Buried Alive

feat. @Ebenezer Grimm 



Les montagnes noires de son pays natal se dessinaient, forteresse monstrueuse de Norvège, jugée inviolable. Il fut un temps où ces remparts implacables avaient tenté d’être percé, par des dragons, par des trolls des plateaux plus au nord, mais nul n’avait réussi à percer l’indestructible Château Tyrfing. Et encore, pensa Nott en foulant le petit sentier qui remontait jusqu’au pont de pierres blanches, elle ne sentait pas autant la sauvagerie de la magie qu’à Børneskeil, lieu où la vieille Hervor Tyrfing avait élevé son arrière-petite-fille comme si elle était sortie de ses entrailles.

Nott n’avait pas beaucoup parlé depuis leur arrivée. Elle entendait le pas d’Ebenezer derrière elle, mais son regard n’était que pour cette bâtisse. Petite, elle avait rêvé des jours durant d’y revenir, de s’offrir le luxe qu’on avait offert à sa sœur jumelle, Sol, de profiter aussi de cette vie de château. Elle n’avait connu que la rudesse de Børneskeil, ses températures de diable et ses dangers. Une nature vile et injuste. Mais on ne l’avait jamais convié à revenir.

Eyfura, surtout, sa mère, n’avait jamais supporté le visage de sa propre fille – si semblable au sien, et en même temps si détestable si tôt qu’une mèche de cheveux changeait de couleur, sitôt qu’elle perdait le contrôle.

C’est vrai que Nott était une métamorphomage accomplie – une voleuse-de-peau accomplie – mais à quel prix ? Tout le monde le savait, d’une certaine façon. Il n’y avait guère de miracle pour savoir quel genre de processus il fallait entreprendre pour créer des génies. La souffrance seule permettait l’excellence, le dépassement de soi… Mais un prix qu’une enfant n’avait pas choisi de payer.


Nott se présenta aux portes avec Ebenezer : elle y fut accueillie sans chaleur par deux domestiques qui avaient des allures étranges, aux chapeaux rouges, hauts et pointus. Nott glisserait à Ebenezer qu’il s’agit de nisses – un petit peuple équivalent aux elfes de maison, sans le côté servile, mais ayant signé des contrats avec certaines familles sorcières et répondant aux mêmes obligations ou presque que leur cousin anglais.

« Lord Par Otto vous attends dans le grand salon » commenta le nisse, en guidant les deux individus.

La Tyrfing jeta un regard en arrière, vers Ebenezer, ralentissant tout juste le pas pour se mettre à sa hauteur. Elle lui avait déjà expliqué dans l’avion l’arbre généalogique de sa famille : il y aurait aujourd’hui Otto, son père, et Eyfura, sa mère. Très probablement Sol, sa sœur, et son potentiel mari et enfants, puisqu’elle ignorait si cette dernière avait fini par se marier ou non.
Et sans doute y aurait-il aussi le grand-père Freyr, le tueur-de-trolls.

Le drôle de tableau de la noblesse norvégienne et suédoise allait être servis au rejeton des Grimm, et Nott ne semblait plus ni affectée, ni touchée. Cette famille était la sienne, mais c’était pour Hervor seulement qu’elle était venue.

Parce qu’elle le lui devait.

Les portes du grand salon s’ouvrirent sur un intérieur sobre mais riche. On retrouvait cette présence omniprésente du bois taillé, sur lequel on avait gravé des runes mais également des formes géométriques complexes et symboliques. Nott ne s’y attarderait pas puisque le salon n’avait pour ainsi dire pas changer depuis sa naissance, aussi elle entra la première, Ebenezer sur ses talons.

Comme elle l’avait prévu, deux petits garçons jouaient sur un large tapis enfantin – noir et crème – qu’on avait étendu entre les fauteuils de cuir et de bois ancien. Sol, assise élégamment, regardait ses rejetons d’un air peiné alors que son mari se tenait derrière elle, une main posée sur son épaule en soutient.

A leur droite, plus près du feu magique qui crépitait dans la cheminée, se tenait dans un seul et même sofa le couple Otto et Eyfura. Le père se leva aussitôt que sa seconde fille était entrée, s’approchant d’elle.

Contrairement à Eyfura, Otto n’en avait jamais voulu à Nott d’être une voleuse-de-peau. Il n’en avait jamais voulu à personne d’autre, mais il ne l’avait pourtant pas protégé de cette mère. Il avait bien essayé au début, il avait tenté de venir la voir, mais le travail faisant, ils avaient fini par n’être bientôt plus que des étrangers.

Aussi, à quelques pas de sa fille, il ne sut s’il devait la prendre dans ses bras – en sachant qu’elle était la plus proche d’Hervor et que la mort de la vieille sorcière devait être un déchirement. Il leva une main hésitante, que Nott observa du coin de l’œil, et vint chercher poliment entre ses deux mains. Elle ne désirait pas être enlacée. Elle ne désirait pas être touchée. Pas ici, pas par cette famille qui ne la faisait quérir qu’au moment le plus sombre.

Elle aurait dû les remercier de l’avoir prévenu, mais même ça…

« God ettermidag Far » souffla-t-elle, avec révérence mais de distant à la fois.

Otto la regarda d’un air un peu surpris, mais sa fille était la même que le jour où elle était partie. Elle était ce qu’ils avaient fait d’elle. Une carapace implacable, un château fort à l’image des Tyrfing. Il fronça les sourcils d’un air peiné mais se détendit, serrant en retour les mains de celle-ci.

« Nous t’attendions, Nott… »

« Vous en avez mis du temps » maugréa le vieux Freyr qui se trouvait soudainement tout à gauche de la petite scène familiale, seul dans un fauteuil enfoncé. Cela faisait des années que son père, le vieux Thorkel, et que sa femme, la belle Aslaug, étaient morts. Hervor, sa mère, était la seule qui lui restait, et il venait de la perdre.

Nott eut un sourire, se détacha doucement d’Otto, avant de se mettre de profil, afin de présenter Ebenezer qui devait se demander ce que ce silence voulait bien dire – pour lui qui n’arrêtait jamais de jacasser.

« Père, je te présente Ebenezer Grimm, Ebenezer, je te présente mon père, Otto Tyrfing, sa femme, Eyfura » continua-t-elle, sans que la sorcière aux longs cheveux blancs ne se pince ou se vexe du titre, saluant simplement d’un geste de la tête l’étranger, « Sol, ma sœur, son mari et ses enfants je présume »
« Nikolas, mon mari, et Nils et Narfi, mes deux fils » reprit Sol, égale à sa mère.
« …et mon grand-père, Freyr », termina Nott, sans s’attarder davantage sur l’existence de deux neveux dont elle n’avait jamais entendu parler.

Elle s’avança vers Freyr qui lui tendit ses mains ; elle les embrassa doucement. Le vieux Freyr avait une légende derrière lui, mais surtout, elle l’avait davantage vu dans sa jeunesse que tout le reste de cette famille maudite. Peut-être parce qu’il représentait davantage la sauvagerie ancestrale de la magie norvégienne que la politique internationale qu’incarnait Otto, dans toute sa retenue et pourtant son charisme et sa fermeté.

Nott avait beaucoup réfléchi dans l’avion, et elle en était arrivée à la conclusion qu’elle ne leur en voulait pas.

Plus maintenant.

Elle était venue pour Hervor.

« Une chambre a été préparé, est-ce que je dois demander à en préparer une seconde ? » reprit Otto, après avoir serré la main d’Ebenezer Grimm en l’observant un court instant, sans défiance mais avec curiosité. C’était la première fois qu’il entendait parler d’un homme dans la vie de sa fille. Mais somme toute, ça ne pouvait pas le surprendre ?

« Non, ça ira, nous n’allons pas restés. Je pensais aller dès que possible à Børneskeil. »

« Depuis la mort d’Hervor, le territoire est dangereux. Les trolls sont en colère… » souffla Sol, « de nuit, c’est plus que dangereux. »

« De nuit ou de jour, un troll est dangereux. »

« Tu ne devrais pas partir aussi vite » grogna le vieux Freyr, « tu devrais rester un peu. Ça fait longtemps que mes vieux yeux ne t’ont pas vu, Nott. »

La sorcière glissa un œil sur le vieillard, alors qu’Eyfura se levait, nerveuse.

« Tu devrais coucher les petits, Sol » ordonna-t-elle sans fermeté, mais avec cette façon bien précise de ne pas autoriser la contradiction, « quant à moi, il se fait tard, et maintenant que je t’ai vu, j’ai gagné d’aller me reposer. »

Nott fit un léger mouvement de tête, alors que la pièce se vidait presque aussitôt de la matriarche Eyfura, de Sol, de son mari et de leurs deux rejetons.

Il ne restait désormais plus qu’Ebenezer, le vieux Freyr et Otto.

« Est-ce que je vous sers quelque chose ? » demanda Otto, alors qu’un bar complet d’alcool du nord s’offrait à la vue, dans un des coins de la pièce. « Je suis certain que Monsieur Grimm a soif après un pareil voyage. J’ai cru comprendre que vous aviez fait tout le sentier à pied ? Tu n’as plus les autorisations nécessaires pour transplaner ? »

Nott ne répondit pas.

Portrait - Famille Tyrfing:

feat. @Ebenezer Grimm 

Non, Nott n’avait plus de droit, n’en avait jamais eu, pas dans cette maison, pas dans cette famille. Un sourire simple passa sur ses lèvres alors qu’Ebenezer tentait tant bien que mal de lui sauver la face, mais connaissant Otto, il finirait par questionner les droits d’accès au Château et se rendrait compte qu’Eyfura les lui avait retiré aussitôt qu’elle était partie en Angleterre. Est-ce qu’il lui dirait quelque chose ? Elle n’en était même pas certaine. Otto n’avait rien dit. Il pouvait n’en penser pas moins, mais la chose était qu’il n’avait jamais confronté sa femme au sujet de leur fille.

Le sourire de l’hôte se figea un peu sur ses lèvres alors qu’il accusait les mots.

« Nott n’a pas grandi ici » coupa la voix tranchante de Freyr qui jetait un regard à sa petite-fille. « Elle a grandi avec Hervor. Loin d’ici. »

Si le vieillard devait dire ça, c'est que soit Nott n'avait rien raconté de sa vie à son cher "ami", auquel cas elle avait même pu lui cacher son petit défaut de conception, soit c'était tout récent, ce qui revenait au même.

« Par » souffla d’une voix grave Otto, ne préférant pas venir sur ce terrain.

« Je t’expliquerais », murmura Nott. Sa main glissa dans celle du Grimm. Un geste tendre, une façon de le calmer.

Elle ne leur en voulait plus. Nott avait grandi dans l’incompréhension, toujours à part, jamais à sa place. Un monstre dans une société qui pourtant assumait ses traditions violentes, ses sacrifices humains, comme l’héritage d’une époque pourtant révolue.
Les vieilles familles comme celle de sa mère ne comprendrait jamais. Ce n’était pas les Tyrfing le problème. C’était le carcan imposé, le dictat de la bonne pensée, la peur de l’étranger.

Otto revint calmement avec de quoi boire pour tout le monde ; il déposa le plateau et les verres sur la petite table basse qui était à même distance de tous les fauteuils.

Nott jeta un petit regard à Ebenezer, l’invitant à la suivre sur le sofa où Sol et Nikolas étaient précédemment. Le feu ronronnait tendrement dans la gorge de la cheminée. Sitôt que le Grimm s’en approcha, il remua sur sa bûche, virant de couleur, une fois, puis deux, avant de finalement se calmer dans son antre.

« Nott a grandi avec sa grand-mère, c’est vrai. C’est pourquoi j’ai pensé que c’était important que tu sois mise au courant. Je sais que tout ce qui vient de nous ne t’intéresse guère, mais tu étais proche de ta grand-mère... »

La sorcière leva la main pour attraper son verre, laissant le soin à Grimm de récupérer le sien, sans savoir ce que son père avait osé lui servir.

« Est-ce que... est-ce que ça a été soudain ? Je n’ai pas été prévenue avant. Je n’ai pas pu lui dire au revoir. C’est le seul regret que j’ai. »

Elle mentait un peu ; il y en avait plein d’autre, des centaines, mais celui-ci était le plus important. Ne pas avoir revu Hervor avant sa mort, ne pas embrasser son front. C’est vrai que son âge n’allait pas lui promettre encore des dizaines d’année, mais la vieille sorcière était une tenace. Elle avait jusque là maintenu à elle seule la paix dans le nord du pays, interdisant au moindre troll des glaces de franchir les frontières, de ne pas martyriser les non-majs se perdant dans la région, sous prétexte de faire un trek et de se ressourcer.

« Je suis navré, Nott. Ca a été un choc pour tout le monde... »

Otto baissa les yeux, alors que Freyr lui-même s’assombrissait, les yeux enfoncés dans le verre qu’il tenait, remplit d’une mixture noire d’encre. Un alcool fort à base de venin, sans aucun doute.

« Comment l’avez-vous appris ? »

Car d’aussi loin qu’elle se souvienne, Hervor habitait seule, de l’autre côté du pays.

« Des trolls ont franchi la frontière et ont tué des moldus, en attaquant un camping qu’ils appellent ça. Trois familles, une vingtaine de personnes - du jamais vu en plus de cent ans... » murmura Freyr, comme s’il revoyait des images, des souvenirs. Il se fit plus sombre encore.

« Quand le Ministère est arrivé, la maison de Hervor était intouchée. Les trolls l’avaient soigneusement évités, mais tous les sortilèges de protection qu’elle avait parsemé aux abords ont disparu, et les trolls ont traversé sans regarder derrière. » Otto but une petite gorgée, se donnant seulement un peu de temps. « Ils l’ont trouvé dans son lit, allongée et paisible. Elle avait même un sourire, tu sais... Je crois qu’elle s’est éteinte dans son sommeil, c’est tout. Elle devait le sentir venir car tout était parfaitement rangé, mais elle n’a prévenu personne, pas même Freyr. »

Nott resta un instant interdite, accusant peut-être le coup, peut-être la nouvelle. La culpabilité de ne pas avoir était là alors que Hervor savait qu’elle allait s’éteindre. Pourquoi ne pas l’avoir faite quérir ? Pourquoi ne pas l’avoir réclamé ? N’avait-elle rien à lui dire ?

L’auror baissa les yeux sur son verre, l’air profondément triste. Une mèche de cheveux se changea, prenant une couleur grise, puis bientôt blanche, preuve que la nouvelle n’était pas simple à digérer pour elle.

Freyr le vit, mais c’est Otto qui parla le premier, détournant le regard avec pudeur mais sa voix était ferme, comme une remontrance, choisissant tout spécifiquement de parler norvégien à ce moment-là :

« Håret ditt, Nott*. »

La sorcière releva les yeux sur son père, le dardant d’un regard qui ne savait plus s’il devait être en colère ou peiné.


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Håret ditt, Nott : Tes cheveux, Nott.

feat. @Ebenezer Grimm 

La théorie selon laquelle la mort de Hervor n’était pas une mort naturelle laissa pantois Freyr mais également Otto. La vieille Hervor était une telle légende dans leur pays et avait enlevé une telle épine du pieds du gouvernement, que ça ne les avait pas effleurés du tout. Même Nott n’y avait pas pensé, et en même temps, vivre jusqu’à pratiquement cent-quarante ans, n’était-ce pas là déjà un miracle ?

Freyr ne fit aucun bruit ni commentaire. Tout au plus se dit-il que le garçon que Nott avait amené avait bien de l’imagination, car Hervor, en plus d’être vieille et folle, n’était pas aussi faible que son âge le voulait laisser croire. En plus de cent ans, elle n’avait aucune défaite, aucun problème avec les trolls qui pourtant leur donnaient tant de fil à retordre aux agents du Ministère.

Otto ne fit rien non plus, d’autant que sa fille se mettait soudainement à devenir un prisme de couleur qui ne faisait que lui renvoyer l’échec. L’échec d’avoir mis au monde une voleuse-de-peau. Une créature plus qu’une enfant.

Nott serait devenue livide si ce n’était pour l’intervention brève mais secourable d’Ebenezer. En lui jetant un petit regard de côté, surprise qu’il parle ne serait-ce que norvégien et avec un accent tout à fait séduisant en plus de ça, pour la première fois depuis des mois, elle se sentait soutenue. Elle se sentait défendue, chose que même son propre père n’avait jamais fait.

Incapable de se maîtriser, une longue mèche de ses cheveux varia à un rose-rouge, alternant les deux couleurs, comme s’il s’agissait d’un battement de cœur. Ça ne lui avait encore jamais fait ça en tant d’années de relation, avec ses hauts et ses bas. C’était peut-être car elle n’était pas maîtresse d’elle, ou trop fatiguée, ou trop… trop quoi ?

Elle leva la main pour attraper cette mèche ridicule, alors qu’Otto, visiblement plus froid que la seconde d’avant, se leva. Le vieux Freyr en fit de même, souhaitant rapidement un « bonne nuit » glacial à la petite assemblée. Il n’avait plus l’envie de se battre et sentait l’orage venir, aussi préféra-t-il s’accompagner seul jusqu’à son lit.

Otto attendit le départ de son père et que la mort ne fut fermée pour se rasseoir dans son fauteuil, calmement, mais son regard brillait d’une manière funeste. Comme un père prêt à faire la leçon à son fils. Son verre dans les mains, qu’il faisait tourner comme s’il voulait en libérer quelques arômes particuliers, il reprit :

« Ebenezer, j’ignore comment cela se passe en Angleterre, mais en Norvège, les choses sont très différentes pour les métamorphomages. Mettez ça sur de l’ignorance ou de vieilles superstitions, mais nous n’avons pas envoyé Nott vivre auprès de son aïeul pour rien. C’était pour la protéger », Nott se crispa à ses mots, relevant un regard sur le visage pourtant impassible de son père, « c’était pour qu’elle ait la meilleure professeure possible, afin d’éviter ce genre de désagrément. Et quand elle est partie, signant un contrat en Angleterre, nous étions vraiment ravis de voir qu’elle avait trouvé un endroit où elle pouvait se sentir à l’aise avec sa différence. Et malgré le fait que le temps a passé, rien ici n’a changé. La Norvège n’aime toujours pas les voleurs-de-peau. Alors, par respect pour les traditions et si tu as encore un peu de respect pour Hervor, Nott, tu dois te maîtriser. »

Nott accusa de nouveau le coup, cette fois sans aucune modulation de couleur, rien. C’était cette éducation qui l’avait rendu si forte et qui l’avait broyée à la fois. Il n’y avait bien que Ebenezer Grimm pour lui faire perdre tous ses moyens, sinon quoi elle était un mur, comme un acteur qui prend une autre personnalité et l’enfile. Nott n’était pas Nott quand elle était une autre personne, elle était cette personne, cette chose se mouvant à l’intérieur d’un corps qui n’était jamais le sien.

Une voleuse-de-peau, comme lorsqu’elle empruntait sa peau d’homme ou sa peau de chagrin. Un jeu d’acteur, décevant et bluffant à la fois. Un jeu que la Norvège craignait plus que la magie noire, pour ce que ça avait de malsain de voir un visage se tordre pour en devenir un autre.

Un monstre – voilà ce qu’elle était ici.

« On devrait partir » murmura Nott, n’ayant rien écouté que le bourdonnement sourd à ses oreilles.

feat. @Ebenezer Grimm 

Otto scruta longuement Ebenezer. Nott avait fixé un instant Grimm, touchée bien évidemment de s’entendre dire autre chose que les jérémiades habituelles qu’il avait sur son travail. L’Auror ne savait pas s’il s’agissait juste du moyen de faire sortir son père de ses gonds, ou peut-être juste ce qu’il pensait dans le fond ? Lord Tyrfing se leva, adressant à sa fille un regard avant de lui tendre la main. Il n’aurait rien à dire à ce petit impertinent, mais ils auraient certainement une discussion plus tard avec Nott.

« Faites attention à vous sur le chemin. »

Nott lui serra la main, comme si son père avait été un autre député ou envoyé ministériel, sans s’émouvoir davantage. Elle vit Otto tendre sa main vers Ebenezer, ce qui lui tira un sourire sardonique. L’homme politique dans toute sa splendeur, pensa-t-elle. Elle ne doutait pas que son père était hautement piqué au vif, et pourtant il faisait comme si rien ne l’atteignait...

Elle secoua la tête pour elle-même et finalement prit les couloirs du Château Tyrfing sans un mot, guidant Ebenezer vers ce qui ressemblait à une arche ronde, donnant vers l’extérieur. Entre le Château et les plaines enneigées subsistait seulement un pont-levis ancien et abîmé.

Nott s’arrêta un instant, pour qu’Ebenezer se mette à son niveau. Elle le regarda du coin de l’oeil, avant d’avoir un sourire pudique, détournant les yeux.

« Merci pour tout à l’heure. Tu n’étais pas obligé d’en faire autant. Il ne comprend pas... Il n’a jamais compris. » L’Auror détourna la tête vers l’étendue glacée, balayée par un vent calme - pour l’heure. Dès que le vent se lèverait, toute la plaine se transformerait en plaine de mort. Nott avança sur le pont-levis, alors que l’obscurité s’étendait déjà à l’horizon. Il fallait encore sortir du dôme protecteur du château pour pouvoir transplaner.

Nott en profita, les mains enfoncées dans les poches pour s’éviter d’avoir froid :

« Ici en Norvège, les métamorphomages n’ont pas la vie facile. Pendant longtemps, les enfants étaient même tués, ou sacrifiés... C’est un pays étrange, la Norvège, quand on y pense. La magie noire y est tolérée, pratiquée, et pourtant, elle ne subsiste que dans le cadre des traditions les plus obsolètes, les plus anciennes. Personne ou presque ne la pratique, sauf pour ce qui est d’honorer les anciens, ou je ne sais pas quoi... »

Nott vit au loin l’arche faite de bois taillé qui représentait d’un côté Freya, de l’autre Odin, l’une portant une clé, l’autre portant un grimoire. C’était après cette arche qu’il pourrait enfin transplaner. Nott se rapprocha d’Ebenezer.

« Hervor, mon arrière-grand-mère, était une sorte de shamane. Une moldue qui pratiquait la magie, plus exactement. Une anomalie de la nature, elle aussi, une cracmol qu’on dirait en Angleterre. Quand je suis née, ma mère voulait à tout prix se débarraser de moi, et d’une certaine façon, ils l’ont fait. J’ai grandi avec Hervor, loin au nord, au point où personne ne savait que mes parents avaient deux filles. Ca a été un choc quand je suis allée à l’école » ricana doucement Nott, « et encore plus quand ils ont compris que j’étais meilleure que ma soeur, en duel, en potions... », le sourire de Nott se fana, « mais elle était bien née, alors ce n’était pas grave pour elle. Quand ils en ont eu marre, ils m’ont envoyé en Angleterre. Pour que je brille plus loin. Pour pas que je dérange. Même aujourd’hui, c’est le maître mot. Faut pas que je dérange. »

Nott pencha la tête, le regard dans le vague, pensive soudainement.

« Ca ne me fait plus mal depuis longtemps. Je me suis habituée à tout ça. Je pensais pas que quelqu’un prendrait ma défense un jour » ricana sincèrement Nott, les joues un peu rouges, « mais t’as toujours été le genre à dire ce que tu penses avant de réfléchir, hein ? »

Nott le regarda du coin de l’oeil, amusée.

« Tu ferais un très bon père, Ben. J’en suis certaine... Si on oublie ta dépendance aux jeux. Tu risquerais d’oublier le gamin sous une table, ou pire, de le rajouter à ta mise », siffla-t-elle, non sans un sourire moqueur et joueur.

feat. @Ebenezer Grimm 

Une mèche épaisse encadrant le visage de Nott vira à un joli rose lorsque Grimm lui avoua une nouvelle fois qu’il l’aimait. Ce n’était jamais que la seconde ou la troisième fois, mais ça faisait toujours son petit effet, quand bien même Tyrfing ne répondait jamais. C’est que ces mots là lui coûtaient, et même si elle le traitait comme tel, l’emmenant avec elle auprès de sa famille, ce qu’elle n’avait jamais fait, même avec le plus proche de ses amis, elle avait encore besoin de cette distance. Pour ne pas croire qu’elle avait cédé à cause de la peine et du stress. Si elle devait faire ce choix, elle voulait le faire en pleine connaissance et maîtrise d’elle-même.

Silencieuse, elle le suivit, avant d’écouter les hypothèses du langue-de-plomb.

Si elle avait balayé la chose devant son père, elle se demanda si ce n’était pas, en effet, une possibilité. Une partie d’elle voulait bien croire que Hervor était arrivée à la fin de sa vie. A son âge, c’était même étonnant qu’elle n’ait pas passé l’arme à gauche, surtout pour une cracmol vivant dans le grand nord. Et en même temps, si quelqu’un avait pu précipité sa mort...

Elle grimaça, ce qui poussait finalement Ebenezer à s’excuser. Nott soupira bruyamment.

« Non, c’est pas ça, c’est juste que... Que si tu as raison, je ne sais pas comment je vais réagir » avoua Nott, se grattant la joue d’un air gêné. « Je me suis toujours considérée comme l’outil de la Justice, tu vois. Tous les aurors ont pas cette mentalité, mais je... je crois vraiment que mon rôle est de livrer les méchants au Magenmagot, et que c’est à eux qu’il revient de faire le sale boulot. Ma besogne s’arrête aux portes du tribunal, sinon quoi, quel intérêt d’avoir des juges ? Quel intérêt de se pâmer d’être un pays civilisé ? »

Elle marqua une pause, plongée soudainement dans une intropesction qui la dépassait un peu. Nott voulait bien croire qu’elle était une femme noble et droite, mais comme tous les aurors, elle avait connu des situations où elle avait frôlé le mauvais côté. Jusque là, elle s’était toujours tenue, malgré la merde qu’elle avait sur les mains. Les seules fois où quelqu’un était mort, c’était parce qu’elle n’avait pas pu évité le drame. Les criminels étaient mieux à Azkaban que dans des trous. Ça coûtait peut être plus cher, mais elle avait le sens du devoir accompli en comptant les têtes qu’elle avait envoyé derrière les barreaux, plutôt qu’au cimetière.

Mais si quelqu’un avait tué Hervor...

« Si... Si quelqu’un a tué Hervor, je crois que je ne pourrais pas me retenir, Ben. Rien que d'y penser, j'ai... j'y arriverais pas. »

Retenir cette main.
Retenir l’épée.

« Faudra que tu me retiennes, si c’est vraiment ça. »

Elle eut un petit sourire pincé.

« Je veux qu’il y ait un jugement. Pas que je devienne un énième connard de justicier du dimanche... »

Elle se rapprocha d’Ebenezer, l’attrapant avec douceur par le coude. L’instant d’après, elle transplanait jusqu’à la petite maison d’Hervor, balayée par le vent et la neige.

Comme l’avait indiqué Otto, elle était restée intacte. Les grigris cliquetaient sous l’impulsion de la bise, donnant un petit air sinistre à la cabane faite de rondins de bois. On avait l’impression de voir une maison de sorcière, comme il était conté dans les histoires des moldus. La plaine autour était tranquille pour l’heure, mais Nott savait que leur odeur allait être transportée par le vent plus vite qu’ils n’étaient capables de l’arrêter.

Elle emboîta aussitôt le pas pour entrer dans la cabane, faisant signe à Ebenezer de la suivre.

Aucune protection ne les repoussa. Pourtant Nott se souvenait bien qu’il y en avait eu une, à l’époque, un dôme similaire au Château des Tyrfing... Un dôme contre les moldus, contre les intrus, contre les ennemis.