Debout dans la brume

Trois étudiants enlevés… Deux Clearwater et une Mc Gill Fhaolain… Cette nouvelle avait fait l’effet d’un séisme pour les quelques élites mises au courant de ce secret d’état. Le protocole était clair dans ce genre de procédure, et Ima – en tant que président du Magenmagot – avait ce privilège, bien qu’il s’en serait parfois volontiers passé. La plupart du temps, il maintenait une distance avec les histoires sordides et terrifiantes dont il était informé, afin de ne pas en être affecté. Ce réflexe protecteur pouvait donner l’impression d’une impitoyable froideur aux yeux de ses collègues. Il était néanmoins indispensable dans sa position afin de toujours conserver la meilleure objectivité possible. Cependant, quand on informa Ima des évènements du 12 juillet, il fut soufflé par le choc d’une telle révélation et dut se passer une main sur le visage pour se redonner une certaine contenance.

Ses pensées allèrent immédiatement à  @Jameson Clearwater – oncle de deux des trois victimes - qu’il avait particulièrement bien connu via sa femme Caleigh Ward, ancienne collègue aujourd’hui décédée. Sa mort avait été une terrible épreuve mais leur amitié s’en était retrouvée renforcée. Le lien de cette affaire avec Jameson mettait à mal la parité du président sorcier. Il ne pouvait pas s’empêcher de se remémorer les quelques fois durant lesquelles il avait discrètement agi afin d’empêcher certaines sanctions à l’encontre de son jeune frère,  @Braxton Clearwater. Ce sorcier, aujourd’hui Langue-de-Plomb aux méthodes réputées controversées, avait en effet un dossier interne long comme le bras. Et aujourd’hui, c’était son fils qui avait été pris pour cible. Que Fâro les préserve…

Le sceau du secret était tombé sur cette information – transformant aux yeux du reste du monde ces terribles attaques en simples accidents. Gavin Roberts, Directeur de la Justice Magique, avait peur. Il craignait un vent de panique peu propice à la campagne électorale en cours. Et la crainte le faisait agir de la plus insensée des manières. De trop nombreux sorciers étaient déjà au courant. Le bruit courrait même que quelques moldus avaient pour l’instant été épargnés de l’oubliettage massif organisé. La nouvelle diviserait et ferait enfler une colère légitime contre le gouvernement actuel, rendant certaines pratiques barbares et régressives bien plus attractives. La peur faisait bien souvent ressortir le pire de ce que le monde sorcier pouvait offrir, Ima était bien placé pour le savoir.

Les premiers temps, le président fut trop occupé pour rendre visite à Jameson, courant de réunion en réunion, apparaissant à divers évènements afin de préserver de faux semblants. Il s’était contenté de lui envoyer son patronus – une imposante panthère noire – en guise de soutien, regrettant ne pouvoir faire plus pour son ami. Un matin – Ima considérait que c’était le matin bien que le soleil ne se soit pas encore levé – on annula l’une de ses conférences. Le sorcier ne perdit pas une minute pour afficher un message d’absence à son bureau et cheminetter jusqu’à atteindre le nord du pays, finissant son trajet en se téléportant devant une grosse bâtisse biscornue aux pierres apparentes qui disparaissait encore à moitié dans la brume de l’aube. Le ciel écossais était sombre et humide, chargé du sel de la mer non loin d’ici. Un climat bien différent de celui qu’Ima avait connu durant son enfance. Il y avait quelque magie dans l’air, qui donnait ici naissance à des grands gaillards aussi braves qu’obstinés et à des sorcières plus terrifiantes encore. Mais les fiers guerriers écossais étaient-ils levés à une heure aussi matinale ? Ima envoya son patronus à la recherche de Jameson pour l’informer de sa venue.

Jameson ne dormait pas beaucoup. Personne ne dormait réellement longtemps de toute façon. Le clan était attaqué et avec les petits perdus dans la nature, il y avait comme une espèce d'épée de Damoclès qui s'approchait dangereusement de leurs têtes. Les aiguilles de Sean et de Milo qui étaient continuellement En Danger de Mort n'arrangeaient rien à cela. Pire encore, la discorde grondait chez les Clearwater. Entre Braxton et ses attitudes belliqueuses Adil qui exprimait sa colère sans se soucier des conséquences qu'il pouvait avoir (trouvant échos dans le regard d'Amastan et pire encore, dans ceux d'Ellie) ou encore Israfel qui se prenait pour une petite frappe voulant punir le premier venu comme on tabasse un gosse à la récrée, cette situation les épuisait tous.

Maggie, leur mère ou grand-mère, était un vrai soutien. Un rock qui ne ployait pas face à la tempête dans laquelle il se trouvait. Elle continuait de prodiguer ses conseils, ses soins, sa cuisine et son attitude protectrice en faisant comme elle faisait habituellement, permettant d'agir comme une boussole pour garder l'ensemble du clan dans la même direction.

Pour autant, il y avait certaines choses qui restaient pesantes, notamment la présence de Braxton lorsque ce dernier rentrait pour se reposer. Savoir que Betty passait enfin à autre chose, rendait Jameson si triste... Et en même temps, il ne parvenait pas à lui en vouloir, comprenant cette décision plus qu'il ne l'aurait aimé.

Mais le pire dans tout cela, c'était cette impression d'abandon qui grondait chez Jameson. Le ministère lui avait demandé de rester calme, de ne rien faire d'irréfléchi. C'était quelque chose qu'il suivait au pied de la lettre. Peut-être plus qu'il ne le faudrait selon Braxton. C'était probablement leur principale source de discorde depuis leur retour de Sainte Mangouste. Si Jameson n'avait pas la clairvoyance de savoir quoi, il restait malgré tout certain que son frère nourrissait un profond ressentiment à son égard. Et le simple fait de ne pas avoir convoqué le Gathering ne faisait que redoubler cette tension entre eux.

Ce soir, Jameson espérait l'attraper en plein vol. Il avait une petite idée pour calmer son frère et il comptait bien la mettre en exécution. S'il n'arrivait pas à secouer Braxton, à lui faire comprendre qu'il avait besoin d'aide, à le pousser à se soigner pour pouvoir être plus efficient à l'égard du clan, mais surtout à l'égard de sa propre vie, il espérait qu'une entrevue arrangée avec leur père le ferait changer d'avis.

Il avait déjà la bougie. Il ne lui manquait plus qu'à rédiger l'invocation en espérant ne pas trop troubler l'ordre normal des choses, misant beaucoup sur le nexus qui se trouvait sous les pieds des Clearwater depuis près de mille ans pour rendre cette entrevue le plus sereine possible.

C'était ce qu'il était en train de faire lorsqu'il reçut un patronus à la forme d'une belle panthère. Sauvage, mais royal, l'animal s'était approché de Jameson qui se trouvait dans le bureau de son père. Le patriarche ne put retenir un profond soupir de soulagement. Malgré son ressentiment à l'égard du ministère, il y avait certaines têtes qui comptaient encore beaucoup pour lui. Ima Soninké était de ceux-là. Et pour cause, c'était un ami de la famille depuis que Caleigh avait travaillé à son cabinet.

Il n'attendit pas plus longtemps. Saisissant sa baguette magique, il sortit du bureau en enfilant rapidement un pull pour aller à la rencontre de son ami.


Jameson ouvrit la porte du domaine. Il s'avança sur son seuil, regardant la nuit perdre du terrain sur l'aube qui pointait le bout de son nez derrière les reliefs écossais à l'est. Un peu plus loin, il voyait l'imposante silhouette d'Ima se dessinait à la lueur des premiers rayons de soleil. Un sourire se dessina sur les lèvres du Clearwater, qui se dirigea vers le président du Magenmagot.
« - Ima ! Mon frère ! » Vint Jameson en l'interpellant avant de le serrer brièvement contre lui.
« - J'allais me faire du café. Viens. »
Il l'invita à le suivre. Refermant l'épaisse porte avec douceur derrière lui, il précisa :
« - Ils dorment encore. Viens, on va se mettre dans la cuisine. »

Le professeur de Sortilèges se dirigea vers cette grande pièce où une épaisse table de bois s'allongeait sur la longueur de cette dernière (on pouvait y voir des documents, des gribouillis, des recherches). Sur un pan de mur, il y avait une vieille gazinière (une espèce de piano bien particulier et capricieux) avec un frigo et tout un tas de rangements et d'ustensiles apparent. Sans compter, bien sûr, tout l'attirail des grandes et vieilles familles de sorcières qui étalaient aux yeux de tous grimoires, herbes et autres ingrédients magiques.

Jameson se dirigea vers le plan de travail où une vieille cafetière traînait au côté d'une boîte à café qui datait de l'enfance d'Ewan.
« - Ça doit être le feu là-bas, hein ? » Demanda Jameson, qui semblait, malgré tout, très amer à propos de toute cette histoire. Il avait beau le connaître, Jameson ne pouvait s'empêcher d'y voir l'étiquette du ministère sur sa belle robe de sorcier.

Le Clearwater apparut dans l’embrasure de la porte, droit, massif, fier représentant de son peuple. Ima l’observa calmement, appréciant la manière dont l’écossais se fondait dans le brouillard, comme si cet air si humide et salé le reconnaissait et l’acceptait dans sa brume matinale. Alors qu’il s’approchait de lui, Ima reconnut la manière dont l’inquiétude et la fatigue tirait ses traits. Il ne connaissait malheureusement que trop bien la façon dont Jameson Clearwater affrontait la douleur d’une violente disparition. Ce n’était pas la première fois que le sort s’acharnait sur lui et sa famille. Le Malien voyait un cruel parallèle dans la peine ravivée au fond des pupilles sombres de son ami alors qu’il devait revivre les pires heures de son passé, encore et encore. Ce n’était cette fois-ci pas sa femme qui avait été visée, mais ses neveux. Heureusement, sa jeune fille - Lucy - semblait avoir été hors de danger, que Fâro en soit remercié.

- James, se contenta-t-il de répondre sobrement en lui rendant son accolade. Pour la première fois, se tenir devant cette demeure lui avait amené une désagréable appréhension, comme s’il n’était plus vraiment sûr d’y être le bienvenu. Heureusement, Jameson ne s'embarrassa d’aucune hésitation en l’invitant à sa suite, proposant le breuvage qui devait tous les aider à les faire tenir. Ima hocha la tête en le suivant, plutôt heureux de laisser l’humide nébuleuse derrière lui pour l'abri chaud et sec qu’offrait la maison.

Dans la cuisine, la table habituellement recouverte de grands plats à moitié consommés, de charcuterie recouverte de torchon, de pichets d’alcool, de fruits et pots de confiture était vide de toute cette vie; remplacée par une activité bien plus tragique. Les recherches allaient bon train pour retrouver les trois étudiants et l’idée de voir cette grande famille tournée autour de cette même et seule inquiétude lui enserra le cœur.

La demande que Jameson lui lança en servant du café encore fumant prouva à Ima que s’il n’en montrait rien, son ami contenait une certaine amertume vis-à-vis de lui et du ministère. Le malien ne répondit pas tout de suite, et se contenta d’attraper la tasse qu’il lui tendait en faisant une moue dubitative. Il ne comprenait que trop bien l’écossais. Lui et son clan devaient tenir une rancoeur accrue devant la manière dont les autorités avaient décidé de gérer ces disparitions. Et Ima, en tant que représentant du Magenmagot faisait partie de ce système qui les maintenait dans le silence, et le fait qu’il n’approuve pas ces méthodes ne changeait rien à l’affaire.

- Une véritable fourmilière, répondit-il lentement en tournant son café devant lui avant de le poser sur la table, entre deux cartes du Royaume-Unis. Il était trop chaud pour le boire, tout comme ce qu’il traversait était trop effroyable pour parler de l’ambiance de travail du Ministère.

- Jameson… Ima marqua une pause en relevant le visage vers l’écossais, tout en posant une main sur son bras. Comment tu vas ? Comment va ta famille ? J’aurai aimé venir plus tôt…

Le Soninké secoua la tête en retenant un soupir contrarié. Qu’est-ce que Jameson pouvait bien avoir à faire de ses excuses. Il avait autre chose en tête que son emploi du temps de président et pour lui, les jours devaient se confondre alors qu’il devait passer ses nuits penché sur ses cartes et ses rituels à la recherche des petits du clan…

- Dis-moi, est-ce que je peux être d’une quelconque utilité ?

Au ministère, c'était le bazar. Jameson n'arriva même pas à y prendre une quelconque forme de plaisir. Pourtant, ce n'était pas faute de maudire Gavin Roberts et Mans Haywood de tout son être à chaque fois que ses yeux se posaient sur le nouveau numéro de la Gazette du sorcier sur lequel on lisait des banalités affligeantes sur les faits estivaux des environs. C'était horrible de se dire qu'il y a plus de cinquante ans, la Première Guerre s'était déclarée de la même manière et que la seconde avait aussi pris le même chemin. Jameson ne cherchait pas à être un alarmiste, ou un complotiste. Il avait presque cinquante piges, il était au-dessus de ça. C'était plus le genre de sa fille. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il y avait là une vraie menace.

Ce Ryan. Cette sorcière débile chez Israfel. Ou encore les moyens magiques mis pour affronter la famille de sa sœur en plein quartier moldu ne laissaient présager rien de bon. Ils préféraient garder ça dans le silence, dans une paix mensongère.

Que pouvait-il faire, hein ? Lever une armée d’Écossais comme le proposait son frère ?

Lorsque Ima lui demanda comment Jameson allait, le patriarche, qui était en train de servir le café, se figea. Tout d'un coup, les larmes embuèrent ses yeux, faisant ressortir des émotions qu'il réprimait au fond de lui dans l'unique but de se montrer fort, d'être un rock pour ceux qui étaient encore là, autour de lui, à s'inquiétaient comme lui de l'absence de Milo et de Sean. Il déglutit péniblement, battant rapidement des cils comme pour chasser l'eau qui s'était glissée sur ses globes oculaires.

Il ne vit qu'à cet instant qu'il remplissait la tasse plus qu'il ne le fallait, faisant déborder le liquide ambré sur le plan de travail.
« - Merde. »
Jameson reposa la cafetière sur le côté, soulevant la tasse tout en claquant des doigts avec sa main libre. Le café, qui s'étalait sur le meuble et gouttait au sol, disparut. Il vida la moitié de la tasse beaucoup trop pleine dans une autre, avant de la poser devant Ima.

Jameson s'assit en face de lui. Le sucrier s'éleva de l'armoire de lui-même pour venir se poser sur la table.
« - Tu es le premier à me poser cette question, Ima. » Il déglutit péniblement, avant de plonger son regard dans le café où il venait d'ajouter un sucre. « Merci. »

Il ne répondit pas. C'était inutile, Ima le connaissait suffisamment pour savoir que Jameson allait tout sauf bien. Ce n'était pas un secret, en vérité. N'importe qui avec un peu de bon sens et d'empathie pourrait le comprendre.
« - Tu ne peux rien faire. Roberts et Haywood veulent que cela ne s'ébruite pas. Tu risques d'avoir des problèmes. »
Ima Soninké avait beau porter la jolie couleur prune des robes de sorcier des hommes de loi, il n'en restait pas moins son ami. Le plus jeune président du Magenmagot, noir qui plus est. Ce n'était que le fruit d'un dur labeur dans laquelle il avait sacrifié sa vie privée pour se battre afin d'affirmer ses idées et de laisser sa trace dans l'histoire magique britannique.

« - Ou peut-être que si, en faites. »
Jameson tendit l'oreille. Il n'entendait personne sinon la respiration d'Ima. Par précaution, il pointa la porte de la cuisine de son index pour y jeter un assurdiato afin que la pièce reste close et hermétique de tout bruit.

Il arrêta de tourner son café, une étrange lueur dans le regard. Jameson se racla la gorge.
« - J'aimerais mettre mon frère au repos. Le boulot le crève, il est en train de tout perdre. Est-ce que tu pourrais faire quelque chose ? »
Jameson en doutait, mais cela ne coutait rien de lui formuler. Son frère devenait qu'une espèce de fantôme qui ne semblait se nourrir que des ténèbres environnantes, déboulant toujours dans la cuisine dans les moments où personne ne s'y attendait. Il devenait fou, ce qui n'était que la suite logique de toutes ses douleurs que @Braxton Clearwater avait vécues tout au long de sa vie.

Cette situation le tuait. Il perdait son frère et ça le rendait dingue. Il aimait Braxton comme un fou, mais ils n'avaient jamais su se comprendre. Jameson n'avait jamais su s'y prendre avec lui. C'était inconscient. C'était le résultat d'une éducation particulière, donné par un père qui, lui-même, avait beaucoup souffert des guerres. Un besoin, peut-être, de consolider ses fils qui n'avait eu, pour résultat, que de les séparer toujours un peu plus.

Si on pouvait douter de ses réelles intentions lorsqu'il était bien plus jeune, aujourd'hui, Jameson faisait tout pour que cela se passe bien. Il voulait aider son frère, mais... Mais c'était Braxton. C'était le genre de sorcier à toujours creuser plus loin pour voir jusqu'où se trouvaient les limites de la vie. Il venait d'en toucher une. Son couple explosait. C'était peut-être le moment que Jameson attendait pour le sortir de ce fichu département des Mystères.

Le dos de Jameson lui faisait face, et pourtant, Ima pouvait lire la douleur en lui comme s’il avait ses pupilles plongé dans les siennes. L’écossais et le malien avaient en commun d’être les patriarches de grandes et larges familles qui comptaient essentiellement sur eux en cas de coups durs. Cette responsabilité apportait son lot d’obligations et aucune faiblesse ne leur était permise. Ima ne comprenait que trop bien l’état d’esprit de son ami. S’il lâchait prise maintenant, c’était toute sa famille qui allait imploser, submergée par une vague de panique capable de détruire les liens les plus profonds. Il se devait de se montrer fort, pour eux, pour les protéger. Et pourtant, James n’était qu’un homme. La disparition de ses neveux rappelant le triste souvenir de cela de sa femme devait l’affecter si profondément qu’il devait puiser dans d’insoupçonnées ressources pour continuer à rester debout dans la tempête.

La main d’Ima se posa sur l’épaule de l’écossais alors qu’il restait silencieux. Il n’avait pas besoin de parler. Du reste, il n’y avait rien à dire. La tasse du sorcier débordait, piètre métaphore de ses propres émotions qu’il avait brusquement peine à contrôler. Quoi de plus normal après tout… Sa faiblesse fut cependant passagère et il rattrapa les dégâts avant de poser deux tasses sur la table, faisant venir le sucrier qui lui manquait pour agrémenter son café noir. Son ton bourru laissait transparaître sa fatigue quand il remercia le Soninké pour son attention. Ce dernier fut gêné, ne détournant cependant pas le regard de son ami. Pourtant, il ne méritait aucune grâce et se sentait d’une insupportable impuissance devant le malheur de sa famille.

Jameson mit justement le doigt sur son incapacité à changer la donne dans le deuil des Clearwater, mentionnant la décision officielle de couvrir les enlèvements des étudiants par le ministère. On aurait pu croire que les sorciers avaient su apprendre de leurs erreurs après la guerre noire et l’inaction des décideurs de l’époque… Le Ministère ne pouvait cacher bien longtemps la vérité à ses concitoyens… Un jour ou l’autre, la nouvelle se répandrait à la vitesse d’un lumos, et tout ce qu’on retiendrai c’était le mensonge de l’état… C’était terrible, mais le Ministère signait lui-même sa perte. Ima redoutait que les événements ne les mènent à une des plus grosses crises civiles depuis la fin de la guerre.

Mais James ne semblait pas avoir l’esprit à parler politique… Son regard se porta sur la porte de la cuisine qu’il insonorisa d’un sort avant de reporter son attention sur Ima. En quelques mots, il lui décrivit son angoisse actuelle concernant son frère  @Braxton Clearwater. Jameson craignait pour sa santé mentale et souhaitait le mettre de force sur la touche. Ima se contenta de baisser la tête en prenant le temps de réfléchir. Selon lui, cela faisait bien longtemps que le Langue-de-Plomb aurait dû être mis en retraite anticipée. De nombreux employés de cette génération avaient été traumatisés par la guerre et les missions qu’ils avaient dû accomplir par devoir pour leur pays. Il était temps qu’ils se mettent au vert et pansent leurs blessures. De nouveaux agents prendraient leur place sans reproduire les honteuses actions auquel l’état d’urgence les avait mené.

- Bien-sûr… Avec la disparition de son fils… de Sean. Ima se força à prononcer le nom du petit écossais comme si cet effort continuait à le rendre vivant et présent dans sa demeure familiale. Braxton est d’office placé en congé et retiré de toutes ses missions, les officielles comme les officieuses… Pour ne pas parler des missions que Braxton s’octroyait de plein droit, sans aucune intervention de ses supérieurs. Et quand Sean reviendra… Parce qu’il reviendrait, il ne pouvait en être autrement. Il aura besoin de temps pour être à ses côtés. On lui proposera une solution adaptée à son état, je te le promets James…

L’aîné des Clearwater portait depuis longtemps le souci de son jeune frère qui avait eut l’esprit émoussé par la dureté des combats et des actes de guerre le rendant étonnement aiguisé, coupant, sur la défensive. Certains de ses emportements étaient remontés jusqu’au bureau d’Ima qui avait fait son possible pour défendre la famille de son ami sans compromettre pour autant la neutralité que sa position imposait. Ima n’osait imaginer ce qu’il adviendrait de Braxton, de Jameson et du reste des Clearwater si leurs petits ne revenaient pas. Quelque chose lui disait que l’implosion de cette famille entraînerait une réaction en chaîne qui ne pourrait les mener qu’au chaos. Les trois étudiants devaient être retrouvés. Pour le bien de son ami et de sa famille, tout autant que pour la paix précaire qui était maintenue sur le pays.

- Tu as… quelques pistes… ?

Malgré lui, le malien jeta un regard peiné aux cartes à côté d’eux. Sa question lui paraissait bien peu pertinente. Si James avait le moindre indice, il ne serait certainement pas là en train de boire un café avec son vieil ami. Il avait cependant besoin d’en savoir plus, de savoir s’il n’avait pas quelconque moyen d’aider le professeur dans sa quête.

Ima ne semblait pas comprendre où Jameson souhaitait en venir quant au traitement qu'il espérait pour @Braxton Clearwater. Le patriarche du clan Clearwater désirait apporter des soins profonds à la santé mentale de son frère qui partait dans tous les sens, le rendant si amer, si acerbe, mais surtout à côté de ses pompes, tout le temps. Cette paranoïa que le cadet des Clearwater ne camouflait même plus tant elle faisait partie intégrante du personnage et cette mauvaise influence qu'il avait auprès des jeunes hommes du clan le rendait à la fois dangereux pour lui-même, mais aussi pour la famille dans son ensemble. Ce qui c'était passé dernièrement n'était qu'une mise en bouche de ce qui pourrait arriver s'il continuait dans cette voix-là. Pire encore s'il parvenait à motiver les clans de partir en guerre à son insu. C'était quelque chose à laquelle il avait pensé au point de se demander si Braxton ne serait pas capable d'intenter à sa vie pour obtenir ce qu'il désirait au fond de lui.

C'était probablement pousser la réflexion un peu trop loin, mais il y avait certaines choses dans son comportement qui troublait Jameson de plus en plus au point que même son subconscient se permettait de le mettre en garde en lui révélant sa plus grande peur qui n'était autre que d'affronter un jour son frère en combat singulier. L'idée de le voir devenir fou et d'intenter à la vie des siens sur un accès de folie comme il l'avait vu dans cette vision d'horreur lui broyait les intestins rien que d'y penser.

Il n'aurait probablement pas ce genre de pensées si son frère acceptait l'aide qu'on lui donnait. S'il ne voyait pas toute tentative à son encontre comme une attaque personnelle comme il le faisait actuellement à chaque fois que Jameson tentait de le raisonner. La peur rythmait leurs entretiens. Braxton ne s'en rendait même pas compte, rendant la situation bien plus douloureuse encore pour l'aîné de la fratrie qui tentait de contenir le chaos émanant de son frère avec les moyens du bord. Un peu comme s'il tentait de réparer un barrage avec du scotch alors que ce dernier se fissurait de part en part.

Le simple fait de voir Betty demandait le divorce aurait dû être la limite suffisante pour que Braxton ne se réveille de ce cauchemar dans lequel il s'enfermait depuis la mort de Liam.

Mais non. Non, tout ce que Jameson voyait c'était un homme qui ne pouvait voir au-delà de son nombril parce qu'il avait laissé les ténèbres s'emparaient de sa vie là où les autres avaient décidé de rester dans la lumière à profiter des bonnes choses comme de la famille qui n'attendait, pourtant, que de l'y tirer pour que Braxton ne se porte mieux.

Comme Maggie disait : On ne soigne pas quelqu'un qui ne veut pas l'être.

Abandonner son frère aux ténèbres était une idée qui lui donnait des haut-le-cœur rien que d'y penser. Alors l'idée de l'envisager...

« - Non, Ima. Je parle de l'interner à Sainte Mangouste. De lui retirer le droit d'exercer dans ce département de fracassés, de... Tu te rends compte qu'il me tanne pour que je convoque les chefs de Clan afin de partir en croisade contre... Tout ça ? »
La voix de Jameson trembla, le forçant à se racler la gorge pour reprendre possession de cette dernière sans toutes ses émotions qui l'assaillaient. C'était terrible. Personne ne semblait saisir l'ampleur des dégâts que son frère  était capable de faire. L'idée que ça ne vienne probablement que de lui lui fit fermer un instant les yeux, se demandant s'il n'était tout simplement pas en train de perdre pied à son tour.

Non. Non, non. Le regard d'Ellie à son encontre après avoir giflé Adil pour avoir osé dire tout haut ce qu'il pensait lui faisait bien comprendre que certaines choses n'allaient plus chez Braxton.
« - Il va divorcer. Enfin, Betty veut divorcer. Ça me tue. C'était tout pour lui, tout ! »
À nouveau, il ferma les yeux, se passant une main sur le front. Ses émotions étaient bien trop vives, même pour lui. Jameson se doutait que ça arriverait un jour, mais il avait toujours refusé de le voir comme une finalité, espérant que son frère se rende compte que sa famille s'étiolait devant lui. @Sean Clearwater et @Eleanora Clearwater n'avaient clairement pas besoin de ça. Surtout en ce moment.

Ima lui demanda ensuite s'il avait quelques pistes. Jameson secoua la tête de droite à gauche.
« - Non. Tout ce qu'on est parvenu à faire jusqu'à présent, c'est de s'assurer qu'ils sont bel et bien en vie. Soit, ils sont de redoutables sorciers. Soit, ils sont infiltrés au ministère. @Gabriel Standford nous aide du mieux qu'il le peut, mais même lui patine sur cette histoire. »
Il  saisit sa tasse, dépité et las.
« - Ima. J'ai pas envie d'une autre guerre. C'est pas pour ça que je me suis battu quand on était des gosses. Je voulais leur épargner ça justement. Mais j'ai l'impression que tôt ou tard, ça va repartir comme en 95 et qu'il va falloir former des soldats au risque de bousiller une autre génération de sorciers. »

Jameson lui coupa à moitié la parole, rectifiant ses propos et montrant toute l’ampleur de son inquiétude pour son frère. L’interner à Sainte Mangouste! Ima avait du mal à croire ce qu’il entendait. Pourtant son ami paraissait aussi sérieux qu’un gobelin annonçant un dépôt de bilan. Le patriarche Clearwater semblait avoir mûrement réfléchi son propos avant de le lui annoncer, et pourtant, les cernes qui faisaient ressortir ses pupilles sombres étaient suffisantes pour remettre en question la pertinence de ses paroles.

Ima se contenta de boire une gorgée de café brûlant, se laissant le temps de trouver les mots justes pour répondre à son ami. Au fond, il ne pouvait s’empêcher de se sentir désolé pour ce frère dont la santé mentale paraissait si durement impactée par la guerre. De même, son coeur se serrait devant ce grand frère éternellement inquiet pour son cadet qu’il cherchait à protéger quitte à prendre des décisions qui bouleverseraient sa vie à sa place. Jameson indiquait notamment un divorce qui était semble-t-il la goutte de potion qui avait fait déborder le chaudron.

Le Soninké soupira en secouant la tête. Par moments - et même si la solitude pouvait être pesante - il se trouvait presque chanceux de ne pas avoir ce genre d’attachement qui avait brisé tant de ses amis, à commencer par le grand gaillard en face de lui. Un instant, ses pensées volèrent vers la belle et mystérieuse sorcière croisée quelques jours auparavant dans le café en face du Ministère mais il se contenta de baisser le regard, évacuant ce souvenir aussi vite qu’il était revenu flotter dans sa mémoire.

Jameson enchaînait sur l’état de leurs recherches et la gravité de ses paroles finit d’effacer toute frivolité dans l’esprit d’Ima. Ils avaient affaire à un groupe puissant et organisé - qui étaient parvenus à synchroniser trois attaques de manière simultanée - ne laissant aucun indice derrière eux, seulement la mort et la destruction. Jameson évoquait ce qu’on osait à peine penser tout bas dans certains milieux: une infiltration du ministère. Ima ne cacha même pas l’écœurement que cette idée lui inspirait. Le Clearwater semblait faire entièrement confiance au chef des Aurors @Gabriel Standford. Il fallait dire que leur département comptait un certain nombre de Clearwater et qu’on pouvait difficilement trouver plus fidèle que cette famille à son clan.

Cependant, si un espion s’était faufilé parmi eux, juste sous leur nez; nul ne pouvait prévoir la tournure que prendraient les futurs évènements. Dire qu’une élection présidentielle allait avoir lieu dans ce contexte. Ima savait que ses opinions politiques différaient de celles de son ami, mais au vue des récents évènements, comment lui reprocher sa recherche d’un pouvoir plus répressif ? Quelle importance avait la démocratie et une justice équitable quand sa propre famille était attaquée ?

Malgré le découragement qui l’avait envahi, le malien posa sa large main sur l’épaule de l’écossais dont les souvenirs de la guerre venait hanter les heures les plus sombres. Il craignait que tout ne recommence, et que cette nouvelle génération qu’ils avaient tenté de préserver de ces horreurs ne vivent les mêmes événements, sans y être préparés.

- Aie fois en notre communauté magique, James mon ami. Nous sommes capables d’apprendre de nos erreurs et de ne plus reproduire ce genre d’atrocités. Tu as eu raison de tout faire pour épargner à tes étudiants ce que nous avons vécu. Toutes nos aspirations à construire une société meilleure reposent sur cette nouvelle génération qui ne connaît que la paix. Ne laissons pas quelques individus violents nous voler cet espoir…

Il savait son discours bien pitoyable face à la violence de s’être fait arracher des membres de sa propre famille par des terroristes. Aussi, le Soninké ne préféra pas continuer son discours, par décence pour la peine de son ami.

- On va les retrouver James… On va retrouver tes petits… Et on jugera ces misérables qui croupiront le restant de leur vie en prison, tu peux compter sur moi.

Sans doute que le Clearwater aurait préféré une sentence plus radicale, mais en tant que Président du Magenmagot, Ima ne pouvait le cautionner. La peine de mort avait été abolie il y avait des années de cela et son rôle était d’assurer justice équitable pour tous.

- Quand à Braxton… Écoute… Je pense que le fait de perdre son fils et sa femme en même temps affaiblirait n’importe qui… Je jugeons pas hâtivement ton frère. Attendons qu’il retrouve son fils. Ensuite, il aura un entretien avec un professionnel de santé pour vérifier s’il est apte à reprendre le travail. Si à ce moment-là, on juge qu’il a besoin de soins plus fournis, nous pourrons envisager avec lui une place en centre spécialisé. Quoi qu’il en soit, nous respecterons l’avis médical qui lui sera attribué.

Ne voir aucune réaction sur le visage d'Ima, ou plutôt d'en voir des dizaines sinon un profond silence de sa part sur la condition de son frère, l'agaçait. Jameson fit des efforts incommensurables pour ne pas taper du poing sur la table pour espérer secouer son ami qui avait le pouvoir de l'aider, mais qui décidait de ne rien faire. Il avait sincèrement cette impression de n'avoir aucun appui en ce monde pour mener à bien son clan à travers l'obscurité qui s'était abattu dessus. Pas de @Nero MacGregor, pas d'@Ima Soninké, pas de... Non, c'était faux. La colère gagnait ses pensées et c'était celle-ci qui parlait pour lui. Cette petite voix qui criait l'injustice depuis déjà quelques jours n'était que l'enfant de cette rage contenue pour devoir jouer le rôle du guide qui lui incombait.

Jameson avait levé le regard vers Ima lorsque ce dernier avait posé sa main sur son épaule. S'il ressentit une petite chaleur en lui, il ne pouvait s'empêcher de garder pour lui ce qu'il pensait sincèrement de sa foi en la communauté magique. Il n'était pas qu'un d'avare en conseil, en aide ou autre. C'était un Clearwater. Et un Clearwater faisait toujours les choses biens. Pour autant, il n'arrivait tout simplement pas à se laisser aller, à se dire que demain serait un jour meilleur et que tout ne pouvait que s'améliorer. Cela pouvait s'expliquer un peu par la tourmente dans laquelle il était pris au piège. Mais ce n'était pas vrai. Pas en totalité. Juste que d'habitude, il savait faire semblant.

Contrairement, peut-être, à son père, à @Braxton Clearwater (fut un temps), sa sœur Ellie et les autres Clearwater attachés de près ou de loin au ministère de la magie, Jameson n'avait jamais pu leur faire confiance. C'était un véritable problème d'ailleurs pour lui de voir ses neveux, nièces ou autres connaissances qu'il aimait particulièrement porter les couleurs du ministère. Jameson n'était pas un rebelle pour autant. C'était juste qu'il avait vu ce qui s'était passé il y a vingt ans, et qu'il avait vu que les choses n'avaient pas beaucoup changé. Ou pas assez pour lui. Sa fille, Lucy, avait pris ça de lui bien qu'elle ait aussi prise de sa mère sur cette idéale qu'elle cherchait à bâtir. Tout du moins, contribuer à faire de leur monde, un monde meilleur.

Jameson, lui, c'était juste veiller sur les siens, les aider, les chérir, les aimer et les accompagner sur leur chemin de vie.

Les grands espaces, la nature, les siens, la bonne bouffe, les bonnes bières, les femmes, c'était juste ça qui le faisait vibrer. Tout le reste, il n'en avait rien à foutre. Et plus les choses avançaient, plus il s'enfermait dans cette opposition au ministère, le poussant à aller vers les extrêmes, espérant, peut-être, au fond de lui, provoquer un schisme suffisamment puissant au sein de la communauté sorcière pour que les choses réelles se passent et changent. Tout cramer pour reprendre à zéro, comme dirait @Asel Misra (et Léodagan).

« - J'ai pas envie de les juger... En faites, en faites... »

En faites... Quoi ? Il rompit le contact visuel avec son ami, l'air las. En faites, il n'avait pas envie de les juger. Jameson n'avait qu'une seule envie, c'était de faire le ménage. Détruire cette engeance qui mettait la paix au bord du précipice en s'attaquant à un clan écossais reconnu pour être des têtes dures capable du pire par amour puisque c'était leur motto. Et là, on les attaquait. Jameson, peut-être parce qu'il était le patriarche, ou peut-être que sa génétique était plus proche de ses lointains ancêtres armés d'une hache ou d'une épée, baguette dans l'autre main prête à fondre sur leurs ennemies Saxons, voulait leur rendre la monnaie de leur pièce.

Peut-être pas comme Braxton... Mais en pire. En pire, parce qu'il avait toujours été le plus fou des deux, à courir après son frère avec tout ce qui pouvait servir à faire mal quand il faisait quelque chose qui ne lui plaisait pas, ou à esquiver les claques, les gourdins et les sorts de son père. Ce n'était pas la meilleure éducation du monde, mais c'était celle qui l'avait forgé. Bien sûr qu'il ne répétait pas cela sur ses enfants (ceux du clan), mais il avait quand même ce goût prononcé pour la violence qu'il savait présent en lui, capable de lui faire faire des trucs immondes et abjects sans sourciller un seul instant.

Pour preuve, même si la guerre avait eu des effets secondaires sur sa psyché, tout le reste, tout ce qu'il avait vu, lui avait coulé dessus comme de l'eau. Alors oui, il ne voulait pas que ça se reproduise. C'était bien pour une raison. Mais pour le reste... Il n'hésiterait pas à faire preuve de la même violence que celle qu'on lui infligerait. Sa toute première baguette magique le boudait pour ça. C'était dire ce qu'il était capable de faire.

Jameson baissa le regard. Dans ses yeux, sa frustration prenait une curieuse lueur et il préférait taire ce genre d'émotions.
« - Ils seront dévastés... Mes deux petits gars, la petite MacGil Fhaolain... T'aurais vu les conneries qu'ils ont faites les autres pour les retrouver... Mais le pire, c'est cette rage dans le regard du petit de ma sœur.  Ils sont trop jeunes... Et pourtant, je sais déjà qu'ils sont brisés. Ils ont pas fini leur scolarité, ils ont déjà le goût du sang dans la bouche. C'est quelque chose que j'aimerais leur éviter... Et Milo... Sean et Asel... »
Il secoua la tête. Cela ne servait à rien de se faire du mal.

Le professeur de Sortilèges porta sa boisson à ses lèvres. La chaleur lui fit du bien. Comme une caresse intérieure, elle l'appelait au calme, repoussant ses émotions froides, douloureuses et violentes.

« - Ima. Pour l'amour du ciel, s'il te plaît. »
Il en avait marre de minimiser les problèmes de son frère depuis... Depuis Liam et ce qui en avait découlé. Le divorce n'était qu'une conséquence d'une énième connerie de Braxton qui avait entraîné la calamité sur le clan et l'enlèvement de Sean, Milo et Asel. Ils étaient tous aveugles devant les problèmes de son frère ?
« - Je... Il a besoin d'aide. Un jour viendra... Un jour viendra où il fera la connerie de trop. Et j'espère sincèrement que ça n'éclaboussera personne au sein du clan, parce que je te jure, c'est moi qui le tuerais. ET ce sera votre faute pour l'avoir gardé captif dans votre ministère de merde qui utilise les sorciers pour les petits intérêts de deux, trois trouducs qui s'en mettent plein les coffres à Gringott's.»

Sa rage contenue rendait sa respiration difficile, saccadée. Il avait dans son regard un mélange de colère, de détermination et d'une douleur immense.
« - J'ai... J'ai fait un voyage avec la fille de Dunn et le fils Grey en Norvège plutôt dans l'année. »
Son regard s'éclipsa vers un point dans la cuisine alors qu'il se remémorait ce qui s'y était passé.
« - Un tumulus... 'Fin, un site de fouille que le ministère norvégien avait jugé clean, sans problème. Tout ça pour que le Thanatos nous tombe dessus alors que les pièges millénaires s'activaient pour défendre son trésor. Je me suis retrouvé piéger dans une illusion qui révélait ma propre peur, celle que j'avais au plus profond de moi et... Et... Et là, là. » Il montrait un endroit sur le sol. « Le corps de ma mère. Plus loin, celui de ma sœur, d'Amastan... Puis un peu plus loin... Et encore, et encore... Des cris à l'étage, je monte, je vois mon frère rendu fou, à son paroxysme de sa paranoïa qui voulait protéger le clan en les soulageant de leur vie pour qu'ils ne souffrent plus jamais. »

Il éclata d'un rire sans joie, couvert par l'assurdiato pour ne réveiller personne. Son regard avait perdu la colère et la détermination. Seule la douleur siégeait sur le trône de son esprit.
« - Mon frère est fou. Perdre Betty, c'est... Ça lui pendait au bout du nez depuis si longtemps... Mais quand on lui disait de tirer le frein, de calmer le jeu, de penser à lui et à sa famille, il s'en fichait. Au contraire, il s'enfonçait toujours dans les ténèbres pour tuer du mage noir, parfois même qu'il s'en inventait, camouflant son combat contre ses propres démons de la Deuxième Guerre. Liam, tous les autres. Tous. TOUS. Tout ce qu'il a fait... C'est un petit gars, Braxton. C'est MON petit gars. C'est mon frère, mais il n'y arrive plus. Il est au bout du rouleau, condamné à prendre des médicaments pour continuer à faire votre sale boulot de MERDE. J'en ai marre... J'en ai marre Ima. Je veux le sauver avant d'être forcé à le tuer. »

Jameson avait besoin de repos, c'était certain. L'essentiel était là. Il s'ouvrait. Peut-être pas de la meilleure façon, mais il en avait besoin. Ça lui donnerait cette possibilité de repartir à zéro quand il recroisait Braxton, d'avoir... Laissé sortir la pression. De... De pouvoir serrer les dents lorsque les autres s'en plaindraient. Jameson l'aimait plus que tout. Mais il y allait avoir un moment où les choses atteindraient un point de non-retour... Et ce n'était pas du tout ce qu'il voulait, bien au contraire.

La fatigue et l’agacement semblaient avoir fini par submerger son ami qui lui lançait un regard lourd de sous-entendus. La tirade d’Ima ne l’avait pas calmé, au contraire. Les sorciers guerriers écossais n’étaient pas connus pour leur patience, et celui qu’il avait en face des yeux bouillonnait littéralement. Ca n’aurait pas été la première fois que Jameson laissait tomber son masque sarcastique devant Ima pour lui montrer l’étendue de sa colère. Au moment de la mort de sa femme, il en avait été tant imbibé que la moindre flammèche de défi le faisait s’enflammer immédiatement. Il n’y avait rien de pire que le déchaînement alimenté par une tristesse infinie. Peut-être même que sa rage ne l’avait jamais quitté. Qu’elle attendait patiemment de nouveaux déclencheurs lui permettant de reprendre la place qui était la sienne dans cet hôte bien trop familier.

Le Clearwater reprit ses mots en les niant avant de s’interrompre en se détournant. Soudain, Ima craint que le dialogue ne se termine ainsi entre eux pour de bon. Est-ce que son rôle de Président du Magenmagot l’avait à ce point éloigné des simples considérations de ses semblables qu’il avait malgré lui coupé le lien le reliant à l’un de ses si rares amis ? Venait-il de laisser s’échapper la confiance du patriarche de cette famille si durement impactée par la vie ? Heureusement, tout n’était pas encore perdu pour leur amitié. Jameson choisit de reprendre la parole, révélant l’inquiétude qui l’habitait. Pour ses petits d’abord. Ceux qui avaient été enlevés, comme ceux qui restaient en arrière à les attendre.

Mais finalement, ses mots revinrent sans hésiter sur son frère. Braxton était-il réellement son plus gros sujet d’inquiétude, ou était-il plus simple pour Jameson de se préoccuper pour quelqu’un qu’il pouvait voir et toucher afin d’oublier la peine de ne pas savoir où se trouvaient une partie des siens ? Le grand frère craignait pour la santé mentale du plus petit; mais son angoisse englobait également plus largement tous ceux qui pourraient être impactés par les conséquences de ses actes. Ima fronçait les sourcils en observant son ami. Qu’avait exactement l’enseignant derrière la tête en le mettant ainsi en garde ?

L’analyse de Jameson sur la corruption du ministère et la manière dont l’institution se servait des uns et des autres jusqu’à l’épuisement de ses employés ne surprit pas Ima car elle était tristement banale. Mais à partir du moment où il exprima la décision de tuer lui-même la menace que serait devenu son frère s’il le fallait, Ima comprit que Jameson ne lui avait pas tout dit. Enfin, son ami finit par lui expliquer sa vision. La mine sombre, Ima l’écouta sans réagir. D’aucun aurait pu chercher à amoindrir son vécu, lui rappelant le danger d’accorder trop d’importance à des chimères. Mais Ima n’était pas de cet avis. Dans sa culture, on accordait beaucoup d’importance aux rêves et à leur signification.

James lui avait dévoilé sa plus grande peur, de manière si honnête que c’en était presque déstabilisant. Les écossais étaient de bien étranges créatures. Une bravoure poussée à l’extrême qui leur faisait dignement admettre leurs faiblesses. Le meilleur moyen pour les transformer en force: les reconnaître et apprendre à les dépasser. Au Mali, en revanche, il y avait des moments très circonstanciés pour dire ce qu’on avait en tête et ils permettaient rarement à un homme de s’ouvrir aussi librement que le faisait Jameson face à lui. Ima se sentait étrangement honoré d’avoir été jugé assez digne pour en être témoin et il se leva pour rejoindre son ami dans sa détresse. Déposant sa main sur le cœur du sorcier, il ferma son poing pour frapper sa propre poitrine.

- On le sauvera James. Je ne vous laisserai pas en arriver là, je te le promets…

Soudain, il ressentit une vague de mélancolie et d’indignation s’abattre sur lui - réalisant à peine ce que devait ressentir le sorcier. Entre les enlèvements, et sa famille à soutenir, Jameson devait de plus supporter l’inquiétude de devoir un jour tuer son frère pour protéger le reste des Clearwater. Comment un seul homme pouvait bien ressentir tout cela et tenir encore debout ?

- Je n’ai pas le pouvoir de l’interner de force James… Malgré ce que tu sembles penser, mon pouvoir au sein du ministère est assez limité. Par contre, il y a bien un endroit auquel je pense dans lequel je reste maître… Que diriez-vous qu’une fois qu’on aura retrouvé les petits, toi et Braxton vous veniez avec moi dans un voyage initiatique dans le Golf de Guinée. Au cœur de la forêt primaire de la Comoé au lac Kainji, il n’y a plus aucune illusion, aucun masque derrière lequel se cacher. Braxton fera face à ses démons et vous surmonterez ensemble cette épreuve. Hein ? Qu’est-ce que tu penses de ça mon ami ?… Vous êtes forts. Vous allez vous en sortir… Ensemble.  

Un soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres avant qu'il n'eût l'idée de réagir. Comme par instinct, il voyait la lumière dans les ténèbres qui l'oppressait furieusement. Et cette lumière, c'était encore son ami qui lui amenait. Il irradiait par sa sagesse et son self-control avec une dignité qu'avaient ses hommes de foi. Jameson ne put s'empêcher de baisser le regard, se laissant aller à quelques instants de pure vulnérabilité. Il ferma doucement les yeux, rassuré par les mots de son ami qui lui apportait du réconfort. Comme une bouée de sauvetage, il focalisa ses pensées sur sa proposition l'espace d'un instant, s'imaginant sauver son frère @Braxton Clearwater dans cette jungle dont il ne connaissait rien. Le prendre dans ses bras, lui dire que tout allait bien se passer et revenir avec lui avec cette relation si longtemps voulue qu'elle en était devenue un fantasme, un rêve, pour le patriarche des Clearwater.

Une relation dont il rêvait depuis tout petit, bien qu'il ne sut jamais comment s'y prendre sinon en lui tapant dessus, comme si c'était la seule chose à faire pour endurcir son frère qui était si fragile et si émotif petit. Il secoua la tête, laissant une larme qui roulait le long de sa joue pour se perdre dans cette barbe qu'il n'avait pas taillée de la semaine.

Un sourire vint s'installer sur son visage qui reprenait peu à peu de la couleur. Ima avait apporté un peu de lumière tel un rayon de soleil dans la grisaille qui dominait les Hébrides depuis quelques jours maintenant.

Intérieurement, Jameson se doutait que ce ne serait pas gagné vu l'énergumène qu'était son frère. Mais il préférait ne pas y penser, se focalisant uniquement sur cette solution qui lui permettait de délester un peu de poids de ses épaules qu'il luttait pour garder droites et solides depuis un petit peu trop de temps selon lui.
« - Merci. Merci, vraiment, merci. »

Il ne savait pas quoi dire d'autre. Jameson se gratta la barbe avant de lever sa tasse à la hauteur de ses lèvres pour avaler une bonne rasade de café. Son regard se perdit quelques instants par la fenêtre de la cuisine à côté de la porte menant vers le jardin de sa mère. Le ciel nocturne commençait à s'éclaircir tout doucement.
« - J'aimerais vraiment avoir ta façon de voir les choses. C'est le feu de partout, mais tu arrives à rester calme. »
Comme à l'époque, quand on lui avait retiré Caleigh. Il baissa encore une fois le regard. Les compliments, ce n'était pas un domaine où il excellait. Il en faisait rarement, préférant exprimer son ressenti par ses gestes, ses sourires ou ses regards. Mais le silence de la maison et la situation si particulière l'oppressaient suffisamment pour le sortir de ses petites habitudes.

Comme un climat océanique, il changea du tout au tout, pensant à @Iris Faux-Orpin tout à coup. Son esprit agissait là comme une sécurité, évacuant la dureté de la situation par un sujet anodin, un sujet qui lui tenait à cœur en temps normal. Après avoir tenté de la rapprocher de son ami @Nero MacGregor, Jameson s'apprêtait tout simplement à la mettre dans les pattes de son ami qui travaillait beaucoup trop pour se lancer dans une relation sérieuse.

Jameson se demandait même si Ima prenait le temps de... Enfin, vous voyez.

Mais là où il était beaucoup plus libéré avec Nero, avec Ima, c'était un peu plus... Sérieux. Deux salles, deux ambiances.
« - Au fait... T'es toujours célibataire ? »
Ouais, enfin, ça restait quand même du Jameson tout craché.