Best of you
La langue des serpents.
Le château de Poudlard résonnait doucement sous les pas légers de Thalia et d’Amicia. Les couloirs, baignés d’une lueur tamisée par les fenêtres hauts perchées, leur offraient un espace presque intime dans lequel se perdre. La fraîcheur du soir commençait à s’infiltrer dans les vieilles pierres, mais Amicia n’y prêtait guère attention. Ce qui accaparait son esprit à cet instant, c’était la boisson qu’elle avait elle-même préparée – un mélange de mangue rehaussé de noix de coco et d’ananas.
Le flacon entre ses doigts semblait contenir tous ses doutes. À chaque gorgée, elle passait d’une émotion à une autre, tourmentée par un étrange besoin de perfection. Amicia porta une nouvelle fois le goulot à ses lèvres. La douceur exquise de la mangue se mélangeait à la chaleur onctueuse de la coco et à l’acidité légère de l’ananas, pourtant quelque chose lui échappait. Elle s’attendait à une explosion de saveurs, à une alchimie parfaite, mais l’équilibre lui paraissait toujours bancal, insuffisant. C’était insipide. Elle fronça les sourcils après une nouvelle gorgée, son esprit s’attardant sur cette déception presque métaphysique.
« C’est vraiment dégueulasse, » lâcha-t-elle, avec un soupir frustré. Pourtant, même alors qu’elle disait ces mots, elle sentait qu’ils n’étaient pas totalement justes. Ses pensées se remettaient déjà à tourner. Et si elle se trompait.
Incapable de s’empêcher de vérifier à nouveau, elle prit une autre gorgée, et son expression changea légèrement.
« Enfin… peut-être pas tant que ça, » concéda-t-elle à mi-voix, ses yeux se perdant dans les jeux d’ombre du corridor. Ce n’était pas si mauvais. Peut-être était-ce l’acidité de l’ananas qui déstabilisait l’ensemble, ou peut-être avait-elle simplement trop d’attentes, comme toujours. Mais voilà : cette quête insatiable de perfection, ce besoin de toujours pousser plus loin, lui faisait se demander si elle n’était pas, elle-même, trop exigeante. Le goût était doux, exotique même. Pas mauvais en soi. Mais pas transcendant. Pas à la hauteur de ce qu’elle avait imaginé. Et ça, ça la dérangeait. Une déception.
Elle leva les yeux vers Thalia, toujours à ses côtés, marchant d’un pas mesuré.
« Non, c’est vraiment… intéressant. Pas si mal en fait. » Mais aussitôt après, une moue revint étirer ses lèvres.
« Non, attends… c’est pas fameux non plus. » Elle soupira de plus belle, troublée par cette perpétuelle contradiction intérieure. Elle aurait aimé avoir le coup de cœur, ça aurait été comme recevoir une flèche directement dans le flanc droit. Mais ça ne serait pas pour aujourd’hui. Elle aurait été agréablement surprise que tout soit parfait, mais rien ne l’était jamais totalement à ses yeux. Le monde était un peu trop imparfait pour son goût, et même les petites choses, comme cette boisson, semblaient la défier.
« Thalia, tu dois trancher. » finit-elle par déclarer en lui tendant un deuxième flacon.
« Qu’est-ce que tu en penses, toi ? » La Reine du bon goût se faisait déjà attendre, mais si la lionne arrêtait de parler elle pourrait lui laisser en placer une. Le manque de tact de son amie lui serait bien favorable sur le moment. Il y avait une possibilité pour que ses talents se fassent pulvériser, mais au moins ça éclairerait son horizon. Elle dealait avec d’autres créatures toutes aussi imposantes, mais Thalia avait une chose pour elle, Amicia l’avait choisi. Si un jour, il lui prenait l’idée de fuir, et bien c’était déjà trop tard.
Mais au lieu de la réponse attendue, Amicia remarqua que Thalia s’était arrêtée net. Cette dernière se trouvait légèrement derrière elle, fixant un point droit devant elle, son regard avait changé. Une ombre de perplexité glissa sur ses traits, et Amicia sentit quelque chose se rompre dans la fluidité du moment. L’esprit d’Amicia, toujours en alerte face aux changements d’ambiance, se mit immédiatement en branle. Tout autour d’elle semblait s’être ralenti, comme si les murs du château, avec leurs vieilles pierres chargées d’histoire, étaient eux-mêmes conscients de cette tension naissante. Elle tourna lentement la tête, scrutant le corridor, mais ne vit rien qui justifiât un tel arrêt. Que se passait-il ?
L’inquiétude s’immisça doucement en elle. Amicia, si souvent en proie à ses propres tourments intérieurs, avait développé une sensibilité presque palpable à l’égard des autres, surtout quand il s’agissait de ses proches. Elle était en alerte, et tant qu’elle ne comprendrait pas ce qui avait changé, la lionne ne lâcherait pas l’affaire. Une main invisible serra sa tête en étau. Quelque chose clochait.
« Thalia ? » murmura-t-elle, un peu plus doucement, comme pour ne pas briser cette bulle pesante. L’absence de réponse immédiate renforça son malaise. Elle se tourna entièrement vers son amie, son regard scrutant chaque détail de son expression.
« Tu as l’air… différente tout à coup. Bizarre, même. Enfin bizarre, oui, mais pas comme d’habitude. » Maladroite ? Légèrement… Qu’est-ce qu’elle cherchait ? Elle n’en savait rien, et bordel ça l’emmerdait. Son souffle semblait s’être suspendu, pourtant, elle s’approcha doucement de Thalia. Proche et si loin à la fois.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? » Ses mots étaient un murmure à peine audible dans le couloir silencieux, mais son regard, lui parlait avec l’intensité d’un ciel d’orage.