Get busy

ft. @Américo Cervantes

À la fin du mois de janvier, l’Ecosse n’avait pas quitté son manteau d’hiver. Sur ses terres vertes et sauvages, les journées n’avaient pas encore tout à fait pris leurs grands airs de printemps. La température extérieure avait beau se réchauffer et réveiller l’humus tout en douceur, le ciel lui, ne daignait pas encore se découvrir. Les grands nuages menaçants, gonflés de pluie, continuaient le plus souvent de faire de l’ombre au soleil.

Mais pas ce jour-là. C’était comme une accalmie.

Dans les serres de Poudlard, les plantes les plus exigeantes commençaient à s’impatienter, surtout en appercevant le ciel bleu au travers des vitres. La saison froide durait déjà depuis bien trop longtemps pour celles qui attendaient de pied ferme le retour du soleil et de ses rayons. Siobhán avait donc trouvé une bonne excuse pour passer le plus clair de son temps entre ces épais murs de verre quand, en vérité, cela lui permettait surtout d’éviter la salle commune de Serpentard, ses dortoirs, et de patienter en attendant de découvrir le jardin aux milles couleurs des Longerbane dont Arès ne cessait de lui venter la beauté.

Rêveuse alors qu’elle pensait à toutes ces odeurs nouvelles dont elle allait bientôt pouvoir s’enivrer, la préfète des Serpentard ne remarquait pas la présence d’une silhouette inconnue, non loin de sa position. Elle se contentait seulement de sortir quelques pots pour offrir un bain de soleil aux variétés qui en avaient bien besoin.

Jusqu’à ce qu’arrive le tour de l’une des serres les plus reculées de l’école, surtout utilisée pour mettre en quarantaine les individus malades ou en convalescence.

Car oui, les plantes aussi avaient parfois besoin d’un peu de temps pour récupérer.

Peu de monde passait par là, tout simplement parce que rares étaient les sorciers férus de botanique qui accordaient de l’importance à des feuilles éraflées, sèches, et — à en croire leur inclination naturelle vers le sol — tristes. Siobhán ne voyait en cette belle journée d’hiver qu’un présage pour permettre à ses petites protégées de retrouver le bonheur éphémère des rayons du soleil, même si elle savait que pour certaines, ça risquait d’être la dernière fois.

Une fois le premier pot dehors, un détail interpella son attention à quelques mètres de là. La vert-et-argent passait suffisamment de temps de ce côté-ci du château pour constater la présence inhabituelle de quelques arbustes rassemblés pour former un mur. Elle devait rêver, pensa-t-elle d’abord, en reprenant la direction de l’intérieur de la serre pour aller chercher son deuxième pot. Mais  après tout, ça ne coûtait rien d’aller vérifier — au pire, ce n’était pas comme s’il y avait quelqu’un d’autre alentours pour suivre le moindre de ses faits-et-gestes.

À hauteur de la haie improvisée qui semblait être née dans l’obscurité de la nuit, la demie-vélane s’arma de sa baguette magique par réflexe. Plus elle s’approchait, plus elle était certaine de n’avoir jamais croisé ce petit coin de verdure auparavant — elle passait suffisamment de temps dans ce coin du château pour le remarquer, non ? Ce qu’elle vit de l’autre côté du mur végétal — un sorcier nettement plus âgé qu’elle, penché sur une variété colorée de feuillerêve savamment cultivée à en croire leur alignement rigoureux et leur orientation au soleil bien spécifique, des lunettes de soleil posées maladroitement sur le sol — donna raison à son instinct.

La Serpentard, vêtue des vêtements aux couleurs de sa maison, eut un petit hoquet de surprise et d’incompréhension en voyant que l’homme portait une tenue complète aux couleurs de Poufsouffle alors qu’il était plutôt en âge de faire partie de l’équipe pédagogique de l’école. Sa baguette se releva assez naturellement vers l’inconnu, bien qu’il y avait peu de chances qu’un homme qui mettait des gants pour jardiner puisse constituer une véritable menace.

«  Qui êtes-vous et que faites vous ici ? », lui demanda Siobhán dans son accent irlandais teinté d’une pointe de suspicion, sans prendre la peine de s’assurer qu’il l’avait entendue arriver.

La jeune femme aux cheveux roux flamboyants avait beau être assez vive d’esprit pour comprendre ce qui se tramait devant ses yeux bleus, l’insigne étincelant sur sa poitrine, brillant de mille feux sous les rayons du soleil, réclamait bien souvent des preuves — ou à défaut, des aveux.

ft. @Américo Cervantes


L’apparente familiarité avec laquelle l’inconnu répondit laissait à penser qu’il la connaissait. Siobhán, elle, fronçait les sourcils dans un élan de réflexion. Elle avait beau détailler davantage son visage maintenant qu’il s’était retourné vers elle — rien à faire, elle ne le remettait pas. Ou peut-être était-il aussi spontané avec tout le monde ? Juste au cas-où, la demie-vélane garda sa baguette levée vers lui, signe qu’il allait lui falloir un peu plus que des beaux sourires et un compliment à peine voilé sur son apparence pour la convaincre qu’il n’avait rien à se reprocher. Pendant ce temps, la préfète s’efforçait de contenir ses charmes, comme souvent dans l’exercice de ses fonctions.

D’autant que ce Holà ensoleillé et trop chaleureux pour leurs terres écossaises n’était pas sans lui rappeler plusieurs personnes de son entourage — dont certaines, elle le savait, il lui fallait encore se méfier.

« 4ème année ? », demanda-t-elle en haussant un sourcil inquisiteur sur son uniforme qui avait tout l’air d’un vrai, avant de reprendre : « Et je peux savoir ce qu’un Poufsouffle de 4ème année ferait en dehors des serres de Poudlard, à entretenir une culture de feuillereve officieuse sur un domaine qui ne lui appartient pas ? »

Son ton était dur, probablement renforcé par le doute et la difficulté qu’elle avait à s’entendre qualifier de Princesse. Ils ne se connaissaient pas et Siobhán avait tout bonnement horreur qu’on la rapporte à son physique de demie-vélane. Dommage pour lui, le dénommé Américo Cervantes ne pouvait pas le savoir. Ou peut-être que si ?

«  Non merci. Ce n’est pas mon château, je ne suis pas une princesse et la culture de feuillereve n’est pas autorisée dans l’enceinte de Poudlard », grogna-t-elle sans abaisser sa baguette. « Mais j’imagine que vous êtes au courant, sinon vous n’auriez pas choisi le coin le plus reculé de l’école pour votre culture, en sachant qu’il y a sur le domaine des espaces bien plus adaptés pour une croissance optimale de la feuillereve, à la fois mieux exposés et avec une terre nettement plus riche. »

Le menton légèrement relevé, sa voix avait baissé d’un degré d’agressivité pour se teinter de cet accent fier qui prenait souvent le dessus en cours ou lorsqu’il lui était donné la possibilité de faire étalage de son savoir dans l’un de ses domaines de prédilection.

«  Est-ce qu’on se connaît ? », renchérît-t-elle par acquis de conscience avec une drôle de grimace, commençant à douter d’elle-même devant tant de désinvolture.

ft. @Américo Cervantes


À ses mots, le sourire lumineux d’Américo Cervantes se fana. Pis encore, un fond de colère s’étira dans ses traits pour le remplacer. En guise de réponse, il se mura dans le silence et se contenta de visser une paire de lunettes de soleil opaques sur son nez, comme pour montrer qu’une limite venait clairement d’être franchie.

Mais Siobhán n’avait pas eu besoin de ça pour le comprendre. Elle regretta aussitôt ses paroles qui avaient pu sembler pleine de jugements quand en vérité, elle avait plutôt tendance à admirer ces parcours remarquables marqués par des choix forts et la volonté de trouver sa place dans des milieux où tout était déjà pris.

Aussi, quand il précisa que la plantation n’avait pour objectif que de répondre à son besoin personnel, la demie-vélane envisagea un instant d’abaisser lentement sa baguette. On ne pouvait pas heurter la sensibilité de ceux qui avaient de mauvaises intentions et dans la voix d’Américo, il y avait de la sincérité. Mais quelque chose l’empêcha de se mouvoir, comme retenue par une force invisible. La préfète de Serpentard semblait attendre quelque chose.

Américo affirma qu’il avait un don pour les plantes. Et si Siobhán avait la conviction qu’il ne pouvait pas lui mentir, c’est parce qu’il avait réussi à faire pousser une espèce compliquée dans un espace qui, s’il ne lui était pas hostile, ne lui était pas non plus entièrement favorable. Sa plantation avait donné de grandes feuilles épanouies, témoignant de tout l’amour qu’il avait su lui donner. Une autre preuve, s’il en fallait encore une, lui fut présentée quand le Poufsouffle retira ses gants. Elle fut étonnamment plus captivée par le soin qu’il mettait à ranger son matériel de botanique que par l’aveux qu’il venait de lui faire.

Mais un nom suffit à recentrer son attention. Le rythme de son cœur s’en retrouva tout bouleversé car bien évidemment, personne ne mentionnait plus depuis des mois le nom d’Edel en sa compagnie.

Le visage de Siobhán abandonna sa moue pétrifiée, pour se recentrer sur le sol sous ses pieds. Elle se rendait compte à quel point elle était redevable de son entourage de ne pas aborder le sujet, car elle n’avait absolument aucune envie de parler de lui. Le coup de grâce lui fut donné quand l’élève lui confia être un cousin des jumelles Montero. À cet instant, la Korrigan ne savait plus sur quel pied danser et regrettait bien de s’être montrée trop curieuse. Le bras tenant sa baguette se relâcha le long de son corps.

« Je ne l’ai pas "dégagé", il est parti de lui-même », précisa-t-elle, à cheval sur les détails comme à son habitude.

Cela signifiait tout et rien à la fois : qu’elle pensait encore à lui, qu’elle n’avait pas mis fin à cette relation de son plein gré, que la cicatrice n’était pas encore tout à fait guérie. Mais qu’importait : au moins, cette relation avait eu le mérite de lui faire comprendre que l’amour au sens amoureux du terme n’avait pas sa place dans son vocabulaire et qu’elle aurait mieux fait de faire confiance à son instinct plutôt que de se laisser tenter par l’inconnu.

« Si Selma et Alejandra t’ont déjà parlé de moi, alors tu sais qu’on ne peut pas dire qu’on soit vraiment amies, elles et moi », admit-elle avec une grande franchise.

C’était un euphémisme, surtout depuis qu’elle avait appris qu’@Alejandra Montero avait giflé @Sheraz Mahal. Quoique ses relations avec @Selma Montero s’étaient légèrement améliorées depuis que cette dernière formait un couple avec son meilleur ami. Preuve que le bonheur du préfet de Poufsouffle leur importait bien plus que la rancoeur.

Mais malgré l’accueil chaleureux d’Américo en première instance, Siobhán ne pouvait s’empêcher de s’imaginer le portrait que les sœurs diaboliques avaient dû lui dépeindre de sa personne et elle eut tout à coup l’impression de ne pas être à sa place à ses côtés. Ses sourcils arqués reprirent leur positionnement le plus neutre au-dessus de ses yeux, tandis que le bout de ses doigts montrait nonchalamment les plantes de feuillereves.

« C’est une belle culture que tu as là. Les conditions ne sont pas idéales mais tu as vraiment des facilités. » Un silence. Ses yeux bleus se relevèrent vers les siens mais ne trouvèrent rien que le reflet d’une jeune Irlandaise aux cheveux roux comme le feu dans un morceau de verre noir. « Je promets de garder ton secret, si tu me promets en retour que tu n’en parleras pas aux autres élèves. Ni pour leur en offrir, encore moins pour leur en vendre. Dans ce cas, je n’hésiterai pas à prévenir le directeur de l’école. »

L’Irlandaise fit quelques pas en arrière pour montrer qu’elle s’apprêtait à partir. Parce qu’Américo était un proche des Montero, elle s’attendait à ce que leur échange s’arrête ici. Jamais personne dans l’entourage de cette famille n’avait insisté pour discuter avec elle auparavant, ni cherché à la connaître quand on y réfléchissait bien. Et quand on savait dans quelles sombres affaires trempait cette famille, c’était surement mieux comme ça.

Mais avant qu’elle ne disparaisse de l’autre côté de la haie de buisson, Siobhán devait s’assurer d’entendre sa promesse par principe.

Même si, dans les faits, Américo ne lui devait absolument rien. Et certainement que les Montero étaient passées avant elle pour lui exposer toute une liste de raisons pour lesquelles il était préférable d’en rester là.

ft. @Américo Cervantes


Le retour du sourire d’Américo annonçait la paix. Il n’y avait sur ses lèvres aucune marque de moquerie, ni d’hypocrisie. Une compassion simple, dénuée dans un premier temps de toute interrogation sous-jacente — pour le plus grand plaisir de Siobhán.

Devant son silence, elle le regarda s’attarder sur ses plants qui — ça se voyait dans ses yeux qui s’était brièvement voilés — revêtaient une réelle importance pour lui. Le secret de l’existence de cet endroit signait ainsi la naissance d’un lien particulier, fondés sur les prémisses de la confiance quand c’était souvent l’inverse qui se produisait. Ce fut probablement ce qui poussa la préfète à poser la question qui la taraudait depuis que le Poufsouffle avait partagé avec elle sa satisfaction de savoir qu’Edel ne faisait plus partie du décor.

« Et quelle est cette raison, je peux savoir ? »

Si les Montero étaient dans le coup, autant s’attendre à tout.

Et ce n’était un secret pour personne que le rejeton Korrigan n’aimait les mystères que pour le plaisir insatiable de les résoudre. Sa curiosité n’avait aucune limite et s’était même avérée d’une grande utilité ces derniers temps pour lui permettre de se changer les idées.

Enfin, aucune limite… L’invitation d’Américo à le rejoindre au milieu de sa culture illégale eut le mérite de la confronter à ses propres principes élémentaires — aussi fort était-elle poussée par sa curiosité sur le moment. Un sentiment décuplé lorsqu’il se décida à consommer sa propre production devant elle.

Siobhán n’avait jamais fumé autre chose que les cigarettes d’Edel et il fallait admettre que les propriétés de la feuillerêve auraient pu l’aider à faire le tri dans ses pensées.  

Mais la question d’Americo, aussi désagréable était-elle à entendre tant elle pointait l’évidence de son mal-être, eut le mérite de la forcer à revenir sur terre.

« Pourquoi ça t’intéresse ? Il n’y a rien à dire. C’est du passé », répliqua-t-elle de but en blanc, de nouveau sur la défensive devant son insistance.

Les bras croisés sur sa poitrine alors qu’elle sentait son regard se balader sur elle, c’était une stratégie comme une autre pour reconstruire peu à peu les barrières qui l’avaient toujours protégée des autres. Et à ce stade de sa guérison, il était hors de question de laisser quiconque ne s’en était pas montré digne les outrepasser.

« Je ne peux pas rester de toute façon. Si on nous voyait… Tu ne sais pas de quoi on pourrait m’accuser. Je suis la fille du directeur. Je n’ai pas le droit à l’erreur. Si je veux respecter ma promesse et que ton préfet, qui est aussi mon ami, ne mette pas ma tête à prix après t’avoir enlevé le nombre de points qui correspond au nombre de règles que ta petite plantation personnelle enfreint, il vaudrait mieux que je m’en aille et que je fasse comme si je n’avais rien vu. » Elle marqua une pause mais n’attendit pas sa réponse pour reprendre la parole. « D’ailleurs, je m’en vais tout de suite. » Aussitôt dit, aussitôt fait : la Serpentard commença à rebrousser chemin, mais s’interrompit au moment où elle s’apprêtait à repasser de l’autre côté du mur végétal improvisé pour revenir en direction du Poufsouffle et lui dérober avec vivacité son précieux entre ses lèvres. « N’abusons pas des bonnes choses. J’ai promis de garder ton secret, pas de te laisser faire devant moi. Tache d’être discret. J’ai une conscience professionnelle. »

L’odeur fumée de la feuillerêve se consumant caressait ses narines et lui donnait une curieuse envie de goûter à son tour aux bienfaits des plantes…

ft. @Américo Cervantes

Il n’avait pas pesté quand elle lui avait pris l’objet de sa consommation personnelle des mains, le laissant tout démuni et tout à coup sans rien à fumer. Un mélange de surprise et de satisfaction prit possession de ses traits de demie-vélane et elle profita de cette absence de réaction  pour s’éloigner, le joint d’Américo entre les doigts, sans s’interrompre cette fois.

Ce qu’elle fit d’ailleurs, jusqu’à ce que la voix du Poufsouffle ne la coupe subitement dans ses pas. À ses dires, Siobhán ne se retourna pas pour lui faire face — en tout cas pas entièrement. Si elle ne lui donnait que son dos à voir dans un premier temps, elle orienta ensuite son visage sur le coté, de façon à l’apercevoir juste avant son angle mort. Lui aurait tout le loisir de se satisfaire de son profil. Un fin sourire s’était dessiné sur ses demies lèvres, parce qu’elle comprenait de quoi il en retournait. Mais elle se garda de confirmer quoique ce soit à haute-voix. L’information circula dans sa tête jusqu’à un coin bien précis, là où elle ne serait pas oubliée.

Même si, au fond, sur le moment, la Korrigan ne pouvait pas s’empêcher de se demander ce qu’elle en ferait, ou même pourquoi il s’imaginait qu’elle pourrait avoir besoin de lui pour « des trucs » à « certains endroits ». Et que même si Américo n’avait rien fait pour ça, elle restait sur ses gardes. Il fallait dire que son lien étroit avec les sœurs Montero ne jouait pas vraiment en sa faveur. Et la réciproque était tout aussi vraie, puisqu’il n’avait pas répondu à sa question quand elle lui avait clairement demandé la raison de sa présence à Poudlard.

Une fois passé le mur végétal, elle dissiperait ces quelques pensées dans un nuage de fumée là où derrière les serres, il était certain que personne ne pourrait la voir.