The Shire (Aram)

02.02
« Tu vas pas me refaire le coup encore une fois p’tit enfoiré ! »

En plein milieu de l’Allée des Embruns, je m’étais jeté sur Aram. Je l’avais croisé par hasard, alors qu’en enquêtant sur la disparition de ma sœur, j’avais aperçu sa frimousse sortir l’air de rien d’une échoppe. Sans plus attendre et sans préavis, je m’étais jeté sur lui en courant. Il fallait dire qu’on avait… un certains passé. Dans mon placage, je tournais sur moi même pour le faire transplaner au premier endroit qui me venait à l’esprit. Pendle Hill, un village moldu pittoresque en Angleterre qui était placé en bas d’une colline. C’était justement en haut de cette dites colline que je ne nous avais amené, alors que le soleil était en train de se coucher. Toujours sur Aram, mes yeux croisèrent les siens et… un instant passa.

« N’y pense même pas ! » dis-je en roulant sur moi même pour me relever.

De l’herbe et des branches dans les cheveux, je le regardais désormais debout. Prêt à écouter un de ses mensonges de petit roublard pour qu’il m’explique pourquoi il n’avait pas répondu à mes hiboux. Depuis des semaines, j’essayais d’entrer en contact avec lui pour récupérer des infos sur ma sœur. Je savais que si une information échappée au Ministère, la personne que j’avais en face de moi en avait certainement eu vent.

« Je peux savoir pourquoi tu répondais pas aux Hiboux ? Trop occupé à dragués des gadjis ? Tu leur as aussi fait le coup du… viens dans ma roulotte je te dirais ton avenir ?! »

Bon, ça c’était un peu gratuit. Parce que c’était ce qui s’était passé avec moi il y avait des années de cela et il fallait dire que le fougueux animal sauvage que j’avais en face de moi était retourné à la liberté quelques instants plus tard. J’avais cru et espéré pouvoir construire un truc avec ce mec, mais… les Tsiganes étaient des gens libres et ils refusaient les chaînes. Visibles ou invisibles… Mais ce n’était pas une raison pour lui rappeler à quel point ça m’avait mis en pétard à l’époque.

« Je te jure que si tu t’échappes avant que j’ai posé mes questions, je t’arrache les parties génitales pour les offrir à un démoniste afin qu’il supprime toute ta descendance dans un futur proche et lointain. »

Je m’étais avancé vers lui, et dans un mouvement lent et calme, prouvant que je bluffais et que je ne comptais pas lui faire de mal, je lui sortais la photo de ma sœur cadette. On ne se ressemblait pas, pour la simple et bonne raison que c’était juste ma sœur adoptive et la fille de ma marraine, Ada Keeling, qui m’avait adopté à la mort de mes parents. Il n’en savait rien, mais s’il m’avait écouté sur l’oreiller plutôt que de se barrer en douce, il aura pu le savoir.
Mes yeux étaient devenu plus doux, avec l’espoir et finalement d’une main fébrile je lui tendais la photo animée de ma sœur qui souriait.

« Ca te dit quelque chose Aram ? » dis-je presque abattu. « Elle a disparu cet été. »

Aram sortait d’une échoppe de l’Allée des Embrumes, son long manteau sombre et élimé flottant derrière lui. Il avait à peine fait quelques pas, observant distraitement les pavés inégaux à ses pieds, quand une silhouette familière s’était jetée sur lui comme une furie. Le Romanez avait juste eu le temps d’abaisser les protections de ses amulettes et se laissa transplanner pour que la sorcière se sorte indemne du choc.

Quelques instants plus tard, ils se retrouvaient au milieu des collines verdoyantes, dans une position qu’ils avaient intimement connue, et un sourire en biais barra le menton mal rasé du tzigane. Iseult de son côté se montra outrée en se relevant, des feuilles plein les cheveux. La sorcière n’était jamais plus belle que quand elle était en colère…

Lorsqu’il l’avait rencontrée, Aram était tombé sous son charme en un claquement de doigt, et il avait œuvré tant et si bien qu’il avait fini par la séduire. Cependant… À partir du moment où elle avait été sienne, Iseult semblait avoir perdu un certain intérêt: le goût du challenge peut-être. La belle s’était projetée si vite dans une relation alors qu’ils se connaissaient à peine, qu’elle avait fini par le faire fuir sans demander son reste. Aram se savait être un indécrottable enfoiré quand il s’agissait de jouer avec les sentiments des autres tout en conservant son indépendance, quitte à se montrer retors et lâche…

C’était la force, mais aussi la malédiction de tout enfant du voyage. Ce besoin irrépressible de suivre le vent dès que ce dernier tournait, de savourer la liberté du voyage et le goût de l’inconnu. Iseult qui s’époussetait lui reprochait son attitude de séducteur en série et son silence devant ses nombreuses relances. Elle n’avait pas mérité ce comportement et pourtant, tout en connaissant ses travers, comment Aram aurait-il pu résister à la séduire ? Il ne lui fallait que reposer ses pupilles sombres sur elle et voir à quel point il l’agaçait pour être tenté de la conquérir à nouveau.

- Iseult, commença-t-il prudemment avec son rictus de voyou en feignant la surprise. Tu m’as envoyé des hiboux ? Ils n’ont pas dû trouver ma roulotte… C’est que je ne reste jamais très longtemps au même endroit comme tu le sais… Je suis un enfant du vent…

Un vent, il allait s’en prendre un gros s’il ne parvenait pas à calmer ce petit démon aux cheveux longs. Leur rupture l’avait donc tant courroucée que cela ? Il était un bon coup, il le savait, mais à ce point…

- Je sais que tu m’en veux, mais il fallait que je parte… Je ne voulais pas te blesser, mais je ne pouvais pas te donner ce que tu désirais et méritais…

Peu importait les sentiments qu’il avait un jour pu nourrir pour elle, ou qui l’habitaient peut-être même encore, l’âme du Romanez était faite pour vagabonder, et il ne pouvait l’enchaîner à cette demi-existence instable et précaire. Mais quand Iseult lui brandit sous le nez la photo d’une jeune fille - alors le rom compris qu’il s’était bien planté dans ses interprétations. La sorcière n’en avait pas après lui, mais après cette pauvre âme perdue.

Retrouvant tout son sérieux, il attrapa la photo, effleurant le visage souriant de ses doigts sales et éraflés. Il avait là un possible moyen de se racheter aux yeux d’Iseult… Puisant dans ses pouvoirs transmis par des générations de sorciers tziganes, l’arménien tenta de nouer contact avec la jeune disparue.

- C’est ta sœur, comprit-il dans la manière dont l’âme entière d’Iseult projetait son aura vers lui, dans l’attente de ses réponses. Elle est vivante…

Ce fut tout ce qu’il put lire, sans savoir si la belle connaissait déjà cette information.

- Où est-ce qu’elle a été vue pour la dernière fois ? Tu as quelque chose qui lui appartient ? Un bijou, une écharpe, une mèche de cheveux…

Face à lui à bonne distance désormais, les bras croisés, je ne pus m’empêcher de rouler des yeux et de soupirer quand à sa réponse et surtout vis à vis de ses manières. Contrariée, j’essayais de faire abstraction de sa petite frimousse que je trouvais si séduisante. Au final, j’étais certaine que s’il n’avait pas été lui même lors de notre dernière rencontre, la flamme aurait disparu au fil du temps car c’était justement ça qui m’exaspérait et me plaisait paradoxalement chez le Tzigane.

« Vraiment ? Vous communiquez comment entre vous ? Avec des signaux de fumées ? »

J’avais toujours les bras croisés, signe bien sûr que j’étais bien chiffon. Mais… Finalement je décroisais les bras. C’était contre-productif d’agir ainsi et il n’allait pas plus m’en apprendre si je continuais à le renvoyer bouler. Je m’avançais vers lui, pour lui abattre mon petit poing sur l’épaule. Un léger sourire en coin apparut.

« Arrête. Pas avec moi ce coup là ok ? « Tu mérites bien mieux blablabla... » te fous pas de ma gueule Aram. T’as pas à te justifier. Dis simplement la vérité, t’as la trouille comme à chaque fois de t’engager. Et c’est tant mieux, personne aime les trouillards. » dis-je le regard luisant de malice.

Mais, à la seconde suivante où il m’annonça qu’elle était vivante, mon coeur rata un battement. Dans mes yeux, un éclair passa et une flamme resurgit. Elle était vivante. J’en avais la confirmation après tant de mois de recherche. Sans réfléchir et par impulsion comme à mon habitude, je me jetais au cou d’Aram pour le serrer contre moi, et, comme une gamine je déclarais :

« J’en étais sûre ! »

Je le libérais alors, aussi surprise que lui par ma propre réaction. Mettant immédiatement de la distance entre lui et moi je reculais d’un pas et j’écarquillais les yeux. Il avait intérêt de me dire ce qu’il savait… D’un geste de la main, je fis apparaître une cravate de Poudlard qui tomba sur le nez d’Aram. Je l'avais récupéré en fouillant son dortoir. Un peu désespérée, je me mis à répliquer.

« J’ai déjà essayé tous les sorts de localisations que je connais. Aussi bien les récents comme les plus anciens et ceux de ton peuple. Rien n’a fonctionné, comme si elle n’était plus de ce monde. Mais si tu l’as vu, alors j’ai bon espoir. »

Je regardais Aram avec la cravate de Poudlard sur le front. En d’autres circonstances, ça m’aurait beaucoup fait rire. Mais là, son espoir m’avait redonné plus de peps qu’autre chose aussi je brûlais de lui demander :

« Quand est-ce que tu l’as vu pour la dernière fois, et où Aram ? »

Après avoir été plus sombres qu’un ciel d’orage, les yeux d’Iseult s’agrandirent sous le coup de l’espoir et de l’incrédulité suite aux propos du rom. Elle se jeta dans les bras d’Aram qui fut bien trop heureux de profiter de la situation pour la serrer à son tour contre lui. Sentir son cœur battre contre le sien lui avait manqué plus qu’il ne l’aurait cru. Mais bien vite, elle se détacha de lui, avant de lui jeter un vêtement à la figure, sans doute appartenant à sa sœur.

Elle lui expliquait avoir tout tenté pour la retrouver, notamment en exploitant la magie tzigane, et en l’écoutant, le Romanez aurait pu glousser de rire si la situation n’était pas si grave. Cependant, elle se méprenait sur un point d’importance, et il ne devait pas lui donner de faux espoirs plus longtemps.

- Je ne l’ai pas vue, la coupa-t-il avant qu’elle puisse continuer à s’accrocher à cette espérance. Je n’ai jamais rencontré ta sœur. Un visage comme le sien… je m’en serai souvenu… Non, je sais qu'elle est en vie simplement parce que... Je le sens. Je le sais. C'est comme ça.

Il attrapa la cravate pour la froisser entre ses doigts avant de la sentir.

- Les sorts de localisation n’ont pas fonctionné tu dis ? Laisse-moi te rappeler que ta magie druidique n'a que peu de lien avec la mienne… Il faut avoir une connexion innée ou léguée avec nos esprits pour espérer maitriser l’ancestral art magique tzigane…

Cependant, les origines de la sorcière lui conféraient un pouvoir puissant – bien que différent du sien. Si Iseult n’avait pu repérer sa sœur, il n’y avait qu’une explication à ses yeux. Mais afin de vérifier ses dires, le Romanez sortit une bourse en cuir de sa poche et en tira quelques herbes séchées et des pierres précieuses, qu'il disposa en cercle sur le sol. En attrapant la photo et la plaçant contre le cravate, il s’agenouilla devant le cercle, avec l’objectif clair de vérifier si un lien avec la disparue était possible.

L'armienien se mit à murmurer quelques incantations en romani, laissant les herbes commencer à se consumer lentement, dégageant une fumée bleutée qui s'enroula autour des pierre. Soudain, un vent froid souffla jusqu’à eux, faisant danser l’herbe au passage.

- Tu as raison, murmura le tzigane après s'être interrompu en fronçant les sourcils, sans se relever pour autant. Impossible de la retracer. C’est comme si… un bouclier la camouflait de nos yeux…

L’espoir me quitta aussi vite qu’il m’avait attrapé. Il ne l’avait pas vu. Il n’en savait rien, en vérité. D’ailleurs, son argumentation « Je le sais c’est comme ça. » me laissa plus que perplexe et la déception me donna envie de pleurer et de lui tambouriner la poitrine de rage. Bien sûr, je n’en fis rien et je restais le teint blême et le regard vide à le regarder et à l’écouter. Si même lui n’en savait rien alors plus grand monde ne pourrait m’aider.

« T’en sais rien. » dis-je la voix cassée.

Ce n’était pas un reproche. C’était un constat fataliste. Il n’en savait absolument rien, au final. Ce n’était que de la croyance, de la foi. Et cela faisait longtemps que je l’avais perdu. Observant ce dernier, une dernière lueur d’espoir passa dans mes yeux quand il incanta dans sa langue maternelle. J’avais espoir que la magie tsigane, où j’avais encore des défauts, était plus puissante que la mienne mais… rien ne se produisit, hormis la confirmation de ce que j’avais déjà expérimenté.

« Elle n’est pas morte. Elle n’est juste… plus là. C’est incompréhensible Aram. »

Je relevais mes petits yeux vers lui, complètement désespéré. Finalement, ma volonté eut raison de moi et je tombais en arrière, assise de lassitude, observant les ruines du rituel qui n’avait rien fait d’autres que de confirmer mon cuisant échec. Une ombre passa sur mes yeux et je relevais ces derniers, brillant de larme vers Aram.

« Qu’est ce que je vais faire, maintenant. » dis-je en attrapant mes genoux et en les ramenant vers moi. « Qu’est ce que je vais dire à ses parents. Que… que j’ai moi aussi échoué ? Je.. je peux pas leur faire ça, après tout ce qu’ils ont fait pour moi. C’est au dessus de mes forces. » dis-je d’une petite voix au bord de l’extinction.

Puis, passé le cap de l’anéantissement, je me relevais. Comme dans un sursaut nouveau. Attrapant ma cape de voyage bleu cyan, je la réajustais et je le remis correctement, car elle était tombé. Le visage farouche, je regardais Aram et je déclarais :

« Il reste une dernière solution. Je vais essayer de la localiser par Nécromancie, afin d’avoir la confirmation de sa mort ou non. Je m’y étais refusé jusqu’à présent, par éthique. Mais si c’est la dernière solution alors je dois la saisir. Il existe un marchand, qui propose les services d’un Nécrophone. On peut échanger avec les personnes de l’haut delà, sur l’Allée des Embruns. »

Je terminais de m’habiller, puis, finalement avant de vraiment partir, je le regardais dans les yeux :

« Tu viens avec moi ? » dis-je en lui tendant la main.

La sorcière parut se vider instantanément de son énergie. Un peu plus et elle se serait effondrée, tant elle semblait blême, tremblant debout sur ses deux pieds. L’ombre de l’oubli et de la mort passa sur son visage, se faisant elle-même oiseau de mauvais augure. Les tentatives du tzigane pour retracer et retrouver le fil de vie de la disparue se révélèrent vaines, plongeant Iseult dans un lourd désespoir qui eut enfin raison de ses jambes. Elle s’effondra, tout en levant vers lui son visage tourmenté, comme si elle cherchait à lui imposer sa peine.

En grand habitué de la lâcheté humaine, le Romanez tenta de se dérober à ce spectacle désolant, refusant d’y lire toute l’étendue de sa peine. C’était bien simple, l’arménien avait une seule faiblesse : il lui était impossible de voir pleurer une femme sans réagir. Mais comment ne pas tomber dans ce regard doux noyé de douleur et de culpabilité ? Aram y plongea comme au premier soir, et sans avoir rien appris de ses erreur passées.

Mais soudain, la descendante druide se releva d’un bond, soulevée par une nouvelle énergie. Ce brutal élan inquiéta le tzigane qui se recula d’un pas. Se trouvait-elle à présent elle aussi possédée ? La vérité fut bien pire… Un seul mot de sa part, et un vent d’outre-tombe les frôla. Le soleil disparut brusquement derrière la colline, rendant l’atmosphère plus fraiche et presqu’inquiétante.

Nul ne prononçait ce terme sans en subir les conséquences. Attirés par la promesse de cette brèche contre-nature, les esprits se pressaient aux portes de leur perception, cherchant par tous les moyens à entrer en contact avec eux, les posséder et les dévorer voracement, insatiables, et en souffrance perpétuelle. Il était strictement interdit, même dans la culture gitane, de chercher à créer un pont entre le royaume des morts et celui des vivants. Cette magie était bien trop dangereuse, et ses conséquences bien trop dévastatrices.

- On n’entre pas si facilement en contact avec les esprits disparus, marmonna-t-il sombrement, sentant sur sa peau les doigts glacés de la bise comme un prémices de la malédiction qu’ils encouraient. Les portes noires du Royaume des Morts sont férocement gardées, car en ces lieux, il y a un mal qui ne dort jamais. Toujours prêts à s’emparer de nos âmes, les esprits ne cherchent qu’à fuir cette terre désincarnée et stérile, recouverte de braises, de cendres et de vapeurs empoisonnées. Même le plus puissant magicien ne peut se risquer en ces lieux et en ressortir indemne. C’est une folie Iseult…

Aram ignorait à qui pensait la sorcière pour lui faciliter le passage avec l’au-delà, mais il s’agissait sans doute d’un escroc. C’était sans espoir… Et pourtant elle se tenait là, devant lui, lui proposant une main tendue malgré tout le mal qu’il avait pu lui causer. Iseult commettrait l’irréparable, avec ou sans lui. Il pouvait lire la détermination bornée qui la caractérisait dans chacun de ses gestes, chacune de ses poses et attitudes. Alors, avec un soupir, il lui attrapa doucement la main pour la porter à ses lèvres.

- Ay, je t’accompagnerai, pour le meilleur comme pour le pire…

Après un dangereux exorcisme, voilà que le destin mettait sur sa route un nouvel interdit. Était-ce un signe du tournant que devait prendre son existence ? Comme toujours, le Romanez choisissait de faire confiance en la destinée. Après tout, c’était d’Iseult qu’il s’agissait… Et qui était-il pour briser ainsi son Nouvel Espoir ?