date 1 : 8-9

Speed dating

Je ronchonne alors que j’entre dans l’armoire. Parce que je n’ai pas signé pour ça. Parce que je me sentais mieux sur scène avec ma douce Betty. Parce que je ne cherche pas à rencontrer quelqu’un, bordel. Je n’ai pas le temps pour ça. Ou plutôt, je n’ai pas envie d’y consacrer du temps… Je fronce les sourcils avant de pouffer en reconnaissant ma voix planant dans l’air. C’est donc ça l’effet que ça fait de s’entendre ? Heureusement que la douce voix d’Eyna couvre la mienne. Un petit sourire retrouvé, je m’avance mais à peine ai-je le temps de faire un pas que la jeune femme m’accueille.

« Heureusement pour moi, elle se trouve actuellement dans une autre armoire. »

Que je plaisante en parlant de sa cousine. Quoi que, je dois admettre que je suis soulagé du monde qu’il y a ce soir, aussi Eynaelle devrait trouver de quoi se distraire sans s’amuser à me faire tourner en bourrique. Je déboutonne ma veste et m’installe face à la jeune femme, me saisissant du verre posé sur la table. Je le porte à mes lèvres et reconnais déjà la délicieuse odeur du houblon. De la bière, de la vraie ! Et pas cette bièraubeurre étrange ! Alors que le liquide pénètre dans ma bouche, mes yeux s’écarquillent de surprise. Ce n’est pas n’importe quelle bière ! Je reconnais celle que j’affectionne tant ! Celle qui m’a abreuvé de nombreuses soirées avec les Gamey Gulls, à notre pub préféré de Camden ! Je savoure ma gorgée avant de reporter mon attention sur Lheina dont les questions fusent à une telle vitesse que je n’ai pas vraiment le temps d’en placer une.

« Oh, je… »

Et lorsque j’essaie… Tandis que je me passe une main sur ce crâne rasé, j’assiste à la maladresse de la jeune femme. N’ayant pas les réflexes de l’homme araignée, je tends la main dans le vain espoir de rattraper le flacon qui chute sur la jolie blonde. Je grimace, plisse les yeux, cependant nous avons échappé au pire.

« Voyons le bon côté des choses : ça n’a atterri dans aucun de nos verres. En revanche, ton nouveau parfum va faire tourner toutes les têtes… »

Je m’enfonce dans mon siège alors que les effluves de l’amortentia arrivent jusqu’à mes narines.

« Etonnant… L’odeur de pluie sur le bitume chaud… » Je ferme les yeux, penche légèrement la tête, concentré. « Un disque vinyle sorti de sa pochette… Uh. » Je fronce les sourcils. « Que des odeurs venant de la partie moldue de ma vie. »

Je désigne Lheina de la main, paume vers le plafond de cette étrange armoire.

« Et toi ? Tu es simplement là pour accompagner ta cousine ? Je veux dire… » Je remue maladroitement sur mon siège. C’est probablement la première fois qu’on échange autant de mots et je trouve ces circonstances désagréables, gênantes. « C’est plutôt… étonnant qu’une jeune femme aussi… jolie ait besoin d’un speed dating. »

Je plonge le nez dans mon verre, en prends une longue gorgée avant de m’éclaircir la gorge.

Speed dating

Un date avec sa cousine ? Bien que cela pourrait être une vraie torture si @Eynaelle Sanderson décide de jouer avec moi, elle qui a le chic de transformer une simple discussion en quiproquo énormissime, je doute que ce soit le plus dramatique qui puisse se produire dans ce contexte pour avoir vu certains clients...

« Ce n’est pas le pire qui pourrait m’arriver. » Du pouce, je désigne par-dessus mon épaule la porte de l’armoire. « Vu comment ça s’est déroulé avec sa frangine, si je me retrouve face à @Selma Montero ça risque d’être folklorique. »

D’un autre côté, elle n’a rien à faire ici. On verra lequel de nous deux sera le plus mal à l’aise… Je peux être une vraie tête de lard. Le Matthew à qui a eu affaire @Alejandra Montero avant Noël était un véritable petit ange en comparaison. Quand je suis contrarié par quelque chose, j’ai du mal à oublier, à laisser couler, tel un pitbull avec sa victime. On ne joue pas avec les sentiments de mon pote @Sheraz Mahal en toute impunité ! Je fronce les sourcils quand je constate avoir perdu la jeune femme à la simple évocation d’un disque.

« Wut ? Non, non, un disque c’est pour écouter de la musique. Le son est... gravé sur la surface. On pose le disque sur un appareil qui le lit grâce à un diamant. C’est assez vieux. Aussi vieux que ma grand-mère, au moins. Et malgré les années et l’avancée des technologies moldues, ils y reviennent car cela garde un charme certain, un son chaleureux incomparable. » Je me racle la gorge, me redresse sur mon assise et me reprend. « Ah, ouais, le risque avec moi c’est de me lancer sur des sujets comme ça. Surtout ne te gêne pas pour me dire si je te saoule avec mes histoires, hein, je ne le prendrais pas mal ! »

Je suis même plutôt habitué à me faire envoyer paître quand je divague un peu trop sur des sujets qui ne concernent pas les sorciers. Surtout que ça m’arrive souvent malgré ces quelques années passées dans le monde magique. Je reste ancré au monde moldu, je respire et transpire moldu. C’est ce qui rend ma collaboration avec @Serena Ronsmal d’autant plus appréciable ! Elle comprend mes références, ça rend nos échanges plus faciles.

Je suis étonné par la réponse que Lheina me donne quant à sa présence au speed dating. J’avais, certes, pu remarquer son talent inné pour transformer une situation des plus banales en un péril sportif, mais de là à le voir comme un réel obstacle…

« Ta malédiction ? » Je désigne le flacon d’Amortentia qui a fait les frais de sa maladresse. « Okay… ça peut être sportif de te fréquenter mais de là à fuir ? Ceux qui partent ne te mérite pas ! Et puis, peut-être qu’il existe… ton opposé ? Quelqu’un de béni à la naissance, avec une chance de cocu qui compenserait ta malédiction ! Voire même ça s’annulerait, vous deux réunis. Dans ce monde de licornes, ça doit bien s’trouver… »

Je ne plaisante qu’à moitié. Et même si un tel être n’existe pas, je suis certain que Serena lui trouvera des prétendants dignes de ce nom, dignes de la jeune femme. Des gens qui savent voir au-delà de ce… défaut.

« Sauf que je vois ta cousine comme une petite sœur ! L’accompagner à la guitare, ou à la batterie, c’est avec plaisir. Mais sortir avec elle ? Nope, jamais. Ça sonne… mal. » Je fais mine de frissonner, me secoue toute en exagération. « Et je n’avais pas prévu de faire partie des candidats, ce soir. Je ne cherche rien… Enfin, si, je me cherche moi et il y a du boulot. »

J’écarte grand les bras pour montrer l’envergure de la tâche qui m’attend. Je n’ai même pas atteint le quart de siècle que je suis déjà en pleine crise existentielle ! Au moins, jusqu’à présent, j’ai évité les séances de psy et les cachets abrutissants…

« Qui suis-je ? Que vais-je faire de ma vie maintenant que j’ai quitté Poudlard ? Dans quel domaine suis-je doué ? Etc. Tellement de questions. Je n’ai jamais su ce que je voulais faire de ma vie et les études ne m’y ont pas aidé. » Je hausse les épaules et soupire, las. « T’as déjà une idée du boulot de tes rêves ? »

Speed dating

Un sourire amusé étire mes lèvres alors que la jeune femme me conseille d’en parler avec ma patronne. Alors que, justement, j’ai fait tout mon possible pour lui faire comprendre que je ne cherchais pas l’âme sœur, que ce n’était pas dans mes projets, que je voulais juste qu’on me foute la paix, malgré ça je suis là, assis dans l’une des armoires à devoir jouer le jeu, comme un poisson hors de l’eau.

« Je pense que Serena n’en aura rien à faire, si elle estime que je dois parler avec Selma, je n’y couperais pas. »

J’arque un sourcil quand elle m’explique ce concept de crapaud chanteur en argile. Déjà, de base, un vrai crapaud comme bestiole de compagnie ça me perturbe. Par chez moi ça a plus de poil, ça miaule ou ça aboie. Il me semble que même parmi les NAC on ne trouve pas de pareils amphibiens. Alors, reproduire l’une de ces créatures pour…

« Ouais, les moldus ont aussi l’équivalent de ton… crapaud. Ils appellent ça une enceinte connectée. Et avec ton téléphone tu peux choisir les chansons, aussi. La technologie peut être considérée comme une forme de magie. Le jour où les sorciers accepteront de s’adapter, d’adopter certains savoir des moldus… La science mêlée à la magie… on fera un sacré bond, je pense. Un de ces quatre j’irais recharger les batteries de ma… magie moldue et je te montrerai ça aussi. »

Et pourquoi pas faire d’une pierre deux coups en lui faisant écouter ma vieille collection de vinyle. Comme un voyage dans le temps pour lui montrer l’évolution de ce que les moldus peuvent faire de mieux. Je souris à la façon dont elle écorche ces pauvres hélicos, attendri par l’ignorance maladroite de la sorcière. Je ne la reprends pas, pas pour quelque chose d’aussi futile. Après tout, j’ai compris, c’est le principal. Je hoche doucement de la tête.

« Oui, les moldus sont impressionnants. »

Peut-être même plus que les sorciers car ils n’ont pas de magie qui leur coule dans les veines, cet énorme cheat sur lequel ils ne peuvent pas compter. Cheat qui peut tout de même se retourner contre les êtres magiques, comme c’est apparemment le cas de Lheina. Si malédiction il y a vraiment, j’y vois comme une injustice. C’est ce qu’on pourrait souhaiter à son pire ennemi, pas à une jeune femme aussi sympathique ! Qu’elle s’inquiète de réussir à rencontrer un jour quelqu’un me touche et je tiens vraiment à la rassurer. Car je refuse de croire qu’elle pourrait en être privée.

« Je ne m’inquiète pas pour toi. Un de ces quatre, tu tomberas sur quelqu’un. Même si c’est pas un élu doté d’une chance hors du commun. Y’en a bien un qui verra plus loin. Il paraît qu’on peut tous trouver chaussure à son pied, c’est la patronne qui le dit, alors que c’est que ça doit être vrai. »

Petit sourire amusé de la part d’un couillon qui ne sait pas lui-même s’il faut croire à pareil foutaise mais qui est payé pour les distribuer aux gens, pour leur vendre l’espoir qu’il n’a pas. J’apprécie qu’elle ne rebondisse pas sur d’autres potentielles partenaires pour moi, je subis déjà assez avec la petite brune qui m’emploie. Et aborder un domaine qui me parle déjà plus… Je prends ! Un nouveau sourire éclaire mon visage, bien plus grand, plus lumineux.

« Oh, j’aime la musique, oui ! Sur scène, c’est comme si j’oubliais tout le reste. Il n’y a plus que la musique, les vibrations des cordes, l’enchaînement des accords. Ça me transporte. Mais je n’ai pas la prétention de pouvoir en faire mon métier. Pas pour l’instant, en tout cas. Surtout pas seul. » Je hausse les épaules. « Je peux peut-être trouver d’autres passionnés, monter un nouveau groupe, oui... Mais je ne peux pas me permettre ce luxe pour l’instant, j’ai besoin de payer mes factures. Le boulot que Se… Mrs Ronsmal m’a donné est une aubaine, comme un cadeau tombé du ciel. Essayer de concrétiser ses idées, distribuer les flyers, faire le tour des endroits fréquenter pour trouver de la clientèle, ça va, c’est dans mes cordes. Cependant, je ne pense pas que ça tienne sur le long terme. Ce n’est pas… moi. »

Les petits cœurs, les fleurs, les balades romantiques… ça ne me parle pas. J’ai peut-être une âme de boomer mais je crois aux rencontres hasardeuses, du moins je veux y croire. Ne pas dépendre d’un algorithme, ne pas être un dossier. Ça manque de naturel. Alors, ouais, je capte cette idée de marraine la bonne fée, cette envie d’aider les autres, d’être le coup de pouce qui leur manque. Serena est douée pour ça et l’amour qu’elle fait naître semble nourrir la fleur bleue qu’elle est. Moi, je me sens comme une fraude. Les meilleures chansons ne s’écrivent pas avec une belle histoire d’amour qui se concrétise mais plutôt par l’envie de cet amour, par le combat que ça fait naître en nous… Puis par la douleur, beaucoup. La souffrance quand ça se termine. Ça, ça me parle déjà plus, de ça on en tire matière à composer.

« Mais assez parlé de ma crise existentielle ! T’as pas répondu à ma question. Et toi ? Qu’est-ce que t’aimerais faire ? Le cliché des Serpentard voudrait que ce soit… quelque chose d’ambitieux. Dominer le monde ? »