’air un peu dissipée, elle se concentra de nouveau sur l’agente pour répondre à sa seconde question.

- Monsieur Cardenas était très énervé ce matin parce qu’il a acheté chez nous une écharpe 100% en laine de veaudelune, et que selon lui, ce n’était pas vrai car elle lui grattait le cou. Il m’a traité de menteuse et de malhonnête. J’ai dû la lui rembourser car il ne voulait rien entendre…

Un nouveau regard en biais et la Graham fini par se pencher vers la rouquine avec la voix bien plus hésitante et erratique.

- Excusez-moi mais v...vous connaissez le capitaine D...Diego Oliviera ? Il a débarqué un jour ici, avant de d...disparaître tout aussi soudainement. Cependant… J’ai l’impression qu’il est t...toujours ici…

02.12.23

Urielle était sur ses gardes. A une légère ridule à sa tempe, on pouvait deviner que son corps se mettait en tension, juste comme la modiste faisait mine de prendre quelque chose dans sa poche. A l'évidence, elle semblait très perturbait par ce qui se profilait pour elle. Mais en tant qu'auror, elle ne s'abreuvait pas à la fontaine des évidences. Mais la jeune femme sortait une impressionnante collection de fioles, ce qui ne faisait rien pour lever les suspicions de Miss Grimm.

« Votre... inversion ? »

Elle avait bien évidemment noté que les mots n'étaient pas tout à fait sortis dans le bon ordre mais pour l'heure, elle imputait ça au contre coup de la panique. Sans être un empathe au cent cinquante millième degré, on aurait pu comprendre que se voir suspecter de meurtre puisse produire ce genre d'effets, que l'on soit ou non coupable d'ailleurs. Elle nota rapidement l'apparente composition du traitement, tout en se disant qu'elle ordonnerait un prélèvement pour en avoir le coeur net.

« Ça fait un sacré mélange dites-donc. Ca fait longtemps que vous suivez ce traitement ? », interrogea Grimm toujours aussi focaliser sur son affaire de meurtre.

Lorsque la modiste reprit le fil des évènements, Urielle consigna le nom de Mme Greyson et sa lettre qu'il avait fallu lire jusqu'au bout. Etonnant tout de même. Ca aurait aussi bien pu servir de subterfuge pour s'assurer que toute l'attention était bien sur elle tandis qu'un autre s'occuper du cas de leur macchabée. Ou cela pouvait n'être qu'une de ces ménagères avides de contact social, bavarde incorrigible et un tantinet nombriliste. Quoiqu'il en fut, Miss Graham retraça sans buter le fil des évènements. Cette porte ouverte comme par miracle. Il manquait sans doute quelques détails mais le cheminement était clair.

« Je m'excuse d'en revenir à ça Miss Graham. Vous suivez un traitement qui me paraît assez lourd. Y a-t-il des effets secondaires dont vous auriez connaissance ? »

La jeune femme jetant un regard derrière elle. Urielle chercha du regard la raison de cette attitude mais sans rien déceler. Et la jeune femme de recommencer au bout de quelques mots.

« Quelque chose ne va pas Miss Graham ? », en dehors du fait que vous soyez la suspecte numéro un dans une affaire de meurtre, pensa-t-elle. « Oliviera ? Oui bien sûr. Mais que vient-il faire dans tout ça ? »

Pourquoi le Capitaine estampillé CIS serait-il venu traîner sa carcasse chez Tissard & Brodette ? En voilà une question intéressante. Au vu du bonhomme, on pouvait douter qu'il soit venu s'acheter une fanfreluche en peau de veau de lune...

L’agente l’observait comme si elle venait de se changer en botruc pour entamer une gigue juste sous ses yeux. Ce qui était certain, c’était que tout cela faisait beaucoup d’information, et la sorcière avait encore un certain nombre de question pour elle, notamment sur les effets secondaires de son traitement. En soupirant, Vicky sortir un mouchoir délicatement brodé de la poche de sa veste pour tamponner son front. Le stress, ou peut-être les conséquences de ce choc la faisait transpirer abondamment, alors que son cœur s’affolait sous la pression.

- Des effets s...ssec...ondaires, commença-t-elle d’une voix chevrotante en essayant sans grand succès de replier son mouchoir. Oui, oui, j’ai q...quelques effets s...secondaires. J’ai q...quelques moments d’absence, je suis t...très fatiguée, j’ai d...des m...igraines et le hoquet… Je p...p...pprends même des p...potions, pour att...énuer les effets d...de mes potions. C’est s...sans fin vous me d...direz, mais l’inversion est un souci c...complexe à c...corriger…

Avec un nouveau soupir, la modiste renonça à replier son mouchoir pour le fourrer sans plus de cérémonie dans sa poche. Jetant un nouveau coup d’œil derrière son épaule, elle reporta nerveusement son attention sur l’agente.

- Oui le c...capitaine Oliveira. Il est d...déjà venu ici, vous savez. Il m’a d...d’ailleurs sauvée de l’attaque d...d’un mage noir, il a été assez… spectaculaire. J’ai l’imp...pression… qu’un lien s’est c...créé entre nous et qu’il n’est j...jamais vraiment p...parti…

La couturière tordait ses mains l’une dans l’autre, consciente qui si elle avait un moment parut censée à l’agente, elle était en train de perdre peu à peu le bénéfice de ce jugement. Pourtant, la situation exigeait de Vicky qu’elle soit totalement honnête. Certes, elle ne souhaitait aucunement que le capitaine soit inquiété – mais dans une affaire de meurtre – il était nécessaire pour elle de se défendre. Oliveira aurait de bien meilleurs atouts dans sa main pour assurer sa propre protection.

- Ce n’est… p...pas la p...première fois que j’ai l’imp...pression qu’il est t...toujours là et qu’il… reste d...dans l’ombre… Il ne fait rien d...d’autre que me p...protéger, d...de loin. Ce qui s’est p...passé d...dans la remise… C’est sans d...doute un accident ! Un m...malheureux accident… Il ne v...voulait certainement que me d...défendre, à sa m...manière…

Le cœur de Vicky battait toujours plus vite alors qu’elle avait l’impression de trahir ainsi son plus proche allié. Sa gorge s’asséchait, et elle se mettait de nouveau à transpirer abondamment. Sa peau habituellement pâle virait au jade le plus blanc. Oscillant d’un pied à l’autre, elle joignit les mains dans un geste de supplication.

- Est-ce q...que je p...pourrai m’asseoir et b...boire q...quelque chose, j’ai p...peur de t...tourner de l’œil…

02.12.23
L'agent Grimm observait sa suspecte, de plus en plus sceptique. Rien de tout ce qu'elle voyait ne pouvait conduire à innocenter la sympathique jeune femme. Absolument rien. Tout au mieux pouvait-elle espérer s'en tirer avec quelques circonstances atténuantes. Pas de quoi signer un bon sortie à l'issue de son futur procès.

Tandis qu'elle entourait quatre fois la petite mention bilan psychomagique ? biffée en travers de ses notes, dans la marge, Miss Graham reprenait. Mais ça n'était que pour s'embourber d'avantage dans les tristes draps dans lesquels elle se trouvait.

Relation fantasmée. Dangereuse ? Fantasme du sauveur ? Les termes qui s'alignaient sur le carnet d'Urielle Grimm n'avaient rien de très reluisants en dépit des hum hum dont elle ponctuait la conversation. Elle notait aussi la gestuelle perturbée qui accompagnait ces étranges confessions...

« Miss Graham, dans les circonstances actuelles, je vais solliciter un ... accompagnement. Je pense que toute cette histoire c'est beaucoup pour vous. J'aimerai que nous reparlions de tout cela après que vous ayez pris un peu de repos. Deux agents vont vous escorter. Je vous place en résidence surveillée pour l'instant. J'ai également demandé un bilan psychomagique, ne soyez pas surprise. Je vais me rapprocher de l'agent Oleivera pour faire la lumière sur sa possible implication dans tout ceci. »

Juste comme elle disait cela, un gars de l'équipe s'approchait avec un verre d'eau qu'elle tendit à la seule et unique suspecte, presqu'en gage de bonne foi. Restait à voir comment la suspecte allait prendre tout ça. Urielle était parée à toute éventualité. Ses collègues avertis d'un de ces petits gestes anodins, convenus entre eux. Chacun saurait tirer sa baguette s'il le fallait.

Avec un certain désespoir, Vicky pouvait suivre l’étendue du désastre que provoquait ses paroles chez la jeune agente. Sans doute que cette dernière tentait de cacher ce qu’elle pensait de toute cette situation, mais aucun Grimm que la Graham n'ait jamais rencontré avait su conserver ses pensées en-dehors de ses expressions.

Urielle la prenait-elle pour une folle ou une meurtrière ? Sans doute un mélange des deux… Pourtant Vicky n’avait rien fait que raconter la vérité. Le capitaine Oliveira était derrière tout ça, elle en était persuadée. Serait-il déçu d’avoir été ainsi si rapidement trahi après toutes ses bonnes actions ? La couturière s’en voulait un peu, d’autant plus que cette infidélité n’avait mené à rien.

Les mots que prononçaient l’agente la clouèrent littéralement sur place. Escorte… Résidence surveillée… Bilan psychomagique… Évidemment, il ne pouvait en être autrement, et pourtant la panique la fit suffoquer. Et si elle finissait à Azkaban, sans plus jamais revoir la lumière du jour ? Et si elle ne revoyait jamais ses amis @Serena Ronsmal, @Ebenezer Grimm, son voisin @Dilshad Zaman ou même encore ce client aussi sexy que perturbant @Jack Deschain… Ses yeux s’emplirent de larmes alors que sa lèvre tremblait d’appréhension. L’un des agents lui apportait un verre d’eau dont elle avait grand besoin et sa main tremblante se leva vers lui pour l’attraper.

***

Tout se passa en un fragment de seconde. Le visage de la sorcière se modifia du tout au tout. La panique avait déserté ses traits pour n’y laisser qu’une sombre détermination. De sa baguette venait de fuser un éclair vert issu d’un sortilège imprononcé qui éclaira son regard d’une lueur terrifiante. Les agents avaient réagi tout aussi rapidement en protégeant in extremis l’agent visé qui ne se retrouva que sonné au sol. D’autres agents avaient désarmé la sorcière en la mettant en joue, prêt à réagi au moindre mouvement de sa part.

***

En clignant des yeux, Vicky ne parvint pas à réaliser ce qu’elle avait sous les yeux. Elle avait peut-être eu une absence de quelques secondes pas plus, mais l’agent qui venait de lui apporter son verre d’eau était à terre, et bien mal en point. Sa propre baguette était au sol, tandis que plusieurs autres étaient pointées sur elle. Mais que venait-il de se passer ?

Soudain, un éclair de compréhension la traversa, rapidement suivi par une vague de soulagement. Il était venu pour la sauver, encore une fois. Cela voulait dire qu’il ne lui en voulait pas ! Il venait de lui prouver qu’il lui pardonnait sa faiblesse tout en démontrant l’étendue de sa propre loyauté à son égard ! La sorcière se tourna vers Urielle avec un regard suppliant.

- Le c...capitaine Oliveira ! Il ét…tait là ? Vous l’av… avez vu ?

02.12.23

Les agents étaient sur le qui-vive et pour autant, rien n'aurait pu les préparer à ce soudain revirement de situation. Prompte comme le reste de ses collègues, Urielle bondit, tenant en joue sa suspecte qui ne faisait décidément rien pour s'innocenter. Cela ne dura que quelques secondes. L'agent Milford avait eu chaud, vraiment chaud. Le pauvre avait perdu toutes ses couleurs en même temps que son équilibre. Devant Miss Graham, les agents au regard noir s'apprêtaient à coffrer la charmante modiste quand celle-ci leur rejoua le petit numéro de l'amoureuse transie.

« Le cap - », Urielle fronça les sourcils. Le pire dans tout cela c'était qu'elle ne pouvait toujours pas croire que la jeune femme face à elle était un mage noir, ni même une mauvaise personne. Convaincue que c'était la meilleure chose à faire, elle se força à adopter une posture moins agressive. « Le Capitaine Oliveira ? Tout le monde l'a vu oui. C'est surprenant qu'il ait pu apparaître si vite. Il doit, garder un oeil sur vous, ça n'est pas possible autrement. Vous m'excusez un instant... », fit-elle sans vraiment oser quitter la suspecte des yeux.

Elle se leva pourtant pour aller donner ses instructions un peu plus loin.

« Internez moi-la en urgence à Ste Mangouste. Je ne veux pas prendre d'avantage de risques. Oh et, envoyez un hibou à Miss Wanda. Je veux un psy agréé du Ministère, ça nous évitera les vices de procédure de la dernière fois. »

S'il y avait bien une chose dont le Bureau des Aurors avait horreur c'était qu'on lui mette des bâtons dans les roues parce que l'éthique professionnelles des uns et des autres ne s'accordaient pas avec ses besoins immédiats. Urielle le savait. Le Dr Wanda saurait faire ce qu'il fallait. Quant à elle, Urielle, il ne lui restait plus qu'à se mettre en relation avec le Capitaine Oliveira d'une manière ou d'une autre. Il fallait qu''elle comprenne ce qu'il venait faire là-dedans.