The devil’s key [fr. Braxton]

Sean était arrivé la veille chez sa mère afin de préparer l’arrivée de @Yeleen Sô qui devait débarquer le lendemain. La Serdaigle souhaitait auparavant prendre le temps de placer ses affaires personnelles dans un box, facilitant ainsi son départ définitif de sa maison familiale. Le jeune homme avait pris plaisir à laisser suffisamment de place dans ses placards pour qu’elle puisse déballer à son aise ses affaires et se sentir comme chez elle. Il n’avait du reste jamais eu beaucoup de vêtements, et il n’avait pas mis longtemps à nettoyer sa chambre, plutôt bien rangée.

Il ne restait qu’un détail à régler, et pas des plus plaisants. Étonnamment nombreux en ce mois de juillet, la famille Clearwater s’était retrouvée à court de double des clés. @Eleanora Clearwater était partie en vadrouille avec les siennes, et Sean se retrouvait obligé de partager le trousseau de Betty. Impossible cependant de se rendre dans une petite boutique moldue pour en faire un double, car il s’agissait de clés spéciales que Braxton avait pris soin d’ensorceler pour parfaire les protections de l’appartement. Aussi, sa mère avait chargé Sean de contacter son père pour avoir un jeu de clé supplémentaire. Sean avait ainsi envoyé Dorcha, la petite chauve-souris laissée par son père, avec un message lui expliquant la situation, et lui demandant de lui faire parvenir des clés dès que possible. Dorcha lui était rapidement revenue ayant apparemment bien délivré sa demande. Le jeune Clearwater l’avait alors remise dans une petite poche sur le devant de son t-shirt, où elle aimait régulièrement se lover pour se cacher de la lumière du jour.

Ce matin-là, le Clearwater avait décidé de faire quelques courses avant que sa mère ne parte travailler, mais le nombre de clients le surprit à la supérette du coin et il tarda à rentrer, ratant Betty de peu. A son retour, elle était déjà partie, ayant claqué la porte derrière elle. Avec un soupir, Sean posa son sac sur le paillasson devant l’entrée en posant son crâne sur le bois de la porte. Deux choix s’offraient à lui. Retrouver sa mère à son travail pour prendre ses clés, ce qui impliquait un trajet d’une heure en bus jusqu’à l’hôpital, plus une deuxième heure pour revenir; ou appeler son père à la rescousse. Le jeune homme posa un regard sur les bouteilles de lait, les œufs et le bacon qui patientaient dans son sac avant de prendre sa décision.

Quelques instants plus tard, il était dans le petit café en face de l’appartement, devant un jus de tomate, le menton posé sur sa main. Remerciant la petite créature pour sa si discrète présence, Sean avait de nouveau envoyé Dorcha à son père afin de lui demander de le rejoindre ici s’il le pouvait. Le Clearwater n’avait cependant aucun moyen de savoir si son père avait reçu le message, ni s’il était disponible dans les prochaines heures pour le retrouver. Le café était vide à cette heure-ci, à part un vieil homme si bien couché sur le bar qu’il semblait ne faire qu’un avec lui. Une chanson de reggae grésillait à la radio, surpassant de peu le bruit du ventilateur de plafond qui vrombissait allègrement.

Mais avant qu’il ne s’interroge sur la pertinence de sa décision, Sean reconnut une silhouette bien familière passer le pas de la porte. Son père avait répondu à son appel, fait assez étonnant pour être remarqué. Mais morose à l’idée de devoir lui être redevable, Sean gardait le visage fermé en l’observant s’approcher de lui.

- Je suis enfermé dehors, marmonna-t-il sur un ton boudeur à son père en guise de salutation.

Braxton empoigna plus solidement le col de la robe du sorcier devant lui et le plaqua plus violemment sur le mur de l'allée des embrumes.

"Bugsy, l'air d'un manchon de la cour des miracles, deux bras deux jambes, a la particularité d'avoir bossé avec toi en novembre, ça te dis vraiment rien."

"Non... c'est faux...!" se défendit de nouveau le tenancier du commerce.

Braxton grimaça, un tic secoué sur la joue avant :

"C'est dommage...." dit-il le visage barré un d'un mauvais sourire. "Pourquoi vous nous prenez tous pour des cons." Braxton sortit sa baguette de cerisier, luisante et lisse, d'un aspect presque tranchant et la colla sous la gorge du commerçant. Il chuchota presque, d'un ton chantant : "Lobelia, ta soeur est en attente de jugement pour avoir la garde sa gosse c'est ça hein ? Ouai c'est ça...  Sale histoire ce divorce avec son mari, j'aime pas les mecs qui battent leur femme. Si tu fais un geste, je pourrais en faire un. Je pourrais aller lui demander directement sinon. Ou à la petite. Le bâtiment des services sociaux magiques est une passoire incroyable, pas une fenêtre qui ferme mon brave."

"J'ai pas de soeur..." siffla l'homme en rapprochant son visage, bravant la logique de cet inconnu qui l'avait poussé dans la cour arrière de sa boutique.

Le regard du langue de plomb s'éclaira d'une lueur surprise et lâcha : "Ah ! Mais oui, je confonds avec l'autre trois pâté de maison plus loin" Tout sourire l'ex auror, fit mine de le lâcher et le sorcier tomba sur ses pieds. Avant que l'homme puisse répliquer, le langue de plomb asséna un violent coup de tête sur le crâne de l'homme qui heurta le mur en un bruit sourd, tombant au sol, sonné.

Braxton sortit sa baguette, dévisageant avec dégoût le sorcier peu coopérant. Un claquement familier d'aile l'interrompit dans son office. Dorcha, anormalement réveillée en plein jour, portait un message à la porte. Le visage de Braxton s'illumina de surprise, ne connaissant qu'une personne pouvant délivrer de message à la brave petite chauve-souris.

"Chaton, je travaille." grommela Braxton en découvrant le message de son fils.

Braxton soupira, un peu embêté. Retournant le message, il écrasa brutalement la main de l'homme qui tentait en gémissant d'attraper sa baguette.

"Pallium." Un autre trait sortit de sa baguette, bayonnant d'une petite toile visqueuse la bouche de l'homme. "Je reviens. Je garde la boutique."

Le langue de plomb s'exécuta, laissant l'homme accroché au mur de sa cour et pénétra dans la boutique seulement pour retourner le panneau "ouvert" de l'échoppe, inscrite aux commerce surveiller pour contre-bande d'obets détournés.

Le langue de plomb transplana de suite, atterrissant dans un cabinet de toilette du bar. Ses bottes claquèrent au sol et il poussa la porte, bien moins salie et taguée que dans ses souvenirs.

Passant devant le miroir des toilettes. Le père de famille remarqua le sang sur sa chemise et la soudaine chaleur de l'établissement moldu. Soupirant il regagna le cabinet et changea sa chemise d'un tour sur lui-même. Vêtu d'une chemise à manche courte à motif de fleur hawaïenne, son costume moldu était parfait. Le sorcier s'adressa un sourire satisfait dans le miroir, avant d'être interrompu par un un raclement de gorge.

Une femme, que sa tendre et cher épouse aurait nommé à vue de nez "Karen" le regardait d'un air tendu et furibond.

"Pardon, je me suis trompé." répondit Braxton avec un grand sourire du type agaçant qui se pardonne à lui-même, comprenant l'était presque impeccable du cabinet des toilettes pour hommes, qui n'en était finalement pas.

Il dépassa la moldue sans se défaire de son sourire chafouin et rejoigna la salle du bar.

Son fils était là, buvant un liquide douteux moldu rouge, en compagnie de sac de course rempli à ras bord. Braxton s'approcha et prit place sur la chaise d'en face, se retenant d'afficher une expression amusée.

"Mhm. Je vois ça." commenta Braxton.

Le petite chauve-souris pointa le bout de son nez de sa poche et sortit d'un claquement d'aile pour progresser difficilement sur la table de bois laqué pour rejoindre son fils. Un sourire moustachu s'étira sur le visage du père.

"Je savais qu'elle t'aimerait bien."

Il posa ses coudes sur la table, un silence gênant brisé par la musique reggae qui sonnait dans les coins de la pièce et le ronronnement d'un ventilateur fatigué.

" 'Fais chaud chez les moldus." commenta Braxton, grattant une seconde en compagnie de son fls, dont le moindre signe émanant de son langage corporel lui signifiait que sa présence lui sortait par tous les pores.

"Hum j'ai ta clé." dit-il sortant et le porte-clé stitch aux yeux globuleux que lui avait imposé  @Eleanora Clearwater.

"Tu veux de l'aide pour monter tout ça ?" demanda-t-il en désignant les sac de courses, se lissant la barbe mine de rien. Les sac lui semblèrent plus gros que d'habitude. "Hum, je pourrais te faire une autre clé, pour ta copine si tu veux, ou le compte est bon...?"

Bien sûr que le compte était bon...

Éberlué, Sean observa son père s’avancer, vêtu d’une chemise hawaïenne dénotant sa méconnaissance de l’actuelle mode moldue. Comme beaucoup de sorciers, il s’inspirait sûrement de photos de moldus illustrant la culture Tiki qui faisait fureur dans les années 1960, date de parution de l’ouvrage intitulé 100 anecdotes pour tout comprendre des non-magiques et de leur monde.

Braxton s’installa en face de Sean et il commenta sa situation avec une mimique qui donna envie à son fils de se lever immédiatement pour sortir du pub. Mais quelque chose bougea dans sa poche, attirant l’attention de l’étudiant qui reconnut les deux petites pattes maladroites de Dorcha s’agitant pour quitter la poche du Langue-de-Plomb. Un sourire inattendu éclaira son visage alors qu’il la vit gravir avec peine la table en bois pour le rejoindre. Le jeune homme l’attrapa délicatement à mi-parcours pour la déposer précautionneusement dans sa propre poche, non sans lui avoir effleuré le museau d’un geste affectueux.

La chauve-souris avait bravement rempli sa mission, réussissant - là où beaucoup avaient échoué avant elle - à amener son père jusqu’à lui. Un exploit qui méritait d’être acclamé. Pour autant, Sean n’intervenait pas pour briser le silence gênant qui s’était installé entre lui et son père. Ce dernier lançait une banalité sur la météo, faisant amèrement regretter au jeune homme sa décision. Il aurait dû prendre le bus pour rejoindre sa mère… Quitte à perdre une partie des commissions…

Heureusement, la rencontre ne se révéla pas complètement inutile quand Braxton déposa sur la table le trousseau salvateur. Sean l’attrapa, jetant un œil au porte-clé qui lui enserra le coeur. Stitch. Une lubie de sa sœur qui adorait le dessin animé dont le personnage était tiré, répétant à tout va la réplique phare de l’œuvre. « Ohana signifie famille. Famille signifie que personne ne doit être abandonné, ni oublié. » Le jeune homme déglutit difficilement en gardant les yeux baissés. Pourquoi fallait-il que cette phrase revienne lui marteler l’esprit à cet instant précis ?

Le jeune Clearwater ignorait si son père avait pu reparler à Nora, mais il en doutait. Cette dernière avait été des plus véhémente contre lui, toutes griffes dehors pour protéger son frère. D’un côté, Sean lui avait été reconnaissant de prendre ainsi sa défense. Mais de l’autre, il se sentait coupable d’être la raison qui l’avait éloignée d’un père qu’elle avait si longtemps adoré. Son rôle de grand frère aurait dû être au contraire de la protéger, et de tout mettre en œuvre pour que son lien avec son père ne soit pas affecté. Les questions de ce dernier le tirèrent de ses pensées et Sean répondit d’un air agacé.

- J’ai pas besoin d’aide, non ! Sa phrase, lâchée de manière assez agressive, pouvait s’entendre de bien des manières. Et Yeleen n’a pas besoin de clés, on utilisera celles-là. J’imagine que de toute façon il vaut mieux éviter qu’il y en ait trop en circulation pour prendre le moins de risque possible, non ?

Son propre ton le dérangeait. Le jeune homme n’avait pas l’habitude d’être aussi… mesquin. Mais il avait l’impression que le moindre geste, la moindre parole de son père lui hérissait le poil, rendant sa présence insupportable.

« Ohana signifie famille. Famille signifie que personne ne doit être abandonné, ni oublié. »

La tournure de cette phrase était amèrement ironique. Le jeune homme serra le poing sur le trousseau et son porte-clé délivré par son père, se retenant à grand peine de se lever pour quitter ce lieu où le malaise les avait cloué sur place.

« Ohana signifie famille. »

Sean sentit Dorcha se tourner dans sa poche, contre son coeur et il releva subitement les yeux sur son père en inspirant profondément. Ce dernier était curieusement assorti au petit Stitch sur son porte-clé.

- Merci, marmonna-t-il avec effort. J’espère que je t’ai pas interrompu dans quelque chose d’important. Le sorcier avait à peine eu le temps de toucher à son verre et il lança un regard interrogatif vers le comptoir et son ivrogne collé dessus. Tu veux boire un truc ? Ils font une limonade maison. C’est peut-être ce qui sera de plus frais ici…

Braxton déploya toute son expérience de parent pour garder un visage relativement impassible alors que Sean lui faisait vivre des flashback de leur adolescence. La pique agressive parti au quart de tour, mais le père se fit vite une idée, se disant que c'était déjà mieux qu'on avait plus rien à se dire.

Braxton plissa les yeux alors que Sean refusait un jeu de clé pour sa petite copine. "Elle va rester deux mois. Elle a le droit d'être indépendante Sean." le reprit le presque cinquagénaire.

Sean le remercia, presque par dépit, fixant le bois d'un regard tourmenté. Braxton repensa aux notes qu'on lui avait fourni à Saint-Mangouste. Angoisses, sautes d'humeur... L'adolescence quoi, avait dit les grands-parents le peu de fois où ils s'étaient vu, alors que le Sean avait déployé tout ses charmes pour leur plaire.

"De rien." répondit Braton effaçant l'ardoise de la politesse sans trop de difficulté, affichant le même sourire dépité.

Son visage s'interrompit, alors que Sean espéré ne pas l'avoir dérangé du travail pour rien. Braxton se rassit sur sa chaise, se mordant les lèvres et secouant la tête. "Non, non... Pas de problème." dit-il en esquissant un sourire, presque suppliant de l'embêter plus souvent. Se grattant la barbe

"Ah, de la limonade...?" Braxton jeta un coup d'oeil au menu des boissons, plissant les yeux pour lire les petites écritures. Hors de question de finir avec des lunettes comme son frère.  "Moui ils ont pas l'air d'avoir des jus qui cassent trois pattes à Phenix." Décidément, tout le monde voulait le faire boire de la limonade,  @Luke Korrigan, mais elle était toujours trop sucré et pas assez acidulée chez les moldus. "Je prendrais la même chose que toi." annonça-t-il en reposant. Il le replaça trois fois avant que le morceau de plastique se décida de tenir, avant d'abandonner et de le poser sur la table d'à côté.

Une jeune femme brune, vêtu d'un cuir, les bras tatoués jusqu'au épaule se présenta à leur table pour prendre commande. "La même chose, s'il vous plaît" répondit Braxton en glissant un sourire poli à la jeunette. La jeune femme, plus âgée que Sean, rangeant son calepin dans sa flanelle nouée autour de la taille, repartit, fit un clin d'oeil à Sean après avoir glissé un regard à la chemise du père.

Laissés seuls à nouveau, un court silence repris.

Braxton étira un sourire moustachu à son fils. C'était la deuxième fois de leur existence qu'ils se retrouvaient attablé l'un en face de l'autre.

"Félicitation encore pour ton diplôme." dit-il pour la première fois verbalement. "Les MULOTS hein ? Tu vas aller bien plus loin que ton vieux père." lui dit-il avec une expression pudique emprunte de fierté. Lui qui avait à peine décroché des BUSES, l'idée que ses enfants poursuivent aussi loin les études supérieurs le ravissait. Et le rassurait. C'était toujours plus de temps passé au sein de l'institution la plus protégée de la Grande-Bretagne.

Ses pensées l'emmenèrent aux difficiles conversations du mois de juin.
Devait-il lui dire pour Jinx ? Lui expliquer le fond de l'histoire, de quoi laver les doutes de son fils ? L'attitude de Betty avait été presque louche, le père avait d'abord soupçonné le fils d'en avoir parlé à sa femme, mais il en doutait à présent.  

"Des plans pour l'été ? Avec Yeleen j'imagine ? Avec ta mère on avait fait un roadtrip en Irlande une fois. Enfin, pas au même âge d'ailleurs, t'avais deux ans." Cette pensée le transportant dans un passé joyeux, aussi lointain qu'auréolé de la froideur d'aujourd'hui. Braxton ne parlait jamais du passé, d'avant la naissance des enfants, d'avant 2006 de manière générale. L'intrusion dans la pensine avait paradoxalement le noeud autour de sa gorge.

"D'ailleurs, à ce propos..." commença-t-il. Il souffla embêté, se grattant sa chevelure "Excuse-moi pour ton pull. J'ai oublié. J'étais... pas bien quand on s'est revu la dernière fois." Il croisa les bras devant lui, cherchant la réponse sur les marques d'eau circulaire ornant la table. "Je connais @Kathleen J. Jones. Mais pas comme tu penses." Il releva un regard sur son fils, qu'il garda un moment, cherchant à lui rentrer dans son crâne ce qu'il allait entendre. "J'ai eu affaire à elle dans le passé autour du boulot. C'est sa vie privée, elle aimerait pas que j'en parle, mais elle a pas eu la vie rose. " Braxton, rentra les pieds dans le plat.

"J'aime ta mère Sean. Et y a pas un Clearwater dans l'histoire qu'a mangé de ce pain là, tu sais." Au ton posé et tranquille qu'il employait, il avait des airs de son frère,  @Jameson Clearwater, aussi parce que ce ton leur venait de leur mère, Maggie. "C'est pas des conneries... Y a quelques raisons au surnom de Poète-guerrier. " affirma-t-il. Braxton n'avait jamais beaucoup parlé du clan à Sean. Son fils avait appartenu au monde moldu. Et Jameson l'avait pris sous son aile en ce qui concernait le clan. La langue déliée. "Tu as tous les droits de m'en vouloir Sean. Mais j'espère que... oh, merci..." dit-il à la serveuse qui lui ramenait le jus de tomate.

Sean ne reprit pas la réplique de Braxton qui l’agaça pourtant prodigieusement. Comment Braxton osait-il juger la relation qu’il entretenait avec Yeleen et l’autonomie qu’il ne lui laissait apparemment pas. Comment pouvait-il d’ailleurs se permettre de juger n’importe quelle relation entre deux personnes qui s’aimaient ? Venant d’un père qui ne vivait plus avec sa famille depuis des années, c’était caustique. S’il y avait bien quelque chose que son père lui avait laissé, c’était de l’autonomie. Tellement d’autonomie qu’il avait disparu de sa vie. Mais à grand peine, Sean se retint de tout commentaire, s’accrochant au fait que le Langue-de-Plomb avait tout-de-même répondu à son appel.

Alors qu’un silence s’installait de nouveau entre eux, le père et le fils semblaient tout sauf à l’aise, et cela se ressentait même dans le choix de la boisson de Braxton. Le menu du café fit les frais de leur pénible appréhension avant que le sorcier ne porte son choix sur le même breuvage que son fils. Les lèvres de Sean se pinçèrent, persuadé que la boisson ne serait pas au goût de son père, mais il s’abstint de nouveau de tout commentaire. Son père eut au moins le mérite de beaucoup amuser malgré lui la serveuse qui lança un Sean un regard complice avant de s’éloigner. La mode dépassée de ce dernier ne lui avait clairement pas échappé, mais après tout, elle le plaçait dans un légitime rôle de père embarrassant son jeune fils.

Braxton surprit cependant l’étudiant, en mentionnant soudainement sa réussite universitaire. Sean hocha la tête sans savoir quoi répondre. Durant l’adolescence de son père, la guerre avait éclaté, le poussant très tôt à abandonner ses études pour se battre. C’était lui-même qui le lui avait révélé lorsqu’il avait fait irruption à Pré-au-Lard. Braxton usait-il d’une fausse modestie pour flatter son fils dans son égo ? Cela ne faisait que rappeler à Sean qu’il était loin d’être le combattant qu’était son père à son âge.

Le sorcier enchaîna, évoquant des plans de voyage pour l’été qui semblaient aussi irréalistes qu’inconséquents. Sean se mit à le fixer en fronçant les sourcils. Braxton était pourtant bien placé pour savoir qu’il devait se montrer le plus prudent possible afin de ne pas attirer l’attention sur lui. L’échange qu’ils avaient eu à ce sujet avec @Asel Misra et @Adil Mesli était resté marqué au fer rouge dans sa mémoire et ce souvenir raviva la rancœur qu’il éprouvait à l’encontre de son père. Non seulement il trompait sa mère et mentait à sa famille entière, mais en plus il les mettait tous en danger !

Comme s’il sentait que les pensées de son fils survolaient le sujet, Braxton pris un air embarrassé en frottant son hirsute chevelure avant de plonger son regard sombre dans le sien. Dès que le sweat et le nom de la maîtresse furent évoqués, Sean sentit ses poils se hérisser.

- Je veux rien savoir, commença-t-il de manière abrupte en se fermant, croisant les bras comme s’ils avaient le pouvoir de le couper de cette désagréable conversation.

Mais Braxton continuait, expliquant très sérieusement que lui et sa professeure étaient liés par le boulot et qu’un paquet de choses lui étaient arrivés - nécessitant sans doute l’aide d’un Langue-de-Plomb. Sean gardait le visage baissé, comme si rien de tout ça ne l’affectait. Pourtant, il sentait qu’une partie de lui avait désespéré entendre une justification de son père dès l’instant où il avait vu @Kathleen J. Jones porter son pull. Le sorcier continuait en insistant qu’il aimait sa mère et ne pourrait jamais la duper en tant que poète-guerrier.

Sean dû lutter pour cacher son émotion en l’entendant prononcer ces mots qui l’avaient touché en plein cœur. Il n’osait même pas s’avouer à lui-même que l’un de ses rêves les plus chers était de voir sa famille de nouveau réunie, comme dans ses souvenirs. Ou peut-être même avant ça. Comme ils étaient dans ce passé qu’il avait oublié, avant la mort de Liam. Pourtant, son père n’avait eu de cesse de détruire ce doux rêve, le rendant toujours plus méfiant devant l’espoir qui naissait. Le coupant dans ses explications, la serveuse apporta un jus de tomate qu’il voulut immédiatement porter à ses lèvres.

- Attends, l’arrêta son fils en levant une main vers lui. Attrapant les condiments qui étaient placés dans un panier au bord de la table, il versa quelques gouttes de tabasco ainsi que du sel de céleri dans le verre de son père avant d’en remuer le contenu. Sa main retrouva ensuite sa place dans ces bras si fermement croisés pour le protéger de toute intrusion. Comme ça, ça sera moins fade.

La paroles de son père avaient résonné dans son esprit pendant qu’il assaisonnait le jus et il avait gardé une mine si solidement sérieuse qu’on aurait pu le croire en plein examen, devant la plus ardue des problématiques. A présent que son père lui avait donné des éléments de réponses, le jeune Clearwater ne pouvait plus prétendre que cette histoire ne le touchait pas, qu’il ne retournait pas le problème dans tous les sens depuis qu’il l’avait entendu, qu’il n’avait pas pléthore de questions à lui poser.

- Pourtant Asel m’a dit que le petit-ami de Mme Jones était blessé et jaloux de votre liaison. Et que c’était pour ça qu’on était tous en danger, lança-t-il avec une pointe de défi qui lui faisait lever le menton dans sa direction. Le regard du jeune sorcier fusillait de reproches celui de son père alors qu’il lui mettait sous le nez les conséquences qui éclaboussaient sa famille.

Braxton pensait avoir gagné la partie alors que son fils arrêta son geste et lui dit son verre. Devant son air concentré, il crut se voir lui même. Cette petite grimace appliquée et ce penchement à gauche.

Une chaleur démesurée l’emplît en voyant son fils accomplir avec naturel ce geste simple, et pourtant l’unique preuve d’attachement qu’il avait eu en la moitié d’un an.

La chair de sa chair, le sang de son sang. La meilleure partie d’eux-mêmes, à lui et Betty. Ce qu’il avait attendu des mois et tenu dans ses bras qui lui faisait un verre. Braxton se sentit intérieurement dévasté par cet espace désertique entre eux. Pas si aride finalement.

- Oh, Asel, dit il en levant un sourcil. La gamine lui avait bien promis qu’elle parlerait mais il ne l’avait pas pensé sérieuse. Et qu’est ce qu’elle en sait Asel, hein ?

Il lui décocha un léger coup de menton et avait pris un masque encore plus détaché que son fils. Le manque de confiance qu’il nourrissait à son égard était presque cruel. "Une liaison… rien que ça…" il secoua la tête dédaigneux et colérique. Son cœur, lui cognait durement contre sa poitrine.

Il laissa filer un silence, essayant de ne pas penser à la planque. À Jinx. Accrochant les yeux de son fils avec une lumière de défi répondant à la sienne, il déclara, presque solennel :

- Tu rentres en journalisme Sean. Tu vas découvrir le merveilleux monde des sources, des indic, des rumeurs et des faits. On t’as dit que, quelqu’un avait dit que… C’est faible. Non ?

Braxton saisit le Tabasco et en tapotant la bouteille au dessus de son verre, reproduisant le geste de son fils avec la même application. Presque ridicule. Involontairement, Sean le mettait dans cette place de donneur de leçon. Mais il semblait qu’il en avait en retard.

Ce geste servait autant à couper le frisson désagréable qui lui parcouru le dos. L’image de Kathleen endormie sur le canapé était loin derrière celle de la professeur lui crachant la perte de son enfant, sacrifié pour eux.
Quelques part en lui, lucide et enfouis, il y avait ses propres pensées, se réjouissant d’une impatience coupable de la retrouver à l’appartement, même pour ne rien dire, rien faire. Juste retrouver cette sensation de ne pas être seul.

Une liaison… le mot était sale… regarder ce terme et le poser sur ce qu’il avait vécu était comme se plonger nu dans un bac d’acide. Une sensation douloureuse, lui saisissait le corps. Une liaison… subitement, la version, d’amis, de Jinx lui paru emprunt d’innocence et de sainteté.

- J’ai parlé à Asel aussi. Quatre jours après qu’on se soit vu. Elle a eu le bon sens de m’appeler. Pas comme  @Kathleen J. Jones …  Toi et moi, nous savons que les MacGill Faholin ne mentent pas. Mais que sais-tu de la personne dont elle tient ses dires ? Qui est-ce, quel est son but, que veux-t-elle faire à Asel, la petite étudiante prise en… Braxton s’arrêta, un poing sur le front. Il serra les dents et souffla. Le message était moins verbal que le nombre de jour qu’elle a passé à l’hôpital. Ajout a-t-il d’un air sombre.

L’ex petit ami de Jinx… il glissa un regard à Sean. Ce fils qu’il avait vu grandir plus vite que l’herbe ne poussait en un printemps.

- L’ex petit ami de Jinx est une enflure doublée d’être un malade mental dangereux. lâcha-t-il avec colère. Il essaya de se reprendre, malgré ce coeur qui cognait avec violence contre sa cage thoracique, hurlant vengeance.

- Jinx est en vie aujourd’hui, souffla-t-il avec un drôle d’air. Je trouve ça pas mal. acheva-t-il, espérant que Liam et Carron le regardait quelque part. Quarante sept ans et cherchait l’approbation de fantôme.

Comme à chaque fois qu’il voyait Sean, il n’avait jamais les questions qu’il voulait. Fils, tu veux savoir à quoi ça ressemblait, à ton âge, crâne rasé et les sortilèges qui frôlent tes tempes ? Tu veux savoir comment j’ai rencontré ta mère, une moldue qui rien ne prédestinait à rencontrer puis épouser un sorcier, puis à te donner naissance ?
Tu veux savoir combien de fois je t’ai emmené à l’hôpital petit, après cette oubliette que tu penses t’avoir fait tant de mal ?

Il prit une gorgée de tomate, grimaçant un peu avant de hocher la tête, approbateur, son fils. Il plongea dans ses yeux, blessé.

- Comment peux tu croire deux secondes ça ?

Le cœur battant, Sean observait silencieusement la réaction de son père devant ses propos. Dans un premier temps, il ne crut lire qu’une froide colère dans les pupilles sombres du Langue-de-Plomb, si semblable aux siennes, et pourtant si différentes. Tétanisé, il ne parvenait pas à détacher son regard de ces dernières, et ne comprenait plus bien la source de l’angoisse qui l’étreignait. Braxton répéta le mot utilisé par @Asel Misra avec un mépris qui faisait ressortir son accent rocailleux. Mais avant même de chercher à se justifier, il entreprit de critiquer l’attitude de son fils, questionnant jusqu’à son choix de carrière. Sean détourna un instant le regard en se renfrognant. Alors que c’était actuellement Braxton qui était en cause, ce dernier se débrouillait toujours pour lui faire sentir qu’il le décevait d’une manière ou d’une autre. Il avait attrapé la bouteille pimentée pour en verser de nouveau dans sa boisson - la rendant peut-être ainsi imbuvable. Sean n'intervient pas, gardant sa tête tournée comme pour se refuser à tout dialogue.

Mais quand son père reprit finalement la parole, il posa de nouveau le regard sur lui. Braxton consentait enfin à lui répondre, le poussant à adopter un autre point de vue sur les propos d’Asel. Certes sa famille était réputée pour ne jamais mentir, mais les informations qui lui avaient été données pouvaient servir un tout autre objectif. Qu’avaient cherché à faire leurs ennemis en l’attaquant, elle et leur professeur ? Sean serra ses lèvres au souvenir de l’absence prolongée de son amie d’enfance dont il n’avait compris que bien plus tard la teneur. L’idée que ces mages l’aient ainsi blessée lui était insupportable. Braxton tentait de lui faire comprendre que sa légitime colère devait être tournée vers eux - et surtout vers ce fameux ancien compagnon de @Kathleen J. Jones - dont l’esprit retors cherchait à les embrouiller.

Finalement, son père observa le jeune écossais, demandant comment il avait bien pu croire un tel mensonge. Touché en plein cœur, Sean baissa honteusement le menton vers son propre verre. @Yeleen Sô avait eu raison dès le début, comme toujours. Malgré toute la gêne que cette conversation lui avait inspiré, il aurait dû questionner son père dès qu’il avait compris qu’un lien l'unissait à son enseignante. Soudainement, il sentit un poids dont il n’avait pas conscience quitter ses épaules, le rendant étonnement plus vulnérable. Ses yeux se mirent à le piquer et il posa une main pour cacher pudiquement son visage. Comment croire que les propos de son père lui provoquaient une telle émotion ?

En réalité, durant toutes ces années, Sean s’était raccroché à cette unique vérité : malgré son absence, son père les aimait lui, sa sœur et sa mère. Croire qu’il les avait tous dupé, et que ce dernier fil le raccrochant à lui s’était brisé avait été une blessure bien trop profonde à panser. C’était comme si la base solide sur laquelle il avait construit sa vie s’était soudainement effondrée, le laissant maintenir les ruines entre elles dans un semblant de barricade. Mais Braxton venait de réaffirmer ce que Sean avait appris à lire dans ses départs, ses silences, ses retenues. Il continuait à les aimer, à chercher à les protéger. Il ne pouvait pas en être autrement, c’était un poète-guerrier. Même s’il n’approuvait aucunement ses choix, Sean comprenait à présent que cette certitude valait plus que tout l’or du monde. Aussi, il prit sur lui pour prendre la parole, sans pour autant parvenir à quitter son air bien trop fermé qui ne laissait voir que la surface de ce qu’il ressentait réellement.

- Désolé… J’aurais dû te poser directement la question. Mais… c’est compliqué…

Il y avait entre eux tellement de non-dits, d’attentes frustrées, d’espoirs déçus, d’attention inavouée... Son père était si important aux yeux de son fils que le moindre mot posé sur son attitude pouvait lui faire changer jusqu’à son choix de vie. Mais Sean était bien trop fier pour se l’avouer - ne lui pardonnant toujours pas le mensonge sur lequel était construite leur entière relation. Sans les souvenirs qu’il lui avait arraché, il n’avait aucun espoir de dépasser le traumatisme qui avait brisé son enfance. Le jeune Clearwater était en incapacité de savoir si la méfiance qu’il éprouvait à l’égard de son père était sienne ou le simple résultat d’un sortilège mal maîtrisé. A force de se questionner sur la moindre de ses émotions, il savait qu’il finirait par perdre la raison et cette simple pensée suffisait à lui faire perdre pied.

Dans sa poche, Dorcha bougea une patte pour retrouver une situation confortable et sa présence permit à Sean de retrouver corps avec la réalité. En soupirant, il releva le visage vers son père pour le contempler calmement. Ne pouvait-il pas espérer profiter uniquement de l’instant présent ? Était-ce impossible de camoufler au fond de lui ses idées si sombres, jusqu’à oublier leur existence ?

- Est-ce que Kathleen Jones est en danger ? Est-ce que tu veux que je garde un œil sur elle ?

L’étudiant ne serait pas d’une grande utilité pour la défendre, au vu de sa difficulté à maîtriser sa magie en ce moment. Sa proposition d’aide aurait semblé dérisoire. Mais se tenir vigilant, et prêt à prévenir le Langue-de-Plomb en cas de danger semblait dans ses cordes.

Y avait beaucoup de choses de compliquées. Braxton jaugea son fils, une pointe de déception mêlée à du soulagement. Cela l’aurait-il arrangé, pour pouvoir ainsi déchaîner sa haine sur lui ?
Sean renoncer à lui coller l’étiquette du mauvais mari, à défaut de celui du mauvais père.
« Surtout pas ! » s’exclama Braxton, le visage livide et les traits tirés comme s’il ensuit dévorer la mort à son fils. « Non, Sean. Surtout pas... »

Il prit un air sombre, fit grincer ses dents l’une contre l’autre. « Elle se débrouille. J’ai quelqu’un qui guette mais c’est votre sécurité à vous qui m’intéresse. » dit-il un peut trop vite. « Tiens-toi éloigné… mais… si jamais… écoute là. » Il soutint son regard. Ce n’était pas ce qu’il avait souhaité pour ses enfants.

Il baissa la tête et prit une gorgée du breuvage épicé.
"Bordel de v-" Il se retint de jurer devant son fils. Il toussa deux fois avant de sentir les larmes lui monter aux yeux. Il toussa à nouveau avant de s’essuyer les yeux. Sa mère le troll…

Il fit la grimace et se saisit du céleri pour en râper au dessus de sa boisson comme s’il avait pu l’adoucir. « C’est pas si… ça surprend… » indiqua-t-il d’une petite voix. Il ferma un œil larmoyant en croisant le regard de son fils.

Il toussa encore dans son poing avant de rire  lorsqu’il vit la tête de son fils.

Son père réagit violemment devant sa proposition, refusant à grand cri toute aide qu’il aurait pu offrir. Il expliquait s’inquiéter pour eux, refrain éternel que Sean entendait depuis de bien trop nombreuses années. En cas de danger, il avait pour consigne de suivre ce que son enseignante lui dirait de faire. Sean visualisa @Kathleen J. Jones, flottant dans son sweat d’adolescent pourtant trop grand pour elle. Elle donnait l’impression d’être capable de se briser au moindre coup de vent - si pâle qu’elle en semblait malade. Une survivante à un ancien compagnon violent, de ce que le jeune Clearwater avait compris. Pourtant, son père préférait compter sur elle plutôt que sur son propre fils.

Devant lui, le Langue-de-Plomb s’étouffait sur sa boisson trop épicée, provoquant chez Sean un air qui ne laissait apparaître aucune surprise. Évidemment, le jus imbibé de tabasco et de sel de céleri en était devenu imbuvable. Braxton se contenta de rire, en toussant à moitié derrière son poing. Pourtant, cette scène semblait bien trop familière à son fils. Son père préférait s’empoisonner à moitié plutôt que d’accepter l’aide de son fils. La recette proposée par Sean avait un bon  équilibre d’assaisonnement. Mais il avait fallut que son père reprenne le contrôle, comme s’il ne supportait pas l’idée même de se reposer sur son fils.

Cette constatation était d’une tristesse telle qu’elle coupa toute envie au jeune homme de poursuivre cet échange avec son père. Il finit d’une traite son propre jus avant d’attirer l’attention de la serveuse sur eux.

- J’aimerais régler nos commandes s’il vous plait. Il interrompit les récriminations de son père d’un geste de la main. Non, c’est bon. Tu es venu pour moi, disons que comme ça on est quitte.

Le jeune écossais laissa le compte accompagné d’un pourboire pour rester en bon termes avec les employés du bar qui faisait face à leur appartement, avant de se lever. Son regard se posa sur son père et il retint un soupir. Pourquoi tout était si compliqué avec Braxton ? Est-ce que le moindre espoir de rapprochement entre eux était vain ? Le jeune homme avait-il réellement envie de renouer un lien avec son père ? Tant qu’il ne lui avait pas pardonné, est-ce qu’il ne sabotait pas lui-même la moindre de leur rencontre? Sans pouvoir s’en empêcher, il laissa l’amertume colorer ses propos.

- Si un jour tu commences à avoir enfin confiance en moi et que tu veux me demander un service, tu sais comment me contacter. En attendant, moi, j’ai pas changé d’avis… Je ne comptes ni abandonner mon passé, ni ma famille aussi facilement. Salut.

Attrapant ses sacs de course, il s’éloignait d’un pas raide. Si Braxton avait su lire entre les lignes, peut-être aurait-il compris que Sean souhaitait plus que tout au monde se retrouver, afin de raviver le lien qui s’était étiolé avec son père. Son absence n’était qu’une plaie béante dans son coeur qui mettait en péril tout ce qu’il cherchait à construire. Le jeune Clearwater était persuadé que pour la combler, il lui était nécessaire de retrouver coute que coute sa mémoire. Par tous les moyens. Mais sans doute que tout ce que Braxton voyait c’était un gamin capricieux s’obstinant à suivre une voie qui finirait par le détruire par simple esprit de contradiction.

Braxton ignora quelle mouche avait piqué Sean, mais son visage se referma aussi froidement qu'une porte de prison. Son père, les hauts des joues rouges acheva de faire passer le piment contenu dans la boisson.

Le silence de Sean passa comme une tempête.

"Sean, tu m'avais demandé si..."

Sean, appela la serveuse et demanda l'addition. Son brusque revirement assombrit son père, quittant la surprise. Il secoua la tête et tendit une main pour payer "Sean, laisse je vais..." Rien à faire, son aîné le coupa brutalement. "Sean, c'est pas aujourd'hui que je te faire payer mes déplacements." dit-il avec un petit rire qui mourut très vite.

L'appeler par son prénom et refuser de se voir payer un malheureux jus de tomate. Le petit semblait pas avoir de problème que c'était la paie du ministère qui avait servi pour ses courses.

Dix minutes. Dix ridicules minutes ils avaient tenu, l'un en face de l'autre.

Sean s'obstinait à lui proposer de se mettre en danger et à l'effrayer par la même occasion. Cela n'avait rien d'amusant et plus le lange de plomb parlait avec son fils, plus une vieille angoisse remontait, comme un monstre des profondeurs qui n'était jamais parti loin.

Sean empoigna ses deux gros sacs de course avec force et prit la porte du bar, non sans lui avoir servit le discours de salutation le plus insultant que son fils lui ai jamais fait. Braxton resta comme giflé sur le coup.

Le langue de plomb ignora le regard condescendant de la serveuse et, sortant de sa torpeur, prit la porte à son tour et se retint de la claquer pour la seule raison que son épouse tenait au quartier.

"Tu veux nous afficher devant le bar du coin ? Ta mère va être ravie." lui assena-t-il, la voix serré dans un reproche acide, le souvenir de sa dernière dispute en date avec son épouse.

N'attendant pas de réponse, Braxton jeta un regard courroucé à la rue. À ce quartier que sa femme trouvait si charmant. Si tranquille. Sécurisant. Il jeta un regard de haine à ces petites maisons anglaise et ses arbres rachitiques cerclé de fer et de plastique. Si son fils commençait à lui faire des scènes, il n'allait franchement pas s'en sortir avec cette famille. Cet air renfrogné laissa vite la place à la gêne. Mais Braxton n'était pas un homme particulièrement difficile à lire dans ces moments-là. Quoi qu'en avait l'impression ses enfants, leur père laissait sa cuirasse au ministère et son masque de plomb. Avec elle tombait douleur et une col§re couvée depuis longtemps. Il avait été stupidement heureux de revoir son fils la dernière fois, comme en franchissant la porte du café dix minutes plus tôt. Il s'en était sorti la dernière fois, ignorant le dernier salut de son fils en agissant comme si de rien n'était. La rue désertée par un mois de juillet ensoleillé acheva, il ne savait comment, de l'irriter et Braxton ouvrit son sac à ce fils insultant et ingrat.

"Sean, tu peux pas te contenter de passer un été sympa, avec ta copine, au lieu de me demander ce genre de chose que je sais pertinemment que tu suivras pas la moitié de mes conseils...?" Il regarda son fils une seconde, l'air avant de réaliser qu'il venait d'enfoncer une porte ouverte. Braxton chercha en vain à rattraper sa bourde. "Non ! C'est pas ce que je voulais dire. Sean, bien sûr que je te fais confiance." S'il y avait une personne sur qui il faisait confiance, hormis sa femme et sa soeur, il y avait son fils.

"Sean..." essaya-t-il de raisonner son premier né avec l'air plus fatigué et dépité que jamais. Il avait volé dix minutes à son fils parce qu'il n'aurait pas pu les avoir autrement. Braxton eut un drôle de sentiment. Que s'il laissait son fils lui tourner le dos sur le trottoir, que son grand adolescent ne lui adresserait plus la parole. Il fit un tour sur lui même comme s'il allait partir, avant de venir se planter nerveusement devant son fils, et d'une traite fit une chose qu'il s'était toujours interdite en tant que père : s'ouvrir en reproche ouvert à son fils.

"Tu m'as rien demandé, rien dit ! Tu veux juste pas de moi Sean. J'ai des cartons à en bâtir des tours de photo que tu m'as jamais demandé depuis. Dis-moi Sean, ça m'intéresse, t'as appris quoi, sur toi, sur nous, y a quinze ans, qu'est-ce que tu sais de plus ? Qui aurait bien pu te répondre à part moi ? Y a que moi Sean, et je t'ai dit que j'étais là, alors partant de là, tu veux qu'on fasse quoi ? T'as mis quatre mois à me demander qui était @Kathleen J. Jones. Sean t'es plus un gamin, t'as plus besoin d'un méchant et je jouerai pas ce rôle. Bordel, notre père à nous, il nous tapait dessus pour un oui ou pour un non, alors y a pas de parents parfait Sean, mais tu me feras pas croire que j'ai tout foiré."
Braxton, souffla, étonné lui-même de s'être déversé ainsi devant son fils, sur son fils. Betty aurait été là qu'elle l'aurait certainement tiré dans un coin pour lui expliquer sa vision des choses. Mais Betty n'était pas là pour s'interposer entre eux.
Avait-il seulement déjà abordé sa propre enfance avec ses enfants ? Il n'avait du l'entendre qu'à travers le prisme de @Jameson Clearwater et encore, il savait sa soeur plutôt discrète. Braxton resta bête, réalisant qu'il venait probablement d'apprendre encore quelque chose à son fils, involontairement.

"Oui, ton grand-père décédé y a un an ! "Paix à son âme..." Il savait pour toi aussi ! Et mamie. Comme ta mère !"

Son omission était-elle moins grave si elle était pas partagé ? Braxton regretta immédiatement craignant que le petit ait soudainement une mauvaise image de Maggie ? Allait-il s'imaginer sa douce grand-mère complotant avec son sans coeur de père à son sujet ? Non, Sean dans son mélodrame à retardement, ne penserait pas une seconde que la confidence s'était faite à chaude larme et dans la douleur.

La colère parlait à travers lui. Une fureur qu'il avait envers lui-même depuis si longtemps qu'elle pourrissait à l'intérieur et le jetait sur les autres. Une frustration grandissait. Prenant le regard dédaigneux de son fils qui piétinait avec indolence le moindre état d'âme, le moindre signe piteux que son père fut un être humain comme lui.

"J'arrive pas à croire..." souffla-t-il en l'examinant. Sean avait dérobé la photo de lui enfant et de "Dis-mois Sean, elle est belle l'histoire où tu regrettes un parrain mort que t'as jamais connu ? Il t'est jamais venu à l'idée que moi j'ai perdu mon frère ce soir là ? Que j'ai failli perdre mon frère et mon fils ? Ça ne t'as jamais effleuré l'esprit ça Sean ? " tonna-t-il en esquissant un geste de main éloquent.

Peut-être que, Sean qui s'imaginait un père lui refusant la confiance, comprenait peut-être de quoi il en retournait vraiment. Car, pour la première fois, sans retenue brillait dan la mesure du poids de la déception de son père, d'avoir espéré être compris par son fils qui avait pourtant pardonné à sa mère. Ce secret qui n'en était plus uns continuait de pourrir entre eux sans que Braxton ait pu faire quoi que soit.