The devil’s key [fr. Braxton]

L’air frais fit du bien à Sean qui se prit à inspirer profondément bien que le malaise d’avoir quitté ainsi son père nouait ses entrailles. Cependant, son répit fut de courte de durée car Braxton le rejoignit, critiquant son attitude face aux employés du bar. Le Langue-de-Plomb semblait passablement irrité, et son air orageux provoqua une colère inexpliquée chez Sean qui se referma un peu plus devant lui. Ne pouvait-il le laisser partir en paix ?

Mais Braxton était loin d’en avoir fini et commença par lui demander de se contenter de profiter de son été en compagnie de Yeleen avant de lui expliquer que s’il ne lui confiait rien de plus c’était parce qu’il savait que Sean n’en ferait qu’à sa tête. Le jeune sorcier sentit sa mâchoire se crisper en entendant ces reproches sans fondements alors que son père cherchait à revenir sur ses propos en réaffirmant faiblement la confiance qu’il lui accordait.

Figé dans sa fureur, Sean l’observait sans réagir, poussant le sorcier à continuer son discours qu’il enchaîna avec un furieux emportement. C’était toujours la même proposition, celle des souvenirs et photos qu’il acceptait de mettre à disposition de son fils. Mais ses propos s’accompagnaient de reproches sur la soit-disant passivité du jeune homme quant à ses souvenirs. Le jeune Clearwater fulmina, se sentant à présent trembler d’indignation face aux accusations de son père.

Non seulement il aurait dû gentiment s’intéresser aux miettes d’information sur son passé proposé par l’homme-même qui l’en avait privé. Mais encore, il se montrait ingrat vis-à-vis de son père. Il se devait de mûrir et de tout lui pardonner parce qu’il existait de bien pires parents en ce monde. Tout semblait de sa faute, à commencer par son incompréhension face à la relation plus que troublante que Braxton entretenait avec la professeure Jones.

Mais alors que Sean pensait que le pire de ce que son père avait à lui balancer était passé, ce dernier précisa qu’une vaste partie de la famille était au courant vis-à-vis du sortilège dont il avait été victime. La rage de Braxton enflait au fur et à mesure de ses propos, alors qu’il lui crachait au visage sa détresse concernant la perte de Liam, se moquant presque de la peine qu’avait éprouvé Sean devant sa découverte. A cet instant, la poignée d’un des sacs craqua, déversant son contenu à terre.

- Fais chier ! Merde, jura inhabituellement Sean en déversant toute sa rage, envoyant par la même occasion valser l’autre sac à terre avant de s’avancer vers son père.

- Comment tu peux me reprocher ça sérieux, lui cria-t-il en s’emportant, serrant ses poings pour s’empêcher d’attraper sa baguette ou le col de son père. Toi t’as eu quinze ans pour faire ton deuil ! Moi je viens seulement d’apprendre son existence et de comprendre le poids de son absence ! Et parce que t’as effacé ma putain de mémoire, je suis pas censé ressentir de tristesse c’est ça ? C’est pas comme ça que ça marche !

Les courses roulaient à terre, sans que Sean ne leur jette un seul coup d’œil.

- Dis-moi ce que tu me reproches concrètement ! Tu crois vraiment que je fais aucun effort ? Tu crois que c’est facile pour moi d’essayer de t’adresser la parole comme si de rien n’était ? Tu crois que j’ai pardonné facilement à maman, ou à tous ceux qui étaient au courant et qui m’ont menti pendant toutes ces années ? Tu crois que j'ai pas tout fait pour essayer de protéger la famille quand je pensais que t’avais une liaison, parce que c’était plus important pour moi que de savoir la vérité ? Tu te rends pas compte…

Sa voix commençait à trembler, perdant en intensité alors que son regard courait  autour d’eux comme s’il cherchait désespérément un élément sur lequel s’appuyer. Tous ses efforts pour maintenir un semblant de contrôle sur lui apparaissaient soudainement vains.

- Je fais tout… tout mon possible… Je fais tout ce que je peux pour vous tous… Je peux pas faire mieux… Mais même ça, ça te suffit pas ! J’ai jamais rien été d’autre qu’une déception pour toi ! Le résultat d’un sortilège foiré…

Le sorcier baissa les yeux alors que sa voix n’était plus qu’un murmure.

- Moi aussi j’ai tout perdu ce soir-là…

Un éclair passa dans ses pupilles si semblables à celles de son père et il releva le menton vers lui.

- Tu veux savoir ce que j’ai appris dans la pensine ? Je t’ai vu… Je t’ai vu lever ta baguette sur moi… Je t’ai vu… Le jeune sorcier fut parcouru d’un frisson alors que la lueur du sortilège passait en boucle dans son esprit pendant que le hurlement du petit Sean résonnait, une lamentation sans fin qui le privait lentement de son énergie. Le visage de son père en face de lui se superposait en flashs sur celui de la pensine, les traits éclairés par la lumière du sort, son regard durci par une volonté sans faille. Comment… Je peux pas… C’était…

Incapable de mettre des mots sur ses pensées qui s’émiettaient, le jeune écossais sentit les battements de son cœur partir dans une ruade incontrôlée alors que sa respiration se hachait. La panique le fit transpirer et il se crispa, figé par cette sourde angoisse qui l’envahissait, lui faisant perdre tous ses moyens.

Il avait perdu les sangs sur son fils et il sentait déjà le poids du regard furieux de Betty sur lui même en l'absence de son épouse. Braxton ignorait pourquoi il avait déverser sa colère sur le jeune homme, après un ridicule jus de tomate, après des années à se retenir. Sans doute avait-il espérer avoir une interaction normale avec son fils. Sa récente dispute à la remise de diplôme de ce dernier avec Betty l'avait mis sur les dents.

Le contenu des sacs de Sean s'effondra par terre avec fracas. Braxton regarda une boite de conserve rouler sur le trottoir et le langue de plomb abattit par réflexe son pied dessus pour l'empêcher d'aller plus loin. Son fils, éclata et se répandit en juron, rompant toute l'image du parfait fils à sa mère qu'il s'était toujours efforcé d'être.

Alors que Sean lui lançait des lames en pleins coeur, la seule mention de son oubliette renferma Braxton. Pourtant, si c'était inujuste, d'apprendre que Sean avait été en tension avec sa mère ou d'autres membres de la famille le rassura un peu. Il avait toujours cru que Sean avait un problème avec lui.

"Je te reproche r..." Impossible de couper Sean qui partait en scène et le père décida de ne rien dire.

En voyant son fils éclater ainsi, il se demanda soudain si c'est qu'il ne leur avait pas manqué. Un grosse dispute. Que les choses sortent. C'était pas sa méthode, même si les années avec Betty avait sérieusement émoussé leur sens de la diplomatie l'un envers l'autre.
Il fut incapable de dire quoi que se soit alors que son fils lui crachait presque au visage qu'il avait non seulement cru qu'il avait eu une liaison avec sa professeur, ce qui acheva de le rendre malade. Mais il hallucina alors que Sean explosait en prétendant avoir pris sur lui pour ne rien dire et conserver le peu de liant qu'il y avait dans leur famille.

Quatre mois que le petit pensait bien faire à se torturer dans son coin pour ne frère souffrir ni sa mère ni sa soeur. Quatre mois à lui ajouter l'étiquette de salop en plus d'avoir été son père-bourreau. Braxton était à la fois dégoutté de cette image que lui renvoyait son fils et en même temps saisit de la dévotion extrême dont il était capable.

Braxton aurait voulu lui dire qu'il n'était pas le résultat d'un sortilège foiré, mais plutôt de la plus belle rencontre qu'il avait fait de sa vie, sa mère, et qu'il n'y avait rien de foiré chez ce bonhomme qui avait surmonté des peurs dont il ignorait l'origine en arrivant à son école. Mais il resta muet. Saisi de voir en son fils lui-même, reprochant les exacts mêmes grief à son propre père, Ewan Clearwater. J’ai jamais rien été d’autre qu’une déception pour toi ! Cette pensée l'habitait toujours en repensant à son paternel. Quand est-ce qu'il était devenu cette ombre dure et colérique qu'il avait lui-même connu, dont il avit lui-même souffert ?

Il regarda la panique d’emparer de son fils comme la Lune d’un sorcier mordu. Braxton sortit et esquissa un geste vers lui : "Sean calme-toi..." tenta-t-il de le convaincre, sans aucun succès. Il fallait que ça sorte. Pourtant, Sean était déjà vouté et à bout de souffle, mais continuait à déverser ce qu'il potait sur le coeur.

Sean acheva de le taillader de l'intérieur. Il était bien loin d'avoir tout perdu puisque son fils avait survécu cette nuit là. Sean s'était forgé un véritable tissus de connerie qui l'effraya, le mit en rogne. Un éclair de défi mauvais passa dans yeux, l'accusant avant même d'avoir prononcé un mot. Sur le bord de la crise d'angoisse, Sean n'avait aucune difficulté à le presser psychologiquement comme un vieux fruit.

Sean bloqua. Ce même souvenir, cette chose qui lui pourrissait la tête, ses pouvoirs, sa vie de puis ses six ans. Braxton n'était pas psychomage, mais il n'avait pas besoin d'un MULOT dans le domaine pour en tirer la conclusion suivante. Sean déraillait dans sa propre mémoire. Dans le labyrinthe, ou peut-être le gouffre qu'il avait créé il y a douze ans en pensant le protéger.

Ewan Clearwater aurait certainement demandé à son fils de ramasser ce merdier et de grimper à l'étage. Il aurait crié avant de se radoucir, de jouer au père qui veut bien faire à qui on pouvait pas reprocher l'intention. Braxton s'était souvent demandé quel genre de père il voulait être pour ses enfants. la réponse avait été relativement invariable : l'inverse de son propre père. Quel échec, à voir son propre fils lui jeter ses mêmes mots au visage.

Braxton regarda ce visage blême, sans expression et détourna la tête, ferma les yeux dans une expression de douleur avant de poser un genoux à terre. Il ramassa une boîte, un paquet de nourriture, puis un deuxième et commença à rassembler les courses. Il leva un coup d'oeil vers son fils. Son père à lui l'aurait giflé. Pour son bien. Mais ça, si Braxton avait oublié son fils, jamais il n'avait levé la main sur lui.

Piètre spectacle d'un jeune homme suffocant supporté par sa version plus âgée, barbue, vêtue d'une atroce chemise de touriste, ramassant des courses.

"Je te ramène en haut." déclara Braxton. Il se releva, ne dépassant toutefois pas son fils en hauteur. "Prend ton temps..." dit-il d'une voix calme. Car il ne pouvait pas le transplanner en plein milieu de la rue.

Braxton, prit son fils sur son épaule, dompta l'interphone et lui fit franchir les escalier en lui parlant doucement. Avec de simples "attention à la marche. On y va. Sean, un pied devant l'autre." Le petit était trop faiblard pour lutter.

Braxton ouvrit la porte de l'appartement et déposa Sean sur le canapé. Machinalement il décoinca le coussin d'un des accoudoir pour lui déposer près des bras et fit de même avec la couverture. Parce que Sean faisait les mêmes choses depuis qu'il avait six ans.

Braxton s'écarta, et s'apprêtait à quitter la pièce, mais au lieu de laisser Sean seul, il se laissa tomber dans un fauteuil en face et fixa le vide. Il triturait son alliance, nerveux.

Une déception...

Il savait qu'il aurait du proposer à Sean de lui ramener un jus de fruit ou n'importe quoi, quitte à ne pas avoir de réponse. Mais Braxton, chose rare, tout en se trouvant bien sot, se vit lui-même, avouer d'une voix chancelante :

"Quand j'avais 20 ans... j'ai dit à peu près la même chose à mon père..." Il ne jeta pas un regard à son fils alors que l'observation de la table basse semblait à travers ses yeux sombres devenir une véritable pensine. "Six mois après j'ai..." Il se tut.

Le langue de plomb laissa sa tête dodeliner avec lourdeur, main croisée et regard rivé sur la moquette. Il était loin ses vingt ans. Loin de la seule fois de sa vie où il avait essayé d'être l'homme que son père voulait voir en lui. Un type comme Jameson.

"Je sais que tu t'en fiches, là, maintenant tout de suite, et peut-être même de manière générale... "

Braxton jouait avec son alliance, faisant légèrement friser le charme qui cachait ses cicatrices les plus disgracieuses. Il se sentait soudain découragé de parler avec son fils. Braxton soupira. Un salop. Il n'était qu'un salop aux yeux de son fils.

"Tu m'as vu hein...?" dit-il après une minute, une fausse ironie dans la voix. Il se mordit la lèvre, cherchant les mots, accusant toujours le coup de ceux qu'il avait reçu. "J'ai jamais été doué pour parler Sean. Tu me connais. C'est pour ça que y a tellement de choses que je voulais te montrer..." dit-il, s'exprimant au passé, devant cette aide qui était jetée définitivement aux ordures.

Sean ne savait rien, rien de cette période, de l'avant, de l'après, pas même une infime partie de l'iceberg, et il se comportait comme s'il savait l'essentiel. Bien sûr que la pensine ne lui avait pas montré les semaines, où il avait dormit avec Betty et lui. Les après-midi à tester le moindre objets ou jouets dans sa main pour se rendre compte de ce que son fils avait oublié. Tout cet amour rompu, cette relation si chère attaquée à la machette et laissée en lambeau. Seul Betty et Maggie savait à quel point il avait essayé de la réparer. Avant de tomber de plus en plus souvent sur ce regard effrayé, éteint, lorsque Sean posait les yeux sur lui.

Comme lui dire que @Milo Clearwater avait lui aussi été oublietté et des tas de gamins pendant la guerre. Qu'il n'était pas un cas isolé.

"Ça va pas très bien avec ta mère en ce moment Sean, je suis désolée de t'avoir crié dessus... " s'excusa-t-il en un aveu soudain.

La crise de panique le saisit brusquement, comme un coup dans l’estomac, le pliant presque en deux. Plus il tentait de se calmer - agonisant à l’idée d’apparaître ainsi devant son père - plus Sean se perdait dans sa propre angoisse, peinant à respirer convenablement. Son père l’observa avant de se détourner, sans doute dégoûté devant ce pitoyable spectacle. Se contentant de ramasser les courses au sol, il finit cependant par se relever auprès de son fils, lui proposant son aide pour le faire rentrer chez eux. Sean n’avait pas le choix que de s’appuyer sur son père comme un noyé s’accrochait à la bouée qu’on lui lançait pour l’aider à garder la tête hors de l’eau.

Le bras sur l’épaule de son père, il sentait sa présence si proche de lui et pourtant étrangement éloignée comme effacée à travers un épais brouillard. Pourtant, sa chaleur, son odeur lui étaient si familières qu’elles effaçaient peu à peu la brume, l’aidant à voir les marches devant eux. Sa voix grave, rocailleuse, était comme un chant à son oreille, lui rappelant la force du tonnerre un soir d’été mais aussi la sérénité des vagues venant d’échouer mollement contre le sable humide. Le bras de Sean se raffermit faiblement autour du cou de son père. Il avait besoin de lui pour avancer. Il avait encore tant besoin de lui que c’en était douloureux.

Enfin parvenus dans l’appartement, Braxton aida Sean à s’allonger dans la posture qui lui permettait au mieux de se calmer. Le souffle du jeune écossais revenait lentement, permettant à son cerveau de retrouver l’oxygène nécessaire pour fonctionner normalement. Sous ses paupières fermées repassaient en boucle les images de la Pensine, mais ces dernières lui semblaient de moins en moins terrifiantes. De monstre sans coeur, son père redevenait ce père attentionné lui apportant coussin et couverture. Une larme coula sur la joue de l’étudiant alors que le Langue-de-Plomb s’éloignait. Il avait tant besoin de son père… Cette vérité le heurtait violemment. Tant qu’il était à deux doigts d’attraper la manche de son père pour le supplier de rester avec lui, comme lorsqu’il était un jeune garçon. Sa fierté le retint au dernier moment - ou bien peut-être n’était-ce que la force de l’habitude.

Mais Braxton ne partit pas bien loin, s’échouant dans un fauteuil à côté de lui. Père et fils restèrent silencieux un moment avant que le patriarche ne prenne la parole, difficilement, révélant le poids que les paroles de Sean avaient eu sur lui. Elles l’avaient renvoyé au souvenir de sa propre relation à son père et la culpabilité teintait ses mots. Ses phrases s’arrêtaient avant même qu’il ne les finisse, rendant leur sens assez obscur. Il n’avait jamais été à l’aise avec les discours, s’excusait-il regrettant que Sean lui refuse d’autres moyens pour communiquer. Sean l’écoutait attentivement, respirant lentement alors que ses yeux se rouvraient sur cette réalité. Quand enfin Braxton évoqua ses liens détériorés avec sa mère - s’excusant de son attitude - le jeune Clearwater ne put que refermer les yeux, posant sa main sur son front pour cacher son visage peiné.

Son père lui apparaissait soudainement bien faible, comme si c’était lui qui était allongé sur le canapé à tenter de retrouver ses forces. Il semblait perclu de remords, bercé par des souvenirs plus ou moins heureux, et blessé par un bien plus cruel présent dont la lame s’insinuait lentement en lui sans qu’aucun sortilège ne puisse l’en protéger.

- Tu ne ressembles pas à seanair, lui murmura faiblement Sean en parlant de son grand-père. C’était vrai - que cela plaise ou non à son père. Il n’avait ni la prestance ni la froide posture de ce grand-père écossais qu’ils avaient tous tant adoré mais également un peu craint. En tout cas pas pour moi, compléta-t-il en songeant à ce lien si étrange et pourtant si fort qu’il avait avec son père. Est-ce que Braxton avait également ressenti ce torrent d'émotions devant son propre père ? Ce singulier amour qui ne savait comment se manifester et finissait par détruire tout ce qu’ils tentaient difficilement de construire.

- Pour maman et toi… Que pouvait-il dire ? Il s’attendait à cette sentence depuis tant d’années qu’il était à présent inattendu d’entendre enfin ces mots. Et pourtant, la douleur qu’ils créaient était bien réelle. Le secret espoir de voir sa famille enfin réunie commençait à voler en éclat. Pourtant il y avait encore de l’amour entre eux, Sean en était persuadé. Il fallait croire que là encore, tout était bien plus compliqué que ça. Avec peine, le jeune homme s’appuya sur l’assise du canapé pour se redresser lentement, s’affalant à moitié contre le dossier pour observer son père. Ses yeux sombres étaient enfoncés dans un visage si blême qu’il en semblait cadavérique. Je suis désolé…

Il comprit la pertinence de ses mots au moment où il les prononça. Il était en effet désolé. A la liste de ce dont ils avaient dû faire le deuil venait s’ajouter le pire des drames. C’était terrible. Et pourtant, inhabituellement, Sean parvint à passer au-delà de sa propre peine pour s’apitoyer sur celle de son père. Peut-être était-ce dû à la détresse qu’il affichait si honnêtement… Mais soudain, les yeux de Sean s’agrandirent d’effroi alors qu’il découvrait de nouvelles cicatrices qui avaient broyé le visage de son père.

- Papa !…

Elles disparurent bien vite alors que ce dernier repositionnait son alliance sur son doigt. C’était trop tard. Sean s’élançait vers lui, oubliant ses jambes coupées. Ses muscles ne le portèrent pas longtemps et il s’agenouilla au pied du fauteuil de son père en s’appuyant sur son accoudoir pour ne pas tomber.

- Ton visage… commença-t-il sans pouvoir poursuivre. Sa gorge serrée ne lui laissa pas le loisir de finir sa phrase. Devant les traces des blessures de son père, ses yeux s’embuèrent alors qu’il eut soudainement la nausée. Sa vive émotion était en partie un contre-coup de sa crise, mais pas uniquement. Le poing serré, le jeune homme baissa le visage alors que le sang battait douloureusement le long de ses tempes. Il y avait tant de choses qu’il ignorait sur son père. Même s’il parvenait à récupérer ses propres souvenirs, Braxton resterait un vrai mystère pour lui. Pourtant pour la première fois de sa vie post-oublietté, ce dernier ne demandait qu’à s’ouvrir à lui.

- Laisse-moi le temps… Un jour je serai prêt pour ce que tu veux me montrer… Un jour je voudrai savoir.

TW: Déroute conjugale, légère allusion à des fantasmes.

"Non." C'était le moins qu'on puisse dire. Il étira un court minuscule rictus, tristement ironique. Souvent les jeunes du clan avaient pu le comparer à lui. Dans une moindre mesure. Il était devenu auror comme son père, par la force des choses, tandis que  @Jameson Clearwater avait curieusement prit le chemin de la recherche.
Comme toi, pensa-t-il si fort en regardant son fils. Sean ne pouvait pas le renier et lui encore moins. C’était son fils au même titre que  @Eleanora Clearwater était bien sa fille, tête en l’air et singulière... Ses deux enfants étaient si différents, si "eux-mêmes", et pourtant lui ressemblaient chacun d’une manière bien différente. Si Eleanora avait ce côté papillonnant et têtu qui l’avait caractérisé plus jeune. Sean, au contraire, avait l’esprit cartésien de sa mère, son sérieux et cet appétit pour les tâches longues, la gratification intellectuelle. Cette satisfaction à remplir les attentes. ... Et au revers de cette pièce, ce côté doux, et sensible qui touchait Braxton en plus profond de son être. Qui lui donnait envie de lui dire en permanence “Je sais. Moi aussi. Soi toi-même et n’écoute personne. Ne change pas, tu seras parfait comme tu es."

Braxton, gêné quand Sean voulu statuer sur sa relation avec sa mère (@Iris Faux-Orpin), lui adressa un regard encore plus désolé, et secoua la tête sans le quitter des yeux.
“Non… ne te…” Il soupira. Sean était grand. Quand bien même, cela faisait parti des règles. Ne pas parler à son enfant comme à un ami. Ne pas le mêler aux affaires de couple.

Quand Sean lui annonça être désolé, la sincérité de son garçon l’écrasa complètement. Que savait son fils, sa mère lui avait-elle parlé ? Bien sûr que non, mais ces pensées s’échappaient toujours toutes seules. Mais que son fils paraisse aussi résigné et défaitiste par rapport à l’état des lieux du couple de ses parents le dévasta en partie.

Braxton se prit le visage dans les mains pour effacer son trouble et le malaise qui le rongeait à l’intérieur. Se retrouvant à prier soudainement pour que Betty rentre. Envoyer Sean dans sa chambre se reposer. Faire couler un bain chaud pour elle, juste avant qu’elle rentre. Faire de même avec sa tisane préférée. La regarder commencer un livre, ne pas toucher à la tasse et s’assoupir avant d'avoir finit sa page. La regarder béatement dormir, aller préparer le repas pendant que tout le monde se repose. Proposer aux gosses de sortir dans Édimbourg ce soir. Réserver au chaud le repas. La rejoindre dans la chambre, puis sous les draps. S’assoupir auprès d’elle, lui murmurer des mots d’amour dans la douce paresse de la chambre. Ne pas reparler de la cérémonie. L’embrasser. Lui faire oublier. Et descendre, descendre, descendre… Faire tendrement l’amour avec elle en silence.

Il n’y aurait rien eu de tout ça. Il lui aurait demandé bêtement comment c’était passé sa journée. Elle se serait à peine posée sur le canapé avant d’apprendre pour Sean, se serait inquiétée en moins de temps qu'il lui faudrait pour dire "Attends, il va bien" et serait allée voir son garçon dans sa chambre. Elle aurait fait la maman, lui aurait passé la main dans les cheveux avec amour avant de s’en aller s’occuper de cuisiner un de ces plats préférés. Elle aurait défait ce qu'il avait commencé. Et lui se serait retrouvé dans un coin. À la gêner plus qu'autre chose.
Jamais il n’aurait pu ne serait-ce que tenter d’aller amollir ses résistances par les sens. Il en rêvait furieusement. Tendrement. Mais ce n'était pas sa manière de faire. Et son regard dur et distant, évitant, qui lui donnait un frisson dans le dos, semblait lui dire à chaque instant “Pas la peine. Et d’ailleurs, rappelle moi ce que tu fais ici ?"
Tout ce qu’il était capable de répondre avec les yeux était : "Je t’aime. Je suis doux. Ne me fais pas mal s’il te plaît.”

Il ne pouvait que rêver ce cette réconciliation facile et durable. Braxton était habitué à que ce que son coeur désirait ardemment plus que tout lui échappe. Il regardait ce puzzle de paille et ce demandant laquelle tirer en douceur pour ne pas faire effondrer le mikado de leur relation.

Il aurait croisé les mains, s’en serait allé dans le salon, avec une tasse fumante puis froide, toujours aussi pleine. Yeleen serait rentrée. Elle l'aurait soit fui, soit serait sentie obligée de tenir la conversation, jusqu’à que ces regards irrépressibles vers la chambre de Sean deviennent difficilement ignorable pour eux deux.

Braxton continuait de nerveusement jouer avec son alliance, dévoilant un visage marqué, balafré, que le charme de son alliance avait été chargé de camoufler depuis des années à sa petite famille.

La voix, ou le presque cri rauque de Sean, poussé avec le peu d’air qu’il arrivait à avaler, le tira de la spirale de ses pensées. Son fils, tétanisé sur le canapé, s’était jeté au sol.

Braxton passa une main sur son visage, sentant les aspérités des cicatrices révélée par l’absence du charme.

L’arrête du nez, pommettes, sourcils, et même sa lèvre supérieure droite se trouvaient balafrés. Son oreille droite affichait même un cartilage disparu avec un sortilège. Ces drôles de trou au dessus de sa clavicule marquant son passage de goûter chez les vampires.
Ses mains et ses bras en avaient une belle collection. Partis en mission, ces blessures étaient restées trop longtemps avant d’être soignée efficacement et de disparaître. C’était la marque de sa propre négligence, parfois sa malchance ou au contraire, sa bonne fortune puisqu’il était encore debout.
Des larmes de phénix aurait pu lui redonner bonne figure. Mais Braxton préférait garder son salaire de côté pour ses enfants et Betty, si jamais il lui arrivait quelque chose.

Braxton, pris en flagrant délit de détresse, se fustigea : il rompait toutes les règles. Ne jamais les inquiéter, ne jamais les laisser voir. La main portée à sa joue, il fut emportée par le regard larmoyant de son fils. Son petit garçon. Braxton fut soufflé par un vent de soulagement et une calamité.

Fallait-il provoquer chez lui la pitié ? Était-ce là de la reconnaissance ? Celle dont il avait rêvé ? De l’amour ? Fallait-il que les choses soient visibles physiquement pour qu’on l’écoute enfin ? Les "papa" étaient si rares qu'il en sursauterait presque à chaque fois.

Son premier réflexe fut de protéger son garçon. Il ne voyait pas son visage, couturée de bataille et d’accidents dont il avait été miraculée. Il ne voyait que la torpeur et la tristesse dans les yeux de son enfant qui ne méritait pas d’exister. Il tendit les mains pour l'empêcher de tomber, fébrile comme il l'était, et recula du pied la table basse avant que son fils ne tombe dessus tête la première.

Sean, s'accrocha à lui, pétrifié, et s'empressa de bredouiller de lui laisser le temps. Qu'un jour il voudrait voir. Une vanne d'émotion dont il ignorait l'existence s'ouvrait à grand eaux chez lui et menaçait de l'inonder de l'intérieur

Braxton resta pantois. Ébranlé, il avait rêvé de ses paroles ces derniers mois. Avant son rêve avait été que son fils n’ait jamais à les dire. Si Sean lui annonçait qu’il allait être père à son tour, le choc aurait été peut être moins violente que cette semi délivrance. Cloué par l'émotion, ses mains sérrèrent le tissu de son sweet.

“Sean…” souffla-t-il, alors qu’il se penchait sur le fauteuil pour envelopper son fils à genoux à ses pieds de ses grands bras balafrés. Il le serra contre lui, un peu trop fort et se força à lui laisser de l'air. Ses bras tremblaient. Sa joue rugueuse vint gratter la peau rasée de près de son fils, aussi peu barbu que lui à son âge.

Qu’est-ce qu’il avait fallu pour en arriver là? Braxton ne parvenait pas à s’expliquer ce qui se passait dans la tête de son fils. Il repensait à Eleanora, qui extériorisait autrement son mal-être, à embraser des feux de camp dans chambre et à cumuler les originalités de plus en plus improbables.

Son petit garçon ne le haïssait finalement pas. Pas entièrement. Une rivière de larme se pressait à ses yeux, se transforma en torrent intérieur qui l'ébranla tout entier. Quand tu voudras, voulait-il lui dire. Mais ces mots ne franchir pas ses lèvres. Ils étaient déjà présent entre eux. D'autres s'échappèrent :

"Je suis si fier de toi mo luran¹ " Braxton expira une respiration tremblante et pressa son fils contre lui. "Mo laochain.² "

Sean avait affronté plus de démon qu'il ne le pensait. C'est un gentil garçon, adorable, qui avait juste dégusté malgré lui et beaucoup trop tôt. Et pourtant l'avenir s'ouvrait malgré tout devant lui. Braxton l'enserrant, songea que son fils aurait un futur, une vie, équilibrée avec de grande chance. Il exaucerait les voeux de son père en se contentant d'être heureux dans ses bottes et d'être quelqu'un de bien.

Sean avait largement mérité son titre de guerrier aux yeux de son père. Il s'était battu tout seul sans le savoir, et Braxton, toujours économe et maladroit, songea que son fils n'avait qu'à traverser la route pour le trouver. Une reconnaissance immense le noyait de l'intérieur et se lisait dans ses yeux.

"Je serais là a sheòid³ ..." murmura-t-il d'une voix tremblante et émue alors que des larmes finissaient par rouler dans le cou de son fils.

Au lieu de le relâcher, il garda ses bras autour de lui, dans l'étreinte la plus longue de l'histoire de leur relation depuis un fatidique jour d'été dix-sept ans plus tôt où il avait levé la baguette sur son fils. Un bonheur rare envahit Braxton, qui oublia ses balafres, sa femme et ses inquiétudes. Il se sentait redevenu père par l'adoubement de son fils et prêt à bouger des montagnes et détourner des rivières pour son petit garçon devenu si grand. Et prêt à se tenir à côté de lui. Si Sean se sentait prêt à revenir sur cet horrible effacement qui, Braxton le réalisait, avait peut-être laissé un vide à l'intérieur d'eux deux.

Tout ce qu'il aura fallu pour qu'il réalise qu'il était là avec lui et pas contre lui, songea-t-il, tout en gardant à l'esprit que ce genre de chose va et vient avec les enfants. Braxton chassa cette pensée et respira. Profondément, et remplit ses poumons d'un air nouveau. Plus pur, plus frais et le fit se sentir présent et entier depuis la première fois depuis de nombreuses années.

¹ mo luran : my pretty boy
² Mo laochain : my little hero
³ a sheòid - my hero, valiant warrior
https://omniglot.com/language/endearment/gaelic.htm

Ses propres mots ébranlèrent Sean jusqu’au tréfonds de son âme. Il se figea en s’entendant parler - croyant à peine à ce qui venait de se passer. Est-ce qu’il avait vraiment annoncé à son père vouloir revivre l’expérience de la Pensine ? Et pourtant, les marques de son visage à moitié arraché lui avaient coupé le souffle. Le vrai visage de son père... Dire que celui qu’il avait eu toutes ces années sous les yeux n’était qu’une illusion… La pensée que son père pourrait très bien un jour ne pas revenir de l’une de ses dangereuses missions et disparaître soudainement, emportant tous ses secrets avec lui, avait suffit à Sean pour mettre sa fierté de côté. Mieux valait un souvenir - même désagréable et tronqué - que pas de souvenir du tout. Cela ne changeait rien à son désir de retrouver un jour ou l’autre son propre passé. Il récupérerait tout, et ne reculerait devant rien pour cela.

Toutes ces pensées avaient à peine eu le temps de frôler son esprit que les mains de son père avaient attrapé son pull avant de l’attirer à lui pour le serrer dans ses bras. La première impression de Sean fut un malaise inexpliqué. Les contacts physiques avec Braxton s’étaient révélés de plus en plus rares - les deux derniers ayant suivis l’une de ses crises de panique. Fallait-il à chaque fois en passer par ce si pitoyable état pour attirer l’affection de son père, comme dans un vulgaire piège ? Mais les mots de son père - si difficilement prononcés à son oreille - le firent se figer sous son étreinte.

Je suis si fier de toi mo luran… Mo laochain.

Sean sentit sa mâchoire se crisper avant de trembler violemment. Ses bras se serrèrent à son tour contre son père alors que les mots de ce dernier résonnaient dans son esprit. C’était comme si un immense poids venait de s’envoler de ses épaules. Maintenant qu’il les entendait, le jeune homme avait l’impression de les avoir attendus pendant aussi longtemps que sa mémoire lui permettait de se souvenir. Braxton était fier de lui. Était-il sincère, ou ne réagissait-il qu’à l’émotion du moment ? Peu importait à vrai dire. Ces mots s'imprègnent en Sean comme la caresse des rayons du soleil pouvait haler une peau. Un instant, la petite tête de de Drocha apparut derrière ses paupières si fermement serrées, et un sentiment d’allégresse l’habita.

Son père ne le relâchait pas, semblant montrer par la force de ses bras qu’il serait toujours là pour lui. Ses mots lui soufflaient la même chose, toujours à son oreille.

Je serais là a sheòid.

Son héro. Son guerrier valeureux… Il était fier de lui…

Alors, enfin, Sean sentit les larmes percer le rempart de ses paupières et glisser lourdement le long de ses joues. Dans ces larmes, il y avait tout le désespoir de ne pas être à la hauteur, les heures passées à s’entraîner, à s’occuper de sa mère et de sa sœur, à craindre ne jamais réussir à échapper à l’étiquette du garçon fragile et sensible qu’on lui avait attribué. Ces désagréables pensées glissaient hors de lui, le faisant se sentir fort, presque invincible. Ce n’était pas exactement ses démons qui le quittaient, mais plutôt lui qui avait la sensation qu’il arriverait de plus en plus facilement à vivre avec.

Tout n’était pas gagné pour autant. Les mots précédemment crachés par son père étaient encore là, comme des lames ayant éraflé son cœur.

Je sais pertinemment que tu suivras pas la moitié de mes conseils. Tu veux juste pas de moi Sean.
T'es plus un gamin. Tu regrettes un parrain mort que t'as jamais connu. Moi j'ai perdu mon frère ce soir-là.

Alors, le garçon se détacha de son père, essuyant maladroitement ses yeux humides pour tenter de faire disparaître ces traces de sensiblerie qu’il détestait montrer. Le spectre immense de ses émotions éparpillées le rendait fiévreux. Et pourtant, il savait à présent qu’il s’en sortirait. Avec le soutien de sa famille. Avec l’amour de @Yeleen Sô. Avec l’affection et la fierté qu’il lisait dans le regard de son père. Lentement, le chaos qui l’habitait se calma, ne laissant en lui qu’une fatigue sur le point de le submerger. Une envie du repos auquel il aspirait depuis si longtemps. Sa main se posa sur le bras de son père alors qu’il se relevait.

- J’ai besoin de repos, je vais me coucher une petite heure. Merci… pour aujourd’hui…

Il n’avait pas besoin d’en dire plus. Braxton et lui n’advient jamais eu besoin d’en dire beaucoup. Il suffisait de dire l’essentiel. Leur attitude, leurs gestes, leurs regards clamaient le reste. Alors c’était sans regret qu’il se détourna de lui pour rejoindre sa chambre.