A sky full of Stars

02.03 Il s'était passé quasiment deux mois avant que Dilshad ne trouve la force et les ressources nécessaires pour se rendre à Loustry Ste Chaspoule. Ce n'était pas le manque de motivation qui lui faisait défauts mais son incapacité à gérer ce qu'il ressentait au plus profond de lui. Il y avait des choses que le sorcier n'était pas capable de faire à moins de procéder à son rythme. Et si rouages et sortilèges n'avaient quasiment plus de secrets pour le propriétaire de l'Arcanum, les relations humaines étaient toujours en cours d'acquisition si tant on pouvait le dire comme cela.

Loustry Ste Chaspoule ne lui avait jamais autant paru aussi important pour lui. C'était un village sorcier de tout ce qu'il y avait de plus banal où moldus et magiciens vivaient en parfaite harmonie (c'était ce qu'il en avait retenu. La réalité était tout autre). Un endroit connu pour sa vie rurale et son agriculture que le Zaman n'avait visité qu'une fois ou deux sans réellement se souvenir des lieux. Mais depuis sa discussion avec @Améthyste Miller, Loustry Ste Chaspoule hantait ses pensées. Il en avait appris le plan, les principales boutiques et les lieux incontournables du village. Mais surtout, il avait trouvé comment se rendre à la boutique de magie des Mahal, de charmants moldus qui présentaient la magie comme les non-majs la voyaient.

Quelques brochures du village et des boutiques le composant se trouvaient sur son bureau à côté de ses notes et d'une copie du dossier de Sheraz. Devant le grand miroir, un peu plus loin, Dilshad était en train d'ajuster sa tenue qu'il se voulait parfaite pour rencontrer les parents de son potentiel fils. Plus le temps passé, plus il s'en convainquait, faisant sauter tous ses gardes-fous au cas où ce ne soit pas le cas. Redevenu naïf et plein d'espoir, Dilshad finit par juger sa robe de sorcier parfaite. Echarpe parfaitement nouée pour affronter le froid d'un hiver qui tardait encore dans le milieu du pays, il venait de sceller d'un mouvement de ses doigts sur ses boutons, sa lourde cape violette.


(...)

Son talon tapait désormais la route pavée des rues de Loustry Ste Chaspoule. Nez levé pour regarder les enseignes défilés, il finit par trouver la fameuse boutique de Magie des Mahal devant laquelle Dilshad se figea, main dans les poches de sa lourde cape, le regard posé sur cette vitrine dont il semblait imprimer mentalement chaque détail pour ne jamais plus l'oublier.

Son coeur battait à tout rompre dans sa poitrine mais ce fut ses yeux qui trahissaient le plus cette impatience que son esprit tentait de contenir pour l'éviter de se ruer dans cette boutique qu'il n'aurait jamais regardé dans d'autres circonstances. Son regard bougeait dans tous les sens comme s'il voyait un parc d'attraction particulièrement lumineux avec cette envie très enfantine de vouloir essayer tous les manèges. Il ne lui manquait plus que les odeurs de barbe à papa ou de pommes d'amour pour le faire saliver et on avait réellement cette impression de voir un enfant devant la boutique de ses rêves.

Il ne sut pas combien de temps il était resté là. Peut-être cinq minutes, peut-être dix, peut-être même une heure ou deux... Dilshad n'en savait rien. Mais lorsqu'il posa enfin la main sur la poignet de la porte, il était certain de sentir tout son corps vibrait d'une intense magie.

Aussitôt, une odeur toute particulière frappa ses narines alors que le mécamage refermait la porte derrière lui. Son regard se figea alors sur le comptoir où personne ne semblait se trouver. Peut-être dans l'arrière-boutique ? C'était généralement là où il se trouvait lorsqu'il était à l'Arcanum, laissant Hassan gérer la clientèle.

« - Hello ? » L'entendit-on finalement prononcer pour annoncer sa présence malgré le tintentement de la porte lorsqu'il l'avait ouverte.

Son cœur frappait fort. Son bas ventre était lourd. Sa bouche était pâteuse. De la peur ?

02.03

« Tu crois qu'il va rester longtemps comme ça ? »

La petite voix aigrelette d'Agnes Mahal tintait sur l'écho des bols tibétains. Elle venait d'éplucher une clémentine et une agréable odeur d'agrume et de cannelle emplissait à merveille la petite librairie ésotérique moldue. Bien située sur la grand rue, la Librairie des Mahal, the BookWyrm, était une curiosité en soit en ce qu'elle avait de la magie une perception bien différente et toute à elle.

Kamal Mahal rechaussa ses lunettes sur le bout de son nez, abandonnant un instant l’époussetage des pierres semi-précieuses dans leur étal à casier.

« Je devrais peut-être aller lui ouvrir. »
« Non non, je n'ai pas envie qu'il se sente forcé d'enter. », contredit Agnes continuant son livre assise au comptoir.

Au bout d'un moment de ce petit manège, ils ne prêtèrent même plus attention à la silhouette plantée devant leur entrée et vaquèrent à leurs occupations comme si de rien. Aussi, quand le visiteur contemplatif se décida à passer la porte, il n'y avait plus âme qui vive pour s'occuper de lui. Il fallut quelques minutes aux petits pas feutrés d'Agnes pour la ramener à la boutique, une fois qu'elle eut entendu ce hello et le carillon de l'entrée.

Agnes Mahal était désormais une assez vieille dame. Son visage ridée comme une pomme était toujours un peu sévère mais à la fois bienveillant. Elle souffrait des articulations quand le temps tournait et on ne pouvait pas attendre d'elle qu'elle apparut en un claquement de doigts au milieu de sa boutique. Elle finit tout de même par arriver et, la première chose qu'elle se dit en voyant l'homme qui poireautait devant son comptoir, c'était qu'il ressemblait étrangement à Sheraz. La seconde, c'était que pour avoir passé autant de temps sur le pas de la porte, il devait lui être arrivé quelque chose ou bien ... mais après toutes ces années, s'était malheureux à dire mais elle n'y croyait plus guère.

« Le bonsoir, en quoi puis-je vous être utile, dites moi ? », fit-elle avec un sourire commerçant mais adorable.

02.03 Planifier sa venue à Loustry Ste Chaspoule lui avait demandé un temps de préparation comme seul un procrastinateur chevronné était capable de comprendre. Mais à aucun moment de son plan, Dilshad ne s'était dit qu'il faudrait parler aux parents de Sheraz.  

Lorsque la vieille dame qui tenait la boutique finit par revenir dans la pièce principale pour lui répondre, Dilshad sentit ses lèvres se clouaient l'une à l'autre tandis qu'une vague de chaleur intense l'envahissait sans qu'il ne puisse rien faire pour la contrôler. Son coeur se mit à battre à tout rompre dans sa poitrine avec une telle vitesse que sa cage thoracique finirait un jour par céder.

Bouche pâteuse, Dilshad ne parvint qu'à entrouvrir ses lèvres un court instant sans qu'aucun son n'en sorte. Déglutissant péniblement, seul un onomatopée s'échappa finalement de ses cordes vocales.

Il resta là un court instant. Peut-être une dizaine de secondes ou quelque chose comme ça avant de finalement reculer et disparaître dans la rue sans demander son reste, sinon ce tintement de cloche qui annonça son départ.


(...)

09.03 Il se passa une semaine avant que l'on revoit la silhouette de Dilshad sur Loustry Ste Chaspoule. Ce fut à peu près ce temps qu'il lui fallut pour retrouver le peu de courage dont il était capable pour se ressaisir afin de rencontrer cette famille qui pouvait potentiellement lever le voile sur l'un des plus grands mystères de sa vie. L'envie d'aller casser la figure à @Luke Korrigan lui traversa plusieurs fois l'esprit au cours de la semaine écoulée tandis qu'il se contenta d'éviter de regarder @Sheraz Mahal dans les yeux comme s'il avait peur que ce dernier ne devine ce que Dilshad avait fait dans son dos.

S'il avait été capable de faire comme si de rien était en publique, en privée, ce fut une toute autre histoire. Il ne passa pas une soirée seule, prétextant un besoin de voir ses parents qui, le connaissant, surent de suite que quelque chose clochait. Mais aucun des deux ne parvinrent à lui tirer les vers du nez. Dilshad ne cessait d'être tourmenté par le physique de cette vieille dame pour des raisons évidentes.

Elle était la seule personne capable de lui révéler ce que Luke Korrigan lui avait teasé pendant des mois avant que lui-même ne finisse par y croire. S'ils se trompaient, Dilshad ne... En réalité, il n'avait même pas les mots pour décrire ce qu'il avait le plus peur en cet instant. C'était terrible comme sensation. Il avait cette impression de vivre avec son cœur constamment dans sa gorge, ses nuits se raccourcissant de plus en plus après plusieurs cauchemars terribles qui lui valurent quelques potions de sommeil alors qu'il revivait ses traumatismes les plus profonds.

Il fallut alors la présence de sa sœur pour que Dilshad parvienne enfin à mettre quelques mots sur ce qu'il l'agitait. Et c'était grâce à elle, d'ailleurs, qu'il comptait affronter de nouveau les Mahal ce samedi-là.

Mumtaz accompagnait Dilshad. Si la tenue du propriétaire de l'Arcanum n'était guère différente de la semaine passée, Mumtaz, elle, était un véritable phare dans les rues plutôt sobre de Loustry Ste Chaspoule avec son ensemble bleu nuit et sa longue cape pourpre toute bariolée de filets argentés comme si elle portait une constellation autour de son cou. Elle représentait parfaitement la sorcière pakistanaise que l'on pouvait imaginer avec ce visage solaire et typé. Dans son sillage, elle laissait une douce odeur de jasmin apportant alors le peps et l'inspiration qui faisait cruellement défaut à Dilshad qui semblait réellement éteint au côté de sa grande soeur.

Devant la boutique, ils restèrent quelques instants. Mumtaz, avec sa mine espiègle, le laissa quelques instants dans le silence sans le presser. De tous les membres de la famille Zaman, elle était la seule à avoir compris Dilshad dès le premier instant. Elle lui laissa le temps qu'elle estimait qu'il avait besoin avant de glisser sa main dans celle de son jeune frère pour lui insuffler un peu de chaleur.

Dilshad avait cette curieuse impression d'errer dans les ténèbres. Mumtaz était son flambeau.

« - Tu crois que j'aurais du prévenir Yasmine ? » Murmura le sorcier du bout des lèvres.
« - Non. Pas pour l'instant, en tout cas. » Répondit-elle sur le même ton.

Mumtaz actionna alors la poignet de la porte, tirant légèrement sur le bras de son frère pour l'intimer à la suivre dans cette boutique que la sorcière apprécia instantanément. Aussitôt, elle lui lâcha la main pour tirer un livre sur une armoire qu'elle se mit aussitôt à feuilleter, laissant de nouveau Dilshad dans le silence, incapable de bouger, sur le pas de la porte qui s'était refermée derrière lui.

« - Allez... »

Cela lui fit l'effet d'un seau d'eau reçu en pleine poire. Il sursauta avant d'hocher de la tête. S'avançant de nouveau dans la boutique, il interpella du mieux qu'il put les tenanciers.

« - Hello ? » Même son ton de voix voulait s'enfuir.

Mais Mumtaz était devant l'entrée. Et Dilshad savait qu'elle l'empêcherait de partir cette fois-ci.

9.03
Agnes Mahal était une femme très pragmatique, un peu trop parfois. Elle aimait que son intérieur soit impeccablement rangé et, il se dégageait de ses choix de décoration une volonté de conformisme assez en décalage avec ce que donnait à voir la librairie ésotérique. Elle avait toujours été libraire. Mais quand Sheraz avait commencé à avoir toutes ces manifestations bizarres, la vieille dame s'était penchée sur des sujets d'études qui ne l'avaient jusqu'alors jamais intéressés. Soucieuse de comprendre et de réagir au mieux, elle avait accumulé une impressionnante documentation sur toutes sortes de phénomènes paranormaux et de croyances un peu marginales et quand la réponse s'était présentée un beau matin devant leur porte, elle n'avait trop su que faire de tout ce bazar. C'est Kamal qui avait eu l'idée de vendre leur enseigne d'Oxford et de se lancer dans cette niche qu'était le livre ésotérique. Sheraz en avait beaucoup ri mais, à leur arrivée à Loutry Ste Chaspoule, tout ceci avait très vite suscité beaucoup d'intérêt. La librairie faisait même partie des visites recommandées par l'office de tourisme magique.

Or, s'il y avait beaucoup de passage l'été, à cette période encore frileuse et au vu de l'actualité, Agnes Mahal aurait été bien en peine d'oublier la visite de ce drôle de personnage le samedi précédent. Elle en avait parlé à Kamal puis l'avait gardé dans un coin de sa tête, comme persuadée que ça finirait par avoir une importance. Son mari lui, s'était un peu renfrogné à l'idée que, peut-être, un de ces lointains neveux soit venu du Pakistan avec quelque idée saugrenue dans la tête. C'était tout de même peu probable et il aurait encore fallu que ledit neveu soit aussi un sorcier. A cette remarque, Kamal s'était ébroué, grommelant quelque chose dans sa courte barbe blanche, impeccablement taillée. Hautement improbable en effet.

Cet après midi-là, Proserpine Owens était venue leur acheter un énième livre sur les rituels de retour en affection. En dépit des conseils avisés de Mrs Mahal - qui ne croyait définitivement pas en ces choses là - la sorcière avait jeté son dévolu Les 60 Rituels Secrets de la Magie du Sel. Elle sortait de la librairie très satisfaite de son achat lorsqu'une élégante sorcière s'effaça pour la laisser passer. Agnes sourit en guise de salutation puis son expression se teinta légèrement, reconnaissant le visiteur qui s'était enfui le samedi précédent.

Le même étrange scénario se déroula. Il interpella pour avoir l'attention. Elle sourit. Mais cette fois-ci, Kamal entra dans la pièce avec une caisse de papiers d'Arménie et ce fut lui qui s'avança.

« Bienvenue au BookWyrm. Aujourd'hui, promotion exceptionnelle sur le rayon lithothérapie. C'est par ici. N'hésitez pas si vous avez la moindre question. »

Il vit un peu trop tard le regard appuyé que lui lançait Agnes et décida finalement de garder un oeil sur les deux clients tandis qu'il classait les papiers d'Arménie par senteur. Par dessus ses petites lunettes rondes, il jetait de temps à autre un petit regard, feignant de rien. Agnes, elle semblait attendre quelque chose.

09.03 Dilshad sentit son cœur se serrait lorsqu'il entendit la voix de l'homme alors que ce dernier apparaissait dans l'encadrement de la porte. C'était un pakistanais, il en était sûr. D'ailleurs, même sa sœur se retourna vers lui, sourcil levé par la surprise. S'il était bel et bien le père d'Anwar, c'était une sacré coïncidence que Mumtaz ne pouvait référé qu'à un acte miséricordieux de Dieu afin que ce fils perdu ne soit jamais trop loin de ses racines. Mais Dilshad était beaucoup trop terre à terre pour ce genre de penser. Aussi, il se mit à trembler comme une feuille, jetant un regard en arrière vers sa grande sœur comme pour y puiser un courage qui lui faisait défaut.

« - En faites, euh... »

Mumtaz s'approcha de Dilshad pour glisser entre ses doigts sa main afin de l'aider à se calmer. Le mécamage serra la main de sa grande sœur avant de finalement prendre une profonde inspiration pour trouver les bons mots pour commencer une conversation somme toute banale afin de faire connaissance, puis petit à petit amener le sujet controversé d'une potentielle adoption il y a plus de vingt ans.

Mais les choses ne se passèrent pas comme prévus. Dilshad était sous pressions. Son souffle s'était accéléré et à mesure où il essayait d'ouvrir la bouche pour tenter de commencer une phrase, ses mots se perdaient dans sa gorge, le rendant toujours plus fébrile. Mains moites, front transpirant, Dilshad jetait des regards frénétiques à l'égard de sa grande soeur qui sentait son petit frère partir en vrille.

« - Est-ce que vous avez adopté un enfant il y a vingt ans ? »

Mumtaz sentit le souffle quittait son sein alors qu'elle sentait Dilshad se détendre subitement maintenant que c'était sorti. Ce n'était pas du tout ce qui était prévu et même si elle était habituée aux questions indélicates de son frère, Mumtaz ne s'attendait pas à un tel rentre dedans. Elle tourna son visage vers les propriétaires de la boutique, le regard affolé, avant de finalement se mordre la lèvre inférieure, visiblement désolé pour ce que son frère venait de faire.

« - Euh... Ce qu'il veut dire, c'est que.... Euh... Il est le professeur de Métamorphose de votre fils à Poudlard et... »

Dilshad tourna la tête vers Mumtaz, les sourcils froncés, avant de finalement regarder les parents de Sheraz.

« - J'ai construit une boîte magique qui ne peut s'ouvrir que par un Zaman et votre fils y est parvenu ! »
« - Peut-être avez-vous un peu de sang Zaman ? » Se risqua Mumtaz qui essayait de temporiser son frère qui ignorait superbement toutes les conventions sociales (si tant il pouvait en exister dans pareille situation) en allant directement dans le vif du sujet.

C'était quelque chose qu'il faisait depuis toujours. Encore plus lorsqu'il n'avait aucune prise sur ce qui se passait.

09.03 Kamal Mahal rechaussa ses lunettes qui manquèrent tomber sur le bout de son nez. Son geste suspendu, il fixait le client - qui n'en était vraisemblablement pas un - avec une certaine méfiance. Sans dévier du regard, il sentit Agnes venir au plus près de lui. Il n'avait pas besoin de la regarder pour savoir ce que cette question soulevait. Pendant des années durant, Agnes avait été tiraillée entre le sentiment que tout ça était trop pour elle, son bon coeur qui lui disait qu'elle ne pouvait pas abandonner ce petit garçonnet aux vagissements terribles et cette idée que quelque part, quelqu'un le cherchait peut-être. Kamal, lui, avait vécu les choses tout à fait différemment. L'arrivée de Sheraz dans leur vie avait été une bénédiction en dépit des moments difficiles. Il lui avait été facile à lui de l'accepter comme son fils et de se considérer comme son père. Son seul vrai père. Alors, cette question n'avait pas la même résonance pour les deux libraires.

L'élégante femme qui accompagnait celui qui avait posé la question, s'empressa d'arrondir les angles mais l'autre était déterminé et il ne fit aucun effort pour aller dans le sens qu'elle tentait de donner à la conversation.

Agnes et Kamal échangèrent un regard. Ils n'étaient pas tout à fait sûr de comprendre.

« Est-ce que Sheraz a des ennuis ? », demanda finalement Agnes, inquiète de voir à nouveau débarquer un professeur de Poudlard chez eux. La dernière fois que c'était arrivée, leur vie en avait été profondément bouleversée.
« Zaman ? Ça ne me dit rien. Nous les Mahal sommes kashmiri depuis des générations. », ce qui voulait bien dire ce que ça voulait dire... pour un pakistanais.

Agnes s'interrogea sur la pertinence de cette remarque mais elle en déduisit facilement qu'il fallait prendre ça pour un non, les Mahal n'ont pas de lien avec les Zaman. Il fallait dire qu'elle ne connaissait presque rien de sa belle famille, Kamal ayant pris soin de mettre autant de distance que possible entre le Pakistan et lui. Ils n'avaient même jamais rencontré Sheraz. Mais tout ceci ne répondait en rien à la question de leur étrange visiteur et, en son coeur, Agnes craignait bien de devoir y répondre à cette question. Curieusement, elle avait attendue toute sa vie que quelqu'un ne se présente avec une question de ce genre. Et maintenant qu'elle se trouvait devant le fait accompli, il lui semblait qu'y répondre était la chose la plus difficile qu'elle avait eu à faire de toute sa vie.

Elle glissa sa main dans celle de son mari pour se donner du courage.

« C'était un bébé difficile. Très difficile même. Il n'arrêtait pas de hurler et parfois, je me demandais même si on était fait pour être parents tellement c'était difficile. Tu te rappelles Kamal ? C'était en plein hiver. Quelqu'un a abandonné ce bébé au milieu de notre salon. Nous avons appelé la police tout de suite évidemment... »

Les mains de la vieille dame tremblait un peu, tout comme sa voix. Elle savait qu'à partir de là, on ne pouvait plus reculer.

09.03 L'atmosphère de cette boutique magique cozy et amusante d'un point de vue sorcier changea très rapidement du tout au tout.

« - Nous sommes originaire du Lahore... » Commença Mumtaz avant de se faire couper par son frère qui répéta :
« - Il a ouvert la boîte que seul un membre de la famille Zaman peut se permettre de faire. Je fais rarement des erreurs de calcules encore moins lorsqu'il nécessite une goutte de mon sang pour l'enchanter. »

Dilshad sentait son coeur battre à tout rompre dans sa poitrine. Son sang semblait faire le grand huit dans son système artériel au point de ne plus se focaliser uniquement que sur le visage d'Agnès qui semblait être à même de lui fournir toutes les réponses dont il avait besoin. C'était un peu comme s'il était sur le point de faire une découverte au bout de trois mois de recherches et de travaux en tout genre pour affirmer une théorie qui ne pouvait plus en être une.

Mumtaz, à côté, se rendait compte de l'état de son frère. Dans cet état, personne ne pouvait rien faire pour l'aider à se ressaisir, à tenter d'adopter des conventions sociales que son jeune frère ne maîtrisait pas du tout. Son attitude mettait une tension lourde et difficile à tenir pour la sorcière qui se risqua même de jeter un regard par la fenêtre pour sortir de la boutique tant elle était gênée par ce qui se passait devant elle.

Mais Dilshad avait besoin d'elle. Et la réponse que finit par leur fournir Agnès semblait aller au delà de cette théorie qui semblait devenir réelle et factuelle. Dilshad se mit aussitôt à lui serrer la main si fortement que Mumtaz crut un instant qu'il allait lui briser les phalanges. Tentant de garder le calme et à retenir cette envie de lui dire qu'il lui faisait mal pour ne pas risquer de le perturber plus qu'il ne l'était déjà, Mumtaz se contenta de lui caresser, du pouce, le dos de la main de son frère.

« - Ce n'est pas moi. Je ne l'ai pas abandonné. Je ne l'ai pas abandonné du tout. Jamais je n'aurais fait ça. Jamais, jamais, jamais. »

La jambe de Dilshad se mit à trembler sous son poids comme si tout à coup, il subissait un maléfice de jambencoton. Ses yeux s'humidifièrent bien trop vite qu'une larme roula le long de sa joue alors qu'il replongeait dans ses souvenirs terribles qu'il vécut ce matin où Yasmine et lui se rendirent compte de la disparition de leur fils, puis de tout ce qui avait découlé par la suite, notamment au poste de Brigade de police magique.

Mumtaz serra sa main plus fortement avant de se coller contre lui au cas où Dilshad ait besoin d'une épaule. Mais ce dernier continuait de fixer Agnès avec un étrange aplomb alors qu'on le voyait peiner à déglutir. Mumtaz s'essuya d'un geste rapide les yeux de sa main libre avant d'ajouter :

« - Ce n'est pas ce qu'elle dit... »

Dilshad jeta un coup d'oeil vers sa grande soeur. Sa lèvre se mit à trembler puis il reporta son attention vers les parents de Sheraz.

« - On me l'a enlevé. On me l'a enlevé alors que nous dormions ma femme et moi et... »

Sa voix cessa tout à coup. Une autre larme vint rouler le long de sa joue basanée avant de finalement se perdre dans un pli de sa longue robe de sorcier. Son regard suivit cette larme désormais perdue avant de finalement avoir l'idée de sortir d'une de ses poches, un médaillon dans lequel il y avait la photo d'Anwar.

Défaisant l'étreinte de sa main sur celle de Mumtaz, il enfonça la main dans sa poche pour sortir une montre à gousset d'une belle manufacture. Mumtaz reconnut les armoiries Zaman avant que Dilshad ne l'ouvre pour dévoiler un cadran où quelques planètes s'élevèrent alors autour d'un soleil au milieu. S'il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu'il s'agissait d'une montre pour son frère, elle ne put s'empêcher de lever le regard vers les parents de Sheraz pour surprendre leur réaction face à un tel artefact.

Dilshad n'attendit pas un commentaire que déjà, il défaisait un petit verrou pour changer ce que l'on voyait afin d'y trouver la photo d'un bébé de quelques mois, peut-être 10 ou 11. Le coeur de Mumtaz se serra si fortement qu'elle eut l'impression de manquer d'air alors que Dilshad se dirigeait vers Agnès sans se soucier des deux autres.

« - Est-ce que votre enfant ressemblait à ça ? » Demanda Dilshad sans se soucier de ménager quiconque sauf son besoin de trouver une réponse qu'il attendait depuis un nombre incalculable d'années.

09.03 Kamal Mahal se tendit soudain. Derrière ses petites lunettes appesanties sur son nez, son regard s'étaient durci. Il n'aimait pas la tournure que prenait cette conversation. Peut-être parce qu'il n'aimait pas qu'on lui parle du Pakistan. Mais peut-être pas seulement... A ces côtés, Agnes semblait bouleversée. Elle ne cherchait pas à lutter contre l'évidence. Cette histoire de sang et de Zaman les menait tout droit vers une chose à laquelle ils s'étaient préparés depuis 20 ans et qui pourtant les prenait par surprise.

Elle ne pouvait s'empêcher de noter que le père de Sheraz avait tout l'air de partager avec son fils cette incroyable capacité à créer, capacité qui n'était en rien une aide à s'insérer parmi le commun des mortels. Sheraz avait parfois pâti de sa réputation de tête d'ampoule mais il avait tout de même réussi à se faire des amis. Elle devinait qu'il n'en était peut-être pas de même pour ce monsieur qui se tenait au milieu de sa boutique, veillé par une femme élégante qui semblait devoir faire le deuil d'une approche moins frontale. Lui, au contraire, perdait tout sens de la retenu au moment où elle évoquait ce bébé abandonné dans leur salon. Mais ce qu'elle n'aurait pas passé en temps ordinaire, elle pouvait le pardonner à une situation aussi hors norme que celle dans laquelle il se trouvait. On pouvait pardonner à cet homme sa sensibilité à fleur de peau.

Devant la petite démonstration d'astronomie, les Mahal échangèrent un long regard. Sheraz faisait ce genre de choses lui aussi. Il y avait ce sortilège qu'il se plaisait à lancer rien que pour le plaisir de regarder les étoiles danser au-dessus de sa tête quand il allait se coucher le soir. Il disait que ça l'aidait à mettre en ordre ses pensées.

« Je vous en prie, asseyez-vous. », fit la vieille dame sans vraiment répondre à la question qui lui était posée. Sous le regard encore médusé de son mari, elle quitta des yeux le petit bouddha joufflu que projetait la montre du sorcier. Elle tira deux chaises à une table qu'elle s'empressa de débarrasser puis d'un regard entendu, elle intima à Kamal d'aller retourner la pancarte qui indiquait que le Book Wyrm était ouvert. Le vieux s'exécuta de son petit pas claudiquant et il en profita pour donner un tour de clé.

Pendant ce temps, Agnes Mahal avait résolu de servir le thé dans sa porcelaine de famille. Bien sûr, il allait falloir laisser le temps à la bouilloire de se mettre à chanter. Une notion qui était probablement étrangère aux deux sorciers qu'elle entendait installer là avec toutes attentions. Elle ouvrit une petit boîte en fer blanc délicatement peinte dans laquelle elle conservait de délicieux shortbreads écossais. Kamal, lui, se posta, debout derrière sa chaise.

Après les avoir prié de s'asseoir à nouveau, elle se retira pour quelques minutes et le silence s'installa, écrasant et grave. Kamal Mahal avait le regard absent. Tout à coup, la bouilloire siffla et il s'éloigna à son tour, de son petit pas toujours claudiquant. Il ne s'était jamais senti si vieux. Lorsqu'Agnes revint, elle tenait dans ses mains une large boîte en carton qu'elle posa au milieu de la table après avoir écarté la boîte à biscuit.

« Ce sont tous les effets de Sheraz quand il est arrivé chez nous. »

Si le père de leur fils s'y risquait, il y trouverait un étrange pyjama de bébé, un lourd album photo, les documents de l'enquête policière... une tétine en caoutchouc usée à la corde.

09.03 Lorsque les parents de Sheraz s'activèrent, les invitant à s'asseoir, Mumtaz dévoila des trésors de persuasion pour entraîner Dilshad à sa suite afin que tout deux s'asseyent à la place indiquée par madame Mahal. Le mécamage avait un mal fou à tenir en place tant et si bien qu'une fois assis, Mumtaz lui prit les deux mains qu'elle entreprit à lui caresser avec douceur, de ses pouces, comme le faisait leur mère lorsque Dilshad était dans un tel état. Lorsqu'il était enfant, cela arrivait souvent. Cela faisait très longtemps que Mumtaz ne l'avait pas vu dans un tel état. En grandissant Dilshad était parvenu à se défaire de certaines de ses crises si tant on pouvait les appeler ainsi afin d'affronter le monde comme n'importe qui, malgré cette tension au cœur qui lui intimait parfois de partir en courant pour retrouver la quiétude de sa boutique.

Lorsque la bouilloire s'activa quelque part dans l'arrière-boutique, Dilshad tourna instantanément la tête vers l'endroit indiqué. Il donnait cette impression d'être acculée. Mumtaz vint poser sa tête sur son épaule quelques instants avant de la redresser tout aussi vivement que son frère au son de la théière lorsque Agnes et Kamal revinrent vers eux. Les Zaman étaient une famille bien élevée qui ne laissait paraître aucune émotion en publique. Si Dilshad était tout aussi pudique qu'eux, c'était qu'en réalité, il ne savait juste pas comment les exprimer. Il n'y avait que là où il se montrait incontrôlable. Mais personne ici ne lui en tiendrait rigueur. Après tout, c'était de son fils dont ils parlaient.

Mumtaz observa la vieille dame revenir avec gravité. Dilshad fit tous les efforts du monde pour ne pas se lever et lui arracher la boîte des mains quand Agnès leur expliqua ce qu'il y avait à l'intérieur. Il lui fallait connaître la réponse tout de suite. Il lui fallait. Il n'avait jamais été aussi prêt du but. Même Mumtaz, à côté, sentit qu'elle faisait des efforts colossaux pour ne pas réagir de la même manière que son frère dont elle percevait les tensions et l'effort titanesque qu'il était en train de faire.

Une fois qu'elle leur mit à disposition la boîte, Dilshad se défit instantanément de l'étreinte de ses mains par celles de sa soeur pour s'en saisir. La mettant sur ses genoux, sous le regard plus que curieux de Mumtaz qui sentit la crainte naître dans sa poitrine comme jamais elle ne l'avait ressenti, Dilshad ouvrit la boîte dont il posa le couvercle sur la table.

Son coeur se figea. Glissant délicatement ses mains basanés à l'intérieur du carton, il effleura du bout des doigts le pyjama qu'il lui rappelait tant de choses. Déglutissant péniblement, les yeux humides, Dilshad le décala légèrement pour observer les photos, la tétine et un dossier. Il releva le regard vers Mumtaz. Dilshad avait les joues pleines de larmes. Incapable de prononcer le moindre mot, il se contenta d'hocher de la tête, arrachant alors une larme sur le coin des yeux de Mumtaz qui fit tous les efforts possibles pour ne pas se laisser aller à son tour. Il lui fallait être forte car Dilshad serait incapable de gérer cette situation.

« - C'est... C'est bien ça. » Murmura-t-elle à l'intention d'Agnès et Kamal.

Son regard s'arracha d'une photo où elle reconnaissait la petite bouille d'Anwar. Dans toutes les photos qu'elle put voir au travers des mains fébriles de son petit frère, Mumtaz ne put que constater que son neveu avait été entouré d'un amour digne et sincère.

Dilshad posa la boîte devant lui, sur la table. Il avait le dossier dans ses mains qui se mirent à trembler lorsqu'il l'ouvrit. Mumtaz posa l'une de ses mains sur l'avant-bras de son frère.

« - C'est une affaire bien trop complexe pour être expliquer de vive voix. Anwar leur a été enlevé une nuit alors qu'ils dormaient tous. La Brigade de Police magique n'a jamais su retrouver la piste de leur enlèvement, classant l'affaire sans suite. »

Mumtaz tourna délicatement la tête vers son frère qui ne cessait de continuer de pleurer silencieusement.

« - Tu as apporter le dossier de BPM, Dilshad ? »

Il resta un long moment sans bouger avant d'essuyer ses larmes. Pointant son index sur la table, il venait de faire apparaître ce dernier que Mumtaz saisit pour le tendre à Agnès. Photos animés et autres étranges choses allaient sûrement surprendre les Kamal mais ni Dilshad, ni Mumtaz ne s'en préoccupèrent sur l'instant.