Faut pas sortir c'est dangereux ! * SOLVI *

6 juillet.

Elle adorait ça, le faire tourner en bourrique. C’était bien plus drôle de mener le jeu que de le laisser dominer, et parfois même gagner. Ça devait toujours aller dans son sens, c’était bien plus facile à vivre. Pourtant ça n’avait jamais été une enfant pourrie gâtée et Kani avait suffisamment de poigne pour ne pas laisser ses enfants prendre le dessus. Un doux sourire à Sören ne suffisait pas. C’est comme si elle avait toujours eu les yeux partout. Pourtant en grandissant, les choses s’étaient légèrement corsées et Solvi avait la fâcheuse tendance à faire avant même de demander la permission, se considérant bien assez grande et mature pour affronter les petites et les grandes épreuves de sa vie de jeune adulte. Gagne Fergus, gagne. En réalité c’est moi qui l’emporterai toujours.


17 juillet.

Les jours passaient sans que Solvi ne se repose réellement. Lorsque le temps était clément et les nouvelles paisibles, la scandinave dormait assez peu, bien trop enthousiaste à l’idée de se lever pour commencer une nouvelle journée, une journée chargée de nouveautés qu’elle ne manquerait  sous aucun prétexte. Pourtant, cette journée ressemblait bien trop à celle de la veille. Elle s’était réveillée aux côtés de son charmant et l’avait dévoré des yeux juste le temps de quelques minutes. Son visage affichait un air apaisé qui tranchait avec les horribles grimaces qu’il pouvait esquisser au cours de la journée. Le médicomage l’avait bien rafistolé, il n’y avait pas à dire: ils étaient sacrément doués, mais la douleur était restée avec seul compagnon le temps qui finirait par faire son œuvre. Ce matin elle était restée à ses côtés à suivre le mouvement de sa bouche qui semblait tantôt vouloir crier tantôt sourire. La brune toucha le front du Clearwater par simple réflexe, vérifiant ainsi qu’aucune fièvre ne puisse s’installer, puis elle s’était levée.

Le petit-déjeuner avait été bien garni. Solvi se chargeait de manger les parts que d’autres rejetaient la veille. Courant dans tous les sens, au travail ou lors de ses temps de loisir, Solvi avait bien besoin de réunir toute l’énergie dont elle pouvait disposer. Elle s’activa pour préparer le premier repas de ceux qui n’étaient pas levés puis s’éclipsa, errant dans les couloirs du manoir à la recherche d’une piètre aventure. Il fallait tuer le temps, faire en sorte que ça passe plus vite. Elle n’était pas là pour materner Fergus, de toute manière il s’assurerait de ne provoquer aucune pitié chez sa fiancé. Il n’y a pas plus fier que les Clearwater, même si Fergus n’en manquait pas une pour se plaindre auprès de sa fiancée. C’était un réel homme enfant. C’était sûrement ce que détestait le plus Kani, si l’on écartait le fait qu’il soit tout simplement un Auror qui fouine un peu trop à son goût.

Nous étions aujourd’hui dimanche, et c’était déjà le deuxième jour que Solvi passait ici à attendre sagement qu’elle puisse entamer une nouvelle journée de boulot. Le domaine avait beau être très grand, la simple idée de devoir rester enfermée lui hérissait le poil. Pourtant elle avait essayé, elle avait essayé de respecter la règle. Personne ne devait sortir du domaine, sauf cas majeur ou dérogation possible. Solvi n’avait aucune excuse valable, ne serait-ce que celle du travail. Mais tout le monde savait qu’elle ne travaillait pas aujourd’hui.

Dans le fond, il lui semblait déjà que les falaises, les pelouses et les murs du château la connaissaient déjà par cœur. L’envie de sortir était plus forte que tout. Enfermer Solvi ici, c’était la priver de son adrénaline quotidienne nécessaire. C’était tenter d’étouffer la flamme pour finalement provoquer un départ de feu. Alors elle avait décidé de s’éclipser, de contourner la règle ne serait-ce que pour quelques heures. Une seule sortie était restée accessible et il était à parier que quelqu’un la verrait s’en aller tant les regards ici étaient nombreux. Alors elle avait enfilé une grande cape et avait accéléré le pas. Une voix l’interpella bien vite et au lieu d’y répondre, elle s’était hâtée vers la sortie. C’était pourtant Fergus, mais si elle s’arrêtait maintenant c’était fichu. Fiancé ou pas. De toute façon, en boitillant, il serait incapable de la talonner.

Elle s’arrêta cependant en entendant l’Auror chuter. Par Merlin Fergus… Elle leva les yeux au ciel tout en grommelant avant de faire volte-face, un poing serré. Le plan venait de tomber à l’eau, il faudrait essayer plus tard. Peut-être profiter d’un moment où il serait assoupi ou bloqué aux toilettes. La brune marcha dans sa direction, le saisit sous les bras pour l’aider à s’installer contre la pierre. C’est pas bien Solvi, blablabla. Elle resta là, les poings fermement serrés sur ses hanches à lever les yeux au ciel. « Ça va, me fait pas la morale Gus. » Elle détestait cela, encore plus lorsque ça venait de lui. Elle laissa Fergus lui attraper la main avec poigne. S’il croyait que ça suffirait à la retenir. De toute manière, elle ne s’en irait pas sous ses yeux. Solvi s’en irait, lorsqu’elle échapperait à sa surveillance. Comme une ado qui ferait le mur. « Ce que tu peux être con quand tu dis des trucs comme ça! Si tu continues c’est bien ce que je pourrais faire. Avant même que je puisse dire oui. » Elle soupira excessivement fort. Elle afficha une moue agacée, plongeant directement dans le petit jeu de son fiancé. Ça l’exaspérait quand il racontait ces sornettes. Et lui, ça l’exaspérait quand elle remettait leur mariage en jeu ainsi. C’était donnant donnant. Le serpent ne se privait pas de mordre.

Elle croisa les bras devant elle, visiblement agacée que son plan ait pu échouer. A la place d’une sortie, elle avait écopé d’un discours barbant et moralisateur. Peut-être même culpabilisant. Ainsi, elle était la mauvaise fiancée qui ne voulait pas rester là à panser les plaies de son compagnon. « Comprends le ce pauvre gosse, c’est pas rien ce qu’il vit. À sa place, sans pouvoir sortir je ne tiendrais pas en place. Ah mais attends, on parle de lui ou de moi? » Elle s’agaçait toujours un peu plus. «  @Israfel Clearwater  est un gamin, moi je travaille à la BPM par Merlin, je n’ai pas besoin d’être surveillée. »

Elle lui tendit la main, cédant à sa requête. « Vraiment Fergus? Tu ne crois pas que t’en fais un peu trop là ? » Ce n’était vraiment pas le quart d’heure adéquat pour les plaisanteries.

Que le temps semblait long. Solvi était de ces jeunes pousses qui aimaient céder au souffle du vent, poussées à s’envoler par les caprices de la météo. Elle était aussi solaire que lunatique, pluvieuse comme rayonnante, sombre comme claire. Difficile pour quiconque de définir la jeune femme, si ce n’est en la qualifiant d’aussi changeante que les saisons au fil de l’année ou de la couleur de la voûte azurée. Pour beaucoup, Solvi était une tempête en elle-même : difficile à anticiper, difficile à suivre. Certains abandonnaient avant même d’avoir essayé.

Le domaine des Clearwater était grand, regorgeant de cachettes en tout genre et d’activités à imaginer. Lorsque Solvi était gamine, quelques cailloux et quelques brindilles lui suffisaient pour jouer avec les gamins du quartier. Tous les petits du Marché n’avaient pas la chance de rouler sur les gallions. Sa famille n’était pas comme ça, mais jamais elle navait été dans le besoin. A bien y penser, Kani n’y était sûrement pas étrangère. Solvi avait tout bonnement cru que les affaires florissantes de son père suffisaient. A ses yeux, la vie de Kani était fêté de voyages, de sauts de pays en pays, de visages et de paysages en tout genre. La réalité avait été bien plus sombre et complexe. Pourtant, en grandissant, Solvi avait mieux compris et toujours plus envié sa mère. Elle pouvait courir le monde et tout laisser derrière elle sans que rien ne change. Sören, son père, avait été le père et le mari dont chacun rêverait. À présent, Solvi comprenait la joie qu’éprouvaient certains lorsque leurs pas foulent le palier de leur maison après de longues semaines de voyages. Juste pour voir le sourire familier d’un être aimé. Et pourtant, une fois cette soif satisfaite, Solvi ne jurait que par les aventures qui étaient à venir.

Sortir, c’était tout ce que souhaitait la belle brune. Encapuchonnée dans une longue cape, elle avait espéré être assez rapide pour passer entre les mailles du filet. Mais le piège était savamment pensé. Bien que persuadée que quelqu’un la verrait, elle avait pourtant essayé. En vain. Fergus avait fait des siennes. La Nibelungen venait même à douter qu’il n’en avait pas fait exprès. Elle afficha un air boudeur, vexée d’avoir vu son plan échouer. Fergus lui ferait peut-être la morale, insistant sur le fait que chacun courait un grand danger. Tout cela avant de la regarder avec un petit sourire, car il finirait bien par céder si elle lui faisait un peu les yeux doux. Heureusement pour eux, l’un des deux était au moins facile à vivre.

Un air manifestement surpris passa sur le visage de Solvi alors que son fiancé lui saisissait la main pour l’embarquer avec elle. Dans son état? Elle fronça un peu des sourcils, sentant que c’était une fort mauvaise idée. Mais, à vrai dire, Fergus ne la laisserait plus filer seule maintenant qu’il l’avait vue. « T’es bien sûr de toi? » Elle lui saisit la main puis reposa ses poings sur ses hanches en le regardant se tenir à peu près comme il le faut puis clopiner à quelques mètres d’elle. « C’est sûr que c’est pas toi qui fera le job, vu ton état. » Elle s’approcha, déposa un baiser sur sa joue avant de lancer: « Allez Quasimodo, emmène moi là où on ne risque pas grand chose. » Pour aujourd’hui. Ça suffirait à étancher sa soif pour un jour, peut-être deux.  « Fergus transgresse le règlement, attention  @Jameson Clearwater risque de te jeter du haut de la falaise. »

Elle lâcha sa main, le voyant essayer de courir jusqu’au portail de sécurité. Elle se gratta le haut de la tempe en soupirant. « T’es vraiment sûr de toi Ferg? » Elle explosa de rire alors que son fiancé se vantait d’avoir une meilleure endurance qu’elle. Depuis quand? « Ok, on fera le test quand tu seras remis. On verra si tu fais toujours le malin. »

En l’espace de quelques secondes, Solvi et Fergus transplanèrent dans un paysage somme toute similaire à celui qu’ils venaient de quitter, quelques vaches en plus pour les dévisager. Au loin on distinguait un village en mauvaise forme, sûrement abandonné depuis longtemps. Elle réceptionna Fergus, affaibli par le transport. Transplaner ça n’avait jamais été agréable.  Lorsqu’elle transplanait les soirs arrosés, c’était une toute autre histoire. Ça faisait partie des aventures que Solvi aimait vivre avant de les regretter amèrement, un sourire débile toujours accroché aux lèvres. « Tu es une magnifique princesse Fergus. » lui répondit-elle, radieuse. A bien y songer, Solvi aurait certainement plus revêtu une cotte de maille qu’une longue et jolie robe de taffetas ou de velours. « Pour le mariage, c’est toi qui mettras la robe? » glissa-t-elle avec un clin d’œil. Ça ne manquerait pas de faire rire certains Clearwater, une fois la surprise passée.


Ils marchèrent côte à côte, profitant ensemble de la solitude des plaines et de leur liberté. C’était le même air, le même paysage. Pourtant ça avait suffit à apaiser Solvi, à la libérer des chaînes qui l’étouffaient lorsqu’elle était au manoir. Elle leva les bras en l’air et poussa un cri avant de l’écouter s’éloigner avant de disparaître. Elle ne glissa pas un mot de remerciement, son sourire parlait pour elle. Fergus comprendrait sans qu’elle ne dise rien. « Des Noirs des Hébrides? La chaaance. Pourquoi vous vous êtes fait engueuler? C’est pas un délit de vouloir profiter de sa vie. Que les vieux peuvent être… » Elle se tourna vers lui avec un sourire, histoire de faire oublier sa dernière phrase. Elle n’était pas mère, elle ne savait pas ce que c’était. Elle n’avait jamais compris. C’était bien plus drôle de jouer le rôle de l’enfant survolté que du parent se rongeant les sangs.

« Tu m’avais pas dit que tu revenais souvent là. » lui dit-elle en songeant à sa propre adolescence.  Son regard glissa vers le village abandonné. C’était bien trop tentant. Mais tout le monde savait que c’était toujours ce genre d’endroits qui était le plus dangereux. Plus tard. Quand Fergus ne serait pas là. Il n’était pas en état. Elle s’approcha d’une vache. Un peu d’alcool aidant, elle se serait peut-être aventurée à monter sur son dos pour dévaler le pré. Totalement à jeun, elle décida finalement d’entraîner Fergus vers le littoral. « J’ai déjà fait quelques conneries moi aussi » Quelques? Le mot était faible. « Maman partait souvent en vadrouille, je profitais des moments où papa tenait la boutique tout seul pour m’éclipser. Je ne savais pas transplaner à l’époque, c’est dommage en un sens. A la place de ça j’ai appris à connaître par cœur le Marché. Parfois j’avais le droit d’aller voir mon cousin Michel-Ange, mais il était bien trop petit pour me suivre. Tu le verrais maintenant, franchement il a tout pour prendre la relève. » Si ce n’est un cerveau à peu près bien connecté en toutes circonstances. Michel-Ange n’était pas connu pour être un gamin tout à fait raisonné, mais c’était un chouette gosse. « Je croisais toutes sortes de personnes et de créatures. Et quand t’es une petite, t’apprends à te défendre bien vite là bas. Pendant tu t’amusais ici, moi je m’entraînais à jeter des couteaux sur la porte de ma chambre. » Elle tourna la tête, un drôle d’air sur le visage. La croirait-t-il? « Ça a l’air horrible dit comme ça. En réalité j’ai grandi très vite, peut-être un peu trop. C’est sûrement pour ça que j’aime jouer avec un peu tout maintenant. C’était une drôle d’enfance avec du recul, mais ça restait chouette. Je ne  la changerais pour rien au monde.»

Solvi fronça les sourcils, terriblement perplexe. Les Clearwater étaient-ils aussi fermés d’esprit? Pourquoi les adultes pourchassaient-ils les enfants qui osaient sortir du domaine pour contempler le monde qui entourait leur propriété? Où résidait le mal? @Jameson Clearwater était-il aussi obtus que cela?  Fergus dévisageait sa fiancée, réprimant un fou rire qui menaçait de briser la paisibilité qui régnait tout autour d’eux. Pour ne pas mourir? Solvi écarquilla les yeux, visiblement déstabilisée par la réponse. C’était encore pire que ce qu’elle avait pu imaginer jusqu’ici. Mourir? Les Noirs des Hébrides étaient des créatures aussi magnifiques que dangereuses. Il était rare de les voir passer au-dessus de sa tête, encore plus rare de se faire attaquer s’ils volaient à bonne altitude. « Mouais. » C’est surtout que les Clearwater sont des froussards dans le fond. Un gosse est un gosse, rien de mieux que les erreurs pour grandir. C’est la vie qui met les meilleures torgnoles, pas un vieux patriarche faussement sévère. Elle marmonna, n’entrant pas plus au coeur du sujet et se contenta de hausser les épaules. Kani et Sören se seraient-ils fâchés ainsi si elle leur avait raconté cela? S’étaient-ils fâchés lorsqu’elle leur avait dit avoir croisé un Géant sur le Marché aux Trolls? Elle se gratta la tête, fouillant dans ses souvenirs. Kani ne devait pas être là. Et Sören avait dû faire la moue, sermonnant tant bien que mal sa fille tout en admirant le petit brin de femme qu’elle devenait. La copie conforme de sa mère. La petite qui voulait faire comme la grande.

« Alors comme cela Monsieur est cachotier. » glissa-t-elle, un sourire joueur au bout des lèvres. S’il savait, le pauvre. Fergus n’était définitivement pas prêt à entendre toutes les vérités que Solvi avait préféré lui dissimuler.
Sa faculté à parler le Fourchelang, cette aptitude qui faisait d’ordinaire si peur. Celle que l’on associait sans réfléchir aux personnalités les plus obscures et malveillantes. Elle qui travaillait au Ministère. Elle qui était fiancée à un Auror. Elle conservait ce secret précieusement tout contre elle. Ce simple détail dont elle avait hérité à la naissance pourrait bien lui faire perdre son boulot aussi bien que toute sa vie future espérée aux côtés du Clearwater.
L’exaspération dont Kani faisait preuve à la moindre évocation de son prénom… Ça non plus, Solvi n’en parlait pas vraiment, comptant sur le temps pour faire son oeuvre et briser la glace, quitte à risquer de passer à travers.
Le travail qu’exerçait ses parents. En soi, quel scénario serait pire que celui-ci pour Fergus? Si Solvi osait dévoiler ne serait-ce qu’une bribe de ses secrets, Fergus risquait de prendre les jambes à son cou. Et  @Jameson Clearwater lui ficherait une sacrée torgnole. A lui et peut-être même à elle aussi.

Le cerveau de Solvi fuma seulement le temps de quelques secondes, son esprit étant aussi vif qu’elle lorsqu’elle était restée trop longtemps inactive. Elle saisit le visage de Fergus alors qu’il s’approchait d’elle pour l’embrasser, glissant une main dans ses cheveux comme l’on profiterait du parfum d’un être aimé qui s’apprête à disparaître pendant un petit temps.

« Ces gosses sont compliqués franchement… Michel-Ange joue trop avec les coeurs. Ça va lui retomber dessus tout cela s’il ne fait pas attention. Et sa cousine sera là pour lui botter les fesses! Qu’il ne compte pas sur moi pour que je le félicite ou que je l’encourage. Il n’y a que comme cela qu’il finira par comprendre je crois. » expliqua-t-elle, terminant sa tirade en soufflant. Pourquoi compliquer ainsi les choses? C’était souvent bien assez compliqué comme cela pour ne pas souhaiter en rajouter une couche.

Elle laissa filer le sujet, ne prêtant pas plus attention que cela aux badinages de son cousin alors qu’elle pouvait profiter du grand air aux côtés de son fiancé. Elle n’avait su trop expliquer ce qui l’avait attirée à lui. Un dialogue naturel, une prédisposition à ne pas juger Solvi pour son moindre écart de conduite. A Poudlard, le quotidien était souvent mouvementé aux côtés de la belle brune qui, disons-le, collectionnait les heures de colle. Elle n’en dit rien, mais au fond elle se demandait ce qui l’avait poussé à la choisir elle. Sûre d’elle, peut-être, libre comme l’air, sans aucun doute. Mais Solvi était une petite menteuse, terrifiée à l’idée de construire un avenir différent de celui que Fergus espérait pour eux. Une menteuse qui dissimulait la moitié de ce qu’elle était réellement.

La Nibelungen posa sa main sur sa mâchoire dans un élan de tendresse. « Tu es presque parfait. Presque, il ne faudrait pas que tu prennes la grosse tête après tout. » Elle poussa un cri alors que Fergus la soulevait de terre. « Au secours! » Cria-t-elle, faussement paniquée. Elle trouva un semblant d’équilibre lorsqu’il l’installa sur la vache, un brin boudeuse. « Dis que je suis lourde tant que t’y es! J’crois surtout qu’il faudrait que tu te muscles un peu plus les bras! »

Solvi fronça les sourcils, s’apprêtant à lui demander comment il comptait s’y prendre pour les chronométrer. Franchement, parti comme cela Fergus ne tiendrait pas plus de vingt secondes. La tireuse d’élite poussa un cri de surprise qui fut bien vite remplacé par de l’excitation. Elle n’avait jamais fait cela, mais c’était terriblement amusant. Elle se plaqua tout contre le dos de la vache, déterminée à battre le record de  @Lucy Clearwater, sentant les mains de son fiancé glisser tout contre son ventre. « Eh, Ferg’! Tiens le coup! » Hurla-t-elle, le sentant s’échapper. Elle tourna la tête trop tard, entendant le jeune homme chuter dans le pré, grognant de douleur tout en s’exclamant que tout allait bien. La vache s’éloigna, Solvi toujours agrippée à son dos, visiblement déterminée à rester sur le bovin surexcité. « FERG? ÇA FAIT COMBIEN DE TEMPS? » s’époumonait-elle à mesure qu’elles s’éloignaient toutes les deux.

Un bruit assourdissant lui fit relever la tête pour contempler le spectacle qui prenait forme dans le ciel. Un dragon. Comme il en avait vu avec Lucy. Déconcentrée, Solvi lâcha prise et tomba violemment sur le sol alors que la vache s’éloignait un peu plus, visiblement soulagée de ne plus porter aucun fardeau sur son dos.

La brune sentit tout son corps glisser tout le long du flanc de la vache. L’entraînement intensif que suivait Solvi montrait ses limites. Il était bien suffisant lorsqu’il s’agissait de maîtriser un individu dangereux ou un Fergus prêt à affronter sa fiancée lorsqu’elle le provoquait un peu trop. Ça faisait toujours doucement rire Solvi qui voyait bien dans ses yeux la peur de lui faire mal. La jeune femme n’était pas de celles qui s’offusquaient de perdre une poignée de cheveux ou de se casser un ongle dans la bataille. Le goût de la victoire était si savoureux que tout le reste ne comptait pas. A ses yeux, ça valait même le coup de voir naître un hématome sur le visage, tant qu’elle avait réussi à garder le dessus jusqu’au bout. Solvi était de ces filles sauvages qui aimaient se lancer des défis et montrer aux autres qu’elles avaient parfois plus de tempérament et d’obstination que certains hommes. Fergus avait peur de la casser, comme si elle n’avait été qu’une poupée. En réponse à cela, Solvi aimait le provoquer pour lui faire franchir la limite qu’il n’aimait pas dépasser. Solvi gagnait toujours. Elle obtenait toujours ce qu’elle voulait, surtout de son fiancé.

Elle s’était accrochée à ce bovin comme si sa vie en dépendait. Elle rêvait d’arracher la victoire à  @Lucy Clearwater et d’inscrire son nom dans la légende des Clearwater. Avec un peu de chance, elle aussi ferait partie de ce clan. Si aucun nuage ne venait assombrir leur idylle.

Sa chute fut majestueuse, aussi bruyante qu’une énorme pierre qui tombe du haut d’une falaise. « Aouch » grogna-t-elle en se passant une main sur les yeux. Elle n’entendit pas la vache s’éloigner à toute vitesse. Elle aurait certainement dû fuir loin des humains qui n’avaient rien de mieux à faire que de venir l’enquiquiner. Bientôt il n’y eut plus d’autre bruit que Ferg’ et le vent qui se levait pour finalement se taire. La vache avait disparu à une allure fantastique, ça semblait un peu trop suspect.
Elle crut un instant que Ferg’ s’inquiétait de son état de santé. Elle l’entendait brailler de loin, approchant d’elle en poussant des cris teintés de panique. Elle avait sacrément mal au dos, mais certainement pas de quoi en faire toute un foin. S’il parvenait à la convaincre de lui donner des enfants, il faudrait lui souligner l’importance de ne pas faire de leur progéniture des petites mauviettes.

« Ça va, ça va Ferg’ » répondit-elle, les yeux entrouverts et la main balayant l’air pour lui signifier de se calmer. Le vent se tut soudainement alors qu’elle se relevait sur ses avant-bras pour examiner ses alentours. Où était donc la vache? Elle entendit Fergus exploser de rire. Il avait certainement pris conscience du caractère humoristique de la situation. Mais où donc se trouvait la vache? Un regard vers le ciel suffit à lui apporter une réponse. Elle contempla brièvement un dragon se délecter du peu de carcasse qu’il lui restait entre les crocs. « Oh » murmura-t-elle, plus pour elle que Fergus en réalité.

Elle avait battu le record, mais cette information ne lui apportait pas autant de réconfort que le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Comme les dragons étaient des créatures fascinantes…  Des créatures menacées et extrêmement incomprises. Solvi ne pouvait que les comprendre, elle qui était issue d’une famille mal-aimée aux dons plus que méprisés. Les Fourchelang n’étaient pas franchement les plus appréciés parmi les sorciers.
La Nibelungen se tourna vers son fiancé pour le dévisager. « La plus grosse? T’es sérieux? » Grogna-t-elle alors qu’elle saisissait une pierre à ses côtés pour lui jeter dessus. « T’as qu’à te trouver une autre vache si t’es pas content. » Les cailloux qu’elle lui lança ne suffirent pas à détourner son attention, entièrement fixée sur le dragon qui finissait tout juste son casse-croûte. Solvi leva les yeux au ciel pour le contempler. Il était vraiment fascinant et la jeune femme aurait certainement voulu rester là aussi longtemps que faire ce peut pour en découvrir tous ses détails. Peut-être même qu’il finirait pas perdre une écaille ou une dent qu’elle pourrait fièrement conserver.

Fergus se jeta sur elle pour les entraîner dans une course folle furieuse dans les herbes. Les dents du dragon claquèrent juste au-dessus de leur tête, signalant ainsi au passage qu’ils y avaient échappé de peu. Les yeux de Solvi s’allumèrent comme ceux d’un enfant parcourant les rayons des magasins de jouets à la recherche de la perle rare. Elle ne regarda même pas Fergus se relever à ses côtés, oubliant subitement son état de santé franchement diminué. Elle resta assise n’importe comment dans l’herbe avant que l’Auror ne finisse par la secouer avec vigueur.

Elle fit une petite moue lorsqu’elle l’entendit la supplier de s’abriter. « T’es vraiment pas drôle… » grogna-t-elle, déçue de quitter le champ si vite. C’était pourtant si amusant de jouer avec ce dragon dans la plaine. Sentir le vent changer sous l’impulsion de ses ailes la faisait dangereusement vibrer à mesure que l’adrénaline et le goût du danger prenaient le pas sur sa raison. Ses douleurs étaient bien vite oubliées.  Il la laissa l’emmener à l’abri sous la bergerie, prétendument solide car fabriquée par ses ancêtres. Elle aurait voulu lui dire comme il ne manquait pas d’optimisme. Il était celui qui avait déjà vu des Noirs des Hébrides, pas elle. Comment pouvait-il croire à ses propres balivernes? Les Clearwater n’étaient pas aussi brillants et héroïques qu’il aimait le dire.

Sans grande surprise, le dragon les repéra bien vite, venant arracher le toit de leur maigre habitation. Ils seraient clairement les prochains sur sa liste. « La vache ne devait pas avoir si bon goût que ça.. Peut-être qu’on devrait lui suggérer un régime végéta… » commença-t-elle à plaisanter alors que le dragon passa tout juste la tête dans le trou qu’il venait de former. Encore quelques instants, et ils seraient certainement son prochain carpaccio d’humains ou bien son futur barbecue. Solvi éclata de rire puis saisit Fergus par la taille à son tour avant de les faire transplaner chez les Clearwater.

Se tenait devant eux la grande demeure et le portail qui les séparait de la surveillance de tonton  @Jameson Clearwater. Solvi s’étala dans l’herbe et partit dans un fou rire. « C’était dément! » Jamais elle n’avait vu de Noir des Hébrides d’aussi près. « Tu as vu ses yeux? On aurait dit des améthystes. C’était in-cro-yable. » Elle soupira de contentement en se redressant pour s’asseoir. « On a bien fait de sortir, c’était vraiment super. » Elle contempla ses bras, plein d’égratignures et d’échardes qu’elle commençait à enlever sans vraiment grimacer.

Solvi se redressa, aussi fière qu’une héroïne sortant d’une mission périlleuse. « J’ai battu le record de Lucy, faudra lui raconter ça ce soir! » Puis elle adressa un immense sourire à Fergus, avec une petite moue cette fois plus enfantine. « Dis… On pourra y retourner demain? » C’était pour ce genre de choses que vivait Solvi.

Fergus semblait ne pas se sentir très bien. Seulement quelques microsecondes après avoir transplané, le jeune homme devint tout blême avant de dégobiller le contenu entier de son estomac. Solvi fronça le nez, un poil dégoûtée mais surtout désolée de lui avoir provoqué autant d’émotions. Jamais la jeune femme n’avait songé à cela, même si Fergus sortait tout juste de Ste-Mangouste. Il avait accepté de l’accompagner, prétendant même qu’il la protégerait de tout danger. En réalité, la jeune femme savait pertinemment qu’elle serait le preux chevalier qu’il prétendait être, qu’elle serait la femme qui sauverait son homme et pas l’inverse. N’importe qui aurait accouru pour vérifier s’il allait bien mais Solvi n’était pas du genre à dorloter Fergus à la moindre occasion. Une fois qu’il aurait craché toute sa bile, il finirait par aller mieux. En soi, elle ne pouvait rien faire d’autre qu’attendre que ça passe et qu’il reprenne des couleurs convenables. Elle, de son côté, avait adoré cette sortie. La Nibelungen n’avait pas vécu de telles péripéties depuis longtemps. Vibrer ainsi, c’est ce qui la faisait se sentir en vie. Les cocons à la Clearwater la lassaient vite. Solvi était une femme de la nature, une aventurière de naissance. Elle n’était pas faite pour se réfugier au fond d’un terrier dans les profondeurs de la forêt. C’est donc sans ironie et avec un sérieux des plus déconcertants que la brune réclama une nouvelle sortie du genre, et ce dès le lendemain.

Fergus se tenait là, mal en point alors que les yeux de Solvi reluisaient de bonheur. Un voile d’appréhension se figea devant ses yeux, embrumant la confiance qu’elle venait tout juste de gagner. Quel homme sensé accepterait de vivre ainsi toute une vie? Etaient-ils trop différents pour vivre ensemble, après tout? Assis à peu près confortablement dans l’herbe, Fergus se montra dur, presque fâché. Comme un parent engueulerait son enfant après avoir fait une sacrée bêtise. Solvi ne voulait pas d’un Jameson numéro 2. Elle ne voulait pas qu’on l’infantilise, qu’on lui agite sous le nez le lot de responsabilités que devait assumer tout adulte qui se doit. Elle afficha une mine renfrognée, vexée que son fiancé puisse la rouspéter ainsi. Oui, tout ça avait été dangereux. Oui, c’était insensé. Oui, elle avait perdu la tête. Oui, elle n’était pas comme les autres. Fergus ne s’en rendait-il compte que maintenant? Elle n’avait pourtant jamais changé et avait toujours été ainsi. Devenir adulte ne l’avait pas calmée. Ç’avait surtout été l’occasion de faire tout ce qu’elle voulait sans que personne n’ait rien à lui reprocher.

Elle sentait une pointe de reproche teinter les propos de Fergus alors qu’elle se tenait là, debout devant lui. Si elle voulait vivre ainsi et courir aventure après aventure? Effectivement, là résidaient les plus profonds rêves de Solvi. Mais tout cela semblait relever d’un piège. Si elle disait oui, Ferg’ finirait peut-être par s’emporter. Si elle niait, elle lui mentirait droit dans les yeux, le coeur complètement tordu à l’idée d’abandonner son train de vie pour ses beaux yeux. A vrai dire… Etait-elle prête à cela?

Ses yeux pétillèrent de nouveau lorsque Fergus balaya ses inquiétudes. L’idée même qu’il ne la freine pas la séduisait. En général, les hommes fuyaient à la vue de Solvi lorsqu’ils commençaient  à la connaître, complètement terrifiés à l’idée de s’embarquer dans des aventures trop essoufflantes pour leurs petits myocardes. Certains avaient essayé d’apaiser la tornade; ils avaient rapidement fini sur le pas de la porte, la porte clouée à leur nez.

Le myocarde de Solvi se mit à battre un peu plus vite alors que Fergus la saisissait par les avant-bras, les yeux pleins d’amour, la bouche déversant tout un tas de paroles plus mielleuses les unes que les autres. Elle hocha la tête, ravie que Fergus veuille toujours faire partie de sa vie pour l’éternité. « Peut-être pourrions-nous » commença-t-elle à dire avant que Fergus ne l’interrompe. Un serpent se mit à glisser entre ses pieds avant de s’enrouler tout autour de sa cheville. Solvi ne cilla pas, absolument sereine face à la situation. « Fergus... » dit-elle très calmement tout en lui saisissant délicatement le poignet qui tenait sa baguette. Elle le poussa délicatement pour l’éloigner de la petite vipère. Le reptile les fixait, sa langue sortant de temps à autre pour sonder les alentours, guettant le moindre danger. C’étaient de petites bêtes qui avaient la réputation rude. Pourtant, elles n’étaient pas bien méchantes, surtout si on ne venait pas les chatouiller.

Elle regarda Fergus droit dans les yeux, un air triste et désolé voilant ses prunelles. « Je suis désolée Fergus. » Puis un sifflement long et étrange s’échappa de ses lèvres alors que le serpent redressait la tête pour observer Solvi. La vipère remonta lentement le long du corps de Solvi pour venir se loger sur son avant-bras. La brune passa deux doigts sur sa tête en signe de confiance puis s’accroupit, lui demandant en sifflant de s’éloigner. La situation allait certainement tourner au vinaigre.