As Sick As The Secrets Within

feat. @Noma Karma 


Bord de quai d’un Londres endormi. Les vapeurs de l’eau formaient un brouillard impénétrable qui donnait son nom à la capitale anglaise. Nott n’avait jamais vu pareille purée de pois, mais elle savait que c’était pour ça qu’elle appréciait sortir le matin tôt jusqu’à la petite épicerie. Chaque pas était simple, calme, pesé. Un petit pas après l’autre, effleurant la pierre glissante du canal. Quelque part, ça aurait fait sens si Peau-de-Chagrin avait retrouvé le fond de l’eau. Le plaisir d’être submergé, de sentir son cerveau se déconnecter.

C’est que depuis décembre, plus rien ne l’arrêtait. Ça bouillonnait dans son crâne, et Morfin Byrnes l’empêchait de réfléchir, opprimait son peu de liberté dans un cadre qu’elle devinait de plus en plus restreint. Morfin était en train de l’étouffer. Il aurait sans doute adoré qu’elle finisse dans le canal, puisqu’il l’avait lui-même mise sous l’eau au travail. Des dossiers inintéressants. Des mages noirs en cavale, alors que le Ministère grouillait de nouvelles recrues de familles de plus en plus douteuses.
James Grey à commencer par lui…

Un soupir bruyant s’échappa de ses lèvres. Le bruit des bouteilles dans son sac plastique la sortit de ses songes mortifères. Peut-être devait-elle ne pas résister. L’appel de l’eau. La pierre froide.

Peau-de-Chagrin grelota sous son habit trop large, sous son hoodie noir et passa une main sur son visage fatigué.

Encore une nuit blanche.

Et ce putain d’@Ebenezer Grimm parti où on ne sait où.

Et Travis qui n’avait rien lâché, outre un petit morceau de puzzle en plus.

Tout en ce moment la frustrait, à commencer par elle-même, à commencer par ses faiblesses qu’elle sentait suinter par tous les pores de sa peau. La nausée revint, mais Nott n’avait rien mangé depuis la veille, aussi son estomac resta contrit.

Tout va aller, se répéta-t-elle calmement.

Il faut croire au destin.

Trust the process.

Une inspiration profonde, Nott s’arrêta sur le bord du canal. Elle jeta un petit regard en contrebas. L’eau reflétait ce corps adolescent, cette figure pâle comme une banshee perdue. Son teint n’était pas plus beau que d’ordinaire – livide, maladif même. Que faisait-elle encore à arpenter la ville ? Comme si cela lui permettait de mieux arpenter ses propres pensées ?

L’action lui permettait de ne pas rouiller. Rester assise, c’était s’embourber dans les pensées.

Marcher chassait les pensées les plus néfastes, les plus toxiques.

Tout va aller, se répéta-t-elle, ses genoux s’activant de nouveau.

Il faut croire au destin.

Dans le nuage opaque du brouillard, une silhouette se découpa, abstraite au loin. La sorcière l’observa de loin, penchant la tête. Un autre badaud comme elle. Une crevure matinale. Quoi que lui avait l’air de courir. Une crevure sportive et matinale alors.

Un petit sourire ourla ses lèvres, mais elle se fit la réflexion que courir n’arrangerait pas ses problèmes. Marcher était bien suffisant. Un petit pas après l’autre, sur le bord du canal.

La silhouette se découpa davantage, avançant rapidement vers elle.

Nott plissa les yeux.

Le visage qui s’échappa fut reconnu aussitôt.

La surprise brilla dans ses yeux bruns, avant qu’un large sourire ne découpe son visage en deux.

« Noma ! »

La voix adolescente brisa le silence religieux du Londres encore endormi.

Elle voulut pivoter, levant la main pour lui faire signe qu’elle était là, mais au lieu de ça, son pieds glissa sur la pierre. Elle vacilla, chancela, toute prête à tomber au moment où elle s’était enfin faite à l’idée de ne plus y penser, mais ça c’était parce qu’elle avait osé s’arrêter. Elle le savait pourtant, pou rne pas chuter il faut avancer, marcher, à petits pas, encore et toujours.

Par chance, le corps souple et rapide quand elle le voulait bien – la mémoire musculaire avait des avantages, même endoloris par la nouvelle Peau – elle descendit du petit rebord, les semelles enfin sur le bitume noir de la ville.

« Noma, tu sauras jamais qui j’ai croisé dans les rues de Londres l’aut’ jour ! », fanfaronna-t-elle, « un vrai criminel ! un tueur ! », ajouta-t-elle, toujours sur ce ton exagérément … exagéré, avant de se rendre compte qu’il y avait de grande chance qu’il ne l’emmène au poste pour récupérer son témoignage.

Et ça, elle ne pouvait pas vraiment se le permettre.

Elle s’arrêta là-dessus, se grattant le menton un instant, le temps de juger de la pertinence de cette discussion.

« Non… en fait, oublies. J’ai confondu, j’en parlerais avec quelqu’un d’autre, toi tu es pas très bon vu que tu as été mis à pieds » balaya-t-elle, en se disant que ce n’était pas plus mal comme excuse.

Dormir semblait être un concept qui lui échappait. Par manque d'occasion de reposer le fil de ses pensées, qu'il se répétait comme pour se persuader que ce n'était pas le temps qui lui filait entre les doigts. En ennemi perfide, ce dernier mordait ses journées pour ne jamais lui céder une porte de sortie. Et quand bien même, par un excès de clémence, un instant propice se présentait à lui, la profondeur de sa psyché ne ratait jamais de le rappeler à la réalité. Une réalité dont il lui était impossible de se défaire, car sa misérable existence partait à vau-l'eau. Son secret découvert entre deux poubelles, un travail devenu invivable par l'omniprésence de Byrnes et les hommes de Rethore le filant à travers le paysage magique, plus rien ne paraissait lui sourire. Ô, il y avait bien ces battements enjoués secourant un corps sur le déclin, mais, même cte aspect là se jouait d'infortune.

Son shit officieux terminé, l'oiseau de nuit n'était passé dans son appartement londonien qu'en coup de vent, -une maigre opportunité pour lui de se défaire de son cachet de tireur d'élite. Il avait jeté son costume de Valkyrie sur ce lit qui ne cessait de l'appeler sans lui procurer une quelconque tentation. Son seul réconfort fut de courte durée, lorsque qu'il délivra Uluwehi de sa cage. L'hybride perché sur son épaule nue s'était perdu en accent de bien-être. L'allégresse de ce chant l'immunisa des épreuves qu'il supportait tant bien que mal sans broncher. L'artifice d'un sentiment factice savait l'apaiser et même si ce n'était que pour une poignées de secondes, il appréciait les efforts déployer par son compagnon, avant que le pierrot ne disparaisse par une fenêtre entrebâillée. Cette nouvelle absence arracha aux lippes de l'asiatique la brève éclipse solaire sitôt engloutie par l'obscurité de la solitude.

Las, le poids de l'isolement l'enserra de plus bel et le poussait à s'acquitter de l'exiguïté de cette garçonnière prenant la poussière. Il changea de peau à la recherche d'une identité lui procurant l'anonymat et le sentiment d'une liberté excitée. Endossant son costume au derme blanc, ses doigts courraient contre l'encre floue de tatouages insolents. Il était l'heure de prendre le large, de s'évader en foulées sauvages tant que la sorgue anesthésiait encore l'âme des bienheureux choyés par la caresse de Morphée. Il enfila alors sa parure décontractée des jours sans. Un dernier regard sur ce trou à rat qu'il baptisait son chez lui et il tourna sur lui-même. Il n'eut pas de mal à succomber au néant dans un léger craquement crevant en écho.

Entre chien et loup, la vieille Londres dévoilait un spectacle particulier aux yeux que la nuit n'était parvenue à bâillonner. Et la brume épaisse de l'hiver lui conviait un caractère mystique lui seyant au teint. Sacrifiée de son activité, la ville morte exhibait fièrement ses trésors sous la lumière des candélabres électrifiés. Quant sur l'onde plane du fleuve, sa jumelle aqueuse s'amusait à reproduire les imperfections d'une originale fabulée par l'incertitude du brouillard. Cheminant sur le miroir de l'eau, la silhouette de l'américain perturbait la sérénité de la houle médusée par le climat. La vapeur de sa chaleur s'échappant d'entre ses lèvres, l'insulaire gonflait ses poumons de l'air vivifiant qu'il recrachait en tempête tranchant l'opacité du poids.

Il ne connaissait meilleur remède pour se vider l'esprit des préoccupations du quotidien. À draguer le macadam d'une course infinie, le né-moldu gagnait d'une lucidité lui faisant défaut à la lueur du Phébus. Les couleurs mornes de la monotonie journalière s'égayaient au pied d'une reine nocturne. S'était-il aperçu que le cuir couvrant ses os glacés avait clamé sa carnation d'origine ? Sans doute pas. Du moins jusqu'à ce que son nom dans un élan pétulant ne brise l'équilibre d'une paix limpide. Son appui se fit hésitant, mais à quoi chercher à fuir ? Les mains sur les hanches, le Karma étouffa un rire. La demoiselle et son affection pour les spiritueux demeuraient intacts.

 « Thalie, ça faisait longtemps..., qu'il répliqua le souffle court. Le relent d'alcool suintant de son haleine lui ravit un haut-le-corps, mais se gardant bien de lui montrer, il était enchanté de pouvoir s'accrocher à l'empreinte du vivant. Si bien que la sincérité d'un sourire conjura la morosité berçant son âme à l'énoncer d'un cauchemar lointain. Se rattrapant in extremis au garde fou habillant la rive droit de la Tamise, l'hawaïen tentait de contrôler sa respiration coupée par les révélations de Peau-de-chagrin. T'as peut-être raison… Je dois pas être très bon ! Je devrais sans doute changer de boulot, trancha-t-il avec spontanéité. Trop brut ou absurde certainement, mais plus il s'enlisait au travail, plus l'impression de n'être d'aucune utilité le prenait aux trippes. Ses doigts froids fauchant l'arête de son nez, ses iris côtoyèrent le sac de la brune. Tu comptais t'en mettre une ? Je ne serais pas contre un verre. Si ça te dis bien sûr, comme ça tu pourras tout me dire sur ce vrai ciminel ou pas, j'ai laissé mon badge à la maison. » Plus qu'une proposition, il l'invitait à prolonger leur escapade en s'évanouissant au service de l'ivresse.

feat. @Noma Karma 


Thalie.
Un sourire ourla les lèvres de Peau-de-Chagrin en se disant qu’il se souvenait bien d’elle. C’était amusant, en y pensant. Un passage éclair qu’il aurait dû mettre de côté, mais l’agent Karma avait bonne mémoire. Nott aurait dû s’en douter. Après tout, elle l’avait hélé pour quelque chose.
Elle manqua de lui faire une petite remarque sur le fait qu’il manquait un peu d’endurance, préférant finalement plutôt lui parler de ce qui la tracassait depuis quelque temps, à savoir sa rencontre avec un tout autre criminel. Car si l’agent Karma avait généralement quelque chose à faire des crimes, si elle lui agitait sous le nez la présence du fameux Lityerses sur le territoire anglais, cela l’ébranlerait certainement.

Restait que faire un dépôt de plainte avec cette peau n’était pas vraiment concevable... Après un moment d’excitation, Peau-de-Chagrin balaya doucement l’occasion, ce qui tira pourtant un autre sourire à l’agent de la BPM. Thalie ne put que s’arrêter, sac en plastique blanc à la main, haussant un sourcil incrédule devant l’attitude débonnaire du garçon.

« Changer de travail, pfft ? »

La réaction de Thalie ne se fit pas attendre. Elle se moquait ouvertement de lui. Nott aurait pu faire la même chose. Elle aurait sans doute eu un petit rire sardonique, avant de rajouter « pas toi Karma, tu es trop bon à ça », mais Peau-de-Chagrin n’avait pas cette attitude supérieure, n’avait pas ce regard critique sur le travail fourni par un de ses meilleurs agents.

En réalité, les épaules secouées d’un petit ricanement, elle pencha la tête, ajoutant simplement :

« C’est vrai que tu as une bonne tête de fleuriste ! Mais si tu veux changer, va falloir s'bouger. T'es bientôt vieux. Faut changer avant que ça soit trop tard... »

Elle ne savait pas exactement pourquoi elle avait dit ça. Peut-être qu'elle se parlait à elle-même, peut-être qu'elle avait capté le subtil désaveu de l'agent de la BPM. Nott ne savait pas bien pourquoi, mais Thalie avait ses raisons. Des raisons embrumées grâce à l’alcool, grâce aux nuits blanches sans sommeil. Thalie avait plein de bonnes excuses, et lui avait l’air de s’en chercher, puisqu’il darda le sac blanc. Elle ne chercha pas à le dissimuler derrière elle - à quoi bon ?
A chaque pas, on pouvait entendre le verre s’entrechoquant. Dedans, il y avait plus de degrés qu’il y en avait dans le Désert du Sahara. De quoi s’intoxiquer jusqu’au sommeil. De quoi éteindre toutes les lumières et ne plus penser à rien. L’extase, en un mot.

Un nouveau sourire ourla les lèvres de Peau-de-Chagrin.

« Attendez.. L’agent Karma veut boire un verre avec moi ? » Thalie posa sa main contre son cœur, mimant un air exagérément surpris. « Logiquement on paye les indics, c’est pas les indics qui payent un coup... J'veux bien t'offrir un verre, mais j'ai pas intérêt à finir au poste hein ! Ou pire, dans ton appart', brr. »

Elle passa un regard sur lui, amusée, avant de finalement lui montrer du doigt un petit coin plus loin sur les bords de la Tamise. Le premier parc était à deux pas, et là-bas on trouvait sans difficulté des bancs, surtout à cette saison. Les clochards n’y dormaient plus, préférant trouver une bouche d’évacuation du métro - pour des questions de température. Et ça, c’était pour ceux que la Mairie de Londres n’avait pas ramassé et relâché, comme des animaux, dans la périphérie de la Brumeuse.

Une façon humaine de gérer la détresse et la pauvreté, pensa avec sarcasme Thalie, en faisant des pas devant l’agent Karma. Les bouteilles claquaient les unes contre les autres, égayant un peu le levée du soleil.

« Tu vois, j’étais partie voir un pote qui s’appelle Travis. Bon, il est pas clean, toujours dans les coups fourrés celui-là, mais alors que j’étais en train de discuter avec lui, y a une sorte de psychopathe qu’est sorti de nulle part et qui a commencé à lancer des impardonnables comme si c’était des hosties. Un massacre, le gars. Il a même pété le mur du bâtiment ! »

Bien sûr, tout ceci n’était pas exactement vrai, mais Peau-de-Chagrin n’allait pas lui dire ce qu’elle était allée faire exactement dans ce petit coin sinistre où les toxicos s’entassaient.

Elle prit place sur le banc, invitant l’agent Karma à s’asseoir à ses côtés, alors qu’elle déballait calmement ses trophées. A droite, une bouteille de whisky - d’une assez bonne qualité -, ainsi qu’une bouteille de gin et une bouteille plus simple de coca-cola (sans sucre) et de quelques chewing-gum menthe. La base, selon elle.

« T’attends pas à du London Dry Gin par contre... »

De fait, la bouteille indiquait qu’il était Dry, sec, certes, mais inspiré de la recette de la Royal Navy. Un alcool à 50° qui ne faisait pas perdre les propriétés explosives de la poudre à canon. Une révolution qui avait longtemps fait toute la réputation des Pays-Bas espagnols desquels l’alcool était originaire.

Thalie tira de sa poche arrière un petit bout de papier en carton qui ressemblait à un reste de boîte de pizza, propre en revanche. Elle secoua la main deux fois et le bout de carton devint un verre cartonné, similaire à ceux des étudiants qui s’acharnaient en Beer Pong. D’ordinaire, elle aurait pu au goulot, sans trop se soucier du quant dira-t-on, mais l’agent Karma n’avait pas besoin de savoir à quel point elle avait creusé sa tombe... même si ce n’était pas vraiment elle, mais Peau-de-Chagrin.

Rien de tout cela ne lui ressemblait. Les sourires puant d'une empreinte sincère. Ce ton léger presque aérien à l'évocation d'une démission. Et cette impression de tranquillité, de paix intérieure suintant par tous ses pores à s'en écœurer lui-même. Il aurait été aisé pour quelqu'un d'avisé de voir là, un souci, une complexité que le métamorphomage partageait à son insu. Mais pas pour elle, l'inconnue, l'étrangère, celle qui ne connaissait rien de lui, encore moins ses secrets.

Pourtant, il était bien là, en chair et en os, à jeter ses doutes en pâture aux quatre vents, à se délivrer d'une pensées se faisant psyché divisée.  

Elle creusait sa place dans l'esprit de l'insulaire. Une réflexion contrainte sans doute. Forcée peut-être même bien, mais qu'il murissait à chacune de ses altérations avec Morfin. Il était arrivé en bout de course qu'on lui répétait, encore et encore. Les choses allaient changer qu'on lui promettait, encore et toujours. En vaines paroles, on lui laissait jusqu'à miroiter des avancées qui ne venaient jamais. Et finalement aucun de ces changements ne perçait le huis-clos d'un tête-à-tête. Aucun des avancements promis ne franchissait les portes d'une tour d'ivoire. Pire encore, les événements tendaient à lui prouver que les mœurs se radicalisaient d'un côté comme de l'autre.

Le cul entre deux chaises, c'était à se demander comment il était parvenu à se trouver dans une position aussi délicate qu'inconfortable. Une fesse à surfer sur des vœux entérinées au gré d'un serment, d'une foi aveugle en l'institution magique qu'il servait fidèlement. Sa voisine à toiser un coup de force courant dans l'ombre, celle de sa loyauté envers un département isolé par la seule volonté de son régent. Et avec sa simple médaille de brigadier, au pied des bannières aux similaires reflets, il se perdait entre convictions et scepticisme. À ne plus savoir vers laquelle de ces deux voix criant son nom il devait se tourner. À ne plus savoir de quel côté il se constitution pion sacrifiable sur l'autel des boulversement, si ce n'était celui des anonymes à l'image de Thalie.

Intimement, il ne savait plus qui il allait devoir trahir, si ce n'était lui-même.

Ses doigts pianotaient désormais sur le garde fou. Et inconsciemment le visage de l'asiatique s'était éteint. Là, les yeux rivés sur la berge opposée, il remettait en question ses choix de vie. En fin de course, et si toute son existence n'en demeurai que vaine ? In fine, en dépit d'une introspection bancale, des tous ses efforts, le scénario de l'échec se rééditait. Faillite identique d'une machine à politique sans égard envers les maillons graissés qui lui permettait de broyer les idéaux. Ceux des autres, les siens, tous enchainés aux décisions d'une toute-puissance les observant sans réellement les regarder.

Un rictus dégourdissant ses lèvres, le tireur d'élite se redressa. Ses amandes humides du fait des baisers de judas d'une brise joueuse, il déposa tendrement son attention sur cette fille de la rue.

« Je dois m'assurer d'une chose avant de tourner cette page… » qu'il annonça sans détour. Et à croire la détermination et le sérieux de son vers, ses intentions avaient déjà taillé les sillons d'une voie sans retour.

Naturellement, il avait ressenti la nécessité de lâcher prise. Juste un soir. Une nuit loin des jeux de pouvoirs. Sans but, ni raison. Pas plus, ni moins qu'une veillée à faire naufrage et dériver au gré des courants de la morne sorgue. Et comme une envoyée des dieux, Peau-de-Chagrin s'était glissée sur sa route. Si ce n'était qu'une agréable coïncidence, l'hawaïen leva les yeux au ciel, remerciant d'une prière muette la miséricorde que le divin daignait lui accorder.

D'un geste de la main, le né-moldu balaya les craintes de l'insolente. Il était évidemment hors de question qu'elle ne vienne à fouler de nouveau le plancher de son vieil appartement. La zone était hors limite. Transformée en extension d'archives ministérielles tant son enquête avait investit les murs de sa garçonnière, l'espace n'était dument plus propice aux visites impromptues, charnelles ou professionnelles..

Le sourire de l'épave lui tordit les trippes, chauffa son myocarde d'un bond chaleureux. L'index fauchant l'arête de son nez, la Valkyrie baissa la tête. La solitude n'avait que trop duré, pensa-t-il sous le couvert d'une énième silence. Emboitant le pas de Thalie, Noma ne décrocha qu'un murmure emporté par l'obscurité. Escorté par le concert du verre tintant, le duo décadent perçait la brume. En ombre fantomatique, ils marchèrent côte à côte, la demoiselle fabulant une tragédie qui n'en était qu'une pour celle qui avait du lui faire face le temps d'un duel.

L'affaire n'avait ébranlé le département que brièvement avant d'être poussée sous le tapis comme beaucoup d'autre en cette période incertaine. Un coup de chance pour sa seconde peau, une aubaine qu'il devait surement à l'intervention présomptueuse du directeur Byrnes.

« J'en ai vaguement entendu parlé. Si ça peut te rassurer, ce n'est plus du ressort de la Brigade, c'est le bureau des aurors qui s'en charge. »,  répliquait le ricain par politesse plus que par intérêt.

Rejoignant la frêle sur son banc, les bras par dessus l'assise et les paupières closes, le tireur d'élite prit un moment pour mieux apprécier le caractère précieux de cette stase. Si ce n'était le clapotis de la fuyante Tamise, prisonnière du smog, la vaporeuse n'avait que le silence à offrir aux curieux noctambules. Et contrairement à un Ministère qui ne dormait jamais, là, le kahuna s'entendit enfin penser.

Il aurait tant aimer que cela dure, pour toujours, mais le degré de l'éthanol éveilla ses sens. Amer son parfum lui piqua les narines. C'est qu''il avait réussit à couper les ponts avec cette vieille amie, mais comme un ex dont le consommation relevait plus d'un plaisir malsain que d'un besoin, son appel le galvanisait. Le teint ravivé, l'hawai'i tira le vin des dieux de la grippe

« Aucun de nous n'a la dragoncelle… pas vrai ?, se moqua-t-il avant de porter le goulot d'un gin bon marché à ses lippes. La brûlure lui anesthésia les papilles, le goût âpre écorcha son cuir de porcelaine d'un haut-le-corps hérissé. L'avant-bras asséchant les dernières perles de gnole, il tendit la boutanche à Thalie. Pas de manières entre nous ! » dit-il avec complicité, le regard cinglant un gobelet criant de politesse.