Dull knives — ft. Hamza El Mahdi

ft. @Hamza El Mahdi

Un bref regard vers le pan de mur par lequel ils étaient entrés confirma que son état n'avait pas changé. Les larges pierres entassées se complaisaient dans leur immobilisme et rien n'indiquait qu'une porte allait réapparaître de sitôt.

Visiblement, la salle sur demande n'en avait pas encore terminé avec eux. De quoi en rajouter une couche à la tension ambiante qui régnait auprès de la fontaine magique.

« Tu ne sais pas ? », répéta-t-elle dans un rire bref qui ne témoignait d'aucune forme de joie. « Cesse de me prendre pour une imbécile, tu veux bien ? Tu ne vas pas me faire croire que tu ne sais pas ce que tu viens de voir ! Tu viens de t'excuser, n'est-ce pas ? On ne s'excuse pas quand on a rien à se faire pardonner, alors, il doit bien y avoir une raison ! »

Puisqu'il n'y avait en ce lieu aucun moyen concret d'échapper à cette présence qui l'importunait, autant jouer franc jeu et obtenir par la force les réponses qu'Hamza ne semblait pas prêt à lui dévoiler. Il tenta d'ailleurs à son tour de s'affirmer en la faisant reculer, plus menaçant que jamais.

Sa stature, nettement plus imposante que la sienne, la poussa à faire le double de pas qu'elle avait gagnés un peu plus tôt. Mais ses yeux bleus perçants rivés dans les siens étaient la preuve vivante qu'il ne lui faisait pas peur, malgré sa taille bien supérieure et les deux charbons ardents qui lui servaient d'iris.

Sa ténacité finit éventuellement par porter ses fruits. Pendant un instant, Siobhán crut même qu'il allait faire machine arrière et se détacher provisoirement de son aura surnaturelle qu'elle ne contrôlait pas devant l'intensité avec laquelle ses émotions bouillonnaient à l'intérieur d'elle.

Mais c'était sans compter sur cet égo surdimensionné qui le caractérisait et qui lui ordonna l'instant d'après de rattraper cette distance qu'il avait mis entre eux pour revenir sur le symbole de sa capitulation.

« Quand je fais quoi ? », rétorqua-t-elle immédiatement sans dénoter avec le ton qu'il employait, gardant momentanément le cap, son visage si proche du sien qu'elle pouvait presque sentir son souffle.

Sa voix avait trahi un léger trémolo.

Car en vérité, elle savait très bien de quoi il voulait parler.

Elle savait même exactement ce qu'elle faisait contre son gré et à son tour, elle fit un pas en arrière en espérant que ce signe de reddition suffirait à lui donner l'envie de partir encore plus loin.

Ce qu'il fit presque en simultané, comme dans le reflet d'un miroir.

Ses poumons se remplirent temporairement d'une grande bouffée de soulagement, toujours bonne à prendre le temps que ça durerait.

À peine s'était-il retiré que l'Irlandaise s'affairait à guetter cette porte disparue, s'apprêtant à s'élancer de l'autre côté dès qu'une poignée apparaîtrait dans son champ de vision.

Au lieu de ça, ce fut Hamza qui revint à la charge dans son angle mort, et la vipère fit quelques pas en arrière par réflexe pour se protéger. Son dos heurta un mur qu'elle n'aurait jamais imaginé si près alors que le deuxième année la confrontait maintenant avec des questions qu'elle ne comprenait pas.

Ses sourcils se froncèrent, signe que son incompréhension était aussi sincère que les battements de son cœur étaient forts. La situation était des plus inconfortables depuis de trop longues minutes maintenant et tout ce qu'elle voulait désormais, c'était regagner son dortoir au plus vite.

Mais le regard qu'Hamza lui jetait alors avait changé. Moins dur, plus vulnérable. Ce petit coup de pouce du destin l'aida à regagner un tant soit peu de consistance après cette cruelle démonstration de faiblesse.

« Le meurtre de... ta mère ? », répéta-t-elle pour s'assurer qu'elle avait bien entendu.

Un amas sans fin de questions en tout genre s'insuffla dans son esprit, mais seule celle-ci avait franchi ses lèvres dans un premier temps.

Le choc de sa demande fut si violent que pendant un instant, la Korrigan se demanda s'il ne se payait pas sa tête.

Mais elle était bien placée pour savoir qu'il y avait des sujets avec lesquels on ne pouvait pas plaisanter. Même en désespoir de cause.

« Non, je... Ce n'est pas ce que j'ai... »

Voilà qu'elle bégayait à son tour, incapable de trouver les mots pour lui répondre.

La scène dont elle avait été témoin contrastait en tout point avec les interrogations de son rival.

Qu'avait-il pu voir de son côté pour s'imaginer un seul instant que la fontaine aurait partagé avec elle des détails aussi sordides ?

Les yeux dans le vague alors qu'elle réfléchissait, les pièces du puzzle finirent par trouver leur place seules, sans aucune aide.

La demie-vélane leva ses iris bleus voilés vers lui. La douleur dans sa poitrine se réveilla avec une vigueur sans pareil et sa main vint directement se placer à l'endroit où elle se faisait la plus forte. Là où l'absence de sa mère se faisait sentir plus intensément - dans ce trou béant que sa mort avait laissé sur son myocarde.

Puis, elle abandonna brusquement ce pan de mur, refusant de se montrer aussi vulnérable devant lui.

Elle fit quelques mètres puis s'arrêta sans parvenir à lui faire face à nouveau.

Une fois que l'oxygène circulait à nouveau normalement dans son corps, elle brisa le silence qui les entourait.

« Je ne savais pas pour ta mère », souffla-t-elle en tournant son visage juste assez pour qu'il puisse en apercevoir le profil par dessus son épaule. « Je suis désolée... Et je te jure que je n'ai rien vu qui puisse t'aider...»

Si les faux-semblants avaient été de mise depuis le début de leur échange sur le balcon, cette fois-ci, sa voix était cette fois-ci remplie de sincérité.

Mais ce furent bien les seuls mots qui parvinrent à franchir ses lèvres, plus pâles qu'un peu plus tôt.

Il était de toute façon inutile de lui demander à nouveau ce qu'il avait vu.

De nulle part, il avait pensé à la disparition de sa propre mère, persuadé que la clé de son meurtre aurait pu s'être trouvée dans le reflet de l'eau de la fontaine.

Et ce genre de raccourci n'avait de sens que s'il avait vu la mort d'une mère, lui aussi.

ft.  @Siobhán Gavalagh-Korrigan



Clignant lentement les yeux, Hamza se demanda brièvement comment ils en étaient arrivés là, et s’il était celui qui avait poussé Siobhán contre ce mur. Mais elle s’en était extraite pour s’éloigner de lui, et venait en quelques mots de détruire tous ses espoirs. Le jeune Serpentard se retint sur le mur en face de lui. Oui il avait bel et bien l’espace de quelques instants été habité par une espérance folle : celle qu’il découvrirait enfin la vérité sur la mort de sa mère. C’était idiot… Siobhán n’avait absolument rien laissé entendre qui allait dans ce sens.

Elle avait commencé par répéter ses mots avec surprise, et il n’en avait pas fallu plus au jeune sorcier pour comprendre qu’il avait fait fausse route. Quelques pas plus loin, la Korrigan avait semblé elle aussi chercher son souffle, mais Hamza n’était pas en mesure de la voir, plongé dans son propre désespoir qui le rendait aveugle à tout le reste.

Les masques étaient tombés de part et d’autre, et derrière cet orgueil dressé en guide de rempart, il n’y avait rien d’autre qu’un trou béant de souffrance et de tristesse de gosses perdus.

Quand Siobhán reprit la parole, Hamza se tourna suffisamment pour apercevoir son profil. L’irlandaise avait abandonné son habituel port de tête altier, et peut-être pour la première fois, elle offrait au jeune sorcier une bien différente image d’elle. Plus simple, plus sincère aussi.

Sa camarde lui avouait qu’elle ne savait rien de l’affaire concernant disparition de sa mère, ce qui n’était guère étonnant vu les efforts déployés par les El Mahdi pour ne rien ébruiter. Mais elle lui confirma ce qu’avait deviné Hamza : elle n’avait rien à dire de plus à ce sujet. La déception avait balayé le jeune sorcier comme une bise glacée, ne laissant de lui que les fondations de celui qu’il avait montré quelques instants plus tôt.

Hamza laissa sa main glisser le long du mur jusqu’à retrouver sa place le long de son corps. Siobhán était une étudiante intelligente, d’une vivacité d’esprit qu’il lui enviait même. Elle avait dû comprendre par elle-même l’origine de sa méprise. Ce n’était cependant pas une raison pour la lui cacher.

- Et moi j’ai vu une scène qui représentait les derniers instants de la tienne. Je suis désolé moi aussi…

Une part de lui aurait aimé lui dire qu’elle était sans doute chanceuse de ne pas l’avoir connue, pour ne pas savoir tout ce qu’elle avait perdu, pour ne pas connaître l’ampleur de cette perte qui l’empêcherait de redevenir un jour le garçon heureux et épanoui qu’il avait été. Mais il ne souhaitait pas être ce monstre d’égoïsme-là. Pas après les mots qu’ils venaient d’échanger tous les deux, et encore moins après ceux qu’ils taisaient mutuelleme,t.

Son regard accrocha le mur, espérant de tout cœur trouver une sortie qui lui permettrait de fuir d’ici sans demander son reste. Comme répondant à son appel désespéré, la pièce s’ouvrit soudain laissant voir une arche qui menait vers l’intérieur du château. Hamza s’y engouffra sans demander son reste, sans même un dernier mot pour sa camarade. Il ne voulait pas qu’elle le voie plus mal en point qu’il ne l’était déjà, et il avait juste besoin de se retrouver seul. Une fois qu’il aurait retrouvé les jardins et l’air frais de l’hiver écossais, il pourrait laisser libre court à sa peine qui le rongeait de l’intérieur.