Où le hasard se fait retrouvailles

La grande horloge de Poudlard, la célèbre école de magie, venait de sonner pour la dixième fois de suite. Cepheus Prewell pressa le pas. Il avançait, d’une allure assurée, dans les couloirs de la séculaire institution. Direction la salle des professeurs. Le mois d’août touchait à sa fin et les enseignants de l’école faisaient leur rentrée. Pour Cepheus, c’était la première rentrée au sein de l’école. Oh, bien sûr, il avait déjà parcouru les couloirs et les cloîtres du château écossais. C’était en effet à Poudlard qu’il avait fait sa scolarité magique, clôturant son parcours académique par une belle réussite aux MULOTS. Depuis, il n’était pas revenu à Poudlard. Sa vie l’avait conduit un temps au sein du Ministère de la Magie, puis à Durmstrang et, enfin, dans une école magique secondaire norvégienne. Dans les deux derniers cas, il avait été enseignant : assistant du professeur de sortilèges à Durmstrang et professeur de plein exercice en Norvège. Aussi, il n’était guère angoissé par cette nouvelle rentrée. Il avait l’assurance d’une longue expérience d’enseignement, lui qui était âgé de 44 ans, doublée d’une carrière de chercheur pour tout ce qui touchait à la délicate pratique de l’Occlumancie, dont Cepheus s’était fait une spécialité.

S’il n’était pas angoissé par ce retour dans les Highlands, il n’était pas, pour autant, dépourvu d’émotions en cet instant précis. Au contraire, il éprouvait une fierté certaine, ainsi qu’un grand enthousiasme. Enseigner à Poudlard comptait beaucoup à ses yeux. L’ancien élève de Poufsouffle, pour ne rien ajouter à sa joie, avait été recruté en qualité de Professeur de Sortilèges et Enchantements. Une matière essentielle, dans laquelle il avait excellé étant étudiant. Aussi, quelle ne fut pas sa surprise, heureuse surprise, lorsqu’au milieu du mois d’août, un hibou au pelage impeccable lui apporta la réponse positive à sa candidature, déposée au début de l’été. Cela faisait plusieurs mois qu’il était revenu en Albion, après de longue années – une vie lui semblait-il – passée loin de sa terre natale. La fin de son mariage, et le divorce qui suivit, l’avaient poussé à regagner son bien-aimé Gloucestershire. Il s’était installé dans son village de naissance, Bibury, dans un petit cottage dont il avait fait l’acquisition. À l’annonce de son retour à Poudlard, Cepheus loua une maison à Pré-au-Lard, comme de nombreux enseignants de l’école. Le village magique était tout proche de Poudlard. Cepheus possédait ses appartements dans le château mais, parfois, le besoin de calme et d’intimité rendait indispensable de pouvoir échapper, même brièvement, au cadre de l’école. Ce faisant, Cepheus passait à Pré-au-Lard ses week-ends et une partie de ses vacances, quand il ne regagnait pas Bibury. Notre homme s’était installé depuis une petite semaine à Pré-au-Lard. Il s’est rendu plusieurs fois, ces derniers jours, au château pour rencontrer le Directeur et prendre connaissance de sa salle de classe comme de ses appartements. À l’occasion, il avait rencontré plusieurs de ses futurs collègues.

Il lui semblait qu’il approchait de la salle des Professeurs. Le sorcier passa une main dans sa barbe. C’était encore l’été, mais août finissait de mourir. En Écosse, le vent venu du Nord se renforçait, balayant les restes estivaux et trainant dans son sillage les prémices de la fraîcheur de l’automne. Pour cette journée de rentrée, Cepheus était vêtu d’un costume gris, en tweed. Sous la veste, il portait un pull bleu marine dont le col, en forme de V, laissait voir une chemise Oxford blanche. Posé sur son bras, son manteau du même bleu que le pull, qu’il avait ôté pour éviter d’avoir trop chaud.

L’entrée de la salle des Professeurs se dessinait dans son champ de vision. Il franchit l’entrée, gardée par deux grandes gargouilles. Il passa ces deux gardiennes de pierre avec un demi-sourire. Il se rappelait que les étudiants, à son époque du moins, hésitaient toujours à entrer dans la salle des Professeurs. Comme si l’accès à ce lieu, presque sacré, leur était interdit par quelques maléfices. Il pénétra dans la salle et l’odeur mêlée de café et de thé qui régnait dans la pièce monta à ses narines. Il posa son manteau sur un porte-manteaux et jeta un regard. Plusieurs collègues étaient déjà arrivés, dont certains qu’il avait déjà croisés lors de son arrivée dans le château. En vérité, il constata qu’il était loin de connaître la moitié de l’équipe pédagogique. Ce n’était qu’une question de temps.

Il se dirigea vers une petite table où se trouvait une tasse vide. Il la prit et, après avoir saisi une cafetière, il en versa une partie du contenu dans la tasse. Celle-ci fumait désormais d’un café aux rassurantes fragrances de chocolat et de caramel. Alors qu’il portait le breuvage à ses lèvres, ses yeux bleus-gris se posèrent sur une silhouette de profil, à l’autre côté de la pièce. Cepheus se figea. Se pouvait-il que ce soit elle ? Il ne pouvait pas croire ce que ses iris lui montraient. Et pourtant. C’était bien elle. Améthyste Miller était à là, à quelques mètres de lui. L’avait-elle remarqué lorsqu’il était entré ? Ou peut-être était-elle arrivée juste après lui. Alors qu’il dévisageait le profil de la sorcière, de vieux souvenirs remontèrent à la surface.

Des souvenirs d’odeur de parchemin, d’herbes coupées et de plantes en floraison. Pourquoi, en pareille occasion, était-ce d’abord la mémoire des odeurs qui agit ? Cepheus ne le savait pas. Il se revoyait, assis à côté de son amie à la bibliothèque, à discuter dans l’un des cloîtres du château ou à bavarder à l’ombre de l’un des grands frênes du parc. Cette amie avait le visage de cette sorcière à quelques mètres devant lui, dont il avait un instant détourner le regard. Mais était-ce vraiment elle ?

Cepheus et Améthyste étaient de la même génération. Elle appartenait à la Maison Griffondor et lui, à Pousfouffle. Les deux avaient d’ailleurs été préfet de leur maison respective. Ils s’étaient rapidement liés d’amitié. Cepheus, à l’époque, et encore aujourd’hui d’ailleurs, était dotée d’une personnalité à l’image de sa maison. Son caractère était marqué par la loyauté et l’honnêteté, le portant à faire le bien. Dans l'ensemble, il était plutôt discret et calme. Doué d'une grande faculté d'écoute, il excellait dans l'art du conseil, tout en nuance et en délicatesse. Il appréciait, déjà à l’époque de ses études, les choses simples et s'épanouissait au milieu de la nature. Avec le temps cependant, certains de ses défauts, déjà présents lors de sa jeunesse, s’étaient renforcés. Il était demeuré entêté et peu enclin à se livrer. S'il se montrait volontiers affable et sympathique, il ne parlait que rarement de lui. En de très rares occasions, il lui arrivait de perdre patience, notamment en face d’une injustice flagrante ou de l’intolérance. Sa nature patiente et douce s’enflammait alors.

Cepheus et Améthyste, et avec quelques autres étudiants dont ils étaient proches, avaient ainsi partagé, en amis, leurs doutes, leurs angoisses, mais aussi leurs joies et leurs succès. Cependant, un jour, Améthyste avait subitement disparu. Cepheus ignorait tout des raisons de son départ. C’était au cours de l’été 1998. Alors qu’ils avaient l’habitude d’échanger des courriers pendant les congés d’été, tout à coup, à la fin août, le silence se fit. Par la suite, Améthyste ne réapparut pas après la rentrée de septembre, ni plus tard. Cepheus lui avait écrit à plusieurs reprises, comptant sur l’habileté des hiboux à toujours trouver le destinataire des missives, mais rien n’y fit. Aucune réponse ne vint. Il avait même écrit une seule lettre à la famille d’Améthyste, mais là encore sans réponse. À vrai dire, Cepheus ne comptait pas vraiment sur la coopération de la famille Miller. Il était notoirement connu que les Miller, famille de Sang-Pur, s’était largement compromise avec les Mangemorts.

Avec le temps, Cepheus avait accepté ce silence. Son optimiste l’avait conduit, tout au long de ces années, à croire - plutôt à espérer - que son ancienne amie était vivante quelque part. Quelle que soit la raison de son départ soudain, notre sorcier n’avait cessé de vouloir croire qu’elle était heureuse, même s’il mentirait s’il affirmait que cette disparition ne l’avait pas blessé, un temps du moins.

Reprenant ses esprits, il reposa ses prunelles sur le profil de la sorcière. Cepheus doutait encore que ce soit elle. Après tout, près de vingt années avaient passé. Il fit quelque pas en sa direction, sa tasse de café fumant toujours dans la main. À mesure qu’il approchait, sa certitude se fit. Oui, c’était elle. Il était maintenant tout proche d’elle. Il se racla la gorge et, d’une voix qu’il aurait sans doute espéré plus assurée, dit : « Améthyste ? Améthyste Miller ? » Le reconnaitrait-elle ? Alors qu’elle allait sans doute tourner son visage vers lui, il sourit, de son habituel et bienveillant sourire. Ça, au moins, ça n’avait pas changé chez lui.

À n’en pas douter, la surprise était autant de taille pour Améthyste que pour lui-même. S’il avait eu la moindre hésitation quant à l’identité de la sorcière, il était désormais certain qu’il s’agissait bien de son ancienne amie. Sa voix, bien que marquée par la surprise de ces retrouvailles inattendues, n’avait pas vraiment changé. Il sourit, amusé, quand elle s’exclama qu’elle ne pouvait y croire. « Ai-je changé tant que cela ? » lui répondit-il, le regard brillant d’une lueur amusée et un brin taquine. Il passa une main de sa barbe et ajouta : « Je savais que j’avais vieilli, mais pas à ce point-là ». Il se fendit d’un rire clair, le visage toujours amusé et rayonnant. Bien sûr, il plaisantait. Cela lui était venu naturellement, comme quand, bien des années auparavant, alors qu’ils étaient étudiants à Poudlard, ils riaient à l’évocation de leur allure dans les décennies à venir. Améthyste, elle, n’avait pas changé. Ses cheveux étaient toujours de jais, son visage toujours gracieux, et ses prunelles brillaient toujours de la même intensité.

« Et bien, je ne vais pas trop mal. Je suis même très heureux depuis que j’ai eu le plaisir de te revoir, après tout ce temps ». Les derniers mots furent prononcés d’une voix que Cepheus aurait souhaité moins grave. Il n’avait aucune rancœur, ni animosité envers son ancienne amie. Il savait bien qu’il y avait des événements qui, comme une tempête se levant brusquement sur une mer d’huile, venait tout bouleverser, emportant avec ses hautes vagues les frêles esquifs de nos ambitions et de nos espoirs. Si Améthyste avait disparu et s’était, ensuite, muré dans le silence, c’est que soit elle n’avait pas eu le choix, soit elle avait estimé que c’était le mieux pour elle. Dans les deux cas, il n’y avait rien à pardonner. Mais notre homme savait que tout le monde n’était pas doté d’une nature semblable à la sienne. Aussi, il prit soin de lui répondre, pour dissiper tout malentendu : « Moi non plus, je ne m’attendais pas à te retrouver ici. Mais, crois moi, c’est une belle surprise ! » Il fit un petit geste de la main, balayant l’air, comme pour balayer d’un revers les années de silence. Seul le présent comptait.

« Et bien, pour tout te dire, j’ai été recruté comme Professeur de Sortilèges et Enchantements. Je fais donc ma rentrée ». Il marqua une brève pause, remarquant la présence du fléreur qui se frottait aux jambes d’Améthyste. L’animal pouvait de loin ressemblait à un chat, si ce n’est que ses oreilles étaient bien plus grandes et sa queue semblable à celle d’un lion. « C’est le tien ? » lui demanda-t-il enjoué. En bon ancien élève de la maison au blaireau, Cepheus avait conservé un vrai attachement à la nature, à la faune et à la flore sous toutes ses formes, magiques comme non-magiques. Il s’accroupit et tendit une main ouverte, la paume vers le haut en signe amical, laissant l’animal venir renifler ses doigts avant de déposer une délicate et brève caresse sur sa tête. Le néo-professeur se releva doucement et ajouta : « Veux-tu, Améthyste, que nous sortions discuter dehors ? Je crois que le Directeur n’est pas encore là. L’air, doux encore en cette fin d’août, nous fera le plus grand bien ». Il fit un pas de côté et l’invita à le suivre.

La salle des enseignants donnait sur un cloître au milieu duquel de petits arbres et des carrés d’herbes parsemés de fleurs avaient poussé. Après quelques pas, Cepheus s’arrêta devant l’ouverture formée par l’une des arcades. Il prit appui sur l’un des piliers, dont le chapiteau était ornée d’une gargouille et d’une salamandre, et se tut un instant avant de dire : « J’imagine que, si tu es ici, c’est aussi pour enseigner. Si oui, tu enseignes quelle discipline ? Cela fait longtemps que tu as rejoint Poudlard ? » Il lui adressa un nouveau sourire amical. « J’imagine que Luke, enfin…je veux dire le Directeur, doit être heureux que tu sois ici ». Cepheus se souvenait que, lors de leurs études,  @Luke Korrigan  et Améthyste avaient toujours été proches. Le premier avait dû ressentir une grande joie en apprenant le retour de son amie. « Ce que je deviens ? Et bien ce serait un peu long à expliquer, et je ne veux pas être barbant en racontant ma vie depuis vingt ans ». Il esquissa un sourire amusé. Si elle le souhaitait, il pourrait lui raconter ses pérégrinations par le menu depuis sa disparition, mais, en cet instant, il lui parut plus naturel de la laisser s’exprimer. « Disons simplement que j’ai vécu hors d’Angleterre pendant une quinzaine d’années ». Il embrassa du regard la verdure qui, en cette fin d'été, se déployait dans la cour intérieure du cloître : « J’ai travaillé un temps à Durmstrang, puis en Norvège, dans une école secondaire, très semblable à notre Matinluntin Malinpest ». Il fit une pause, inspirant avec plaisir l'air parfumé par les senteurs estivales des fleurs du cloître. « Et puis je suis revenu, et Luke a accepté ma candidature pour prendre en charge le cours de Sortilèges ». Son sourire bienveillant s’étira. « Et toi alors ? Parle-moi un peu de toi ». Il avait ajouté « un peu » pour bien lui monter qu’il ne voulait pas être intrusif. La joie de retrouver une vieille amie lui suffisait amplement. Elle n’avait nullement besoin de se justifier du passé.

Spoiler:

Cepheus acquiesça avec un sourire aux compliments d’Améthyste. Peut-être avait-il, en effet, conservé une étincelle de jeunesse dans les yeux malgré les saisons. À sa décharge, cela avait été plus facile que pour d’autres. La vie s’était montré moins dure avec lui qu’avec son ancienne amie de Griffondor, ce qu’il allait bientôt apprendre. Alors qu’ils étaient dehors, goûtant la fraîcheur de l’air qui circulait dans le cloître, le fléreur, qui manifestait les avait suivis, vint se frotter entre ses jambes. Cepheus sourit, attendri par l’animal magique. Il fallait reconnaître qu’il était difficile de ne pas fondre pour cette boule de poils aux oreilles allongées et à la queue de lion. L’Anglais se pencha à nouveau et caressa la tête de Saraphaël, puis lui gratta délicatement le dessous du menton. Améthyste reprit la parole, la voix grave. Il sembla à Cepheus qu’elle avait marqué un temps d’hésitation avant de parler. Celui-ci s’était relevé, un air interrogateur sur le visage.

Améthyste lui apprit alors le décès de son père. Avant qu’il ait pu parler, elle révéla qu’il était inutile de lui présenter des condoléances. Cepheus avait toujours su que le patriarche Miller est un homme dur, favorable aux idées suprémacistes à propos des sang-purs. Il ne l’avait jamais rencontré, mais il se rappelait clairement qu’Améthyste en parlait rarement durant leur prime jeunesse. C’était un indice pour le moins clair quant aux rapports qu’entretenaient le père et sa famille. La suite de la confession d’Améthyste ne fit rien pour améliorer l’opinion que Cepheus avait du père de son amie. Notre homme ne put s’empêcher de marquer un temps d’arrêt, comme sidéré par l’effet de la révélation. À l’époque, Cepheus avait bien suspecté un événement grave, un traumatisme soudain expliquant la si subite disparition d’Améthyste. Jamais, cependant, il n’avait imaginé que les épreuves traversées par son amie furent si graves.

Il la laissa poursuivre son récit, sans la couper. De son propos, il comprit qu’elle avait dû accoucher quelque part, loin de son père et, peut-être, de l’Angleterre. Améthyste n’avait dit rien du sort de l’enfant. Si elle ne l’avait pas fait, c’est qu’elle ne le souhaitait pas. Pour rien au monde, Cepheus aurait osé se montrer curieux dans une affaire aux si terribles circonstances. Quand elle acheva son récit, elle lui posa une main amicale sur l’épaule. Il lui sourit et tapota amicalement sa main, pour lui dire qu’il comprenait et qu’il ne poserait pas de question intrusive. Améthyste dévia ensuite la conversation sur la Norvège, où Cepheus avait mentionné avoir vécu.

Le sorcier, avant de lui répondre, crut bon de lui confier un élément quant sa disparition. « Tu sais, commença-t-il, j’ai écrit à ton père quand tu as disparu. Il ne m’a jamais répondu ». Au moins lui avait-il épargné, sans doute par mépris pour sa condition de sang-mêlé, la peine de penser qu’Améthyste était décédée. Cepheus avait ainsi toujours espérer que son amie était là, quelque part, heureuse. « Sans doute ne voulait-il pas s’abaisser à répondre à un sang-mêlé, Poufsouffle de surcroit ». Il lui adressa à nouveau un sourire bienveillant. Notre homme ne plaignait pas le père Miller, pas plus qu’il ne se réjouissait de sa mort d’ailleurs. Simplement, sa compassion allait à Améthyste car, comme l’avait un jour un brillant sorcier, ce n’est pas les morts qu’il faut plaindre mais les vivants et, en particulier, ceux qui ont vécu sans amour. Et d’amour paternel, on ne peut pas dire qu’Améthyste en avait reçu beaucoup. Outre la compassion, c’était aussi une vraie admiration qu’éprouvait Cepheus envers son amie, ce dont il ne se cacha nullement : « Je suis sincèrement admiratif, après tout ce que tu as dû surmonter, Améthyste. Nulle autre que toi ne méritait de revenir enseigner ici ». Il marqua une pause. « Si nous avions encore nos verres ou tasses dans les mains, j’aurais porté un toast à ta santé, à ton courage et à ta résilience ». Ses prunelles bleus-gris brillaient d’une lueur plus enflammée, de celles qui animent les amis sincères à l’écoute des malheurs injustes de leurs proches. Il posa les yeux sur le jardin du cloître. En cette fin d’été, la faune était encore vivace. Des papillons voletaient entre les branches des arbustes et les fleurs multicolores. Alors qu’il embrassait du regard la nature foisonnante qui se déployait sous leurs yeux, deux vers d’Hamlet lui revinrent à l’esprit. Ils s’appliquaient parfaitement à Améthyste, dont le courage et la valeur faisaient honneur à son ancienne maison à Poudlard. « Y a-t-il plus de noblesse d’âme à subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante, Ou bien à s’armer contre une mer de douleurs et à l’arrêter par une révolte ?* » Il esquissa un sourire et, après avoir fermé sa main droite, frappant doucement de sa deuxième phalange le muret en pierres grises en ajoutant, à voix basse : « À ton retour, et à toi ». Cela valait bien un toast, après tout.

Cepheus posa son regard amical sur son amie. « Pour te répondre à propos de la Norvège, et bien oui, leur pédagogie diffère un peu de la nôtre. J’ai enseigné dans une école secondaire et, là-bas, les enseignants sont encouragés à ne pas donner de note au début de la scolarité, même secondaire. Les notes ne viennent qu’après. Cela permet, selon le Ministère norvégien de la Magie, de donner confiance aux jeunes sorciers. D’après les autorités, les élèves peuvent se focaliser sur la maîtrise de la magie, sans crainte d’échouer ». Il marqua une pause. Il pouvait bien se livrer, à son tour, un peu à Améthyste. « Mais, pour être honnête, je ne suis pas allé en Norvège par attrait pour leur système éducatif magique ». Il se fendit d’un rire clair. « En réalité, lorsque j’étais assistant du Professeur de Sortilèges à Durmstrang, quelque part dans le Grand Nord, j’ai rencontré une Norvégienne. Elle s’appelle Antje Amundsen. À l’époque, elle était poursuiveuse dans l’équipe de Quidditch des Cerfs-Volants de Karajosk et de l’équipe nationale de Norvège. Elle venait, avec son club, faire une démonstration à Durmstrang ». Nouvelle pause. « Nous tombâmes amoureux et, après quelques mois de relations, nous nous sommes mariés et je suis parti la rejoindre à Norvège. C’est pour cela que j’ai quitté Durmstrang ». Il pencha la tête et reporta son regard sur le jardin. « Nous avons été très heureux pendant plusieurs années, onze ans exactement. Et puis, avec le temps, tout s’est étiolé. Nous avons divorcé récemment. C’est pourquoi je suis revenu en Angleterre ». Il n’y avait pas de tristesse, de remords ou de regret dans la voix de Cepheus. Son mariage était un souvenir heureux. Il s’était terminé sans larmes ni cris. Antje et lui-même étaient d’ailleurs restés en bons termes, s’écrivant épisodiquement. Le sorcier posa à nouveau son regard son amie. « Je garde un très bon souvenir de la Norvège. En tous points ». Il jeta un œil sur la salle des Professeurs. Tout y était toujours très calme. « Alors, dis-moi, tu penses prendre des responsabilités auprès de Griffondor ? Comment envisages-tu l’avenir désormais ? »

*W. Shakespeare, Hamlet, III, 1.

Cepheus couvait du regard Saraphaël. L’adorable félin semblait apprécier grandement les caresses et la compagnie humaine. Au vu de l’affection mutuelle qui liait Améthyste au fléreur, il y avait fort parier que l’animal était un vieux compagnon, une fidèle présence, de celles qui apportent du réconfort et de la chaleur. L’Anglais ne put réprimer un rire clair en entendant Améthyste rappelait sa fâcheuse manie d’utiliser ses livres comme cale-porte. « Au moins, certaines choses ne changent jamais… J’espère que tu ne fais pas de même avec les tas de parchemins que te rendent tes étudiants » dit-il dans un sourire amusé. « En effet, j’ai gardé cette inclinaison pour la littérature, moldue comme sorcière. Lors de mes années passées dans le Nord de l’Europe, à Durmstrang comme en Norvège, j’ai gardé ces livres avec moi. C’était comme emporter dans mes pérégrinations une parcelle de mon Angleterre natale ». Même si son mariage avait été heureux, du moins pour un temps, Cepheus avait toujours nourri une pointe de nostalgie à l’égard d’Albion en général, et de Poudlard en particulier.

Améthyste l’interrogea sur des enfants. Cepheus et Antje n’avaient en effet pas eu d’enfants. Ils en avaient pourtant longuement discuté, et à de multiples reprises. Antje n’avait pas souhaité en avoir. Ses déplacements incessants, pour les matches et compétitions de Quidditch, ainsi que la pratique de ce sport à haut niveau étaient, à ses yeux, incompatibles avec le fait d’avoir des enfants. Cepheus, lui, aurait préféré qu’il en fût autrement, mais il avait accepté, par amour, le choix de son épouse. Si cette absence d’enfant était encore aujourd’hui une blessure, il n’en tenait pas rigueur à Antje. Elle avait fait son choix en toute liberté. Leurs désirs n’étaient, sur cette question, tout simplement pas alignés. « Non. Non, nous n’avons pas eu d’enfant ». Sans le vouloir, il nota que sa voix s’était très légèrement voilée. « Antje n’en voulait pas. Avec sa vie de joueuse professionnelle de Quidditch, en club et en sélection, c’était difficile de tout concilier ». Il marqua une brève pause. « Pour ma part, j’avais un avis différent sur le fait d’avoir des enfants ». L’espace d’un instant, il chercha ses mots. « Pour être honnête, j’aurais voulu en avoir ». Sa voix redevint alors normale. « Mais c’est ainsi. Et je ne regrette rien et ne nourris aucun reproche envers Antje ».

Cepheus ne questionna pas Améthyste directement sur son enfant. Dans la suite de leur conversation, la Directrice de Griffondor donna quelques informations. Visiblement, elle n’avait pas gardé contact avec sa fille, mais elle souhaitait la retrouver. C’était bien compréhensible. Le Directeur avait proposé son aide. C’était un véritable atout, à n’en pas douter. En un sens, et même s’ils venaient de se retrouver quelques instants auparavant seulement, Cepheus éprouva un certain soulagement en songeant qu’Améthyste n’aurait pas à affronter cette démarche, hautement incertaine, seule. « Je suis ravi que Luke ait décidé de t’accompagner et de t’épauler dans ta démarche. J’imagine en effet combien les embuches doivent être nombreuses. Mais je suis certain que tu retrouveras ton enfant ». Il lui sourit avec toute sa tendresse et son amitié. « Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas. Tu peux compter sur moi ». Cepheus ne s’imposait pas. Seulement proposait-il son aide, comme une ressource à saisir si besoin, tout simplement. « Du reste, cela vaut aussi pour la maison de tes parents. Si tu as besoin d’un coup de main pour la vider, n’hésite pas à me demander. Je viendrais t’aider avec plaisir ». Sa voix se tut un instant, avant qu’il ajoute : « Même si je sais que certaines actions doivent être entreprises seul ».

Notre homme posa quelques instants son regard bleu-gris sur le jardin, inspirant à nouveau les parfums de cette fin d’été. Il sourit et inclina la tête vers son amie quand elle mentionna la direction de Poufsouffle. « Je te remercie pour ces chaleureuses paroles. Cela me touche beaucoup de savoir que tu me sens prêt pour cette fonction ». Surtout venant de la Directrice de la maison de Godric Griffondor en personne. « Je souhaite faire mes preuves et m’habituer à ma fonction de Professeur de Sortilèges et Enchantements avant d’envisager la Direction de Poufsouffle ». Il esquissa un demi sourire et passa sa main dans sa barbe. « Oh, bien sûr, je mentirais en affirmant n’y avoir jamais songé, mais chaque chose en son temps. Je souhaite d’abord montrer au Directeur Korrigan que je suis un enseignant capable. Et, du reste, si quelque d’autre devait être choisi pour occuper cette fonction, je serais le premier à me réjouir pour cette personne. Comme tu le sais bien, je suis heureux là où on a besoin de moi et je me contente de ce que j’ai ». Les propos de son amie l’avaient touché. Sa confiance envers lui sur la question de la direction de la Maison à l’écu de safran et de jais était réconfortante. Qui sait, si l’année se passait bien, peut-être Cepheus solliciterait-il un rendez-vous auprès du Directeur pour aborder cette question ?

« Figure toi que j’ai longtemps hésité quant au lieu où je comptais m’installer. J’ai choisi une solution intermédiaire. J’ai une chambre ici, à Poudlard, comme la plupart des enseignants j’imagine. J’y passe une grande partie de la semaine. Le week-end, pour échapper un peu au château, je rentre à Pré-au-Lard où je loue une petite, mais confortable, maison un peu à l’écart du centre du village. Pendant les vacances, je rentre dans mon Gloucestershire natal, à Bibury ». Son visage s’éclaira à la mention de la petite bourgade. Cepheus avait toujours aimé le calme verdoyant de la campagne anglaise. À Bibury, il habitait un charmant cottage entouré de bosquets, de fleurs, d’arbustes et d’arbres. C’était un vrai écrin de verdure, soigneusement entretenu par la main verte du sorcier. « Bibury est mon hâvre de paix et de repos. C’est un peu mon Fiddler’s Green à moi, vois-tu ». Il sourit à l’évocation de son petit Jardin d’Eden. « N’hésite pas à venir à Bibury un de ces quatre. Je suis sûr que tu t’y plairas ». Il sourit et ajouta. « Et toi alors ? As-tu accepté la direction de Griffondor de suite ? Qu’as-tu ressenti en apprenant cette belle nouvelle ? Comment, finalement, s’est fait ton recrutement ici à Poudlard ? Tu vis aussi à Pré-au-Lard d’ailleurs ? »