A Serpent of the Twilight
28.12.2024 TW : sang, mort, viscères. Brynn passa ses mains sur les feuilles du superbe aralia du japon qui décorait une partie du jardin intérieur du Nishi Chome. Elle observait, le regard toujours plus triste, les feuillages qui subsistaient tant bien que mal au frimas de l’hiver, et ce uniquement grâce à la magie qui insufflait une douce moiteur dans le petit parc. Avec ses cheveux noirs et sa discrétion naturelle, Brynn se fondait dans le décor alors que Viper devait encore s’entretenir avec ses gens. Passée inaperçue au sein de la grande structure était devenu un passe-temps comme un autre. Il suffisait de se cacher derrière un sagou du japon ou un érable particulièrement fourni pour que l’affaire soit faite. Viper était encore le seul à la débusquer, et pour cause, il n’avait qu’à suivre l’odeur empreinte qu’il avait laissé sur elle.
Une odeur indélicate... Une marque, pour mieux t’asservir et te contrôler, n’est-ce pas ?Les yeux de Brynn se baissèrent sur les gouttes de rosée qui habillaient certaines feuilles. Magnifiques et lourdes. Elle ferma les yeux un instant, préférant ignorer l’horrible voix de mégère qui était revenue depuis plusieurs jours déjà. Ça avait jeté un froid : là où Brynn avait cru que la vieille Oiche avait déguerpi et que la maladie ne gagnerait plus de terrain, elle devait se rendre à l’évidence, c’était le contraire.
Ses sauts d’humeur n’avaient jamais été aussi présents, et elle se trouvait dangereuse, que ce fut pour elle-même ou pour Viper. Un coup de griffe était si vite arrivé, et si ce n’était pour le gant constricteur qu’ils avaient réussi à dénicher, elle se serait déjà défigurée elle-même comme elle avait tenté de le faire la veille. Des excès, des obsessions, des lubies. Une folie furieuse qui s’insinuait, latente comme des tambours lointains, entêtante comme un chant très ancien.
Tu ne veux pas appeler ton loup au secours ?
Tu pourras encore lui demander de te dévorer pour abréger tes souffrances, il ne le fera pas.
Il a trop peur de s’empoisonner avec ta chair.« Ferme la » commenta simplement la sorcière, se redressant calmement du jardin intérieur. Il fallait pour elle regagner tranquillement sa chambre, où elle ne causerait aucun dégât, où elle ne serait un danger pour personne puisque tout avait été fait pour. Plus rien de tranchant, plus de miroir, plus de…
Son attention fut attirée par un homme qui s’était dégagé du jardin et semblait faire semblant de ne pas la voir. Brynn fronça doucement les sourcils, son cœur se mettant doucement à s’accélérer dans sa poitrine. Est-ce qu’il lui voulait du mal ? Sa présence ici faisait encore parler. Elle ne comprenait pas grand-chose aux échanges, mais nombreux étaient les hommes de Viper à désapprouver sa présence.
Tu ne t’en rends compte que maintenant ?La voix était pernicieuse, ponctuée d’un petit ricanement malade.
Il n’a pas confiance en toi. Il te piste, comme un animal.Brynn fronça doucement les sourcils. La vieille Oiche avait tort. Viper lui faisait confiance, sinon pourquoi la gardait ici avec lui, au milieu de tous ses hommes qui ne rêvaient que de se débarrasser d’elle ? Une étrangère ? Même pas une japonaise ? Sa main lui fit horriblement mal mais elle n’y fit pas attention et avança de deux pas vifs vers l’homme qui était resté immobile et en retrait.
Quand elle avança, il recula. Elle avança encore plus, pour le rattraper, mais il recula encore, une certaine peur ancrée sur le visage. Était-ce elle qu’il craignait ? Ou plutôt Viper qu’il décevrait si l’ordre était de suivre sans être vu ? Était-ce son Ordre ou celui du conseil ?
« Toi… ! » L’homme ouvrit rapidement la porte du jardin intérieur et déguerpit, cette fois sans regarder en arrière, comme s’il avait eu quelques cravaches enflammées aux fesses. La jeune fille resta quelques instants dans l’encadrement de la porte, l’air perplexe.
Il ne te laissera pas partir.Brynn tentait de se raisonner, avec patience, avec amour. Viper ne la laisserait pas, c’était évident. Elle avait eu beau le supplier de ne pas faire appel à la vieille femme dont le nom semblait presque interdit à prononcer, elle savait que tôt ou tard, il finirait par avoir recours à ses services. En échange de quoi alors ? Une partie de son pouvoir, ou pire encore – de son âme ?
Viper, en revanche, ne pouvait la trahir aussi sciemment. S’il la faisait suivre, c’était uniquement parce qu’il s’inquiétait pour elle. Pour quelles autres raisons le ferait-il ?
Pour te garder, éternellement.
Comme une petite chose. Comme un jouet.Que crois-tu qu’il se passera quand tu seras devenue bien laide comme moi, ta mère ?
Il te jettera, et il passera la bague à une belle fille de son pays, que les anciens n’auront pas de mal à accepter.
Ne rêve pas. Tu es au crépuscule de ta vie.Brynn serra doucement les poings. L’idée de voir Viper avec une autre lui arrachait le cœur bien sûr, et en même temps, que pouvait-elle lui demander ? Elle lui avait fait une promesse – oh, même une promesse de Gwent – et là-dessus elle ne pouvait et ne voulait revenir. Mais lui était encore jeune, et il avait une lignée importante à perpétuer.
Qu’était-elle, elle, qu’une pauvre enfant du Pays de Galles, une bâtarde de surcroît ? Peut-être n’était-elle pas même sang-pur.
Est-ce qu’il t’a dit qu’il t’aimait ?Brynn resta silencieuse, mais ses yeux avaient rougi.
Il te trahira, comme ils le font à chaque fois.
Viens, ma petite, viens me voir.
A Ysbyrd, dans le terrier surplombé par un cercle de fée, tu me trouveras, et tu verras, tout ira mieux.
J’apaiserais tes maux…Brynn inspira profondément, pour se calmer.
« Viper ne veut que mon bien, il ne m’empêcherait pas de faire mes propres choix » commenta-t-elle d’une voix monotone, comme si elle récitait un mantra pour se convaincre de la chose.
Au fond du couloir, une autre silhouette apparut, différente de l’homme d’avant, la surveillant du coin de l’œil. Elle pouvait le deviner sans difficulté, grâce à cet instinct quasi animal que le fourchelangue en elle avait dompté avec les années. Au lieu de s’emporter, elle fit un pas vers la silhouette qui aussitôt recula, comme se fondre de nouveau dans le décor, mais c’était trop tard désormais.
Elle fit plusieurs pas vers la porte, prête à la dépasser, mais l’homme-garde ne moufta pas et la porte resta fermée. Brynn fronça les sourcils et releva le nez vers le soldat.
« Je veux sortir. »L’homme fit semblant de ne pas comprendre, ou peut-être n’avait-il vraiment rien compris, mais aussitôt que Brynn leva la main pour ouvrir la porte coulissante, l’homme se mit en travers de son corps – sans oser la toucher de ses mains – et cela la fit siffler de frustration.
La colère doucement montait.
« Laissez-moi sortir, s’il vous plaît » articula-t-elle dans un anglais britannique, gommant l’accent gallois qui généralement accompagnait ses laïus.
L’homme ne bougea toujours pas, sans la regarder dans les yeux.
« Poussez-vous ! » grogna-t-elle.
« Mais poussez-vous ! » menaça-t-elle.
« Dégage de là ! » vociféra-t-elle.
Cette fois, l’homme se poussa. Il glissa mollement sur le sol, se tenant fermement le ventre d’où sortait ses viscères en vrac. Les boudins de ses boyaux tentaient de s’échapper, tandis que Brynn le fixait, la main gauche rougie jusqu’au coude. Elle le fixa une longue minute, horrifiée et en même temps apaisée de toute cette frustration et de cette rage qui avaient grimpé rapidement en elle. La chaleur de l’hémoglobine sur son derme était étonnement rassurant. Elle voulut lécher les quelques perles qui roulaient mais l’homme remua.
Elle enjamba le corps de l’homme qui tentait d’appeler à l’aide mais sa voix semblait comme coincée dans le fond de son gosier, et Brynn fut rapide à s’extraire du labyrinthe. C’est sans réfléchir qu’elle sauta d’une fenêtre pour enfin être avalée par la foule. Le regard dans le vague, elle ne pensait plus qu’à une seule chose.
MADE BY @ICE AND FIRE.