Use Somebody

22 juillet 2022, Porto Vecchio.

« Tu ne peux pas continuer ainsi Céleste. Tu jetterais une immense déshonneur sur la famille que l’on ne peut pas se permettre. Encore un peu et un photographe t’aurais pris sur le fait. » La brune resta là, stoïque, attendant patiemment que l’orage passe. Elle n’avait rien voulu de tout cela, elle n’avait pas souhaité que Michel-Ange foule les terres corses pour retrouver sa trace. S’il y avait quelqu’un à blâmer, c’était lui ou bien Blanche qui ne s’était pas privée de divulguer son adresse au Poufsouffle. L’entrevue avait été brève, intense, et Céleste avait souhaité l’ensevelir sous terre comme si elle n’avait jamais existé. Au moins jusqu’à la rentrée. Elle n’avait donc rien dit et prétendu que rien ne s’était jamais passé. Amaury, son petit frère, avait été un peu trop curieux et avait questionné Agathe sur l’identité de l’intrus, question qui avait traîné trop près de l’oreille d’Edouard. Puis vinrent l’interrogatoire et les reproches usuels que Céleste avait voulu éviter. Et le refrain usuel: tu ne peux fréquenter un tel homme. Jusqu’à entendre la menace ultime: celle d’un mariage arrangé. Céleste n’avait rien répondu, car si son père n’avait aucun goût pour les longues embrassades, une gifle était vite partie en cas d’extrême insolence. Visage de poupée ou non. Alors elle s’était tue, elle avait encaissé puis elle s’était éclipsée dans sa chambre le temps d’une soirée. Et le quotidien avait repris, comme si de rien n’était. Comme si tout ça n’avait été que fumée qui s’estompe avec un simple souffle de vent .


Nuit du 26 au 27 juillet.

Son bras fin s’agita en de tous petits cercles pour éteindre les grandes lumières et tamiser les plus petites. Elle attira à eux les quelques couvertures soigneusement pliées au fond des grandes armoires en chêne puis les arrangea pour composer une tente juste au-dessus de leur trois têtes brunes. Céleste et Agathe étaient déjà deux adultes mais Amaury avait encore tout d’un enfant.  Innocent, crédule, joueur. C’était le dernier de la fratrie, un enfant désiré et chéri comme jamais. Le seul garçon, l’enfant qu’Edouard avait toujours désiré en somme. Un enfant né plus tardivement que ses grandes sœurs. Sa fascination d’enfant pour les contes et les histoires étaient l’occasion parfaite pour Céleste et Agathe qui, elles, aimaient terroriser leur petit frère à la tombée de la nuit. Il irait chouiner dans les bras de leur mère, Hortense, puis tout serait bien vite oublié le lendemain lorsqu’il croirait avoir réussi à couler ses sœurs dans la piscine de la villa.

Agathe écouta sa grande sœur relater la première histoire, tout droit sortie des légendes de l’île de Beauté. C’était une histoire qu’elle connaissait par cœur, l’ayant elle même entendu de la bouche de son aînée plusieurs années plus tôt. Elle leva ses sourcils plus d’une fois, interrogeant sa sœur du regard alors qu’elle modifiait l’histoire à sa guise, lui donnant des rebondissements tout à fait inédits. Porcafonu était bel et bien un cochon doté de parole, mais jamais il n’avait été blond ou ne s’était amouraché d’une lionne, cet animal ne faisant aucunement partie de la faune locale. Céleste haussait le ton à mesure que progressait l’histoire. Agathe contempla sa mâchoire se crisper avant de poser un bras sur son avant-bras en signe d’apaisement. L’ainée la contempla quelques instants puis se radoucit, concluant l’histoire bien vite pour en commencer une nouvelle sous le regard perdu de leur petit frère.

Elle adoucit un peu plus les lumières, laissant Agathe prendre le relais. Avachie dans un coin de leur tente de fortune, Céleste caressait le front de son petit frère dont les paupières se fermaient à mesure que la voix d’Agathe faiblissait. Un doux sourire souleva le coin des lèvres de Céleste. Un sourire aussi joyeux que triste. Si seulement Amaury parvenait à échapper aux griffes de leur père. Elle écoutait Agathe raconter les épreuves qu’avait vécues Francescu avant d’être secourue par la fée d’Alesani, sous les traits d’une pauvre vieillarde. Peut-être son frère parviendrait-il à rencontrer une bonne fée sur son chemin. Céleste, elle, avait jeté l’éponge. Michel-Ange lui avait fait croire monts et merveilles avant de piétiner le peu d’honneur qui lui restait. Peut-être parviendrait-elle à trouver de l’aide dans une personne inattendue, à l’image de Francescu. Elle aida Agathe à coucher Amaury dans son lit puis s’éclipsa dans sa chambre où elle fit une prière à la lumière de la lune, cherchant un peu de réconfort dans un ultime espoir.


27 juillet, au soir.

« Je sors courir, à plus tard! » avait-elle crié vaguement avant de s’éclipser de la maisonnée. La maison, une petite chaumière d’apparence seulement, n’avait rien d’exiguë. Les espaces étaient suffisamment vastes pour que Céleste puisse profiter de quelques moments calmes, ne serait-ce que sous les pins de la terrasse qui l’arbitraient lorsqu’elle se plongeait dans une lecture pendant tout un après-midi.

Lasse de piétiner entre ces murs, Céleste entrepris de sortir pour profiter du grand air et des couleurs encore chaudes du jour, sur le point d’être avalées par les ténèbres de la nuit. Elle avait enfilé une brassière de sport et un short léger blancs qui contrastaient avec le teint mat de sa peau réchauffée plus tôt par les rayons du soleil. Sa baguette nichée contre sa cuisse, elle sortait l’esprit léger, ravie de pouvoir courir loin de la maisonnée, loin de toutes ses obligations qu’elle aimait oublier le temps de quelques minutes.

Elle sortit rapidement, surprise d’entendre son prénom raisonner à l’extérieur de la maison pour la deuxième fois en quelques jours. Elle s’apprêta à rentrer sans jeter un regard à son invité, persuadée qu’il s’agissait de Michel-Ange, une fois de plus. Pourtant, la voix qui avait flotté jusqu’à ses oreilles n’était pas la même. Elle se retourna pour jeter un œil avant de laisser son visage manifester toute sa surprise.

« James? »

Céleste referma la porte derrière elle, confuse. Que faisait-il ici, à Porto Vecchio, loin de la ville?

« Ça… va. Toi aussi? » S’était-il perdu? James semblait confus, incertain. Un spectacle tout à fait inédit pour les yeux clairs de Céleste, habituée à le voir naviguer dans les couloirs de Poudlard comme si rien ne pouvait jamais l’atteindre.

« Tu m’excuseras de ne pas t’inviter à l’intérieur. J’aimerais profiter un peu de pouvoir sortir. » De pouvoir m’échapper. De pouvoir souffler.

«  Que fais-tu… ici? » demanda-t-elle en s’approchant de lui. Elle connaissait les lieux par cœur, il n’y avait rien de bien intéressant aux alentours si ce n’est la ville en contrebas. « Tu passes tes vacances ici aussi? » Céleste avait beau creuser, rien de tout cela ne semblait faire sens.

22 juillet 2022, Porto Vecchio.

Comme il était étrange de croiser James en ces lieux. D’ordinaire, ici les Delacroix avaient l’habitude de n’entendre que les oiseaux piailler, les chats miauler à la tombée de la nuit pour gagner un peu de territoire et le facteur et son scooter au bruit tout simplement horrible. Édouard avait grogné plus d’une fois en écoutant le véhicule vrombir ou en constatant les traces de pneu sur sa pelouse lisse et entretenue. Aucune mauvaise herbe n'avait le temps de pousser ici. L’extérieur jurait avec l’intérieur de la villa, donnant volontairement l’impression d’une maison banale et typiquement corse. L’illusion était parfaite, aucun moldu n’aurait jamais l’occasion de trouver ça louche. Céleste comprenait tout l’intérêt d’un tel artifice mais trouvait la maison terriblement laide. Sûrement en souvenir des donjons sombres des Serpentard. Ou des dortoirs malmenés par les étudiants. La maison avait beau l’air d’être entretenue, elle conservait ce côté vieillot et has been que détestait la brune. Pour confondre le facteur, papa avait même souscrit à toute une liste de mensuels et hebdomadaires moldus qu’il ne prenait pas le temps de lire, sauf s’il désirait se détendre et rire de leurs absurdités. Céleste, pas spécialement proche du monde moldu, trouvait cette attitude beaucoup trop puérile. Son père, Édouard, prétendait que c’était essentiel à son métier. C’était surtout utile pour protéger la table de châtaignier des éclaboussures de whisky lorsque les soirées prenaient une allure plus festive. Parfois Céleste héritait d’un magazine de mode qui finissait directement à la poubelle. Elle avait pourtant essayé, mais rien n’était jamais assez à son goût, et la qualité des tissus semblait terriblement médiocre.

Céleste ne dévisagea pas James longtemps, ne cherchant absolument à gêner le jeune homme, bien qu’il semblait peu prompt à s’émouvoir pour si peu. Il était si différent de  @Michel-Ange Grimm qui avait une tendance déconcertante à sortir les violons dès que l’occasion le permettait. S’il fallait désigner le contraire même du Poufsouffle, la brune se serait certainement tournée vers le Serpentard. Elle crut vaguement à une rencontre faussement fortuite, après tout marcher en plein maquis corse ne s’inventait pas. Encore moins sur ces sentiers perdus. Le visage de James eu vite fait de trahir une émotion que Céleste n’avait jamais observé sur ces traits. James était solitaire et froid pour qui s’en cantonner aux généralités. Tous deux n’étaient pas spécialement proches, mais Céleste connaissait suffisamment les familles de Sang-Pur pour ne pas juger à la hâte. En s’approchant à pas de louve, l’aînée des Delacroix contempla un instant les traits de James marqués par la confusion et une peine si joliment dissimulée.

Elle mit un pied dans le plat, tentant d’en savoir plus sur les raisons de sa venue. Elle sourit doucement au récit formulé par son voisin. « J’aime conter des histoires à mon petit frère le soir. Parfois ça l’empêche de dormir, et entre toi et moi certains jours c’est bien mérité. Ça me permet d’avoir un peu la paix, de ne pas courir dans tous les sens pour satisfaire le petit prince. J’ai beau l’aimer de tout mon cœur, ce n’est pas tout à fait ce que j’entends par vacances estivales non loin de Porto-Vecchio. » Elle passa délicatement une mèche folle derrière son oreille, plus par confort que coquetterie. « Ici se cachent beaucoup plus de choses que quiconque n’oserait imaginer. Peut-être trouveras-tu si tu t’acharnes. » La brune lui adressa un léger sourire compatissant. Les aveux du Grey ne faisaient qu’accentuer ses traits humains et terriblement meurtris.

« Je connais bien le chemin » commença-t-elle avant de se radoucir « mais je te suis. Je serais curieuse d’écouter tes premières impressions sur ce cadre de vie. » Elle marcha au pas de James, ne cherchant ni à courir à ses côtés ni à le faire ralentir. « Mère m’a suggéré d’aller voir une Signadora tant que nous résidons ici. » Elle n’évoqua pas tous les événements qui avaient ponctué son année scolaire. James n’était pas aveugle et Céleste lui faisait confiance pour user de son don d’observation. « Tout ça pour dire qu’elle même ne sait pas où elle se trouve réellement. Et moi, ça m’arrange car je n’ai clairement pas envie d’y mettre les pieds. » Elle haussa les épaules avant de pousser un cri et d’attraper le bras de James, le regard rivé vers le sol. « Désolée, quelque chose m’a chatouillé le pied.. » Elle recula, visiblement embarrassée d’avoir outrepassé la distance qui les séparait jusqu’à présent.