Gallion détourné Braxton - Kathleen

@Kathleen J. Jones

Braxton, le 15 juillet.

La tête dans les mains, assis sur son lit d'enfant, il a ait fait rouler longtemps le gallion entre ses doigts avant de se décider. D'un côté, il y avait Betty et Jameson. La lourdeur de la culpabilité. Et de l'autre, il y avait le récit de son frère.

Elle avait transplané avec le loup pour sauver sa famille.

Le souvenir du chat ensanglanté ne l'avait pas quitté. Il n'était pas retourné à Saint-Mangouste, pris dans les recherches. La vision de Jameson l'avait hanté. Malgré l'horreur absolue de connaître les moyens de ceux qui retenait son fils. Son fils était vivant. Torturé, mais vivant.








Il avait envoyé ce premier message, laissant parler ce qui lui encombrait le coeur. Puis lentement, un pincement au coeur, il avait tendu l'oreille pour savoir des pas ne se rapprochait pas de sa chambre, et avait fait rouler les symboles. Incertains. Faisait-il la plus monstrueuse des bêtises ?

Personne ne comprendrait et personne n'avait à savoir, à donner son avis. Elle avait failli donner la sienne de vie.

@Braxton Clearwater

Le 16 juillet,

Jinx était sortie d'affaire. Plus exactement, sortie de Sainte-Mangouste. Comme un félin discret, elle en était sortie sur la pointe des pattes, après avoir vu avec la medicomage ce qu'il en était de son dossier.
Outre sa cicatrisation spectaculaire, rien. Elle serait peut être convoquée par @Gabriel Standford plus tard, si l'enquête le demandait.

Face aux voitures et à la route, Jinx était restée quelques secondes en silence. Perdue. Profondément perdue.

Il lui semblait qu'elle ne pouvait rien faire. Ni pour aider, ni pour s'aider. Face à ce vertige existentiel, elle avait fini par baisser un peu les bras.

Si elle ne pouvait rien faire, dans le sens où elle était à la fois trop faible et vulnérable pour, que voulait-elle faire à défaut ?

Rentrer à la maison.

@Sean Clearwater voulait probablement faire la même chose sans le pouvoir, si les Clearwater ne l'avaient pas déjà trouvé.

Rentrer à la maison sonnait quelque peu faux cela dit.

Avait-elle une maison ?

Elle avait eu une chambre.

D'un air maussade, Jinx tira de sa poche sa pièce. Elle était belle, brillante, mais surtout elle avait changé. Elle resta quelques secondes à en regarder les lettres, se demandant un instant si elle rêvait ou si c'était encore le fruit d'une imagination trop fertile...

Son petit coeur de mot à battre vivement dans sa poitrine.







Elle laissa de côté le fait d'aller bien ou moins bien.

Au fond, qu'est ce que ça changeait si elle n'allait pas si bien que ça ?
Et lui ?
Comment allait-il ?
Est-ce qu'il lui en voulait ?

Sa gorge se serra un peu.

Le 16 juillet,  @Kathleen J. Jones

Braxton s'était étendu sur le lit, bras croisé devant les yeux. La poussière de la chambre avait toujours la même odeur, celle du temps qui passe en plus. Le très léger son du gallion, fit frémir ses oreilles, habitués au timide manifestation de Dorcha la chauve-souris. Comprenant qu'il s'agissait bel et bien de sa pièce, il se redressa derechef sur le petit lit et l'attrapa pour le lire.

Sa main trembla. Il ne savait que penser l'optimisme de Jinx. Elle les connaissait, du moins pensait-il...

Il glissa un regard au réveil mécanique. 18h50. Deux jours et une heure depuis le dernier signe de vie de  @Sean Clearwater.

Un frisson d'effroi le prit en repensant à leur découverte. La Cage d’Iorffe...
Il avait demandé à  @Jameson Clearwater de ne rien dire à Betty. C'était trop. Un fils enlevé était déjà assez. Un fils enlevé et torturer c'était autre chose.

Il était fort son Sean. Il n'en doutait pas. C'était peut-être mieux que la torture physique, songea-t-il, se sentant lui-même stupide. Il n'y avait pas mille solution pour se tirer de l'effroi irréel que cette découverte lui provoquait.

Après plusieurs minutes, Braxton se reprit, trouvant une ancre en la personne de Jinx. c'était stupide et désespéré. L'avait-elle déjà aidé ?

Elle avait poignardé et transplané. C'était la deuxième fois. Il fallait attendre la dernière des secondes pour qu'elle agisse. Sean était torturé. Cela faisait parti de ses situations ?

Braxton se persuadait qu'elle pouvait aider. Dix ans que cela traînait, entre espoir et renoncement. Il avait fait un trait dessus avant qu'elle resurgisse dans son esprit comme la matrone des espoirs fous.


S'il te plaît.

Le poing serré autour du gallion, il appuya son front, priant des dieux qu'il ne connaissait même pas.

@Braxton Clearwater

Le 16 juillet,

La réponse fut presque immédiate, pour un message dont elle ne savait pas vraiment la date.
Un petit sourire peignit ses lèvres, malheureusement balayé par le message suivant.

Toujours debout sur le trottoir, avec ses fringues du soir du crime rafistolé ici et là, Kathleen n'était plus vraiment Madame Jones. Juste de nouveau Jinx. Jinx les mauvais choix. Jinx les embrouilles. Jinx qui n'arrive à rien.

Elle soupira, faisant tourner le gallion entre ses doigts.

Son coeur se fendit de nouveau à l'idée que le garçon soit encore là bas et vivant. Elle savait très bien ce dont était capable Ryan.







Demande moi ce que tu veux.

@Kathleen J. Jones

Le 16 juillet,

La réponse brisa la surface miroitante en un battement de cil. Son coeur bondit.

Il allait répondre, réfléchissant

Le chat. Elle ne lui avait jamais dit pour le chat.

Elle avait menti.

Elle avait laissé des semaines sans rien dire.

Mais elle avait sauvé sa femme.

L'énigme Jinx roulait dans sa tête. D'autres questions arrivaient. La sureté, la sécurité autour d'elle.

Il entendit des pas dans les escaliers. Brax posa le gallion dans le tiroir de la table de chevet sauvagement taillée à la hache, et la porte s'ouvrit sur son épouse.

Betty.

Il se redressa sur le lit. Le petit lit qui les avaient paradoxalement connu eux deux, à un âge reculé, tendre. Un peu comme un enfant prit en flagrant délit, il lui adressa un regard penaud. Mais sa liste à lui, aurait par sa longueur pu rallier la route d'Edimbourgh à Gallway. L'avait-elle vu ? Son regard lourd de reproche ne faiblissait pas. C'était presque peu important.

Il soutint son regard alors qu'elle le toisa assez fort pendant de courte secondes pour que le temps deviennent aussi pesant et relatif. Elle le prévint que @Fergus Clearwater était arrivé, quittant Saint-Mangouste en compagnie de @Solvi Nibelungen. Braxton souffla, le poids de la vie de ces deux là allégeant ses épaules, l'hypothèse de leur mort demeurait suffoquante sur sa conscience.

@Jameson Clearwater s'était avéré efficace et rapide, parvenant à trouver une trace de Sean face aux runes. Que ferait Jinx, avec son serment sur les bras et la langue, blessée comme un chat sur le bord de la route.

Braxton, se sentit misérable. Il avait failli, encore, et se demanda d'où lui venait cette obsession que Jinx pouvait faire quelque chose. D'où lui venait cette croyance que cette vieille gamine avait le pouvoir d'arranger quoi que se soit ?

Comme un péché non confessé, Braxton, s'infligea le regard de sa femme, réclamant son châtiment mérité. Il se redressa silencieusement sur le bord du lit et ses jambes, et la remercia à voix basse. Debout, le front de sa petite femme lui arrivait bien en-dessous des clavicules. Il baissa les yeux vers elle, doux et coupable, comme un chien cherchant à l'apaisement chez sa maîtresse. Il savait que ces mots viendraient. Durs, crus, irrémédiable. Dont ils ne se releveraient peut-être pas.

La vision de ses points de suture à son visage était autant d'aiguilles percées dans sa propre chaire, ravivant le volcan fulmineux en lui. Envers lui. Plus jamais, s'était-il juré, sur son lit à Saint-Mangouste. Cela équivalait presque à un serment sur un lit de mort. À peu de chose que sa femme était là pour le regarder fléchir comme tomber, et qu'il lui était impossible d'échoir à cette promesse.

C'était un peu pire que des voeux de mariage.
Qu'elle avait été belle, devant l'autel de pierre de ses ancêtres, dans sa robe longue et ses cheveux piquées de fleurs. Qu'il avait été sot, d'oublier leurs fiançailles, de ne pas la redemander en mariage, comme la tradition l'aurait voulu. Les temps avaient été terribles, mornes, même après les accalmies. Et Betty, amoureuse, espérante, avait cru le tirer de là. Et maintenant Betty, devenue son épouse, pas si amoureuse peut-être, cette crainte permanente le ravageait de l'intérieur, certainement pas heureuse, manquant de frôler la mort, mère d'un fils enlevé, subissant dans l'ignorance des sévices qu'il avait préférer lui cacher.

Sa gorge se serra. Alors qu'il avait juré de ne plus rien lui cacher, combien de temps lui avaitil fallu pour rompre cette résolution ? Moins de quelques jours. À quoi servait de torturer la mère, à penser au fils. Encore une fois, Braxton se sentit déchirer par la culpabilité. Dévasté de voir la preuve de ses promesses tenu si près de coeur, parti si vite dans les airs. Et pourtant..

Betty. Et ses cicatrices qui finiraient par partir, en surface. Ce grand pansement, sécurisant sa carotide, lui faisait le pire collier qu'il aurait pu lui offrir de toute leur vie. Tout chez elle, le renvoyait à sa terrible responsabilité, au caractère pitoyable de l'époux qu'il avait été pour elle.

Le gallion n'existait plus. Oublié dans le fond de ses tiroirs, la clé jeté en dehors de son crâne, Braxton noyait ses yeux dans cette image du résultat de ses années. Betty avait trinqué. Sa Betty avait prit de plein fouet. Il voulait lui dire, tout déballer, lui raconter la moindre de ses missions, retirer cette bague qu'il avait au doigt et lui exposer toutes ses blessures non guéries : ces brûlures, ces morsures, ce morceau d'oreille jamais repoussé, cette balafre qui lui rayait l'oeil jusqu'à lui déchirer la lèvre en pli affreux, toutes ces marques qui lui donnait honte de lui-même, signait les sacrifices qu'il avait fait.

Braxton s'observa lui-même, se demanda dans un éclair de lucidité rare, s'il n'avait pas autre chose à offrir à sa femme que des excuses, des preuves de ses justifications, des traces matérielles de sa propre souffrance, qu'il commençait à peine à exhumer.

Il se dégoûta, se demandant comment son premier réflexe pouvait se résumer à considérer les peines endurées par sa femme pour mieux lui montrer les siennes. Quel genre d'homme il était devenu.

Il y avait une sale bête en lui, qui changeait de forme. Tantôt insecte trottant dans son crâne, lui soufflant des pensées affreuses, lui montrant des chose qui n'existait pas ou plus... Tantôt, c'était le Jormungandr en personne qui lui rongeait les trippes. Qui rongeait sa vie, la leur, leur mariage, leur famille. Le Clan entier, lui aurait sifflé son frère, non sans raison. Le fantôme de Milo et Asel planait toujours.

Il réalisa qu'il en avait envie. Se mettre à nu devant elle, délier ce sortilège qui lui emprisonnait la langue.

Braxton enlaça sa petite femme, encore couverte de suture et de pansement contre lui. Il aurait voulu être le rocher de ses appuis, il avait été l'origine de son âme.

Qu'elle aurait la vie de Betty, sans lui, se demanda-t-il soudainement.

Heureuse. Moldue. Insouciante.

Que lui avait-il arraché, en la rencontrant dans cette supérette qui ressemblait à tant d'autre excepté de renfermé cette jeune fille incroyable qui avait rattrapé sa vie au plus bas. De quoi l'avait-il privé en l'épousant, en l'attachant à lui en jetant dans le monde deux enfants, subissant à leur tour les amours de jeunesse de deux êtres avant eux ?

Betty l'aurait certainement giflé d'aller jusqu'à remettre en cause l'arrivée de leur enfants en ce monde. Elle avait été une mère modèle, mère courage, mère aimante. Elle avait toléré tellement, sacrifié la vie qu'elle avait imaginé pour eux tous.

La seule chose qu'il aurait du poursuivre c'était elle. Betty née Johns, mariée Clearwater, la lumière de ses jeunes années plongée dans l'obscurité asphyxiante des temps troubles.

"Betty." osa-t-il prononcer ce prénom. Court, doux. "Beth." murmura-t-il, comme certains de ses amis l'appelait, à commencer par cette agaçante et inséparable Babs.

"On retrouve Sean et j'arrête tout." lui jura-t-il aux portes du gouffre. Planté contre elle, buvant le vert de ses yeux charmants malgré leur foudre.

"Tout." assura-t--il, dissipant ambiguïté et doutes.

La mort sur la conscience, leur enfant disparu, Braxton voyait enfin le chemin, le seul chemin possible pour eux. À partir de cette seconde, il entamerait son chemin de croix.

Cette promesse là, il allait la tenir. Pour elle.






Le gallion, oublié dans la table basse, ne reçu jamais sa réponse.

@Braxton Clearwater

Le 16 juillet,

Le gallion était resté dans sa main. Comme un objet d’idolâtrie, elle ne l’avait pas quitté des yeux, retenant son souffle en attendant le moment. Le moment se fit attendre, d’abord de quelques secondes qui lui parurent des minutes, puis des minutes qui prirent l’apparence des heures. À chaque d’entre elle, les jambes encore fragiles de Kathleen s’affaissèrent, tombant lentement accroupie sur elle-même, tenant le gallion entre ses deux mains. Tout au creux, juste là. Comme on récolte la pluie quand on est enfant pour y voir les couleurs d’un arc-en-ciel ou simplement pour le plaisir de la boire.


Kathleen observa en silence le gallion et chaque minute chassée par les aiguilles vint chasser d’elle la pointe d’espoir vite remplacée par l’incompréhension, par l’angoisse et puis finalement par ce sentiment amer d’être abandonnée.

Quand elle lâcha enfin des yeux le gallion, la nuit commençait à tomber. Le ciel s’était doucement voilé. Il devait être 22 heures maintenant. Elle jeta de nouveau un regard à l’écu doré, se pinçant les lèvres.

Pourquoi ?

Elle se frotta le front avant de se redresser, sentant la douleur lui remontait le long des guibolles en petits spasmes électriques.

Pourquoi est-ce qu’il ne répond pas ?

La chatte n’arrivait pas à comprendre, repassait lentement les derniers messages. Braxton demandait de l’aide. Sean était torturé mais vivant. Est-ce qu’elle avait dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? Est-ce qu’elle... avait fait quelque chose de mal ? Dans sa tête ça se mit à réfléchir, à se mêler, à s’entremêler, mais rien n’en sortait, ou du moins ce n’était jamais que la même réponse: c’est de ta faute Jinx.

De sa faute.

Ce n’est pas grave, tenta-t-elle doucement de se convaincre, ce n’est pas grave, si je retrouve Sean, peut-être que... oui, peut-être qu’il ne m’en voudra pas, peut-être qu’il sera content? Oui, il sera content, j’en suis sûre... Ma dette sera effacée et on pourra... non, on pourra plus, mais au moins il ne m’en voudra plus, pas vrai ?

Les cloches de l’église plus loin la sortirent de ses pensées.

Douze coups.

Douze coups. L’heure des sorcières.


Le 19 juillet,

Le Marché aux Trolls était bruyant comme d’ordinaire. Le félin noir, lui, n’avait aucun mal à passer inaperçu, sautant de toit en toit, se faufilant à sa guise en évitant le regard alléché de quelques Rois de la rivière venus tout spécialement pour la Fête de la Mer, tenue la veille.
Umi no Hi n’était pas encore bien connu sur le Marché mais l’influence de Tortuga s’y répandait en effluves poissonnières à faire pâlir le Tchoud et ses carcasses démembrés. Influence ou concurrence... tout était bien relatif, mais force était de constater que les devantures s’étaient pour certaines armés de lanternes japonisantes, offrant un spectacle un peu curieux aux habitations de pierre.

Jinx ne s’arrêta pas et termina par reprendre sa forme humaine juste devant la devanture en forme de demi-lune qui, dans un renfoncement aux airs sinistres, éclairait en néon pâlot les alentours. Il n’y avait qu’en période de pleine lune que les néons prenaient la couleur rouge sang.

La chatte ravala sa salive et finalement poussa les deux portes d’ébène en forme de mâchoire qui gardaient la Meute à l’intérieur. Il n’y avait pas besoin de videur ou de maton, parce que le plus grand danger était à l’intérieur. Qui aurait voulu se jeter littéralement dans la Gueule du Loup ?

La petite brune fit quelques pas dans le sas où l’odeur était prenante, un parfum de musc mâle mais aussi de fer et d’alcool. Elle poussa les secondes portes et se retrouva face à la Meute. Petite chatte perdue. Elle fit quelques pas à l’intérieur, tentant d’accrocher un regard mais à chaque fois que ses yeux se posaient sur un Loup qu’elle avait déjà vu ou qu’elle connaissait vaguement, ce dernier se retournait aussitôt ou l’ignorait superbement.

Kathleen eut une petite moue avant de faire quelques pas, les jambes un peu tremblantes sous elle. Ryan devait bien être quelque part dans les environs. Son cœur se mit à battre plus fort, plus brutalement dans sa poitrine, à l’idée de le croiser et en même temps, elle n’avait pas trouvé de meilleur plan. @Braxton Clearwater aurait fait un bond à l’idée que ça puisse seulement être un plan mais il n’avait pas répondu et elle, elle en avait assez de rester à regarder la pièce à longueur de temps, de peur de pas avoir vu sa réponse, de peur qu’il lui dise que finalement, non, c’était pas grave.

Dans le bar, il n’y avait qu’elle et les Loups.
Pas de gallion.
Pas de baguette.
Pas de porte de sortie.

« Excusez-moi... » tenta-t-elle d’une petite voix mais la Louve lui grogna dessus, arrachant sa main de sur sa veste avant de la regarder de haut et de s’en écarter.

Jinx s’arrêta au milieu du bar, avant de comprendre qu’ils n’avaient probablement plus le droit de lui parler. Pas le droit de la toucher non plus, mais pas le droit de lui parler. Un sourire faussement amusé se dessina sur son visage alors qu’il se tordait douloureusement. Est-ce qu’elle allait pleurer ? Encore ? Pour ça ?

Elle baissa les yeux, avant de les relever sur un jeune homme qui passait derrière le comptoir. Ses iris noisette s’allumèrent d’un nouvel espoir. S’il y avait bien quelqu’un qui parlerait, ça serait forcément lui ! Jinx trotta vers ce dernier.

Quand le brun posa ses yeux sur Jinx, il leva aussitôt les yeux au ciel et maugréa :
« Jinx, t’as rien à foutre ici. »
Elle posa ses mains sur le comptoir, comme pour s’accrocher à quelque chose.
« Whiro, j’ai juste besoin- »
« Je peux rien faire pour toi, personne peut rien faire pour toi. Alors maintenant, t’es gentille mais tu décales dans le bar d’à côté avant que tu nous rapportes des emmerdes... »

Jinx eut une petite moue, accusant le coup, alors que le Loup reprit, l’air plus agacé encore :
« Tu fais pas partie de la Meute. Soi déjà contente que personne te tombe dessus. »

La brune tendit la main à travers le comptoir, avant d’attraper le rebord de la veste du Loup. Whiro s’arrêta quelques secondes, jaugeant la chatte, avant de tirer sèchement sa veste. Il prit quelques secondes, le temps seulement pour les autres Loups de détourner les yeux, pour siffler plus bas, d’un air toujours menaçant pour autant :
« Décale Jinx. J’ai des poubelles à sortir. J’hésiterais pas à te sortir aussi s’il le faut... »

Kathleen eut une petite moue avant de détourner les talons, faisant le chemin inverse jusqu’aux portes sous le regard de la Meute qui ne manquerait pas de tout rapporter à Ryan. Enfonçant d’un air rageur ses poings dans sa veste, la chatte contourna l’établissement et alla se poster juste à côté des poubelles, dans l’ombre.

Il ne fallut qu’une dizaine de minutes pour qu’un Loup ne sorte.

La tête brune sortie d’entre les containers, rapidement stoppée par la main du Loup qui l’intima à se taire.

« Jinx, je sais pas ce que tu fous là, mais si c’est Ryan que tu cherches, il est pas là et il sera pas là avant un bout de temps... »

Whiro resta juste à côté de la porte, éclairé seulement par un petit néon blanc pâle. Il coinça entre ses canines une cigarette qu’il avait réussi à extorquer à une serveuse. Dans l’obscurité, Jinx ne brillait que par les deux soucoupes d’or qui lui servaient d’yeux.

« Il est où ? »
« Je sais pas... J’en sais rien » soupira-t-il.
« Est-ce que tu sais c’est quoi sa mission, Whiro ? »
« Jinx, Jinx, je t’arrête tout de suite », le Loup se pinça les sinus entre ses doigts, avant de se frotter la tempe d’un air ennuyé, « je peux rien te dire parce que, juste pour info, on a pas tous le plaisir d’avoir une immunité j’te signale... »

Jinx eut une petite moue, ses sourcils frémissants. Une immunité. C’est vraiment ce qu’ils pensaient, tous ? Que c’était un plaisir d’avoir ce genre d’immunité ? Elle alla pour rétorquer, mais Whiro la coupa.

« J’en sais pas plus, mais conseil d’ami, reste pas là Jinx. » Le Loup recracha une volute de fumée, avant de se gratter la nuque qu’il sentait encore douloureuse des suites de sa transformation récente. « Je sais pas ce que t’as dans la tête mais t’as réussi à partir, il peut rien te faire, alors profite en. Reviens pas à la première difficulté. »

Le silence suivit les paroles, seulement troublé par les musiques qui remontaient en échos lointains et ténus. Kathleen baissa les yeux, un petit instant, avant que relever ses yeux tristes sur Whiro. Le Loup eut un petit sourire triste pour elle, avant de jeter sa clope sur le sol.

« Je peux rien faire pour toi Jinx. Personne le peut. Tu sais très bien comment ça marche une Meute... Je devrais même pas te parler. S’il l’apprend, ahah... Tu sais très bien de quoi il est capable » s’amusa vaguement le Loup, ennuyé malgré tout par la situation.

« Si tu m’aides, je t’en devrais une, je pourrais... »

« Non, Jinx. Ça marche pas comme ça. Ça marche pas parce que s’il me crève, je pourrais pas brandir la fois où je t’ai aidé et le fait que tu m’en dois une. C’est pas ça la vie. »

Le Loup souffla lourdement, avant de se détourner lentement, posant sa main sur la poignet de la porte. Il jeta un petit regard à Kathleen, du coin de l’œil. Il devait loyauté à Ryan. Finir en Omega dans une Meute aussi nombreuse n’avait rien de drôle, pour ne pas dire que ç’avait tout d’un suicide organisé. Lui était bien à sa place. Bêta c’était une place inespérée pour un gamin-esclave comme lui qui avait connu des passages bien plus terribles que d’être le sous-fifre de Ryan, même si c’était vrai qu’il n’approuvait pas toujours tout de son Alpha.

Whiro se frotta le front, avant de murmurer :

« Ryan m’a dit qu’il revenait en Angleterre que le 5 août. S’il dit ça, ça veut dire qu’il est pas en Angleterre. Ok ? Pas en Angleterre. Maintenant, t’en fais ce que tu veux... mais pas d’histoire. »

Le Loup jeta un dernier regard à la petite brune avant de rentrer dans le Bar, refermant d’un coup sec la porte derrière lui afin d’entendre le petit bruit métallique finissant de la sécuriser. Le néon blanc pâle clignota.


Le 20 juillet, tôt le matin,

Sur le rebord d’un toit d’un petit coin de Londres, les pieds dans le vide, Kathleen fit tourner le gallion entre ses doigts. Quoi dire ? Quoi faire ? Le message était resté figé. Si au début les heures avaient été douloureuses, c’était désormais en jour qu’il fallait compter le silence de Braxton.
Si la situation la rendait triste, elle osait parfois - tentait du moins - de relativiser. Elle se disait ah, regarde-toi ma pauvre fille, à attendre le moindre message comme s’il s’agit du prophète, ou encore on dirait une adolescente qui attends un signe, mais alors ses pensées lui tiraient des grimaces de plus en plus tiraillées, de plus en plus pincées. Se rendant petit à petit compte du grotesque et du malsain de la situation.

Elle rejeta doucement la tête en arrière, laissant le soleil venait lui caresser le visage après la nuit d’enfer qu’elle avait passé à échapper aux langues goulues d’un Roi de la rivière un peu trop sensible aux odeurs.
Foutus poissons-chats¹...








¹ Les Rois de la Rivière sont un peuple de poissons-chats humanoïdes qui mangent à peu près tout... vraiment tout.