Debout dans la brume

Ima sentit Jameson se détendre sous la paume de sa main qu’il retira lentement. Kashka, l’un de ses belles-mères, lui avait souvent parlé du pouvoir de la famille de Farah – sa mère qu’il n’avait jamais connu – qui soignait traditionnellement les maux de l’âme par simple apposition de la main. Ima n’y avait jamais prêté grande attention. Pour lui, c’était le poids des discours et l’attention portée à l’autre qui avaient de réels pouvoirs curatifs. Et c’était avec ces dons qu’il avait travaillé toute sa vie durant qu’il tentait de faire sortir son ami de sa spirale de ténèbres.

Il fut heureux de voir Jameson se saisir de sa main tendue, s’accrochant à la promesse qu’il lui faisait de voir son frère se débarrasser de ses démons. Ou du moins d’apprendre à vivre avec. Le plus important pour eux était de renouer une relation fraternelle de confiance, et c’était précisément ce que ce voyage pouvait leur offrir. Son ami ne devait pas être dupe quant aux embûches qui les attendraient malgré tout sur cette route qu’il traçait pour lui ; mais il avait choisi la voie de la confiance.

Le Clearwater était un battant, et sa plus grande force était de saisir toutes les opportunités présentées à lui qui lui permettaient de continuer d’avancer, ne se complaisant pas dans le désespoir qui pouvait le saisir. Plus qu’un battant, c’était un survivant. Le regard d’Ima brilla de fierté en voyant le sourire revenir sur le visage de son ami. Il se rassit en levant la main en réponse aux remerciements de l’écossais qui n’avaient pas lieu d’être. Le Soninké n’avait rien fait d’autre que de révéler à l’albannach son propre pouvoir. Un silence apaisant s’installa entre eux pendant lequel leurs pensées s’envolèrent bien au-delà de la brume des Hébrides, avant que Jameson ne rompe le silence.

Ima l’écouta exprimer son désir de voir le monde comme lui le voyait et d’agir un peu plus à sa manière. Le malien se contenta de secouer brièvement la tête sans répondre. Jameson ne se rendait pas compte que d’eux deux, c’était lui le sage. Aussi fort et honnête que le roc et l’eau glacée des falaises les environnants. Jameson ne cachait rien et agissait avec une droiture fidèle à ce qu’il était – là où Ima se taisait, observait, adaptait ses paroles pour tordre, orienter, manipuler et arriver à ses fins. Il n’était pas calme, loin de là. Son détachement était étudié, travaillé et cachait parfois un tumulte d’émotions frustrées. Non, Jameson se trompait. C’était lui qui était envieux de ce qu’il était.

Mais l’heure n’était pas aux puériles jalouseries. Aussi, Ima se tut, portant simplement la tasse de café à ses lèvres dans un geste lent et réfléchi. Cependant, la soudaine interrogation de son ami faillit rompre le masque posé de son visage. En toussant son café avalé de travers, le Soninké reposa sa tasse pour fixer son ami d’un air éberlué. Quel chemin avait donc prit son esprit pour en arriver à une telle question ? Ses propres pensées volèrent un instant vers le visage de cette charmante inconnue croisée quelques jours plus tôt (@Iris Faux-Orpin) avant de s’arrêter sur le sourire chaleureux de son amie de longue date @Zahra Jekyll. Finalement, son air se dégela en secouant de nouveau la tête.

- Toujours mon ami. Le temps a bien passé… A présent, comment je pourrais imposer ma vieille âme ennuyeuse à qui que ce soit ?

Il haussa les épaules, montrant son manque d’intérêt pour la question.

- Je suis bien ainsi… J’aime ma solitude. Et puis… il faut bien que je sois disponible pour m’occuper de toi !

Un rire grave et rocailleux le secoua, dévoilant l’émail de ses dents qui tranchait avec l’ébène de sa peau et le pâle argent de sa barbe. Le rire d’Ima était rare et dans ces précieuses occasions, son visage entier se transformait, dégageant une chaleur communicative pour tous ceux qui l’entouraient. Gagné par son propre enthousiasme, il reprit d’une voix forte que teintait un amusement non dissimulé.

- Et toi mon frère ? Est-ce qu’une personne prend le risque de partager ta vie en ce moment ?

Ima avait une curieuse façon de se décrire ce qui ne manqua pas d'arracher un sourire sur les lèvres de Jameson qui secoua la tête, l'air amusé.
« - T'es vieux que si tu le veux. »
C'était quelque chose qu'il pensait sincèrement. Jameson ne se sentait pas vieux. Bien sûr, comme n'importe quel homme (ou femme) de son âge, il y avait des fois où il se prenait des rappels d'une rare violence, surtout en fréquentant des élèves dont il avait le double de leur âge si ce n'était parfois le triple. Mais il n'avait pas cette impression d'être si différent de celui qu'il était y avait dix ou quinze ans. Bien sûr, le contexte n'était pas le même, mais physiquement, il ne se sentait pas forcément amoindri, bien au contraire.

Le président du Magenmagot lui confia être bien dans sa solitude. Pour Jameson, c'était tout son contraire. D'ailleurs, il perdit même un peu de sa superbe quand on savait que c'était exactement ce qu'il cherchait à fuir en partageant le lit d'une amie ou d'une inconnue sans trop se poser des questions sur quoi le demain serait fait. Jameson ressentait un réel besoin de se retrouver quelqu'un. Il ne savait juste plus comment s'y prendre. Entre sa période de deuil, puis la peur de remplacer Caleigh et enfin l'avis de Lucy là-dessus (elle avait beau l'avoir aidé à refaire sa garde-robe, il y avait toujours une part en lui qui doutait de l'avis de sa fille), Jameson avait fini par se faire peur tout seul, et à chaque rencontre, il trouvait toujours un truc pour ne pas que ça dure.

Sa plus longue relation depuis Caleigh avait duré huit mois. Mais lorsqu'il avait fallu passer à la vitesse supérieure, Jameson avait tout fait foirer.

« - J'aimerais bien, mais... là-dedans - il tapota sa tempe - j'ai comme un problème à cause de... » Il ne sut dire son prénom tout haut, signe d'un attachement encore bien profond pour sa défunte épouse. Il eut un sourire forcé, alors qu'il se mettait à triturer nerveusement l'alliance de son mariage. Il ne l'avait jamais retiré.
« - Ce n'est pas faute d'essayer, mais... »
Jameson haussa les épaules, un sourire gêné sur les lèvres. Le spectre de sa femme était toujours bien présent. Il adorerait pouvoir la revoir, mais... Mais il ne valait mieux pas.

Il désirait avancer, aller de l'avant. C'était compliqué pour cet homme qui croyait fermement en l'amour malgré son air bourru ou sa façon de se comporter, que ce fût avec ses amis, ses collègues ou les inconnus de façon générale. Quand on le connaissait bien, on savait que son attitude nonchalante n'était qu'un masque pour cacher ce guerrier au grand cœur qu'il protégeait tant bien que mal en arborant divers visages qui ne reflétaient pas forcément celui qu'il était réellement.
« - J'ai pris un rendez-vous chez Cynfeirdd. C'est à la fin de l'été. En l'état, si j'ai pas retrouvé les gosses, je repousserais, mais... »
Jameson avait une réelle volonté pour avancer. Il avait juste besoin des bonnes clés maintenant.
« - Enfin bref. » Reprit-il, l'air gêné, désireux de changer d'une discussion dans laquelle il s'était enfermé lui-même.

Jameson porta sa boisson à ses lèvres.
« - Bon, si jamais tu changes d'avis, fais-moi signe. » Lui fit-il avec un sourire, prêt à lui présenter @Iris Faux-Orpin au moindre signe de faiblesse de la part du président du Magenmagot.

Jameson se défendit d’être aussi vieux que l’énonçait Ima. Il y avait quelque chose dans l’eau glacée des Hébrides qui devaient rendre ces écossais immortels. Le Clearwater – malgré l’épreuve qu’il subissait – semblait en effet regorger d’énergie. Il n’avait sans doute pas dormi depuis plusieurs nuits et pourtant, ses yeux continuaient d’héberger cette étincelle de vie si particulière qui le rendait unique. Ima se sentait pour sa part comme délavé par les heures de travail sans fin, les réunions qui s’improvisaient de la tombée de la nuit jusqu’à à l’aube, les dossiers qui s’empilaient inlassablement sur son bureau.  

Peut-être que le voyage initiatique qu’il avait proposé à Jameson lui ferait à lui aussi le plus grand bien. Le Soninké ne se souvenait même plus de la dernière fois qu’il avait librement pu se changer en son animal totem. L’esprit sauvage de liberté qu’il ressentait quand il retournait dans son pays natal lui manquait parfois terriblement, et il avait à présent grand hâte de voir la rencontre entre ces vastes plaines ocres et les deux gaillard écossais qu’il comptait emmener avec lui. Un discret sourire habilla son visage mais il le perdit bien vite en entendant son ami lui exposer sa difficulté à tourner définitivement la page de son histoire avec Caleigh. Sans lui répondre, Ima se contenta de posa sa paume sur l’épaule du professeur.

James et lui avaient sans doute en commun de n’être bâti que pour vivre d’uniques et intenses histoires d’amour. De robustes corps rompus aux combats mais qui cachaient un cœur à vif. Pourtant, si l’écossais avait la possibilité de rencontrer une personne avec laquelle il serait au moins à moitié aussi heureux qu’il l’avait été avec Caleigh, l’aventure valait le coup d’être tentée. Pour Ima, tout était sans doute trop tard. Il avait fâché les esprits des ancêtres en refusant la fiancée que le destin lui avait imposé. Le sort d’éternel solitaire qui l’attendait ne le dérangeait cependant pas tant. En tant que Président du Magenmagot, le peuple sorcier britannique dans son ensemble était une famille qu’il avait à cœur de défendre. Des grands frères revanchards aux petits derniers méprisés de tous.

Son ami le surprit cependant en évoquant le rendez-vous pris avec une psychologue travaillant avec les services du Ministère. Il était loin le fougueux écossais sans peur et sans reproche qui refusait d’être vu comme un faible. Jameson avait fait tant de chemin… Le voir ainsi se prendre en main pour accepter l’aide tendue réchauffait le cœur du malien. Se rendait-il compte qu’il agissait exactement comme il aurait aimé voir son frère le faire ? C’était parfait. Jameson serait un excellent modèle pour Braxton, comme il l’avait toujours été. Ima leva sa tasse de café devant son ami pour célébrer ses paroles, tout comme sceller l’improbable promesse qu’il se rapprocherait de lui s’il avait besoin de conseils de cœur.

- Comment va ta petite Lucy, reprit Ima avec un sourire – sans bien se rendre compte que la petite Lucy qu’il voyait encore se mettre sur la pointe des pieds pour parcourir sa bibliothèque, balançant ses couettes dans l’effort, était devenue depuis longtemps une jeune femme. Il avait encore conservé chez lui un dessin que l’enfant avait fait il y avait des années de cela : un énorme chat noir dont les proportions étaient discutables. Ima était resté marqué par la clairvoyance de la petite qui ignorait pourtant tout de son animal totem. Si elle avait clairement la fougue écossaise de son père, la sorcière avait hérité de sa mère cette fine perspicacité qui l’avait prédestinée à son choix d’orientation.

Mais avant qu’Ima ne puisse poursuivre, la montre à gousset qu’il portait dans une poche en hauteur de son manteau se mit à vibrer. Avec un soupire, il la sortit pour y lire les noms qui s’affichaient.

- Une nouvelle réunion de crise, j’en ai bien peur, marmonna-t-il à l’intention de l’enseignant. Se levant, il s’approcha de nouveau de lui pour le saluer. Je m’excuse de ne pouvoir rester plus longtemps mon ami. Mais sache que mon bureau t’est toujours ouvert. Tu sais que tu un accès spécial à ma cheminée personnelle ? Tu peux débarquer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, tu m’y trouveras certainement.

Attrapant son poignet, il le posa contre son torse pour prononcer solennellement.

- Ne perds pas espoir, frère. L’aube reviendra. Le soleil se lèvera, et nous serons là pour y faire face.

Puis, le malien se détourna pour sortir de la cuisine et rejoindre la zone sécurisée d’où il put transplanner à son aise.

« - Lucy le vit pas très bien ce qui se passe. Je le vois bien dans son regard, il y a quelque chose qui a changé. » Répondit Jameson, avec une gravité étrange dans la voix.

Dans son regard, on semblait pouvoir y voir sa fille qu'il avait observée pendant quelques rares moments où ils s'étaient croisés cet été. Ils n'avaient pas eu cette chance de pouvoir se parler comme il l'aurait aimé, mais ils avaient eu quelques courts moments où cette dernière semblait vouloir être plus utile, plus présente, plus... Plus Clearwater, peut-être. C'était du moins cette étrange sensation qu'il avait ressenti en plongeant son regard dans les yeux azuréens de sa petite princesse.

« - Peut-être le fait de se voir confisquer sa carte de presse par Roberts. »
Elle avait très mal vécu le retrait de sa carte de presse. C'était une énième chose que Jameson ajoutait à sa rancœur à peine voilée envers le ministère et leur façon de faire. Il n'y avait que de rares occasions où on se voyait couper le sifflet par son gouvernement, et ce n'était jamais pour de bonnes raisons. Ou dans de très rares cas. Mais il connaissait sa fille mieux que personne. Il savait qu'elle n'était pas animée d'une mauvaise intention et que tout ce qu'elle voulait faire, c'était de changer le monde. Un peu à la façon de son ami, Ima, qu'il avait devant lui. Alors, elle avait peut-être des façons de faire plus... Fougueuses, elle n'en restait pas moins qu'une jeune sorcière idéaliste qui n'avait pas froid aux yeux lorsqu'il fallait se battre pour ses idées.

Jameson s'était toujours demandé pourquoi elle avait fini à Serdaigle. Elle était si Gryffondor quand elle affrontait un de ces problèmes idéologiques...

Ils n'eurent pas le temps de finir leur conversation qu'Ima sortait une montre à gousset de belle manufacture lui expliquant alors qu'il avait une urgence. Jameson acquiesça silencieusement avant de porter sa tasse à ses lèvres.

Il se leva à son tour, suivant Ima pour le saluer et lui souhaitait une bonne journée. Le regard de Jameson trahit sa surprise lorsque ce grand sorcier malien lui saisit sa main pour la lui poser sur sa poitrine au niveau de son cœur. Un message d'espoir s'échappa des lèvres du plus puissant sorcier anglais, arrachant un soupir reconnaissant du Clearwater qui semblait en avoir cruellement besoin.

Jameson le regarda partir avec une certaine inquiétude dans le regard, avant de finalement, sortir à son tour pour retourner à Birmingham. La police moldue n'ayant rien trouvé sinon une affaire sans queue ni tête où ils n'y comprirent pas grand-chose, Jameson allait tenter de se focaliser sur les lieux et voir s'il n'y avait pas quelque chose qui lui avait échappé. En vain.