Une leçon à la lueur de la Lune

La nuit était tombée sur le château. Dans le ciel, la Lune brillait dans un ciel de jais. L’astre nocturne dardait ses rayons d’argent qui baignaient d’une douce clarté la salle de classe de Sortilèges et Enchantements. La pièce était tout en longueur. Deux rangées de gradins de bois - là où en journée les étudiants s’asseyaient - se faisaient face. Entre les deux gradins, un grand espace restait libre et inoccupé. Une telle disposition permettait au professeur de se placer au milieu de la pièce pour que tous les étudiants puissent observer leur enseignant lancer le sortilège étudié. Parfois, l’enseignant demandait à deux étudiants, ou plus, de descendre afin de faire la démonstration de leurs progrès. En bout de la salle de classe se trouvait le grand bureau de l’enseignant, installé sur une petite estrade. De part et d’autre, des grimoires de toutes sortes étaient empilés, donnant l’impression (véridique) que l’estrade était un peu encombrée. À gauche et à droite de l’estrade, sur le mur, étaient accrochés deux grands tableaux à craie. Les mouvements des sortilèges s’y dessinaient lors des cours, ainsi que toute autre précision d’ordre théorique ou pratique. Derrière le bureau en lui-même, le mur s’incurvait vers l’extérieur. Une grande verrière y avait été installé, permettant à la lumière d’inonder la pièce. Ce faisant, la classe de Sortilèges était l’une des plus lumineuses de tout le château.

Cette classe, du fait de l’heure tardive, était déserte. Enfin presque. Le titulaire de la chaire de Sortilèges, Cepheus Prewell, était assis à son bureau. Éclairé par la lumière d’une bougie, penché sur un parchemin, une plume à la main, il corrigeait les essais d’étudiants de première année. Quand il eut achevé la correction du devoir qu’il avait devant lui, il leva les yeux vers une pendulette posée sur le bureau. L’objet, une pendulette de voyage dite « officier », était en réalité l’équivalent ancien d’une horloge portative. Cepheus l’avait acquis lors de son premier voyage en Pologne. Enchanté, l’objet n’avait pas besoin d’être remonté. Chaque 3 mai, à midi et pour cinq minutes, le cadran en émail de la pendulette se colorait en rouge et blanc, couleurs du drapeau polonais. Pourquoi le 3 mai ? Et bien il s’agissait de la fête nationale du pays, célébrant la Constitution polonaise signée le 3 mai 1791. Bien sûr, le vendeur s’était bien gardé d’informé Cepheus de cette particularité, et encore moins du moyen d’inverser le sortilège. À vrai dire, notre homme s’était habitué à cette bizarrerie et, s’il aurait pu découvrir lui-même comment inverser le charme, il préférait, avec un amusement certain, laisser l’objet ainsi.

Les aiguilles du cadran indiquaient vingt heures précises. Cepheus écarta le devoir qu’il corrigeait et le posa sur la pile de ceux dont il avait terminé la lecture. Il se baissa vers le tiroir le plus en bas du bureau, qui était aussi le plus grand, et en tira une théière en fer blanc ainsi qu’une petite boite en bois. Il les posa tous deux sur le plateau du bureau et prit sa baguette. Il la pointa vers la théière en murmurant : « Aguamenti ». Instantanément, elle se remplit d’eau. Cepheus ouvrit la petite boite, en sortit une boule à thé ainsi qu’un sachet de feuilles de thé. Il remplit la première avec quelques-unes du second et plongea la boule de l’eau. Il referma la théière et tapota à nouveau. L’eau se mit à frémir, puis à bouillir. Parfait, pensa le Professeur de sortilèges.

En effet, il avait donné rendez-vous à 20h à une étudiante. Un tel horaire, inhabituel, ne s’expliquait que par la demande de l’étudiante en question, Siobhán Gavalagh-Korrigan. Celle-ci avait en effet sollicité Cepheus pour des cours du soir. L’étudiante de Serpentard, également préfète et joueuse de l’équipe de Quidditch de cette maison, avait obtenu, avec son ancien professeur, la note « A », pour « Acceptable », à son examen de Sortilèges. La jeune femme souhaitait sans doute perfectionner ses talents en la matière. Elle avait, à la fin d’un cours, demandé à Cepheus s’il accepterait de l’aider à mieux maîtriser les sortilèges Protego et Expelliarmus. Notre sorcier avait bien sûr accepté avec bienveillance. L’ancien préfet de Poufsouffle qu’il était se montrait toujours bienveillant envers les étudiants, qu’importe la maison à laquelle ils appartenaient. Il fallait reconnaître que Siobhán était une élève hautement perfectionniste. Les Professeurs de Botanique et de Soins aux créatures magiques ne tarissaient pas d’éloges à son égard. La jeune Serpentard avait, de même, de grandes prédispositions en Métamorphose. C’était peu surprenant au vu de son hérédité. Son père était lui-même un sorcier particulièrement habile. Cepheus jeta un nouveau coup d’œil au cadran de la pendulette. Le thé devait être prêt. Il passa sa main dans sa barbe, geste habituel chez lui. Il ouvrit un autre tiroir et en tira une veille tasse, un peu ébréchée. Il la remplit avec le thé qui, à présent, avait assez infusé.

C’est alors qu’il entendit frapper. Il se leva, sa tasse de thé dans sa main gauche et la baguette dans celle de droite. Il était vêtu d’un pantalon de tweed gris, d’un cardigan beige foncé porté sur une chemise blanche et une cravate en mailles bordeaux. La journée avait été longue, aussi Cepheus avait-il remonté les manches de sa chemise. Il descendit lestement les quelques marches de l’estrade et se plaça devant. « Entrez, je vous en prie » dit-il d’une voix douce. La chevelure rousse de Siobhán apparut bientôt dans l’embrasure de la porte. Cepheus lui fit signe de s’approcher, avec son habituel sourire bienveillant. « Bienvenue, Miss Gavalagh-Korrigan ». La pièce était éclairée par les rayons de la Lune. Néanmoins, afin de mieux y voir, Cepheus leva sa baguette et décrivit un ample mouvement. Aussitôt, comme suivant le trajet de sa main tenant la baguette, des lanternes ouvragées en fer forgé, placées au-dessus des gradins, s’allumèrent. Ces bougeoirs diffusaient une douce lumière qui, complétant la sélénite clarté, apportaient une chaleur certaine à l’atmosphère de la pièce.

« Merci pour votre ponctualité, Miss Gavalagh-Korrigan ». Il sourit à nouveau. « Posez vos affaires sur les gradins, mais, bien sûr, gardez votre baguette ». Il marqua une petite pause avant de poursuivre : « La séance va être longue, prenez une tasse de thé avant de commencer, si vous le souhaitez ». Nouveau mouvement de baguette et la théière qui se trouvait sur le bureau disparut pour réapparaitre presqu’aussitôt sur l’un des gradins inférieurs, à portée de main. À côté d’elle, une tasse avait fait son apparition. « N’hésitez pas à vous servir » ajouta-t-il.

Il porta sa tasse à ses lèvres et but une gorgée. Pendant que Siobhán s’installait, il continua : « Nous n’allons pas tarder à commencer. Si j’ai bien compris, vous souhaitez améliorer votre note en Sortilèges. « Acceptable » n’est pas une mauvaise note, mais je comprends votre souhait, et je ne peux que vous féliciter d’être si perfectionniste. » L’Anglais esquissa un demi-sourire. « Ainsi, ce sont les sortilèges Protego et Expelliarmus que vous souhaitez mieux maîtriser. Ce sont deux sortilèges indispensables, notamment en combat ». Cepheus darda ses iris bleus-gris dans le regard de la jeune Serpentard. Il connaissait assez bien l’étudiante pour supposer qu’elle ne souhaiterait pas utiliser ses sortilèges à mauvais escient. Néanmoins, il se devait, par cette allusion et ce regard appuyé, de souligner qu’il serait attentif à l’usage qui serait fait de son enseignement. Il but une nouvelle gorgée et poursuivit : « Voici ce que je vous propose. Dans un premier temps, commençons par travailler ces deux sortilèges, d’abord séparément, puis les deux ensemble. J’ai une idée à ce propos, vous verrez ». Il marqua une pause. « Dans un second temps, et quand vous aurez atteint une maîtrise acceptable de ces deux sortilèges, nous pourrons travailler les de manière informulée. Il s’agit de la capacité de jeter ces deux charmes sans prononcer l’incantation. C’est, vous vous en doutez, un atout non négligeable en situation de combat. Mais chaque chose en son temps ».

Cepheus esquissa un sourire et porta la tasse à nouveau à ses lèvres. « Alors, Miss Gavalagh-Korrigan, êtes-vous prête ? »

« Avec plaisir, Miss Gavalagh-Korrigan » répondit Cepheus pendant que la Serpentard se servait une tasse de thé. Il but une gorgée et posa sa propre tasse sur l’un des gradins inférieurs, tout en observant de ses iris bleus-gris son vis-à-vis. La jeune sorcière lui expliqua alors ses motivations plus avant. Le Professeur de Sortilèges l’écoutait, sa main gauche désormais dans sa poche, et la droite parcourant sa barbe, dans une attitude qui lui était habituelle lorsqu’il écoutait et réfléchissait en même temps. Il acquiesça aux propos de l’étudiante. Elle l’informa de sa maîtrise de deux sortilèges dans un contexte bien précis : elle ne ratait jamais sa cible quand elle devait viser un mannequin. Cepheus esquissa un demi-sourire. La jeune femme faisait preuve d’une grande maturité, reconnaissant que, si elle était une sorcière douée, elle avait encore des progrès à faire. Surtout, elle semblait avoir identifié avec précisions là où elle devait s’améliorer. Pour confirmer ses dires, elle tira de ses affaires un parchemin qu’elle lui tendit. C’était l’avis du précédent intervenant qui avait officié dans la classe de Sortilèges et Enchantements avant que Cepheus ne soit recruté. Notre homme parcouru le texte. Plusieurs mots ressortirent de la lecture de Cepheus. « Hésitante ». « Concentration ». « Submerger ». C’était peu ou prou ce que lui avait dit Siobhán à l’instant.

Cepheus, une fois la lecture achevée, lui rendit son parchemin. « Je vous remercie. J’y vois plus clair à présent, même si votre propos introductif était tout à fait limpide ». Il marqua une brève pause. « Vous avez particulièrement bien compris l’avis de M. Hatcher. C’est déjà un premier point, et un bon. Il est toujours plus facile de progresser lorsque l’on a intégré que l’on a encore des progrès à réaliser ». Il esquissa un sourire. « Vous trouvez peut-être mon propos évident, mais croyez-moi, de nombreux sorciers, jeunes comme moins jeunes, sont persuadés que leur maîtrise magique suffit, qu’ils n’ont pas besoin de travailler et que toute critique est inutile ». Cepheus savait que, même chez les sorciers nés au sein d’une famille pratiquant la magie, il était aisé de se sentir exceptionnel et, au sens premier du terme, extraordinaire. Après tout, ceux qui étaient doués de magie étaient une minorité au sein de l’humanité toute entière. Une minorité aux grands pouvoirs. De là une tendance presque naturelle à entretenir un certain sentiment de supériorité. Au-delà de toute considération en lien avec la grande guerre magique et les Mangemorts, la question de l’humilité, en tout cas aux yeux de Cepheus, se posait avec une grande acuité, y compris chez les sorciers qui souhaitaient faire le bien. « Fort heureusement, ce n’est pas votre cas. Je vous félicite pour votre humilité ». Il lui adressa un sourire bienveillant.

Siobhán venait de se mettre en position, la baguette levée. En effet, à n’en pas douter, elle était prête. La volonté de la jeune femme lui tira un rire chaleureux. « Attendez que je vous explique la manière dont nous allons procéder, bien que je trouve votre enthousiasme tout à fait positif ». Il marqua une petite pause, un brin amusé. « Vous pouvez baisser votre baguette, mais je vous promets que je n’en aurais pas pour longtemps. Nous allons rapidement passer à la pratique ». Il fit quelques pas. Il était habituel chez lui de bouger pendant qu’il expliquait ou qu’il faisait cours. Cepheus n’était pas un enseignant statique, assis derrière son bureau. Un cours, pour être vivant, se devait d’être vécu. L’Anglais reprit : « Car vous m’avez indiqué maîtriser Expelliarmus et Protego en contexte, disons, académique ». Il esquissa un sourire en jetant un regard à la Préfète de Serpentard. « Vous conviendrez avec moi qu’il ne serait pas nécessaire de vous entraîner sur un mannequin dans les circonstances habituelles d’une salle de classe. Vous l’avez justement relevé à l’instant : jeter un sort hors du contexte académique est le nerf de la guerre ». Il avait insisté sur les derniers mots. « C’est pourquoi, nous allons progresser étape par étape vers les sortilèges informulés. Mais je vous préviens, le travail sera long. Il est certain qu’une seule séance ne suffira pas. Il vous faudra vous entraîner de votre côté et ne pas vous décourager, même si vous avez l’impression de stagner et de ne pas progresser. Pour ma part, je suis bien sûr prêt à m’investir et à vous retrouver régulièrement pour vous aider dans votre démarche ». Il marqua une pause. Sa voix s’était faite plus lourde, et il posa ses mirettes dans les iris de l’étudiante de la maison au blason d’argent et d’émeraude. « J’attends, en retour, un investissement similaire de votre part. Je peux vous donner des conseils, vous fournir des clefs, mais, in fine, seule vous avez toutes les cartes en main ». Ceci étant dit, il lui sourit et sa voix retrouva son ton habituel.

« La caractéristique principale des sortilèges informulés est qu’ils nécessitent une concentration extrêmement importante. La parole, comme la baguette voyez-vous, sont des canalisatrices de magie. Elles nous aident à catalyser la manière dont nous voulons plier la magie à notre volonté pour qu’elle réponde à notre souhait. Mais elles ne sont pas indispensables. Vous me suivez ? » Il était conscient qu’il lui avait promis de faire bref, mais cette introduction un peu théorique était nécessaire pour ce qui allait suivre. « Ainsi, en contexte, mettons, de combat, la concentration est rendue plus difficile par une multitude de facteurs : la peur, la colère, la haine parfois, le fait de suivre des consignes, l’inquiétude pour les camarades qui combattent à vos côtés, et j’en passe. Une telle réalité est difficile reproductible lors d’un entraînement ». Il s’arrêta un instant. Il voulait être sûr que Siobhán assimile ce long préambule. « Évidemment, j’ai un peu d’expérience en la matière ». Son regard prit une lueur amusée. « Je vous propose un entraînement particulier. Le but est simple. Vous permettre de travailler votre concentration en vous mettant dans une situation où vous aurez à contrôler vos émotions pour évitent qu’elles vous submergent et vous rendent hésitante ».

Cepheus agita sa baguette et un mannequin apparut tout au fond de la salle derrière lui, face à Siobhán, à une dizaine de mètres de la jeune sorcière. « Je vous propose quatre exercices. Les deux premiers concernent Expelliarmus et les deux seconds Protego. Nous verrons si nous avons le temps de tout faire. Si ce n’est pas le cas, n’ayant crainte, je vous proposerai bientôt un nouvel entraînement. J’aurai également un exercice d’entraînement à vous faire faire seule, mais nous en reparlerons à la fin de la séance ». Il s’écarta et s’appuya sur l’un des gradins, à la gauche de Siobhán. Il désigna de senestre le mannequin. Ce dernier mesurait 1m80 et l’envergure d’un homme moyen. Il était fait de bois et avait l’apparence d’un homme encapuchonné, avec une cible sombre sur la poitrine. Son bras était relevé et, en bout, tenait une fausse baguette. C’était un mannequin classique d’entraînement. « Pour commencer, vous allez jeter Expelliarmus et tenter de désarmer le mannequin ».  Cepheus avait-il oublié ce que venait de lui dire Siobhán ? La sorcière ne manquait jamais sa cible en de telles circonstances. « Ah, un petit détail. Voyez-vous, pour vous mettre en situation, je vais un peu corser la situation. Comment ? En vous privant d’un de vos sens. La vue, en l’occurrence. En situation de combat, vous avez de nombreux éléments à gérer, dont le stress. En vous privant de l’un de vos sens, nous recréons un contexte en partie similaire. Vous allez devoir vous concentrer et discipliner votre esprit pour ne pas manquer la cible ». Il inclina la tête et se fendit d’un clin d’œil.

De manière plus subreptice, il ajouta à nouveau sa baguette et un bandeau apparut à côté de Siobhán. Il était vert émeraude, couleur de Serpentard. Petite attention de la part du Professeur du Sortilèges. « Lorsque vous le mettrez, ne comptez pas voir, même un peu. J’ai enchanté le bandeau de manière à ce que vous ne puissiez rien voir. Ne vous inquiétez pas, il vous suffira de le défaire si vous vous sentez en panique ». Il pointa sa baguette sur le mannequin, qui disparut. « Le mannequin va apparaître quelque part dans la pièce, et vous allez devoir le désarmer le plus rapidement possible. Comment voir, sans la vue, où il va apparaître ? » Nouvelle pause. « Apprenez à voir sans vos yeux. Laissez-vous guider par votre sensibilité magique. Faites le vide en vous. Concentrez-vous uniquement sur vous, votre baguette et le mannequin. Alors, vous le verrez comme si vous aviez les yeux ouverts ». Il lui sourit. « Bien sûr, vous pouvez échouer. Ce n’est pas un problème. Bien au contraire, c’est dans la répétition que nous progressons ».

Il agita sa baguette en direction du bandeau qui lévita jusque devant Siobhán. Elle n’avait plus qu’à le mettre et elle pourrait débuter. « Respirez profondément. Contrôlez votre respiration. Que l’obscurité ne soit plus une angoisse. Faites-en votre amie, votre environnement. Contrôlez-vous, et vous la contrôlerez. Vous aurez quelques secondes pour vous habituez aux ténèbres avant que le mannequin apparaisse ».

Il avait levé sa baguette. « C’est quand vous voulez ».

À mesure que Cepheus expliquait l’exercice, ainsi que la manière dont il l’avait conçu, il nota que le visage de Siobhán était de plus en plus concentré, comme marqué par la volonté de retenir les informations et conseils délivrés pour s’en resservir. Cepheus acquiesça au compliment offert par la préfète de Serpentard avec un demi-sourire. Il était toujours agréable de savoir qu’un élève avait confiance en son pédagogue. Tout au long des explications, la concentration de Siobhán n’avait pas varié. Il sembla à notre homme voir passer une ombre dans le regard de la jeune femme à l’énoncé du handicap qui allait l’accompagner dans l’exercice, mais ce ne fut qu’un instant. Cepheus était d’autant moins certain de ce qu’il avait vu que la sorcière se montra déterminée et saisit le bandeau avec assurance. Pendant quelques instants, elle respira profondément, comme pour ramener le calme en son for intérieur et pour tendre son esprit, sa volonté, vers un seul but.

Le mannequin venait d’apparaître. Le bruit de ses fausses articulations emplissait l’air, devenant presque assourdissement dans l’obscurité qui devait être la sienne. Cepheus observa Siobhán avec attention. Elle se mouvait avec grâce et discrétion. Lentement, elle tourna sur elle-même prête à lancer le sortilège là où son ouïe la guidait. Subitement, quand elle fut sûre d’elle ou, tout du moins, assez sûre pour se lancer, sa baguette fendit l’air et le sortilège jaillit. L’éclair bleuté frôla le mannequin mais le manqua, ne le désarmant pas. Presqu’aussitôt, le corps parcouru d’un mouvement qui trahissait une vraie confiance en soi – elle savait, désormais, où était placé son adversaire de bois –, sa baguette se leva une nouvelle fois et, d’une voix claire et forte, la sorcière formula à nouveau l’incantation. Le sortilège, pour la seconde fois en quelques instants, jaillit de sa baguette. Cette fois, il heurta le mannequin de plein fouet. Sous l’effet du choc, celui-ci recula et la fausse baguette qu’il tenait en main roula sur le sol.

Siobhán ôta à l’instant son bandeau, manifestant la joie d’avoir réussi l’exercice. Elle pouvait être fière d’elle. Son enseignant, en tout cas, l’était. « Bravo Miss Gavalagh-Korrigan. Pour un coup d’essai, c’était un coup de maître ». Mais plus que la réussite de l’exercice, c’était le cheminement qui intéressait Cepheus. « La concentration que vous avez dû mobiliser pour pallier, par l’ouïe, la perte de l’un de vos sens, est similaire à ce que vous devez faire pour lancer un sortilège informulé. Nous y reviendrons tout à l’heure, si nous avançons assez vite, sinon nous en parlerons une prochaine fois, mais retenez déjà que, lorsque je dis qu’il faut se concentrer pour lancer un sortilège informulé, je ne dis en réalité pas grand-chose… » Il esquissa un léger sourire, amusé, et poursuivit : « Par ‘‘être concentré’’, il faut entendre être capable de voir, dans votre esprit, le sortilège. L’incantation doit résonner dans votre tête et dans tout votre cas pour que vous puissiez la lancer sans la formuler ». Il marqua une pause. « Comme la vue ne fait pas le sorcier, ce ne sont pas la baguette ni la formule qui font le sortilège. La magie est en vous et tout autour de vous. Nos sens, comme les incantations et les baguettes, sont des catalyseurs. Ils nous aident à utiliser la magie, mais ils ne font pas la magie ». Il lança un regard appuyé à Siobhán pour être certain qu’elle comprenait ce qu’elle disait.

« Buvez une gorgée de thé » ajouta-t-il avec douceur. « Même s’il a sans doute déjà un peu refroidi, cela vous fera du bien. Et puis, vous pourrez vous reposer un instant, en attendant le deuxième exercice. Puisque vous avez réussi le premier, autant allez un peu loin ». Il lui sourit et, le temps qu’elle boive ou non un peu de thé, il s’avança vers le mannequin et agita sa baguette en sa direction en marmonnant. L’humanoïde de bois se redressa et reprit sa position initiale, celle qu’il avait avant d’être frappé par le sortilège.

« Pour ce deuxième exercice, vous allez faire pareil, à savoir désarmer le mannequin à l’aide du sortilège Expelliarmus. Un petit détail va cependant tout changer ». Cepheus laissa un instant sa voix en suspens et ajouta : « Votre adversaire de bois va bouger. Je vais le faire disparaître puis réapparaître à un nouvel endroit de la salle toutes les cinq secondes à peu près ». De la main, il décrivit un large mouvement autour de lui. « Il pourra réapparaître n’importe où : derrière vous, devant vous, sur les gradins de gauche ou de droite, loin sur mon bureau ou près de la porte ». Évidemment, la difficulté allait consister pour Siobhán à reproduire ce qu’elle avait réussi en un temps limité et plusieurs fois de suite. « Je vais faire apparaître aléatoirement le mannequin dix fois de suite. Nous verrons, après la dixième réapparition, combien de fois vous aurez réussi à le toucher ». Il esquissa un sourire à l’endroit de la Serpentard. « Bien sûr, en situation de combat, votre ennemi ne vous laisserait pas lancer un sortilège sans tenter de vous désarmer, de vous blesser, ou pire encore. Mais je crois que le fait que le mannequin ne reste pas plus de cinq secondes en place devrait vous permettre de vous entraîner avec une certaine pression. Et, bien sûr, vous gardez votre bandeau ».

Cepheus fit quelques pas et s’appuya contre l’un des gradins. « Sur le fond, rien ne change. Vous devrez avoir la même concentration qu’à l’instant, mais vous devrez le faire plus vite et plus souvent. C’est cela qui peut être fatiguant. Aussi, ne vous inquiétez pas de la réussite ou de l’échec. Ce qui compte, ce n’est pas de lancer le sortilège au débotté, à l’aveuglette, mais de le faire seulement une fois que vous savez – il avait insisté sur le dernier mot – où se trouve le mannequin. Je préfère ainsi que vous ne lanciez le maléfice qu’une seule fois au cours des dix disparitions et réapparitions mais que vous le touchiez, plutôt que de vous voir jeter tout autour de vous des sortilèges sans avoir la moindre idée de l’emplacement du mannequin ». Il appuya à nouveau son regard. « Le mannequin est enchanté. En d’autres termes, s’il n’est pas magique à proprement parler, il est tout entier nimbé de magie. Vous pouvez ressentir cela. Servez-vous de ce que vous sentez, dans l’obscurité de ce bandeau émeraude, pour voir et pour savoir. Vous êtes une sorcière talentueuse. Aussi, vous n’avez pas besoin de vos yeux, ni de votre ouïe en vérité, pour voir où votre adversaire se trouve ». Il lui sourit et se tut un instant pour que ses paroles soient claires dans l’esprit de Siobhán.

« Bien, si tout est clair pour vous, nous allons pouvoir reprendre. Mettez le bandeau, respirez profondément, faites le vide en vous et, quand vous serez prête, je ferai disparaître le mannequin pour la première des dix fois ». Il marqua une brève pause. « Nous commençons à votre signal, Miss Gavalagh-Korrigan ».