Family portrait

16.03 Il n'y avait qu'une personne que Farès El Mahdi craignait plus que n'importe qui. Que Dieu l'en préservait, il s'agissait de son fils. Pourtant, Hamza n'avait jamais rien fait pour mériter une telle crainte de la part de son propre père qui ne cessait d'éviter son regard de peur d'y lire le jugement de son propre procès pour être un père complètement raté. En effet, Farès n'était pas le paternel qu'il rêvait d'être il y a de cela plus de vingt ans. Avec le temps, mais surtout la mort de Diana, le maghrébin n'était devenu que l'ombre de lui-même, se rattachant uniquement à la présence d'Hamza pour justifier son désir de vivre qui l'avait pourtant quitté dès lors qu'on lui avait apprit la mort de sa défunte épouse.

Tout ce qui s'était passé ensuite, du début de l'enquête à son archivage dans les affaires classées en passant par son court passage dans les geôles d'Azkaban alors qu'on le soupçonnait un temps d'être l'assassin de son âme sœur, n'avait fait qu'éloigner le père et le fils au point que ni l'un, ni l'autre ne connaisse l'autre comme c'était le cas avant cette descente dans les abîmes ardentes. Il ne manquait plus que Mâlik et les dix-neuf anges pour s'assurer que leur vie n'était plus qu'un enfer dont l'un et l'autre se seraient bien passés.

Malgré cette terreur silencieuse qui grondait dans les profondeurs de son palpitant, Farès faisait des efforts incommensurables pour vouloir garder un quelconque lien avec son fils. Si l'intention restait véritable et profondément bonne, la façon dont cela se déroulait lui laissait toujours un goût amer dans la bouche. Il avait beau tenté d'y mettre toute sa bonne volonté, cela ne se passait jamais comme prévu, ou, à défaut, comme il l'aurait aimé.

Aujourd'hui, Farès avait donné rendez-vous à son fils pour manger avec lui au sein du Trois Balais. S'assurant qu'Hamza était libre de toute obligation, que ce fut avec ses cours de vol ou d'hypothétiques impératifs connus de ses collègues du corps enseignant, Farès avait choisi ce samedi midi pour un moment passé en compagnie d'Hamza dans l'unique but d'entretenir leur relation.

Comme à son habitude, Farès était venu bien trop tôt. Avec une demi-heure d'avance, il était entré dans la taverne accompagnée d'une rafale de vent polaire. Un regard entendu vers la tenancière du Trois Balais, Farès s'était assis à cette même table qu'il réservait habituellement. La boule au ventre, le sorcier s'était dirigé vers sa chaise, les jambes de plus en plus lourdes comme s'il se rendait au jour de son dernier jugement. Dégrafant sa cape bleue nuit d'un geste habile, il la plia sur le dossier de sa chaise. Laissant paraître une tenue assez banale mais soignée, Farès finit par s'asseoir à sa place, non sans un dernier regard autour de lui, comme s'il cherchait inconsciemment un échappatoire à cette sortie qu'il voulait autant qu'il redoutait.

Les mains dans les poches, Hamza fixait sombrement les pavés de la ruelle de Pré-au-Lard qu’il était en train d’emprunter. A cette heure, on sentait de délicieux fumets s’échapper des fenêtre et hublots des bicoques biscornues du village. Derrière lui, l’horloge de la gare se mit à sonner. On était samedi midi, et tout le monde s’apprêtait à passer à table avec appétit. Mais le jeune homme, lui, en manquait cruellement.

L’établissement des Trois Balais se dressait face à lui ; et en son sein, son père devait déjà être arrivé depuis un moment, les yeux rivés sur sa montre. Hamza était pour sa part parfaitement à l’heure, il avait même quitté le château une heure en avance pour s’en assurer. En ça, il ressemblait bien plus à son père qu’il ne voulait se l’avouer. Et pourtant, de manière bien puérile, il laissa quelques minutes passer avant d’entrer, retardant ce moment le plus possible comme s’il voulait être certain de le décevoir.

Une fois la porte poussée, ses yeux cherchèrent instinctivement la table de son père. En homme d’habitude, le professeur avait tendance à se créer une routine de laquelle il ne s’écartait guère. Farès était un sorcier redoutable à la prudence exacerbée et la défiance qui frisait parfois la paranoïa. Toujours la même chaise, tournée de manière à ne jamais être dos à la porte. Toujours cette même attitude d’attente, rigide, comme s’il était prêt à se redresser à tout moment. Toujours ce regard fixe, perçant, qui pourtant ne rendrait pas le regard de son fils.

Farès l’avait vu arriver pourtant, car il en montra tous les signes quand son fils s’avança vers lui. Pour les clients de l’enseigne, ils auraient peut-être tout l’air d’un charmant tableau : un père et son fils déjeunant ensemble. Cependant, à peine les yeux d’Hamza se posèrent sur son père qu’il sut que ce dernier n’avait aucune envie d’être là.

Le cœur serré, l’étudiant s’avachi sur sa chaise face à son père avec un simple hochement de menton en guise de salutation. Lentement, ses pupille sombres se levèrent vers le sorcier qui fit absolument tout sauf le fixer dans les yeux. La moindre excuse était bonne : jeter un regard à la carte, observer un vieux sorcier qui venait d’entrer, lire l’heure sur la pendule accrochée dans un coin de l’auberge…

Hamza dégluti en se redressant, se passant une main sur le visage pour en chasser la peine. Il ignorait pourquoi son père s’obstinait à l’inviter si régulièrement alors qu’il ne montrait clairement aucun signe de plaisir à le voir. Le jeune sorcier se rendait à ces rendez-vous plus gênants que naturels à reculons, et pourtant, il aurait été anéanti à l’idée d’en être privé.

Le jeune Serpentard ne pouvait qu’imaginer ce que ressentait son père en le voyant… De la tristesse ? C’était une possibilité. De l’ennui ? Peut-être. De la déception ? Certainement… Mais il se mentit en se disant qu’il n’en avait rien à faire, et tâcha de garder un masque d’indifférence sous ses boucles brunes.

- On fait semblant de regarder la carte, ou on prend comme d’habitude, lui lança-t-il en baissant malgré tout les yeux sur le menu.

Mieux valait tout fixer plutôt que ce reflet paternel si rude, si intimidant par son manque de souplesse. L’une des serveuses approcha enfin, et l’étudiant releva les yeux vers elle avec un sourire de soulagement.

- Un thé glacé s’il vous plait…

16.03 Hamza ne tarda pas à passer la porte du Trois Balais. Comme à son habitude, Farès jeta un bref regard sur l'horloge de la grande salle avant de rapidement observer son fils s'approchait de cette table où ils avaient l'habitude de se retrouver. Un semblant de sourire se dessina sur le visage marqué de Farès avant de sentir comme une pierre tombait lourdement sur ses intestins alors qu'il entendait son fils relevait d'une façon sarcastique les habitudes dans lesquels Farès les avait enfermé par habitude. En guise de réponse, Farès se racla la gorge, jetant son regard quelque part dans la pièce, visiblement gêné d'être percé à jour sans trop savoir quoi lui répondre.

Il était vrai que Farès prendrait exactement la même chose : le cullen skink. C'était une soupe de poissons particulièrement goûtu avec du haddock, des pommes de terre, du poireaux et des oignons auquel il ajoutait toujours cette même dose de persil en supplément.

Son regard détailla rapidement la carte du Trois Balais comme s'il cherchait à faire preuve d'une quelconque folie en cherchant autre chose à prendre mais ce n'était pas ce qu'il avait envie. Il fit un léger sourire désolé avant de finalement voir la serveuse à laquelle Hamza demanda un thé glacé.

Prenant son courage à deux mains, lorsque la serveuse lui demanda s'il voulait boire la même chose que d'habitude (à savoir du jus de citrouille avec un soupçon de cannelle), Farès prit une profonde inspiration et répondit qu'il voulait comme son fils, avant de se rendre compte qu'il détestait absolument le thé anglais.

Déglutissant péniblement, il jeta un bref regard sur le menu avant de tenter de croiser le regard d'Hamza.

Mais comme à chaque fois, son regard ne tint pas et bifurqua malgré lui sur les boucles noirs de son fils quand ce n'était pas sur un point derrière ce dernier afin de le garder malgré tout dans son champs de vision. Il ressemblait tellement à sa mère... Ce qui n'était pas totalement vrai mais pas totalement faux non plus. Hamza était un parfait mélange de Diana et de Farès, mêlant les origines méditerranéennes de son père aux origines britanniques de sa mère. Mais il y avait dans son regard cette même lueur que Diana arborait continuellement lorsqu'elle était agacée après lui. Le pire étant son sourire qu'Hamza recopiait malgré lui à la perfection.

Farès prit une profonde inspiration.

« - Comment s'est passé ta semaine ? » Demanda Farès, qui cherchait à lancer la conversation même si ce n'était pas leur fort à tous les deux.

Hamza leva un sourcil étonné en entendant son père commander la même boisson que lui. Étrange, le jeune homme aurait mis son balai au feu qu’il détestait pourtant le thé anglais… Haussant les épaules, il crut voir le regard de son père briller vers lui mais ce n’était qu’une fausse alerte. Farès parut bien plus intéressé par les passants qu’on voyait déambuler à travers les gros carreaux des fenêtres derrière eux.

Se tournant pour les observer à son tour, Hamza retint un soupir avant de s’intéresser de nouveau au visage du professeur. Il paraissait avoir encore vieilli… Ses joues ne s’étaient-elles pas creusées la depuis la dernière fois qu’il l’avait vu ? Est-ce qu’on moins il se nourrissait correctement ? Peut-être pas, mais ce n’était certainement pas à lui de s’en soucier, si ? Hamza était très fort pour s’engoncer dans un déni plus grand que lui concernant son soi-disant désintérêt à l’égard de son père.

Sa voix lui parvint, lui posant l’éternelle question à laquelle ni l’un ni l’autre ne savaient quoi répondre.

- Bien bien, répondit l’étudiant sur un ton vague en s’avachissant de nouveau sur sa chaise. Et toi ?

Il était cruel de la part du fils de retourner l’arme de son père contre ce dernier, le mettant ainsi dans le même embarras que lui. Les boissons leur furent servies : deux grands verres glacés dans lesquels étaient plongées des pailles colorées qui ondulaient lentement. Tout-à-fait du goût de son père… Hamza en aurait presque rit si la situation ne le mettait pas tant mal à l’aise. Alors, comme une repentance, il prit sur lui de développer un peu mieux sa réponse.

- J’ai eu un Optimal cette semaine en Arithmancie… J’ai pas encore ma note d’Étude des Runes mais je pense avoir bien réussi, l’exposé était assez simple…

L’étudiant laissa le silence s’installer omettant volontairement de mettre en avant le petit accroc qu’il avait eu en plein cours avec James Cummingham – un crétin arrogant de Serdaigle - se voyant ainsi retirer deux points d’office à sa note finale. Au moins son père ne pourrait lui reprocher sa vivacité d’esprit et son attitude studieuse, si on mettait de côté son impulsivité. S’il en avait même quelque chose à faire de ses notes ou de son attitude…

La serveuse vint reprendre leur commande et pour couper court à l’embarras de son père, Hamza se redressa pour commander. Il tourna un doigt vers son père en prenant un air interrogateur uniquement pour la forme.

- Un cullen skink, c’est ça ? Et pour moi, un cottage pie, merci.

Il attrapa son verre pour plonger sur sa paille ondulante, observant son père avec d’autant plus d’ardeur que ce dernier semblait l’ignorer. C’était presque un défi, de l’un de ceux que le jeune Hamza aimait se lancer, de manière frontale et agressive.

- Et toi alors ? Comment s’est passé ta semaine ?

16.03 Farès leva machinalement le regard vers Hamza lorsque ce dernier lui rendit sa question après lui avoir répondu vaguement. Il se mâchouilla l'intérieur de la joue d'un air stressé avant de finalement lui répondre également que sa semaine s'était plus ou moins bien passé, se gardant bien de lui donner des détails sans trop comprendre pourquoi il s'imposait cela. C'était comme si son subconscient lui intimait de maintenir une certaine distance, l'empêchant alors de se dévoiler à son fils qui n'attendait probablement que ça. Devoir sortir des sentiers battus était quelque chose qui effrayait Farès lorsqu'il s'agissait de sa relation avec Hamza. Son fils n'y était pour rien, pourtant. Ce dernier n'avait rien fait pour mériter un tel comportement sinon cette ressemblance douloureuse à sa défunte épouse.

Farès tenta de plonger son regard dans les yeux d'Hamza. Aussitôt, son cœur se serra alors qu'il accéléra ses pulsations avec force comme si ce dernier tentait de fuir quelque chose que son corps se refusait de faire comme s'il eut été fait de fer.

Néanmoins Hamza semblait vouloir un peu plus, ou alors il avait, peut-être, compris ce combat intérieur que Farès menait contre lui-même car Hamza se contenta d'ajouter quelques détails sur cette semaine qu'il venait de vivre. Bien sûr, Farès savait cela mais il se contenta de garder les lèvres closes afin de ne pas gâcher la découverte de son Effort Exceptionnel en étude des runes. Farès avait beau se montrer distant malgré lui, il n'en faisait pas moins d'Hamza son centre d'intérêt numéro un en ayant, par exemple, toujours un œil sur son dossier ou les annotations que ce dernier pouvait recevoir de ses collègues enseignants.

Farès acquiesça d'un signe de tête alors qu'Hamza passait commande pour eux sans qu'il n'est vu revenir la serveuse. Le directeur de Poufsouffle saisit son verre de thé glacé dans lequel il trempa ses lèvres. Incapable de cacher son dégoût, son visage se tordit d'une curieuse façon bien qu'il ne dit rien pour respecter les goûts de son fils. Hamza lui retourna la question.

Prenant une profonde inspiration comme s'il cherchait à s'insuffler un courage qu'il lui faisait défaut alors qu'il se trouvait devant Hamza, Farès répondit :

« - Oui. Oui, ça va. C'était plutôt tranquille. »

Il se contenta de lui répondre vaguement, préférant alors lui cacher ses premières recherches, notamment sa rencontre avec @Sheraz Mahal pour débuter ce plan de protection de l'école qu'il envisageait. Ceci étant, il reprit la parole pour venir étoffer cela.

« - Dawn est venue me voir cette semaine. »

Dawn n'était autre que la petite sœur cadette de Diana. Si elle ressemblait beaucoup à sa grande sœur, elle n'en restait pas moins différente dans sa façon d'être, notamment avec son attitude un peu grunge et décalé par rapport aux autres. Malgré cela, elle était restée la plus proche de Farès et d'Hamza après la mort de sa sœur. Farès l'aimait beaucoup. Elle avait ce même côté révolté que Diana et ce goût de découvrir les secrets. Plus d'une fois Farès lui avait intimé de faire autre chose plutôt que de mettre sa vie en danger dans sa carrière d'auror. Après ce qu'il avait vécu en tant que Brigadier lors de la mort de Diana, Farès n'avait pu s'empêcher de tenter de protéger la jeune sœur de sa femme. Mais cette dernière s'en fichait et continuait ce pourquoi elle était faites.

« - Elle... Elle m'a posé d'étranges questions. Tu l'as vu récemment ? »

Une dispute avait éclaté, d'ailleurs. Farès semblait troublé.

Son père était raidi face à lui, l’image même de la droiture qu’il incarnait. Il n’y avait aucun étonnement dans son regard en entendant les mots que son fils lui adressait, ni même aucune curiosité. C’était comme si Farès savait toujours tout ce qui allait se passer, avec quelques secondes d’avance. Comme si dans la paranoïa qui était devenue son trait de caractère principal, il avait trouvé le moyen de ne plus jamais être pris par surprise. Ça n’aurait même pas étonné Hamza que son père ait inventé le sortilège lui permettant ce don de prescience. Mais peut-être qu’il fallait seulement comprendre qu’en tant que membre de l’équipe enseignante, il n’y avait rien concernant la scolarité de son fils qui lui échappait. Un contrôle absolu, froid et dénué de toute appréciation.

Et pourtant, malgré le ressenti d’Hamza, il ne pouvait s’empêcher de remarquer les coups d’œil de l’enseignant, les discrets soupirs, la torsion de sa bouche… Tous ces petits signes qui lui montraient que son père était bien un sorcier avec ses fêlures, et non un être aussi puissant qu’indifférent, une arme au tranchant affuté. C’était ces failles justement qui poussaient Hamza à revenir à ces rendez-vous réguliers qui lui apportaient pourtant plus de peine que de plaisir.

Soudain, Hamza, qui avait baissé les yeux sur son thé en faisant lentement rouler la paille contre le rebord du verre releva vivement le menton. Son père venait de mentionner le nom de sa tante, qu’Hamza adorait. Non seulement la sorcière était aussi drôle, courageuse et rebelle que Hamza souhaitait être, mais elle possédait une chose que l’étudiant chérissait par-dessus tout : la capacité de parler de sa mère. Dawn n’avait pas les mêmes difficultés que Farès à évoquer Diana, se remémorant et racontant avec plaisir des petits moments de vie, des anecdotes, qui si elles ne manquaient jamais d’humidifier les yeux du jeune sorcier, lui procurait une source de chaleur qui lui réchauffait le cœur pendant des jours entiers.

Avec cette arrogance qui l’habitait parfois, Hamza était persuadé qu’il était le préféré de sa tante ; que Dawn ne cherchait jamais rien d’autre que sa compagnie et renforcer leur lien, le brodant autour de cette absence en commun qui pouvait presque les rapprocher. Aussi, en apprenant qu’elle était venue voir Farès sans chercher à le rencontrer, lui, il se rembrunit. Il reposa brusquement son verre sur la table en se renfonçant sur sa chaise, fourrant ses mains dans les poches dans un geste faussement désinvolte.

- Non je l’ai pas vu, elle est pas venue me voir, lâcha-t-il sur un ton qui échoua misérablement à se montrer désintéressé.

S’il l’avait vraiment été, Hamza n’aurait pas relancé son père à ce sujet. Il aurait parlé d’autre chose, évoquant peut-être les chances respectives des équipes de Serpentard et de Poufsouffle lors de leur prochain match. Mais le jeune homme resta silencieusement les yeux braqués sur son verre, ruminant sur les raisons qui avaient poussé sa tante à le tenir éloigné de ses interrogations. Après tout, si elle cherchait à soutirer des informations à son père, elle aurait pu le mettre dans la confidence pour qu’il l’aide. Mais peut-être ne lui faisait-elle pas assez confiance… Hamza ne pouvait s’empêcher de se sentir une nouvelle fois rejeté, par sa tante après son père. Sa colère jamais complètement éteinte se mit à crépiter au fond de ses entrailles.

- Qu’est-ce qu’elle t’a demandé, finit-il par craquer, ne pouvant plus échapper une seconde de plus à cette curiosité qui le brulait. Elle voulait savoir quoi ?

16.03 En réaction à l'agacement notable d'Hamza, Farès se contenta de lever un sourcil, son regard allant du verre au visage de son fils à plusieurs reprises. S'il y avait bien quelque chose qui agaçait le professeur en Combat magique, c'était le manque de politesse et de respect que toute personne normalement constituer se devait d'avoir à table. Farès aimait bien présenter en toute circonstance. C'était probablement pour cela qu'il s'était toujours montré dur avec quiconque se montrait insolent ou irrespectueux. Farès était quelqu'un de très attaché aux étiquettes.

Une légère crispation se fit voir au niveau de sa mâchoire avant qu'il ne passe sa langue sur ses dents, les lèvres closes. Il prit une profonde inspiration alors qu'il tentait de comprendre l'énervement de son fils sans faire de vague. S'il y avait bien quelque chose que Farès évitait depuis la mort de son épouse, c'était bel et bien d'énerver son fils en le reprenant sur des choses qu'elle-même lui aurait demandé de tempérer en lui rappelant qu'Hamza n'était qu'un enfant.

Néanmoins, Farès ne releva pas, se contentant alors de faire comme si de rien était, sinon en repoussant son thé qu'il mit dans un coin de la table et qu'il ne toucherait plus jusqu'à la fin du repas.

« - Elle était pressée. » Commença Farès en excusant maladroitement le comportement étrange de Dawn. Après tout, elle aurait également pu faire un détour dans la Grande Salle pour venir voir son neveu.

L'un des serveurs du Trois balais déposa leur commande devant eux. Farès le remercia avec un regard appuyé puis observa sa soupe dont les effluves vinrent caresser son nez. Son estomac s'ouvrit instantanément alors que son appétit se réveillait à la vue du plat.

Posant la main sur sa cuillère, il releva le regard vers son fils pour continuer la discussion.

« - C'était bizarre. Elle n'avait pas l'air dans son assiette. Comme si elle était suivie avec un manque de sommeil cruel et une incapacité à rester en place. Nous ne nous sommes vu que quelques minutes si tu veux tout savoir. »

Farès s'était braqué instantanément lorsque Dawn mentionna le prénom de sa soeur. Cette dernière continuait l'enquête pourtant classé alors que tout le monde lui demandait d'arrêter, de vivre sa vie. Dawn avait complètement mis sa vie entre parenthèses dans l'espoir de retrouver l'assassin de sa soeur.

Si Farès espérait un jour pouvoir le faire, il avait cessé de faire quoique ce soit dès l'instant où il était sorti d'Azkaban. Hamza comptait plus que tout désormais. Trouver le meurtrier de Diana ne la ferait pas revenir même si Farès s'était prit plus d'une fois à s'imaginer lui réserver comme sort si jamais il l'avait entre ses mains.

Ses sombres pensées revinrent, voilant quelque peu son regard, renfermant un peu plus son visage.

« - Elle est persuadée avoir trouver quelque chose pour rouvrir le dossier de ta mère. »

Son regard quitta les yeux d'Hamza pour observer les morceaux de Haddock dans son bouillon où le poisson nageait entre quelques morceaux de patates et quelques feuilles de poireaux.

« - Bismillah. » L'entendit-on dire alors qu'il portait sa première cuillère à la bouche.

Hamza savait pertinemment que son père n’appréciait pas son attitude. S’il n’y avait eu ce fossé qui s’était peu à peu creusé entre eux, il le lui aurait d’ailleurs bien fait savoir. Mais même sans qu’il n’exprime un seul mot, le fils parvenait à noter le bref serrement de mâchoire de son père, son mouvement de sourcil, ses rapides coups d’œil. Quelque part au fond, ces preuves d’humanité se révélaient satisfaisantes pour le Serpentard. S’il ne parvenait à toucher le cœur de son père, au moins réussissait-il encore à provoquer son agacement.

Leurs assiettes arrivèrent, et avec elles, l’espérance d’un retour au calme. Ce ne fut cependant pas la voie que choisit Farès en exposant à son fils l’état dans lequel il avait reçu Dawn. L’étudiant se raidit au fur et à mesure qu’il l’écoutait, se redressant sans s’en rendre compte, crispant ses poings sur le bois de la table.

Comme si elle était suivie ? Dawn était en danger ?!

Le visage halé d’Hamza se grisa alors que son cœur perdait la régularité de son rythme. Pourtant, son père, lui, gardait un calme absolu, aussi froid et lisse que la surface du lac noir. Comment pouvait-il lui annoncer ce genre d’information tout en se préparant à manger sereinement ? Ses derniers mots achevèrent de clouer l’étudiant sur son siège et l’espace d’un instant, ce fut comme si toute la douleur du monde lui revenait en pleine face.

La plupart du temps, Hamza pensait qu’il gérait bien mieux la disparition de sa mère que Farès, qui n’avait plus jamais été le même sorcier depuis sa sortie d’Azkaban. Au point où le jeune homme s’était souvent demandé ce que son pauvre père avait pu subir là-bas pour le rendre aussi distant et insensible qu’une créature de glace. Mais dans un moment comme celui-ci, Hamza se sentait redevenu en quelques secondes à peine un petit garçon aussi fragile qu’un fétu de paille emporté dans une tempête, à qui on apprenait soudainement que sa mère était morte et son père emprisonné.

Farès avait reporté toute son attention sur son assiette, alors que celle d’Hamza avait disparu de son esprit. L’étudiant ne parvenait à mettre en ordre le flot d’émotion qui le traversa et comme souvent dans cette situation, ce fut la colère qui prévalu, le renversant encore plus violemment qu’elle n’avait jamais vraiment disparu de ses entrailles.

- Attends, tu me dis que Dawn a trouvé des éléments pour rouvrir le dossier de maman, et qu’en plus elle se sent suivie et en danger ?! Et alors quoi, tu ne vas rien faire ? Tu vas rester là à manger ?!

Il secoua la tête, incrédule, ne parvenant à comprendre le raisonnement de son père. A travers sa vision déformée par la peine et l’immaturité, il avait l’impression d’essayer de faire réagir un rocher. Hamza n’était pas en état de réfléchir correctement et tout ce qu’il était capable de faire, c’était de réagir, aussi impulsivement que possible. Il fallait qu’il retrouve Dawn, le plus rapidement possible, pour la protéger et reprendre à son compte la quête qu’elle avait commencé. Et pour ça, il fallait terminer au plus vite ce simulacre de repas.

- J’ai plus faim, annonça-t-il en repoussant son assiette, prêt à fausser compagnie à son père sans délai.

16.03 La réaction d'Hamza était prévisible. Farès avait choisi de ne jamais rien lui cacher mais il se demandait parfois si c'était la meilleure façon d'élever son fils qui tirait plus du Gryffondor que du Serpentard lorsqu'il était dans cet état. Hamza était quelqu'un de bon, de fort, de robuste. Mais il y avait des sujets sur lesquels il courrait plus vite qu'un taureau un jour de corrida.

« - Et tu veux que je fasse quoi ? » Répondit Farès en amenant sa cuillère à ses lèvres. C'était purement rhétorique car il savait exactement ce que son fils attendait de lui en cet instant.

Mais... Non. Non, il ne se précipiterait pas comme un dératé vers son passé pour reprendre un combat qu'il n'avait pas souhaité prendre lorsque les grilles d'Azkaban s'étaient ouvertes sur sa liberté et une innocence si durement acquise alors qu'il n'avait tout simplement rien fait.

Hamza était son fils. Il était, tout du moins en Angleterre, avec sa mère, la seule personne qui comptait réellement à ses yeux. De part son ancienne profession, le sujet de la mort d'un des deux parents avaient toujours été au cœur du débat entre lui et Diana. Pour des raisons évidentes, c'était une discussion qu'ils avaient eut plusieurs fois dans le calme sans que ni l'un ni l'autre ne se frustre d'une telle issue. Très vite, ils s'étaient mis d'accord sur l'idée de se reconvertir dans un emploi plus calme, plus stable, moins dangereux.

Farès aurait probablement continué son travail dans d'autres situations. Mais en l'état, il lui était impossible de faire autrement qu'honorer sa parole auprès de sa défunte épouse.

Alors à moins ce que Diana ne parvienne à le convaincre, jamais Farès ne prendrait le risque de se mettre en danger plus que de mesure. Bien sûr, quelques cas pouvaient le faire briser ce serment, mais pour le moment, il ne voyait rien qui le motive à se replonger dans un milieu qui lui avait tant fait de mal.

Cela ne voulait pas dire qu'il ne voulait rien savoir des avancements, bien au contraire. Farès avait longtemps rêvé découvrir la vérité sur l'assassinat de son épouse. L'envie de détruire la personne qui leur avait fait ça l'avait fait plus que souvent réfléchir sur ce qu'il lui ferait si jamais il avait l'opportunité de poser ses mains dessus mais avec le temps, et voyant son imagination débordante ne jamais être à court d'horreur, Farès avait fini par trouver un semblant de paix en gardant bien à l'esprit son fils.

Hamza observait son père alors qu’il goûtait à son plat avec l’appétit d’un homme qui n’avait pas mangé depuis des jours. Lorsqu’il était revenu d’Azkaban, le jeune sorcier avait noté ce détail chez son père. Farès semblait dévoré par un appétit pourtant savamment contrôlé, apprivoisé pour n’en laisser rien paraître. Ainsi, il donnait à chacune de ses bouchées un arrière-goût sauvage sous le masque calme et presque inanimé de ses traits. Le professeur pouvait sembler ne devoir manger que par une nécessité précisément calculée, afin de permettre à son corps de fonctionner selon son plein potentiel. Mais Hamza savait ce feu qui couvait à son âme, jamais éteint, menaçant de tout consumer dans une explosion destructrice. Il ne pouvait en être autrement.

Son père DEVAIT ressentir cette faim insatiable, qui laissait son estomac retourné et dans un perpétuel inconfort. Farès ne pouvait éprouver ni satiété, ni joie, ni même repos depuis que son épouse leur avait été arrachée. Sinon quoi ? Est-ce que cela voulait dire qu’Hamza était le seul des deux à avoir tout perdu, et en premier lieu le vague espoir de retrouver un jour une maîtrise de lui et de ses émotions ?

Les mots de son père tombèrent, aussi froids et distants que son air. Il donnait l’impression qu’il était plus intéressé par le contenu de son assiette. Si son ton calme et impénétrable se voulait réfréner le comportement impétueux de son fils, c’était bien mal connaître ce dernier. On n’éteignait pas un feu en versant de l’eau glacée sur ses flammes. Il n’en fallait généralement pas plus à Hamza pour partir, le poussant dans un comportement impulsif et colérique qu’il regrettait généralement très vite après. Seule sa fierté l’empêchait de se repentir dans ces moments d’embarras qui se faisaient bien trop nombreux ces derniers temps.

Mais les yeux du fils ne voyaient que le malheur d’un père qui ne pouvait même supporter de lui rendre son regard en lui répondant. C’était du meurtre de Diana dont on parlait. L’amour de leur vie à tous les deux. Il ne pouvait y avoir ni mensonge ni faux semblants. Hamza ne pouvait que regretter la manière dont son père s’enfonçait dans un déni, s’accrochant au petit confort que lui apportait une douleur devenue rassurante par habitude. Mais sa colère fondait devant ce puis de tristesse.

- Non rien… J’attends rien de toi papa, finit-il par murmurer presqu’à regret.

Avisant la serveuse, il lui fit un signe pour lui demander de mettre son plat dans une boîte pour l’emporter. Hamza avait reçu une éducation dans laquelle aucun gâchis n’était permis. Il avait commandé son plat qui serait payé. Il était hors de question que ce dernier soit jeté. Hamza se doutait que Farès l’aurait quoi qu’il arrive pris avec lui pour l’offrir à un jeune sombral avec lequel il nouerait sans doute plus facilement de lien qu’avec son fils.

Lorsque ce fut fait, Hamza s’empara de son bien en lançant un dernier regard à Farès qui évitait toujours le sien.

- Au revoir.

Il disparut, inconscient des possibles conséquences de son comportement, bien trop égoïste pour songer à ses répercussions. Il devait retrouver sa tante, au plus vite ! Peu importait les dangers qui l’attendaient, il retrouverait les meurtriers de sa mère, et se vengerait !