Fuel to Fire — ft. Urielle Grimm

ft. @Urielle Grimm

Une nuit claire s’était installée sur un Londres magique paisiblement endormi, seulement bercé par la quiétude d’une lune ronde comme une balle et aussi blanche et lumineuse que la pureté renommée de l’astre l’exigeait. Sous sa garde attentive, la capitale anglaise était comme à son habitude — calme et sérieuse sans jamais trop l’être. Des éclats de rire bruyants résonnaient dans les rues, cà-et-là, anticipant déjà les soirées printanières qui se montraient timidement et l’été, tant attendu après un si long hiver.

Comme tous les soirs de pleine lune — comme la plupart de ses nuits depuis des années — Yara ne dormait pas. Son corps répondait sans mal à quelques heures de sommeil et, quelque part, le deal en valait la chandelle : si elle ne dormait pas, elle ne pouvait pas cauchemarder et encore moins rêver.

Dès que ses paupières étaient closes, la réalité était toute autre.

Les yeux grands ouverts, son corps abîmé allongé avec langueur sur son grand lit, la chasseuse se contentait de regarder à travers sa fenêtre celle qui avait toujours été sa pire ennemie et qui n’était pas prête d’être détrônée. La reine de la nuit la regardait avec persistance sans bouger d’un pouce, et la louve se demandait ce qu’elle avait bien pu lui faire pour mériter tant de mépris de sa part — mais au fond, elle savait.

Elle savait, puisqu’elle la méprisait au moins tout autant.

Un long soupir s’échappa de sa bouche alors qu’elle se demandait déjà à qui elle allait écrire pour optimiser sa nuit. Plusieurs noms défilèrent devant ses yeux, et, parmi eux, celui d’@Ebenezer Grimm dont elle n’avait pas visité les draps depuis quelques temps déjà. Lentement, la brésilienne se releva, attrapa sa baguette et sa lame d’argent dans le holster de cuisse qui ne la quittait pas, puis entreprit d’écrire une note à son amant.

Sa lancée fut nettement interrompue par un bruit de l’autre côté de son appartement, en provenance de sa porte. Un tapotement régulier, résolument  léger, mais aux accents suffisamment métallisés pour laisser penser que quelqu’un était en train de forcer la serrure.

Pourtant, aucune alarme ne retentissait.
Voilà qui est curieux, pensa-t-elle.

Car l’image de Glenn Yard entre ses murs avait été suffisamment traumatisante pour pousser Yara à apposer le double de protection contre tout type de sorciers et de créatures magiques de toute nature autour des entrées. De telle sorte que, si par chance, quelqu’un passait le seuil de la porte, il ne pourrait plus en ressortir sans qu’elle n’ait son mot à dire.

La lycanthrope refoulée fit quelques pas en direction du bruit, la baguette dans une main et la lame dans l’autre, les deux armes prêtes à faire feu. Mais la silhouette qui fila aussitôt à travers son appartement une fois ses méfaits accomplis n’avait rien à voir avec celle d’un sorcier. Ou un loup. D’ailleurs, ce qui ressemblait de plus en plus à un tout petit volatile affolé se dirigeait droit dans sa direction avec une rapidité telle que Yara dut faire preuve de réflexes hors normes pour l’attraper, perdant l’équilibre au passage et retombant sur ses fesses.

La porte ouverte, sur le seuil, en tenue de nuit très peu adaptée à la température extérieure, le sol jonché de nombreuses plumes colorées appartenant sans nul doute au petit rapace tremblant au creux de ses bras.

Une lame d’argent immaculée sur le parquet.

Tous les indices portaient à croire qu’une scène de maltraitance venait tout juste d’avoir lieu.

La chasseuse ne tarda pas à se remettre sur pied alors que des pas résonnaient maintenant dans les escaliers et qu’une autre silhouette — sans ailes, cette fois — apparaissait dans son champ de vision. Certainement un voisin interpellé par tout ce remue-méninges, puisqu’il provenait de l’étage du-dessus.

Pour faire diversion sur cette bien gênante rencontre, Yara — qui n’avait peut-etre jamais croisé un seul de ses voisins — fit ce qu’elle savait faire de mieux : se montrer désagréable.

« Ce serait pas à vous cette horreur, des fois ? », demanda-t-elle en prenant à partie l’inconnu(e), brandissant d’un air agacé la petite et adorable chouette encore sonnée, sous le choc mais tenace puisqu’elle tenait encore fermement un petit paquet soigneusement ficelé dans son bec. « Ce maudit piaf vient de rentrer chez moi par effraction et m’a réveillée. » Mensonge. 

Pour ne pas en rajouter, puissants mécanismes de défense obligeaient, l’alarme se mit à sonner bruyamment en réponse à la-dite silhouette qui s’approchait dangereusement de l’appartement. De quoi réveiller tout l’immeuble et les bâtisses environnantes.

Une raison de plus, s’il en fallait une, pour se tenir éloignée des voisins dans les jours à venir…

ft.  @Yara Morães De Carvalho

Baudruche n'aimait guère les nuits de pleine lune. C'était ce genre de nuit où il ne se passait jamais rien de bon. On pouvait le voir dans l'affolement de ses gros yeux jaunes d'ordinaire si hagards. C'était comme si la chouette pressentait que quelque chose allait mal tourner. Urielle leva les yeux au ciel, dépitée. Elle se demandait pourquoi elle s'entêtait à garder ce piaf tombé du nid alors qu'il savait déjà voler quand la volière des Grimm aurait pu lui prodiguer des coursiers autrement plus présentables. Il fallait croire qu'elle s'était attachée à la petite boule de plume maladroite.

« Allons descend maintenant, ce n'est que moi. Madame Hopkins ronfle je l'entends de là. Je te rappelle que tu es aussi censée me livrer le courrier... Allez oichtr !!!», pestait la rouquine qui était tout de même descendue dans le hall en t-shirt / boxer en entendant les criaillements de sa chouette. La concierge de l'immeuble avait une curieuse phobie des chouettes hagardes et le piaf ne faisait rien pour s'éviter... « ... un énième sortilège de confusion... Madame Hopkins... vraiment ? »
« J'y peux rien c'est plus fort que moi, dès que je la vois... je suis vraiment désolée Urielle. »

La concierge était sortie de nulle part, chaussons de fourrure aux pieds, boulottée dans son peignoir rose bonbon, sans doute attirée par ce raffut. Dire que la petite vieille, sous l'effet de sa peur panique, avait de meilleurs réflexes qu'une auror... c'était un peu honteux. Urielle n'épilogua pas, partant à la poursuite de sa chouette sans oublier de lancer un sortilège pour masquer le bruit de ses pas, histoire de ne pas attirer d'autres voisins ornithophobes. La petite chouette ne fut pas bien difficile à suivre. Elle avait dû se cogner dans tous les obstacles qui n'auraient pas dû se trouver sur son passage, à commencer par les murs, avant de s'engouffrer dans l'appartement d'une voisine.

Urielle arriva devant une presque scène de crime, juste pour prendre un soufflet de la part de la voisine mécontente. Ça pouvait s'entendre cela dit.

« Si, c'est à moi. Je me demande ce que les habitants de cet immeuble ont avec les oiseaux... », c'était quand même pas donné d'être sorcier et d'avoir peur des piafs... « Vous dormez avec ce genre de choses ? », répondit la rouquine sur le ton de l'humour, désignant d'un petit mouvement de menton, la lame qui se trouvait à ses pieds. Elle aurait pu faire un effort d'imagination si seulement la voisine avait essayé de lui faire gober qu'elle faisait la cuisine au moment où la chouette l'avait interrompue.

Le moins que l'on pouvait dire, c'était que les deux jeunes femmes semblaient n'avoir rien en commun de prime abord. L'une dans sa tenue légère, l'autre avec son vieux t-shirt informe. Toutes deux si mal gardées des rigueurs de l'hiver qui couvait toujours à l'extérieure.

Urielle s'apprêtait à dire quelque chose lorsqu'une alarme retentit, lui tirant automatiquement une grimace presque douloureuse.

« JE SE...OUS... ERAIS QU...OSE.... AVANT QUE.... RTIER...NE DÉ...ARQUENT. », conseilla la rouquine, voix à demi couverte par les hurlements de l'alarme. Dans le couloir, des rais de lumière apparaissaient successivement sous les portes.

Si elle se rappelait bien, c'était à cette étage que vivait Mrs Popplewell... la fameuse...

ft. @Urielle Grimm


La minuscule chouette, malgré ses grands yeux et son plumage soyeux qui dansait comme du satin sous le vent, avait tout d’un oiseau de mauvaise augure.

Tout avait commencé quand elle avait mis Yara sur ses fesses. Rien n’allait en s’arrangeant depuis qu’elle avait rameuté, dans son oisiveté, l’une de ses voisines comme si ça avait été le meilleur moyen pour que ces deux-là fassent mieux connaissance — et dans un sens, c’était le cas. Mais quant à savoir ce qu’il en serait de ceux qui suivraient le mouvement si cette horrible alarme ne s’arrêtait pas… Si la résidente qui se trouvait en face d’elle avait l’air dotée du minimum de ses facultés cognitives, ce ne serait certainement pas le cas de tous ceux à son étage qui se précipiteraient certainement déjà pour enfin apercevoir un bout de visage ou, à défaut, un morceau de peau pour satisfaire leur curiosité et attester au reste de l’immeuble que quelqu’un qui vivait bel et bien derrière cette porte.

Cette idée fit frémir Yara plus que n’importe quelle gueule de lycan enragée qui avait été si près de son visage qu’elle avait pu en sentir les effluves. Aussi, sans plus de cérémonie, elle prit la main de la propriétaire de la bête avec la sienne qui était libre, l’attira dans son appartement avec une grande force et claqua sa porte derrière elle avant que quiconque ait pu franchir le seuil de son pallier à son étage. L’alarme s’arrêta aussitôt.

Voila qui était tout à fait révélateur de la façon que Yara avait de gérer les événements qui survenaient dans sa vie : jamais sans un brin de brutalité. En quelques minutes, cette voisine avait récolté suffisamment d’indices pour faire d’elle l’habitante  à abattre du bâtiment. Même si la chasseuse, avec son alarme et le raffut qu’elle avait involontairement causé, n’avait pas franchement besoin de ça par-dessus le marché. Mais elle préférait toujours rejeter la faute sur les autres. C’était tellement plus simple que de se sentir coupable ou que de sentir tout court.

Le regard de Yara s’arrêta sur la lame d’argent au sol. Sans s’épandre sur les raisons qui la poussaient à dormir avec malgré la question qui lui avait été posée, elle se baissa pour la ranger là où elle appartenait — au plus près de son corps même en tenue de nuit. Surtout en tenue de nuit. On ne savait jamais.

Était-ce à la vue de l’arme tranchante qu’elle avait défailli — Yara n’aurait su le dire — mais la petite chouette au bout de son bras se balançait désormais inerte au rythme de ses mouvements. La Brésilienne, pas gênée par la situation mais un brin attendrie parce qu’il s’agissait tout de même d’un animal et que de là où elle venait, la nature était au centre de tout, tendit le morceau de viande à sa propriétaire. Malgré sa perte de conscience, la créature à plumes tenait toujours solidement le courrier qu’elle avait eu pour mission de livrer à sa maîtresse.

Yara n’eut qu’à tendre l’autre bras pour attraper sa baguette posée sur un meuble, puis lança un Enervatum en direction de la fauteuse de troubles avant de fermer la porte à clé dans un claquement sonore, la chouette toujours inconsciente au bout de son membre supérieur opposé.

« J’aimerais autant m’assurer que les autres ne débarquent pas avant que vous ne ressortiez », expliqua-t-elle d’une voix plus dure, la mâchoire serrée, en réponse à son propre geste.

Dire que cette situation ne lui plaisait pas était un euphémisme, surtout dans le contexte actuel. Pour cause, c’était la première fois que Yara se voyait contrainte d’accueillir quelqu’un dans son appartement aux murs froids et vides. À peine un canapé au milieu du grand salon pour venir habiller les lieux, et certainement pas une bribe de décoration pour les enjoliver… et que dire des artefacts de magie noire qui dormaient sur ta table de nuit, dans la pièce d’à côté…

Il n’y avait ici rien, en somme, qui donnait envie de rester.

ft.  @Yara Morães De Carvalho

D'une manière ou d'une autre, la voisine dût parvenir à comprendre. Sans crier gare, elle prit Urielle par la main, l'attira à l'intérieur. La baguette de l'auror, sortie de nulle part, pointait l'intrigante voisine avant même que la porte ne se referme dans un claquement sec. L'alarme s'arrêta. Il fallut quelques secondes à Urielle pour baisser sa garde.

« Désolée, déformation professionnelle. », s'excusa-t-elle en faisant littéralement disparaître le petit artefact. Nul doute qu'il n'était pas loin.

Toujours intriguée, elle suivit la voisine du regard comme elle ramassait elle aussi ses "ustensiles de cuisine". A la voir faire, il n'était pas bien difficile d'en venir à la conclusion que ça n'était pas une citoyenne lambda. Soit elle avait le genre de métier qui aiguise certains réflexes soit c'était une de ces illuminées de survivaliste que la BPM ramassait à raison d'environ deux par semaine. A y bien regarder, elle aimait autant que la voisine soit tueuse à gages, la conversation serait plus intéressante comme cela.

Pendant ce temps, Baudruche s'était complètement dégonflée. La petite chouette avait littéralement tourné de l'oeil, à cause du bruit sans doute. La belle brune sembla s'en attendrir, ce qu'Urielle ne manqua pas de noter. Un petit morceau de viande et un enervatum... ça n'était certainement pas une tueuse à gage, ou alors le genre qui n'aime que les bestioles. S'il fallait elle était vétomage ou - voilà maintenant qu'elle fermait la porte à clé. Dans un coin de la tête d'Urielle, cela faisait une croix de plus dans la colonne tueuse à gage.

« Pourquoi ? Vous avez quelque chose à cacher ? », répondit la rousse sur le ton de la plaisanterie puis, après un petit silence, « Je plaisante, personnellement je fermerai à double-tour. On ne sait jamais combien de paire d'yeux nous attende de l'autre côté de cette porte. Surtout à deux mètres de chez la Popplewell. »

Une abominable commère cette mère Popplewell. Urielle avait pris le pli de toujours afficher une mine préoccupée et de presser le pas quand elle rentrait, de peur de tomber dans les serres de la quarantenaire. Cette femme était beaucoup trop bavarde. Elle lui avait fait perdre trente minutes un matin pour lui parler d'une autre voisine dont la cousine avait un voisin qui avait perdu son boursouflet dans un accident de boîte de conserve à l'épicerie. Une putain de demi-heure. Oichtr !

Jetant un regard circulaire à l'appartement de la voisine, Urielle demanda :

« Vous venez d'emménager ? »

L'appartement n'avait même pas l'air habité (une autre croix dans la colonne de gauche). Tout au plus, un canapé trônait en seul maître au milieu du salon. Urielle ne s'intéressait que peu à la vie de ses voisins. Elle savait quand même que le papi du dessus était mort l'automne dernier et que Ermance, la fille de Mme Bobbette allait se marier au printemps (40 minutes coincée sur le pallier du 2e avec la Mère Popplewell, 1 shawarma froid à l'arrivée). Mais elle aurait bien été infichue de dire si de nouveaux voisins avaient aménagé récemment. Enfin, ça devait être le cas puisque...

Tout à coup, Baudruche reprit du poil de la bête. Elle commença par ouvrir un oeil, puis l'autre, ce qui lui donnait vraiment l'air de pas être fraîche. Avec un petit sursaut, elle réalisa que sa "maîtresse" n'avait plus tout à fait la même dégaine. C'était bien parti pour qu'elle s'en offusque, mais l'odeur de la viande cru l'en détourna. Alors, cette tête de piaf mal fichue se mit à picorer comme un poulet, et encore, quand elle ne ratait pas sa cible. Urielle leva les yeux au ciel.

« Par pitié ne faites pas attention à elle. Elle est tombée trop tôt du nid. »

ft. @Urielle Grimm

Un sourire avait pris place sur les lèvres de la chasseuse. La baguette d’un autre sorcier était braquée sur elle dans son propre appartement. Pourtant, ça ne l’inquiétait aucunement. À tel point qu’elle avait fini par s’en détourner pour ramasser sa lame d’argent sur le sol le temps que la voisine justifiait son coup de sang par son métier.

Un nouveau sourire. Mais Yara ne répondit rien sur le moment. Elle dormait avec une lame d’argent sous son oreiller et, comme un enfant en mal d’amour, ne trouvait pas le sommeil avant de l’avoir placée dans ses draps.

Qui était-elle pour juger des déformations professionnelles des uns et des autres ?

Mais c’était pourtant plus fort qu’elle.

Aussitôt que l’idée se fut frayée une place dans son esprit, Yara ressentit le besoin de l’expier, changeant soudainement d’attitude. Tout sourire l’avait abandonnée.

« Me dites pas que vous bossez pour les cowboys de la BPM, par pitié. »

Pendant un instant, elle avait même stoppé tous ces gestes pour mieux la sonder du regard d’un œil froid, au moins aussi coupant que l’arme dont elle s’occupait de nettoyer la tranche avec un chiffon attrapé à la volée — comme tout psychopathe qui se respectait et qui s’apprêtait à commettre l’un de ses méfaits.

Puis, les yeux de la rousse l’avaient suivie avec attention, épiant le moindre de ses faits et gestes alors qu’elle avait pris soin de la petite volaille. Comment lui en vouloir ? Elle était en terrain inconnu.

Mais la chasseuse ne sentait rien en sa voisine qui aurait pu lui déplaire, pas même une question gênante sous couvert d’humour.

C’était un bon point.

«  Deux, trois cadavres dans le placard, ça n’a jamais tué personne, pas vrai ? » À part les-dits cadavres; mais ils étaient déjà froids. « Rien qui pourrait effrayer cette Madame Popplewell, je vous rassure », lâcha-t-elle de but en blanc avec un sourire dont on ne pouvait aisément évaluer la teneur sans la connaître.

D’autant que, sans le savoir, son interlocutrice avait déjà sa petite idée du profil qui se tenait devant elle.

C’était là tout l’art de la personnalité de Yara. Dire, sans dire, c’était un jeu auquel elle adorait se prêter. Et laisser ses proies dans l’incompréhension en suivant était un véritable délice. Mais pas sûr que ça marcherait cette fois-ci. À en croire les premiers éléments de sa petite enquête, elle était tombée sur un sacré morceau et c’était toujours plus intéressant d’y goûter que de rester là à rien faire en attendant que le voisinage décide d’abdiquer.

« On peut dire ça comme ça », acquiesça-t-elle faussement, non sans avoir soufflé du nez devant l’ironie de la situation et la critique induite de sa décoration plus que minimaliste. Elle était probablement la plus ancienne habitante de ces lieux, en dehors de la Popplewell qui était peut être née ici — allez savoir, on ne savait jamais avec cette génération sédentaire. « J’habite ici depuis 2007. »

Par chance, la dénommée Beaudruche interrompit l’interrogatoire et finit par reprendre conscience alors que sa maîtresse s’excusait de son attitude. Yara, elle, s’efforça de ne pas paraître attendrie alors qu’elle la défendait intérieurement bec et ongles en se rendant compte que toutes deux l’avaient jugée sévèrement. Maintenant qu’elle avait retrouvé sa maîtresse, la chouette avait bel et bien rempli sa mission en ne lâchant pas le courrier d’une seule parte patte.

« Yara Morães De Carvalho », se présenta-t-elle pour mettre fin au petit silence gêné qui s’installait souvent entre deux personnes quand elles n’avaient rien d’autre à se dire.

Avec un peu de chance, le silence serait revenu dans le couloir adjacent avant que la voisine rousse n’ait eu le temps de lui poser davantage de questions sur ses origines. Car cette dernière en avait déjà vu plus de Yara que la plupart de son entourage proche et restreint — son pyjama, pour commencer, et maintenant, l’intérieur de son appartement.

Et c’était déjà beaucoup pour une seule nuit, même elle ne venait que de commencer.

ft.  @Yara Morães De Carvalho

Devant le sang froid de la mystérieuse voisine, Urielle ne put que tiquer. Elle ne dit rien, baissant simplement sa baguette. S'il était dans sa nature, ou plutôt dans sa formation, d'être observatrice, ele n'allait bien évidemment pas mettre en scène un interrogatoire au beau milieu de l'appartement de sa voisine. Mais apparemment, pour le peu qu'elle en avait dit, cela avait suffi à susciter une réaction chez l'autre jeune femme qui semblait avoir une dent contre la BPM.

Son passage là bas en tant qu'agent de liaison ne lui avait guère donner envie de s'enraciner. Il n'y avait guère que  @Noma Karma et Hobbs qu'elle regrettait.

« Sujet sensible ? », demanda Urielle sur le ton de la conversation, puis, comme elle n'avait rien à cacher mais beaucoup à observer, « Non, l'uniforme des brigadiers ne me va pas au teint. », il n'était après tout pas interdit de faire de l'humour.

La conversation se poursuivit pendant que Baudruche se remettait de ses émotions péniblement. Urielle l'avait toujours suspectée d'en rajouter pour s'économiser. C'était une technique qu'elle avait vu faire chez quelques agents de la BPM parmi les plus médiocres d'ailleurs.

« Les cadavres non mais la mère Popplewell, croyez-moi vous n'êtes pas prête. », s'amusa Urielle. Elle s'imaginait déjà l'énigmatique voisine au prise avec la commère de l'immeuble. Il y avait gros à parier qu'elle avait dans son sac à malice tout ce qu'il fallait pour vous pourrir la vie bien comme il fallait. Fort heureusement, Mrs Popplewell occupait un emploi à plein temps en tant que caissière d'une petite alimentation du nord de Londres. Sans doute le poste idéal pour nourrir sa curiosité mal placée.

L'anglaise ne put s'empêcher de noter qu'une fois de plus, la voisine répondait à ses questions en les contournant soigneusement. Comme par réflexe. Qu'avait-elle donc à cacher ? On aurait peut-être tout à gagner à le demander à Mrs Popplewell. Mais Urielle n'avait rien à reprocher à ce drôle d'échange, contrairement à sa chouette.

« 2007 ?! Je m'incline. Urielle Grimm, je suis votre nouvelle voisine. », fit-elle en tendant la main avec un sourire amusé. Si on remettait les choses dans l'ordre c'était ainsi que ça aurait dû se passer. Baudruche, remise de ses émotions, vint se poser sur son épaule, son éternel air ahuri affiché sur ses yeux mi-clos, « Surtout ne vous sentez pas obligée de me préparer un cake à je-ne-sais-quoi. Je ne m'offusquerai pas. »

Un sourire accroché à ses lèvres, elle espérait bien que la voisine se détende un peu même si à dire vrai, dans leur tenue respectives, on ne pouvait pas dire que les conventions sociales les tenaient à la gorge.

ft. @Urielle Grimm

Dans un autre monde, la disparition soudaine de l’agent Karma aurait probablement pu changer sa perception de la brigade de police magique. Si Yara avait été du genre à s’attendrir facilement, elle aurait pu mettre fin à ces enfantillages que de tels incidents de terrain faisaient généralement passer en second plan. Mais bien qu’une partie d’elle regrettait de n’avoir su protéger son collègue éloigné des griffes des lycans, comme toutes leurs autres victimes, sa mort n’avait pas suffi à bousculer son opinion sur la question.

À ses yeux, les agents de la BPM n’étaient bons qu'à jouer leur rôle de cow-boys tout feu tout flamme et d'une certaine manière, la mort de @Noma Karma lui donnait raison — impossible d'admettre qu'elle pouvait se tromper, de toute façon.

« Absolument pas. » Ce n’était pas dans ses habitudes de partager ses tabous, tout simplement parce qu’il n’y avait aucun sujet à ses yeux qui vaille la peine de ne pas être abordé. « Mais sur le terrain, ils sont intenables. Quand ils ne font pas mine d’être complètement submergés par un rien. » Le sous-entendu quant à ses propres activités professionnelles était évident, mais elle préférait étrangement poser la question la première. « Vous travaillez pour qui, alors ? »

Non pas qu’il existait un seul service au sein du Ministère pour rattraper l’autre — à part, peut-être, celui auquel elle avait été si longtemps été affiliée — mais l’hypothèse de la BPM écartée était déjà, en soi, synonyme d’un certain soulagement. Et les fins réflexes de l'étrangère sous couvert de déformation professionnelle plus tôt avaient montré qu’elle devait avoir ses entrées dans la haute sphère magique. Du moins, c’était la déduction de Yara, grande habituée des interrogatoires qui n’y ressemblaient pas.

Quand à ceux de Mrs Popplewell…

« Il y a deux possibilités dans ce cas. Soit je ne suis pas digne de son intérêt, soit elle sait déjà tout de moi. Je crois que je préfère la première option. Pas vous ? »

Cette discussion prenait des airs de match de tennis, l’une renvoyant la balle systématiquement qu’elle entrait dans son camp. Mais comme tout bon joueur, il fallait savoir preuve de fair-play ; plutôt satisfaite de ce premier contact avec son adversaire, Yara daigna finalement serrer sa main alors qu'elle se présentait à son tour. Mais un sourire, à ce stade de leur relation, c’était encore trop demandé. La Brésilienne se contenta d’un plissement de lèvres en réaction à sa demande implicite de lui servir à manger, quand en réalité c’était une toute autre donnée qui avait suscité son intérêt.

Grimm… Ce nom ne lui était pas inconnu. Surtout deux jours après les attaques de Pré-au-Lard. Mais elle gardait sa question sous le coude pour plus tard, se contentant d’abord de répondre à son interlocutrice.

« J’ai davantage de liquide que de solide dans cet appartement. Vodka martini, ça vous va ? », demanda Yara en se dirigeant vers la cuisine à pas de loup, sans vraiment laisser la possibilité de décliner.

Il n’y avait pas d’autres options, de toute façon. Et verre n’avait jamais fait de mal à personne, en plus d’occuper les silences.

Urielle avait tout le loisir de la suivre si elle le désirait.

En attendant qu'elle se décide, la chasseuse ouvrait déjà ses placards presque vides à la recherche des ingrédients de sa boisson favorite. Un breuvage réservé aux occasions  spéciales et à ne jamais consommer en compagnie de n’importe qui. Urielle pourrait au moins se satisfaire de ça, une fois de retour dans ses quartiers.

« Grimm, vous avez dit ? », demanda-t-elle finalement en se relevant à hauteur de la table haute de sa cuisine, deux bouteilles entamées à la main. Elle débusqua en suivant deux verres dans un autre placard et poursuivit, tout aussi innocemment. « @Michel-Ange Grimm est de votre famille ? », poursuivit-elle sans relever son regard vers son interlocutrice, à qui elle servait un verre.

Il fallait dire que l’ancien étudiant et compagnon d’ @Apolline Dunn — une déduction faite sur le tas — lui avait fait forte impression après ses élans pyromanes en plein cœur de Pré-au-Lard. Sans compter qu’il avait contribué à les mettre tous en danger en refusant les ordres qui lui avaient été donnés.

Sa haine des lycans devait donc être suffisamment grande pour prendre de tels risques et c’était précisément ce qui intéressait Yara.

Et si par hasard sa nouvelle voisine avait le pouvoir de le raisonner, ce serait certainement un bon investissement pour l’avenir.

Pour lui, comme pour Apolline et l’enfant qui était né de leur union, pensait-elle en lui présentant son verre généreusement rempli.