Family business { Maeve

La chasse est pour ce soir. Ils ne seront pas nombreux, leur a-t-on simplement dit, ainsi que l’heure à laquelle ils sont tous censés se retrouver à Caer Cynfeirdd. Elffin a fait le choix d’y consacrer sa journée, informant simplement l’IDEM qu’il ne viendrait pas. Ses commandes du marché au Trolls peuvent attendre, pour l’instant. Il a deux bonnes heures avant que tout le monde ne se réunisse, ce qui lui laisse un peu de temps pour tester la nouvelle amélioration qu’il a apportée à son arme. Aussi silencieusement que possible, il dévale les escaliers principaux. Le dîner où Geraint les a honorés de sa douce présence et a demandé si son cadet allait enfin lui faire honneur dans un acte héroïque lui a largement suffi. Il est heureux qu’il ne cherche pas l’approbation de son paternel à tout prix, ayant fini par prendre le pli de répondre sur le même ton, autrement il s’en rendrait malade. Mais pour l’heure, s’il peut éviter un autre sermon sur l’inutilité profonde de son domaine, ce sera avec plaisir. Surtout quand il a besoin de toute sa concentration pour être certain que tout va fonctionner. Il a demandé à Maeve de la voir avant, désirant savoir ce à quoi ils vont se confronter pour avoir un peu plus de temps, penser à quelques objets déjà en sa possession et les adapter si besoin. Ses méthodes sont différentes de celles du clan, mais ont fait leurs preuves. Plusieurs d’entre eux ont fini par adopter les lunettes à vision nocturne qu’il a conçues au début de sa formation. Mais ce dont il est le plus fier est en sa possession, tenue délicatement sur le côté de son corps alors qu’il sort. Le jour est à peine levé, et malgré l’été, une légère brume rase le sol du domaine. Le Pays de Galles et son charme au petit matin. Il ne lui faut pas longtemps pour s’éloigner de la demeure, s’arrêtant en lisière des arbres.

L’arme change de main, venant se caler contre son flan alors qu’il sort sa baguette pour conjurer des cibles mouvantes. Ceci fait, il revient à ce qu’il transporte avec tant d’affection. Il s’agit d’une arbalète, armement qui a été son choix extrêmement tôt, quand on a commencé à lui enseigner le maniement de plusieurs de ces joujoux, un peu particuliers pour un jeune enfant. La sienne ne ressemble cependant à aucune autre. Il s’est déjà équipé d’un brassard qui ceint son biceps droit, dans laquelle sa baguette vient se loger. L’arbalète trouve sa place dans son prolongement, le bout de l’objet magique s’encochant juste derrière la flèche. Et c’est sa baguette qu’Elffin vient caresser du bout des doigts alors qu’il se met en place. Un simple effleurement, et la pointe acérée part, à une vitesse effarante, se ficher dans un des cercles de paille. Un hochement de tête satisfait accueille la célérité de l’objet, et c’est reparti. Un ballet incessant de projectiles, enflammés, empoisonnés, selon le sort, selon l’instruction. Quand les baguettes ne suffisent pas, nécessitant de percer la carapace, la peau, le cuir, une lame doit entrer en action. Certaines échouent. Les siennes, rarement. Il suffit de trouver la bonne combinaison matériau / enchantement pour passer toutes les barrières, physiques et magiques. Et de connaître son adversaire, évidemment. Et c’est ce pourquoi il accueille sa sœur, qu’il a entendue arriver, alors qu’elle arrive finalement à son niveau : « Alors ? Qu’a-t-on au menu ce soir ? » Il est encore concentré pour l’instant, alors qu’il décoche un nouveau carreau, imprégné d’un maléfice de ligotage. Qu’on ne se méprenne pas : ses traits d’humour n’ont rien à voir avec une réelle soif de sang ou de voir une nouvelle créature capturée ou décédée. Ca a toujours été son moyen de cope avec ce qu’ils font. C’est un nouveau défi, simplement. Finalement, il se tourne vers la femme à ses côtés, embrassant sa sœur sur le front – on ne se refait pas. « Good morning… un beau temps pour la chasse. » En espérant que la brume ne soit pas de la partie, où qu’ils aillent. On pouvait toujours rêver.

S'il y avait bien une chose que Geraint se refusait à comprendre, c'était ces petites entrevues que Maeve accordait à son benjamin juste avant les chasses. S'il a quelque chose à dire qu'il le dise devant tous marmonnait toujours le vieux loup, contrarié par cette manière qu'avait Elffin de toujours se trouver à côté de la règle, en dehors des clous, comme un fait exprès pour lui donner de l'urticaire. Maeve ne répondit pas, endossant un sourire attendri comme elle descendait les escaliers sans plus chercher à défendre son frère ou à se justifier. Geraint la poignarda de son oeil de vipère, attendit qu'elle disparaisse de sa vue puis alla se poster à la fenêtre avec un sourire satisfait. Quoiqu'il se refuserait toujours à l'admettre mais il éprouvait une immense fierté à les voir partir à la chasse, tous les trois.

La crinière blonde de Maeve s'éloignait dans la cour où Drustan rentrait justement les chiens après leur sortie de la nuit.

« Joli tir. », fit-elle pour annoncer sa présence.

Elle sourit à son jeune frère et vint se poster à ses côtés pour observer l'exercice de tir auquel lui et ses gadgets excellent mieux que personne. Quoique le vieux loup trouve à redire, il n'y avait guère que leur tante Rowene pour disputer le trophée de la précision à Elffin. Ce qu'elle ne manquait pas de faire de temps en temps, avec un plaisir taquin d'ailleurs mais toujours beaucoup de bienveillance. Se laissant aller un instant contre le baiser qu'il lui donne sur le front, Maeve donne à voir un autre visage quand ils ne sont pas en chasse mais simplement en famille. Plus encore avec Elffin, sans doute parce que les années qui les séparent sont juste ce qu'il faut pour qu'il n'y ait jamais eu de réelle rivalité entre eux, si leurs caractères diamétralement opposés n'y pourvoyait pas déjà.

« Pour une fois je dois t'avouer que je n'en suis pas tout à fait sûre. », concède-t-elle. C'est plutôt rare quand on sait à quel point elle aime que les chasses sont préparées au millimètre d'ordinaire, « J'ai rencontré un homme en revenant de Dartmoor avec Drustan l'autre soir. Un pauvre diable qui cuvait son whisky à l'auberge en répétant à qui voulait l'entendre que l'accouchement avait fait perdre la raison à son épouse. Je ne lui ai d'abord pas prêté attention - j'étais là pour les chiens de wisht - jusqu'à ce que je me rende compte qu'il était en fait parfaitement sobre. J'ai vu son épouse. Elle n'est pas folle mais elle tourne en boucle sur la même rengaine. Apparemment son bébé ne serait pas le sien... »

Elle laisse planer cette conclusion jugeant qu'il en tirerait les conclusions qui lui paraissaient à elle, évidentes.

Dartmoor est un petit village magique lové dans les contreforts de la région du même nom. On y va volontiers en touriste pour ses paysages bucoliques et ses auberges pittoresques mais eux y trouve surtout un élevage très réputé, de ces chiens de chasse pour lesquels Drustan a la main. La forêt du Wistman qui rampe jusqu'aux murets est du village, a la réputation d'être un nid à pixies et à faëries tout juste tenu par le Wild Huntsman un gardien sombre qu'il vaut mieux ne pas contrarier. Il est de fait assez rare que des chasseurs de monstres, comme les appellent les bonnes gens, se risquent à poser le pied sur son territoire.

C'est pourtant là où Maeve semble vouloir les amener ce soir là. Silencieuse, elle scrute la réaction de son jeune frère sans plus piper mot.

Il semblerait qu’il ait bien fait, cette fois encore, de demander à la voir avant. Si les compliments sur son art n’est pas ce qu’il recherche, il faut bien avouer qu’ils ne sont jamais déplaisants à entendre, bien au contraire. Elffin ne s’étend pas, préférant qu’ils aillent droit au but pour qu’il ait réellement le temps de se préparer. Ses derniers paramétrages sont au point, mais selon ce qui les attend, il se pourrait que cela soit parfaitement inutile. Et la première déclaration de sa sœur l’interpelle. Les Cynfeirdd savent. A eux tous, ils ont déjà chassé, traqué, tué ou capturé une grande majorité des espèces répertoriées. Il est donc hautement improbable que quoi que ce soit n’entre pas dans le registre de ce qu’ils connaissent et savent identifier. Il reste cependant muet, écoutant son récit en se disant que cela avait tout d’une histoire à raconter au coin du feu, avec une chope de bière à la main. Il n’y aura cependant rien de tout cela pour eux. Les pièces du puzzle sont posées face à lui et il n'a pas besoin de réfléchir longtemps pour tirer la conclusion à laquelle Maeve a du parvenir elle aussi. « Are you saying that we are going after a Changeling? » L’arbalète descend lentement, retrouvant le sol alors qu’il se déséquipe. Il a besoin de quelques minutes pour se repasser le fil du conte, pour être certain qu’il a bien entendu tous les éléments, avec beaucoup de prudence. Le brassard saute, trouvant le sol à côté de son arme et c’est finalement avec sa baguette entre les doigts qu’il poursuit sa réflexion silencieuse. Ses sourcils sont légèrement froncés. « This would be a first, » prononce-t-il avec beaucoup de précautions. Il s’agit de ces êtres qu’on ne sait classifier – réalité ou légendes. Mais ils savent, depuis tous petits, que la plupart des mythes que l’on leur a racontés avant qu’ils ne s’endorment ont au moins une part de vérité. Mais celle-là lui semble particulièrement dangereuse. Il ne s’agit pas d’un être massif qu’ils peuvent simplement abattre en pleine forêt. Cela demandera un peu plus de doigté. Et c’est sans doute pour cela que l’équipe sera aussi réduite. Tout comme leur destination.

« Shall we conduct a deeper investigation first? » La situation est différente. D’ordinaire, il s’agit d’un contrat que l’on leur adresse directement. Il y a un emplacement, une créature, un état dans lequel la ramener et tout coule de source. Il s’agit là d’une initiative de Maeve. Et s’il est loin de la trouver mauvaise, il n’est pas sans s’inquiéter de tous les facteurs de complications qui peuvent survenir. « We are not exactly welcomed to do anything else than buying dogs in Dartmoor. » Il ne se souvenait même plus de sa dernière visite là-bas. On lui a envoyé quelques fois, étant après tout un de ceux se formalisant le moins des regards de travers que l’on peut leur lancer, et donc le moins à même de commencer une bagarre. Ce qui n’est évidemment pas le cas de l’autre membre du trio qui constitue leur fratrie. Et ce n’est pas qu’il soit contre un défi, surtout quand celui-ci risque de lui demander de puiser dans nombre de ses ressources, mais celui-ci s’avère beaucoup plus épineux que leurs parties de chasses habituelles. « We need to be sure. » Et, de fait, il ne comprend pas pourquoi sa sœur a déjà convoqué la cavalerie. Ils ne peuvent pas faire irruption sur un territoire aussi bien gardé, pour aller enlever un bébé, pour aussi surnaturel et étranger qu’il puisse sembler aux parents. Et surtout, cela pourrait compromettre la sécurité du potentiel bébé qu’ils devraient retrouver. Et les missions de secours ne sont pas exactement leur business habituel. « What is your plan, then ? » Avant de commencer à tout questionner, il semble plus juste de la laisser parler. Mais on pouvait quasiment être certain que les minutes qui allaient suivre risquaient d’être assez agitées. Et définitivement, c’est sans doute beaucoup mieux qu’ils fassent ça sans témoin.

cw : abandon, macabre

Elle n'en attendait pas moins de son plus jeune frère. Des questions pertinentes qu'elle s'était elle-même posé car, comme il le soulignait à juste titre, Dartmoor était bien loin de leurs terres et on ne les y accueillerait pas à bras ouverts. Mais elle était bien déterminée à aller au bout de son idée.

« Tu sais ce que la coutume exige des mères, lorsque leurs bébés souffrent de maux incurables. », combien de fois avaient-ils croisé ce genre de restes, abandonnés à la bienveillance des fées. C'était le genre de choses que la cheffe de meute gardait dans un coin de sa tête, peut-être parce qu'elle avait porté la vie une fois elle aussi. En tout cas, lorsque le petit groupe faisait ce genre de rencontres, ils pouvaient compter la voir disparaître une fois leur besogne achevée. Personne ne posait de question. Elle revenait généralement avec cet air dur et fermé, les mains pleines de terre. C'était la moindre des choses. Maeve avait toujours regardé d'un oeil noir ces coutumes archaïques mais aujourd'hui elle semblait prête à en tirer avantage d'une manière ou d'une autre, « L'enfant des Stillwater, si c'en est vraiment un, est étrangement calme. Si c'est un faërie, nul doute que ceci devrait le faire changer de tempérament... »

A ces mots, elle sortit de la poche intérieure de sa veste une petite réglette métallique. Du fer. Parfaitement inoffensif pour n'importe quel enfant mais un enfant fay ne le verrait pas de cet œil. Comme elle le lui expliqua ensuite, il ne lui serait pas bien difficile de se faire passer pour la mère de l'avorton et de s'enfoncer dans la forêt pour faire ce qu'on attendait d'elle. Le tout serait de jouer un délai suffisant pour que l'idée d'un mal incurable s'insinue dans la petite communauté de Dartmoor. Quant à eux, ils leur reviendraient de la suivre à bonne distance et de couvrir ses arrières, jusqu'à ce qu'elle ait pu faire l'échange. Mais avant tout cela, il leur faudrait mener quelques raids discrets dans la forêt pour repérer l'enfant au nez et à la barde du Wild Huntsman. Elle comptait bien qu'Elffin aie quelques idées de plus là-dessus. Pour ce qui la concernait, son rôle lui imposerait de se départir de ses armes. Cela ne lui plaisait guère mais c'était déjà une protection contre les foudres du gardien maudit. Les chiens en constitueraient une seconde...

Elle s'interrompit, jetant un regard scrutateur à son frère. Maintenant venait le temps des contre-propositions et si elle acceptait toujours de débriefer avec Elffin avant la chasse ce n'était pas pour rien. Elle savait que ce temps était nécessaire au bon déroulement de leurs plans. Il leur évitait surtout des prises de bec à un moment où ils ne pouvaient pas se permettre d'avoir la tête ailleurs. L'expérience l'avait montré maintes et maintes fois.